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Date : 20220209


Dossier : IMM‑1026‑21

Référence : 2022 CF 164

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2022

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

YUVRAJ SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Yuvraj Singh, est un citoyen de l’Inde. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 20 janvier 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de rejeter sa demande d’asile au motif qu’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur viable [la PRI] ailleurs en Inde.

[2] Le demandeur est un musicien religieux. Il a demandé l’asile parce qu’il craindrait un narcotrafiquant qui aurait essayé de le recruter de force pour vendre de la drogue en août 2018. Ce narcotrafiquant entretiendrait de bonnes relations avec un député de l’Assemblée législative et la police du Pendjab.

[3] La SPR a conclu que la demande d’asile présentée par le demandeur au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], devait être rejetée en raison de l’absence d’un lien avec un motif prévu dans la Convention étant donné que sa crainte concernait la criminalité. La SPR a ensuite évalué la demande d’asile au titre de l’article 97 de la LIPR. Elle a conclu que le demandeur avait une PRI viable ailleurs en Inde après avoir jugé, entre autres, que les allégations de celui‑ci selon lesquelles il avait été retrouvé et arrêté par la police du Pendjab dans un État où celle‑ci n’avait pas compétence n’étaient pas crédibles.

[4] Le demandeur a interjeté appel de la décision devant la SAR. Il a déposé 15 documents à titre de nouveaux éléments de preuve pour appuyer son appel. La SAR a conclu qu’aucun des documents déposés n’était admissible à titre de nouvel élément de preuve et a donc rejeté la demande d’audience du demandeur. La SAR a également conclu que le demandeur disposait d’une PRI viable ailleurs en Inde.

[5] La décision de la SAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16‑17 [Vavilov]). Lorsque la Cour applique la norme de contrôle de la décision raisonnable, elle s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). Il « incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[6] J’ai examiné le dossier et les observations des parties, mais le demandeur n’a pas réussi à me convaincre que la décision de la SAR est déraisonnable.

[7] Contrairement aux observations formulées par le demandeur devant la Cour, seuls son affidavit, la lettre de son père et la lettre de l’avocat sont postérieurs à la décision de la SPR. La SAR a raisonnablement conclu et expliqué que les documents du demandeur étaient inadmissibles. Ils constituaient une tentative pour étoffer le témoignage qu’il avait fait devant la SPR ou ils contenaient des éléments de preuve survenus avant le rejet de sa demande d’asile. Le demandeur n’a pas non plus expliqué pourquoi il n’avait pas déposé ces documents avant l’audience de la SPR.

[8] Un appel devant la SAR n’est pas une occasion pour un demandeur de compléter une preuve déficiente ou de corriger les faiblesses relevées par la SPR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au para 54; Digaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1255 au para 25; Eshetie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1036 au para 33). Qui plus est, le caractère nouveau d’un document n’est pas établi uniquement en fonction de la date à laquelle il a été produit. Ce qui importe, c’est la date du fait ou des circonstances que l’on cherche à établir par la preuve documentaire (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 au para 16). Malgré le fardeau qui lui incombait, le demandeur n’a pas démontré comment les nouveaux éléments de preuve proposés respectaient les exigences prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR.

[9] Pour ce qui est des arguments du demandeur concernant les conclusions de la SAR sur l’existence d’une PRI viable, la SAR a bel et bien tenu compte de la situation particulière du demandeur et de ses craintes alléguées. Comme il l’avait fait devant la SAR, le demandeur a présenté à la Cour des observations qui portaient principalement sur les moyens que pourraient utiliser les agents de préjudice pour le retrouver à l’endroit où il existe une PRI au moyen, par exemple, de l’enregistrement des locataires, de tours de téléphonie cellulaire et de vérifications des antécédents et de l’identité par la police. La SAR a raisonnablement conclu que, si ces méthodes évoquent les moyens dont disposent les agents de préjudice pour rechercher le demandeur, elles n’établissent pas que ces derniers avaient la motivation de le rechercher et de le poursuivre à l’extérieur de son village. Le SAR a conclu que la motivation des agents de préjudice du demandeur était de recruter de jeunes hommes du village pour vendre de la drogue. Le demandeur n’a pas démontré que les agents de préjudice avaient la motivation de le rechercher et de le poursuivre à l’endroit où il existe une PRI ou que le député de l’Assemblée législative du Pendjab avait un intérêt direct à son égard. La SAR a également expliqué pourquoi elle estimait que l’allégation du demandeur selon laquelle la police du Pendjab l’avait retrouvé et arrêté dans un autre État avant de le ramener au Pendjab et de le torturer n’était pas crédible.

[10] Une fois que la question de l’existence d’une PRI a été soulevée, il incombait au demandeur de fournir des éléments de preuve crédibles démontrant, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existait une possibilité sérieuse de persécution ou un risque de danger ou de préjudice dans l’ensemble de son pays et qu’il serait déraisonnable pour lui, compte tenu de toutes les circonstances, d’y chercher refuge (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1992] 1 CF 706 aux p 709‑711 (CA); Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA); Feboke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 155 aux para 43‑45). La SAR a raisonnablement conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de la preuve. Le demandeur n’a relevé aucun élément de preuve important qui aurait été ignoré par la SAR et qui aurait pu corroborer ses allégations. Bien que le demandeur puisse ne pas souscrire aux conclusions de la SAR, il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau la preuve pour parvenir à une conclusion favorable au demandeur (Vavilov, au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[11] Enfin, les arguments du demandeur concernant l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que l’obligation du Canada de se conformer aux instruments de droit international et à la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11, ont déjà été pris en compte et rejetés à plusieurs reprises (Sandhu c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 902 au para 2 (CA); Ogiemwonyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 346 au para 39; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 341 aux para 17‑18; Fares c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 797 aux para 40‑44; Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 39 au para 16).

[12] En terminant, je suis convaincue que, lorsqu’elle est lue de façon globale et contextuelle, la décision de la SAR satisfait à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov. La décision est fondée sur des motifs intrinsèquement cohérents et est justifiée au regard des faits pertinents et du droit applicable. Les motifs sont aussi transparents et intelligibles.

[13] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et je suis d’avis que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1026‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Karine Lambert


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1026‑21

INTITULÉ :

YUVRAJ SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 février 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 9 février 2022

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

Pour le demandeur

Evan Liosis

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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