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Date : 20220209


Dossier : IMM-515-21

Référence : 2022 CF 169

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

ALFSENI CHAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 8 janvier 2021, par laquelle un agent principal d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur depuis le Canada [la décision] au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

II. Le contexte

[2] Le demandeur, Alfseni Cham, est un citoyen de la Gambie. Il est arrivé au Canada le 24 janvier 2013. Il a de nombreux antécédents en matière d’immigration, ayant notamment déjà présenté une demande d’asile et une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire par le passé, qui ont toutes deux été rejetées.

[3] Le 6 septembre 2019, le demandeur a déposé la présente demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [la demande], par laquelle il sollicitait une dispense des exigences de la Loi afin de faciliter le traitement de sa demande de résidence permanente présentée depuis le Canada.

[4] Dans une décision datée du 8 janvier 2021, l’agent a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur. Celui-ci sollicite les mesures suivantes :

  1. un bref de certiorari annulant la décision de l’agent;

  2. une ordonnance renvoyant l’affaire à un autre agent pour nouvelle décision;

  3. toute autre réparation que les avocats peuvent proposer et que la Cour estime juste.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[5] Le demandeur a fondé sa demande sur son établissement au Canada, sur le risque de préjudice de la part du gouvernement et des autorités de la Gambie, sur la situation défavorable dans ce pays et sur l’intérêt supérieur de ses cinq enfants.

[6] Après avoir procédé à une évaluation globale de l’ensemble des circonstances présentées par le demandeur (telles qu’elles sont décrites ci-dessous) et de tous les documents qui ont été fournis, l’agent n’était pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire invoquées justifiaient une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la Loi et il a rejeté la demande du demandeur.

A. L'établissement au Canada

[7] L’agent a conclu que le demandeur avait un certain degré d’établissement au Canada et il a accordé un poids favorable aux éléments suivants :

  1. Le demandeur vivait au Canada depuis huit ans, soit une longue période.

  2. Il avait fait des efforts pour améliorer ses compétences en anglais.

  3. Il travaillait au Canada depuis plusieurs années.

  4. Il avait des amis et des connaissances au Canada.

[8] L’agent a fait remarquer que le demandeur n’avait pas de famille au Canada; tous les membres de sa famille immédiate, y compris son épouse, ses cinq enfants et les trois membres de sa fratrie vivaient en Gambie, pays dont ils sont citoyens. Par conséquent, il a conclu que le demandeur avait des attaches familiales fortes en Gambie et des attaches familiales faibles au Canada.

B. Le risque de préjudice

[9] Le demandeur affirme qu’il risque de subir un préjudice de la part du gouvernement et des autorités de la Gambie en raison des activités politiques qu’il mène au nom du Parti démocratique uni.

[10] L’agent a souligné que cette allégation avait déjà été faite devant la Section de la protection des réfugiés [la SPR] lors de l’audition de la demande d’asile du demandeur en 2015. La SPR avait conclu, notamment, que l’allégation du demandeur était [traduction] « manifestement infondée, et qu’il n’y [avait] aucun fondement crédible à l’appui de l’allégation ». Elle avait aussi conclu que le demandeur avait frauduleusement caché son identité et que sa tentative de tromper les autorités canadiennes et la SPR était volontaire et délibérée.

[11] L’agent a conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve documentaire récents à l’appui de cette allégation et que le demandeur n’avait pas établi qu’il risquait de subir un préjudice en Gambie, que ce soit de la part du gouvernement ou des autorités.

C. La situation défavorable au pays

[12] L’agent a conclu que, bien qu’une économie anémique et un taux de chômage élevé soient des problèmes graves et persistants en Gambie, la connaissance qu’avait le demandeur du pays, l’expérience de travail qu’il y avait déjà acquise et son expérience de travail au Canada l’aideraient grandement à obtenir un emploi en Gambie qui lui permettrait de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.

[13] Si l’agent a conclu que le mauvais système de santé et la pandémie de COVID-19 auraient des répercussions négatives sur le demandeur dans l’éventualité d’un retour en Gambie, il a aussi souligné qu’il ne s’agissait que d’une partie des documents relatifs à la situation défavorable dans le pays joints à la demande et que la situation défavorable dans le pays n’était qu’un des facteurs à prendre en compte dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire; une telle demande repose sur une évaluation globale de tous les facteurs invoqués.

D. L’intérêt supérieur des enfants

[14] Les cinq enfants du demandeur vivent avec leur mère, l’épouse du demandeur, en Gambie. L’agent n’a trouvé aucun élément indiquant que les enfants du demandeur ne s’en sortaient pas bien en Gambie ou qu’ils ne tireraient aucun avantage de la présence du demandeur dans leur vie au quotidien si celui-ci retournait en Gambie pour présenter une demande de résidence permanente.

[15] L’agent a pris acte du fait que le demandeur apportait un soutien financier important à ses enfants et il a répété que la connaissance qu’avait le demandeur de la Gambie et son expérience de travail l’aideraient grandement à y obtenir un emploi qui lui permettrait de continuer à subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.

[16] L’agent a aussi constaté que le demandeur entretenait une relation étroite avec les deux enfants de l’ami avec lequel il vivait au Canada. Cependant, dans les documents fournis par le demandeur concernant les considérations d’ordre humanitaire, il a trouvé peu de renseignements indiquant que le demandeur ne serait pas en mesure de rester en contact avec ces enfants s’il devait retourner en Gambie.

IV. Les questions en litige

[17] La question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

V. La norme de contrôle applicable

[18] La norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25].

VI. Analyse

[19] Le paragraphe 25(1) de la Loi confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de dispenser les étrangers des exigences de la Loi s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient. Il incombe au demandeur de démontrer qu’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire est justifiée.

[20] L’agent doit examiner et soupeser tous les facteurs applicables dans une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Bien qu’un agent puisse être guidé par une approche libérale et humanitaire, le paragraphe 25(1) n'est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle [Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] au para 23].

[21] L’application de la norme des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » est étayée par une liste non exhaustive de facteurs, comme l’établissement au Canada, les liens avec le Canada, l’intérêt supérieur de tout enfant touché par la demande, des facteurs dans le pays d’origine du demandeur, des facteurs relatifs à la santé, les conséquences de la séparation des membres de la famille et tout autre facteur pertinent. Les considérations pertinentes doivent être soupesées cumulativement pour décider si la dispense est justifiée dans les circonstances et ne devraient pas limiter le pouvoir discrétionnaire qui permet à l’agent d’immigration de tenir compte de tous les facteurs pertinents.

[22] Une décision rendue au titre du paragraphe 25(1) sera jugée déraisonnable si les intérêts des enfants touchés par celle-ci n’ont pas suffisamment été pris en compte [Kanthasamy, au para 39].

[23] S’il n’obtient pas de dispense pour des considérations d’ordre humanitaire, le demandeur devrait présenter une demande de résidence permanente au Canada depuis la Gambie.

[24] Le demandeur conteste la décision rendue par l’agent pour trois motifs principaux :

  1. L’agent a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants en faisant abstraction ou en ne tenant pas raisonnablement compte du fait que, grâce aux revenus qu’il gagne au Canada, il subvient aux besoins financiers de ses cinq enfants et de son épouse qui vivent en Gambie.

  2. L’agent a commis une erreur en tirant une conclusion illogique et inintelligible selon laquelle la situation en Gambie est loin d’être favorable, mais en concluant tout de même qu’il doit y retourner pour présenter une demande de résidence permanente.

  3. L’agent a commis une erreur en n’expliquant pas en quoi son degré d’établissement ne suffit pas à justifier une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire alors qu’il vit au Canada depuis huit ans.

[25] La position du défendeur est que la décision est raisonnable et que l’agent n’a pas commis d’erreur comme le prétend le demandeur. Je suis d’accord.

[26] L’application du principe de l’« intérêt supérieur » dépend fortement du contexte et elle doit tenir compte des circonstances propres aux enfants touchés dans chaque cas [Kanthasamy, au para 35]. Bien que d’autres décisions puissent éclairer la Cour sur l’application de ce principe, chaque affaire est différente et doit être appréciée sur le fondement de sa propre preuve. Les deux affaires invoquées par le demandeur se distinguent de l’affaire dont est saisie la Cour en l’espèce.

[27] Les conclusions tirées par l’agent quant à l’intérêt supérieur des cinq enfants du demandeur en Gambie sont raisonnables. L’agent a reconnu l’important soutien financier apporté par le demandeur à ses enfants en Gambie, et il y a été sensible. Il a raisonnablement conclu que la connaissance qu’a le demandeur de la Gambie, l’expérience de travail qu’il y a déjà acquise et son expérience de travail au Canada l’aideraient grandement à obtenir un emploi en Gambie qui lui permettrait de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. En fait, le demandeur demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[28] Les conclusions tirées par l’agent quant aux répercussions qu’aurait la situation défavorable dans le pays sur le demandeur sont logiques et intelligibles. Il a reconnu l’état anémique de l’économie et le taux de chômage élevé en Gambie, ainsi que les problèmes liés au système de santé et à la pandémie de COVID-19. Les conclusions tirées par l’agent à cet égard ne sont pas spéculatives; elles sont fondées sur les éléments de preuve joints à la demande, sur l’expérience de travail antérieure du demandeur en Gambie et au Canada, et sur la connaissance qu’a le demandeur de la Gambie.

[29] De plus, les conclusions tirées par l’agent quant à l’établissement du demandeur au Canada sont raisonnables. L’agent a expressément traité des facteurs invoqués à l’appui de l’établissement du demandeur et il leur a accordé un poids favorable. Il n’a pas fait abstraction du degré d’établissement du demandeur, ne l’a pas qualifié d’insuffisant et n’a pas conclu qu’il doit satisfaire à une norme exceptionnelle. L’agent a raisonnablement conclu que le demandeur a un certain degré d’établissement au Canada, mais que le poids accordé aux facteurs invoqués par le demandeur est insuffisant pour étayer sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

VII. Conclusion

[30] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-515-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-515-21

 

INTITULÉ :

ALFSENI CHAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 8 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

le 9 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

FARAH ISSA

 

POUR LE DEMANDEUR

 

KEVIN SPYKERMAN

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

FARAH ISSA

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

MINISTÈRE DE LA JUSTICE CANADA

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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