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Date : 20220210


Dossier : IMM-1978-20

Référence : 2022 CF 174

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 10 février 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

CARLOS EDUARDO DA COSTA SERRANO JUNIOR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision, datée du 11 février 2020, par laquelle un agent d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur. L’agent a conclu que le demandeur n’était pas admissible au titre des paragraphes 16(1) et 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Le demandeur conteste la décision de l’agent au motif qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale et que la décision est déraisonnable.

[3] Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que le processus suivi par l’agent était inéquitable sur le plan procédural. Je conclus qu’il n’a pas démontré non plus que l’agent avait commis une erreur susceptible de contrôle suivant la description qui en a été donnée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[4] Par conséquent, la demande sera rejetée.

I. Les faits à l’origine de la demande de contrôle judiciaire

[5] Le demandeur est un citoyen du Brésil. Le 15 avril 2018, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) (Entrée express). Il a fait valoir que six années de travail dans l’industrie pétrolière et gazière le rendaient admissible au programme.

[6] À l’appui de sa demande, le demandeur a présenté une lettre de vérification de son employeur, Wood Group, datée du 22 janvier 2018. Elle avait été signée par Gary Lejeune, directeur des installations extracôtières, que le demandeur avait désigné comme son superviseur immédiat.

[7] En mai 2018 et en octobre 2019, le demandeur a fourni des documents supplémentaires en réponse à des demandes d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Il a également présenté des demandes pour vérifier l’état de sa demande les 18 mars et 26 août 2019. Le 16 septembre 2019, IRCC l’a informé que l’évaluation ne serait pas terminée à la fin de son délai de traitement affiché, qui était de six mois, parce que des vérifications supplémentaires étaient nécessaires. La demande a alors été transférée au bureau des visas de Mexico.

[8] Selon ses notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), l’agent a tenté de vérifier l’emploi du demandeur chez Wood Group le 23 décembre 2019. Il a alors parlé à un gestionnaire de l’ingénierie. Celui-ci, après vérification auprès des ressources humaines, a confirmé l’emploi du demandeur et de M. Lejeune chez Wood Group, mais il a précisé que M. Lejeune avait démissionné au cours de la première moitié de 2017 (c’est-à-dire avant de rédiger sa lettre datée du 22 janvier 2018).

[9] L’agent a envoyé au demandeur une lettre dite « d’équité procédurale » datée du 10 janvier 2020. Selon celle-ci, l’agent a conclu que le demandeur ne satisfaisait peut-être pas aux exigences pour obtenir la résidence permanente au Canada. Il était indiqué ce qui suit :

[traduction]

  • Vous avez fourni une lettre d’emploi, signée par Gary Lejeune, datée du 22 janvier 2018 et rédigée sur du papier à en-tête de Wood Group PSN, qui indique votre statut d’emploi au sein de la société;

  • Aux fins de vérification et de confirmation, nous avons communiqué avec Wood Group PSN. La société a indiqué qu’elle n’avait aucune trace de l’envoi de la lettre et que le signataire de la lettre au dossier avait quitté ce poste avant la date figurant sur la lettre.

[10] Dans la lettre d’équité procédurale, l’agent a ensuite affirmé ce qui suit à la lumière des renseignements précédents :

[traduction]

[Je ne suis] pas convaincu que la lettre d’emploi que vous avez fournie est authentique, car elle n’a pas été rédigée par une personne autorisée à le faire. J’ai également des doutes du fait que la lettre a été signée par une personne qui, à ce moment, ne travaillait plus pour la société. De plus, je crains que vous ayez fait de fausses déclarations.

[11] Il était écrit dans la lettre que les demandeurs [traduction] « doivent fournir des renseignements véridiques dans leur demande et être honnêtes tout au long du processus », et l’article 40 de la LIPR y était reproduit.

[12] Le demandeur a répondu par une lettre datée du 22 janvier 2020. En ce qui concerne les fausses déclarations reprochées, il a dit croire qu’une erreur avait été commise dans le processus de vérification et il a réaffirmé qu’il était à l’emploi de Wood Group au cours des périodes indiquées dans sa demande de résidence permanente, et ce, jusqu’au début de 2019. Il ne pouvait rien dire de précis au sujet de la personne jointe pour vérifier ses antécédents d’emploi, mais il a affirmé qu’elle [traduction] « était mal informée ». Il a fourni des renseignements visant à [traduction] « dissiper tout doute au sujet de [ses] antécédents professionnels ainsi que de l’authenticité de la lettre qui accompagnait [sa] demande ».

[13] Quant à l’affirmation selon laquelle Wood Group PSN n’avait aucune trace de l’envoi de la lettre d’emploi, le demandeur a expliqué que son supérieur immédiat l’avait envoyée depuis une plateforme pétrolière dans le bassin de Campos, au large de la côte brésilienne. La politique de l’entreprise déterminait si les superviseurs devaient obtenir une autorisation ou déposer officiellement de telles lettres auprès du service des ressources humaines, et le demandeur ne savait pas quelles procédures avaient été suivies entre sa demande et l’envoi de la lettre. Il a souligné qu’IRCC précise que la lettre de recommandation [traduction] « doit être signée par le supérieur immédiat ou le représentant des ressources humaines de l’entreprise » [souligné dans l’original]. Il a également fourni des renseignements selon lesquels M. Lejeune avait été un employé expatrié de Wood Group/Petro Rio au Brésil jusqu’en 2019, au moins. Il a expliqué que ces sociétés étaient distinctes, mais qu’elles collaboraient comme si elles n’en formaient qu’une dans la structure de gestion du bâtiment hauturier sur lequel le demandeur travaillait. M. Lejeune [traduction] « a changé de société » après un an, mais a conservé son poste et est demeuré le superviseur immédiat du demandeur pendant tout le temps où il y a travaillé.

[14] Dans un addenda à sa lettre, le demandeur a fourni des renseignements du gouvernement brésilien rendus publics qui portent sur les permis de travail et où figurent le nom de M. Lejeune ainsi que de l’information liée à son passeport. Il a indiqué que Petro Rio O&G était propriétaire de la plateforme extracôtière et que Wood Group en était l’exploitante[1]. Il a expliqué que le gestionnaire des installations extracôtières était responsable de tous les employés sur la plateforme, qui relevaient presque tous de la société exploitante. Il a également expliqué que, dans la lettre, sous la signature de M. Lejeune, il était clairement écrit Wood Group/Petro Rio, parce que, en pratique, ces sociétés se distinguaient peu l’une de l’autre sur l’installation extracôtière. Cependant, le demandeur a affirmé qu’il n’était [traduction] « pas indiqué » que M. Lejeune était nécessairement et officiellement employé par Wood Group, mais « seulement qu’il était responsable des employés de Wood Group/Petro Rio, dont [lui], sur la plateforme Polvo ».

[15] Dans sa lettre datée du 22 janvier 2020, le demandeur a confirmé que M. Lejeune ne travaillait plus pour Wood Group/Petro Rio, mais il a fourni les coordonnées du gestionnaire de contrats sur le continent qui était le supérieur à la fois du demandeur et de M. Lejeune, et qui pouvait confirmer leurs emplois respectifs. Il a également déposé une autre lettre d’emploi, celle-là de la part du gestionnaire de contrats.

[16] Dans sa réponse, le demandeur a expressément affirmé qu’il n’avait aucune raison de faire de fausses déclarations. Il a ajouté que les doutes au sujet de ses antécédents professionnels découlaient d’un malentendu lié à son travail dans un domaine où les employés de plus d’une société travaillent ensemble au sein d’une même organisation, et peut-être de la méconnaissance de ce fait de la part de l’employé de Wood Group auprès de qui les vérifications avaient été faites.

[17] La lettre datée du 22 janvier 2020 était accompagnée de sept pièces jointes. La première était une lettre datée du 14 janvier 2020, signée par le gestionnaire de contrats de Wood PLC. Elle confirmait l’emploi du demandeur en tant qu’opérateur de salle de commande extracôtière au sein de la société Wood Group Engineering and Production Facilities Brasil et contenait des renseignements sur son emploi (dont des dates, sa rémunération et ses responsabilités).

[18] Dans sa lettre, le gestionnaire de contrats n’a pas mentionné M. Lejeune et n’a pas tenté de répondre aux doutes au sujet de l’authenticité de la lettre d’emploi dont l’agent avait fait part dans la lettre d’équité procédurale datée du 10 janvier 2020.

[19] Dans une lettre datée du 11 février 2020, le bureau des visas de l’ambassade du Canada à Mexico a informé le demandeur de la décision de l’agent selon laquelle il ne satisfaisait pas aux exigences pour obtenir la résidence permanente au Canada (la décision contestée).

[20] Dans cette lettre était cité le paragraphe 16(1) de la LIPR, qui est libellé ainsi :

16(1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

[21] Voici un extrait de la lettre :

[traduction]

Le 15 avril 2018, vous avez présenté une demande au titre de la catégorie mentionnée ci-dessus. À l’appui de cette demande, vous avez présenté une lettre d’emploi rédigée sur du papier à en-tête de Wood Group PSN, signée par Gary Lajeune [sic] et datée du 22 janvier 2018. Les vérifications ont révélé que cette personne ne travaillait pas pour Wood Group lorsque la lettre a été signée. Bien que j’aie examiné votre réponse à la lettre d’équité procédurale, mon constat demeure que M. [Lejeune] n’était pas un employé de Wood Group lorsque la lettre a été envoyée. Pour cette raison, je ne suis pas convaincu que cette personne était autorisée à vous envoyer une lettre rédigée sur du papier à en-tête de Wood Group. Je ne suis donc pas convaincu que la lettre que vous avez fournie à l’appui de votre demande est authentique, et il s’ensuit que vous n’avez pas fourni la preuve pertinente requise pour l’évaluation de votre demande lorsque vous l’avez présentée.

[22] En renvoyant au paragraphe 11(1) de la LIPR, l’agent a ajouté dans la lettre qu’il n’était pas convaincu que le demandeur satisfaisait à toutes les exigences pour qu’un visa lui soit délivré. La demande a été rejetée.

[23] Dans le SMGC, l’agent a noté ce qui suit :

[traduction]

[Le demandeur] a reçu une lettre d’équité procédurale le 10 janvier 2021 et s’est vu accorder 30 jours pour dissiper les doutes. J’ai pris acte de la réponse à la lettre d’équité procédurale ainsi que des observations d’un député. En réponse à notre lettre d’équité procédurale, le demandeur indique que la lettre a été envoyée par son superviseur immédiat, Gary, depuis une plateforme pétrolière. Je souligne que les lettres d’emploi des superviseurs immédiats sont acceptables suivant les normes d’IRCC. Cependant, les vérifications ont révélé que M. [Lejeune] avait démissionné en 2017. Le demandeur indique que M. [Lejeune] a changé d’emploi afin de travailler pour Petro Rio, une entreprise distincte de Wood Group, mais que les deux sociétés « collaborent comme si elles n’en forment qu’une dans la structure de gestion du bâtiment hauturier sur lequel [il a] travaillé, et que [M. Lejeune] a conservé le même poste et est demeuré [son] superviseur immédiat pendant tout le temps où [il y a] travaillé ».

Je souligne qu’il est écrit « Wood Group – Petro Rio » sous la signature dans la lettre d’emploi. Néanmoins, comme il était employé par une autre société, je ne suis pas convaincu que M. [Lejeune] était le superviseur immédiat du demandeur, même s’il assurait quotidiennement certaines fonctions de supervision de ce dernier. J’accorde également un poids supérieur aux résultats des vérifications qu’à l’explication donnée au sujet de la lettre d’emploi en réponse à la lettre d’équité procédurale. J’ai également des doutes du fait que la lettre d’emploi a été rédigée sur du papier à en-tête de Wood Group alors que M. [Lejeune] travaillait pour Petro Rio. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que cette lettre d’emploi versée au dossier est authentique.

J’ai pris acte d’une autre lettre d’emploi, celle-là de BW Offshore. Elle n’a pas été vérifiée. Le demandeur semble satisfaire aux exigences relatives à la CNP 9232.

Néanmoins, d’après les renseignements au dossier, je ne suis pas convaincu que le demandeur a présenté des documents authentiques, compte tenu des divergences exposées précédemment, et il s’ensuit qu’il n’a pas respecté l’obligation de présenter des renseignements véridiques dans sa demande initiale. Exigences d’admissibilité de l’article 16 non remplies.

Fausses déclarations. Aucune suite ne sera donnée.

[24] Le 6 mars 2020, le demandeur a sollicité un réexamen de sa demande. Il a insisté sur le fait que M. Lejeune était son superviseur immédiat et le gestionnaire des installations extracôtières du bâtiment sur lequel il travaillait. Il a ajouté que la confusion pouvait être liée à une particularité contractuelle ou technique de son ancien lieu de travail. Il a expliqué que le gestionnaire des installations extracôtières d’une plateforme pétrolière, dont le rôle est semblable à celui d’un capitaine de navire, est employé par le propriétaire du champ pétrolifère (Petro Rio) et que les travailleurs subalternes étaient employés par Wood Group (l’exploitante).

[25] Le 7 mars 2020, l’agent a rejeté la demande de réexamen.

II. Analyse

[26] Devant la Cour, le demandeur a contesté la décision faisant l’objet du présent contrôle au motif que l’agent avait porté atteinte à son droit à l’équité procédurale, car :

  • a)l’agent aurait dû faire de nouvelles vérifications après avoir reçu sa réponse à la lettre d’équité procédurale;

  • b)le processus de vérification initial de l’agent était inadéquat;

  • c)il y a eu un retard injustifié dans le traitement de la demande.

[27] Le demandeur a également soutenu que la décision contestée était foncièrement déraisonnable, parce qu’elle ne tenait pas compte de [traduction] « l’ensemble de la preuve ».

A. L’équité procédurale

[28] L’examen par la Cour des questions d’équité procédurale n’appelle aucune déférence à l’égard du décideur. La Cour doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, en mettant l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne : Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 aux para 46-47; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121 en particulier aux para 49 et 54; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817.

[29] Les trois observations du demandeur seront examinées successivement ci-après.

(1) L’agent aurait-il dû faire de nouvelles vérifications?

[30] Le demandeur a soutenu que l’agent n’avait pas examiné les nouveaux renseignements qu’il avait fournis en réponse à la lettre d’équité procédurale. Plus précisément, il a fait valoir que, comme il avait déposé une nouvelle lettre d’emploi et des renseignements supplémentaires concernant l’emploi de M. Lejeune au sein de Wood Group (et, par conséquent, le signataire autorisé de sa lettre d’emploi initiale), l’agent aurait dû communiquer avec M. Lejeune ou avec l’employeur (le gestionnaire de contrats, M. Melville) pour vérifier les renseignements qu’il avait présentés (citant Rong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 364 au para 31).

[31] Selon le défendeur, l’agent n’était pas tenu de faire de nouvelles vérifications. Il a fait valoir que la lettre d’équité procédurale avait donné au demandeur l’occasion de présenter des renseignements supplémentaires pour expliquer que M. Lejeune était autorisé à signer une lettre d’emploi au nom de Wood Group. La réponse du demandeur n’a pas dissipé les doutes de l’agent, car elle était incomplète : elle ne traitait pas de la question de savoir si M. Lejeune était autorisé à signer la lettre. Le défendeur a ajouté que l’agent n’avait pas l’obligation légale de faire des vérifications supplémentaires après avoir reçu une réponse incomplète (citant He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 33 aux para 29-30; Iqbal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 533 aux para 24-25; Pan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 838 au para 28; Tofangchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 427; Heer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1357 au para 19). Il a également soutenu que l’obligation d’équité incombant à l’agent des visas qui examine une demande de résidence permanente se situe à l’extrémité inférieure du spectre (citant Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, [2002] 2 CF 413 aux para 31-32).

[32] Dans la lettre d’équité procédurale, l’agent a fait part de deux raisons qui l’ont amené à douter de l’authenticité de la lettre d’emploi de Wood Group signée par M. Lejeune, à savoir : a) qu’elle avait été signée par une personne non autorisée à le faire, et b) que le signataire, M. Lejeune, ne travaillait plus pour la société lorsqu’il l’avait signée.

[33] Les documents fournis par le demandeur en réponse à la lettre d’équité procédurale ne se rapportaient pas directement à ces raisons. Dans sa lettre, le demandeur a reconnu que M. Lejeune travaillait pour Petro Rio à l’époque et a expliqué qu’il avait changé d’employeur, mais qu’il était demeuré son superviseur immédiat sur le bâtiment hauturier. La lettre de Wood Group datée du 14 janvier 2020 (signée par M. Melville) ne mentionnait pas M. Lejeune et ne répondait pas aux questions de savoir si ce dernier était autorisé à signer la lettre initiale rédigée sur du papier à en-tête de Wood Group, si Wood Group l’employait à l’époque et si, en pratique, il était le superviseur immédiat du demandeur lorsqu’il avait signé sa lettre. Selon les renseignements tirés du site Web du gouvernement brésilien, M. Lejeune était un employé de Petro Rio lorsqu’il avait rédigé la lettre du 22 janvier 2018 sur du papier à en-tête de Wood Group.

[34] Dans la lettre de décision, l’agent a affirmé que son [traduction] « constat demeur[ait] » que M. Lejeune n’était pas un employé de Wood Group lorsque la lettre avait été signée et que, par conséquent, il n’était pas convaincu de l’authenticité de la lettre fournie à l’appui de la demande initiale.

[35] En somme, d’après la preuve, l’agent a donné au demandeur l’occasion de dissiper ses doutes sur des points précis. Le demandeur a présenté des renseignements supplémentaires qui n’ont pas dissipé les doutes de l’agent; en fait, ils ne s’y rapportaient pas. Dans ces circonstances, l’agent n’avait pas à nouveau l’obligation légale d’informer le demandeur des lacunes dont souffrait toujours sa demande : Vavilov, aux para 29-30; Bhatti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 186 aux para 41-46.

[36] Au regard de ces contraintes factuelles et juridiques, je n’estime pas que l’agent avait à nouveau l’obligation de demander à l’employeur des éclaircissements ou des renseignements supplémentaires, compte tenu, notamment, de ce que le demandeur avait déjà fourni en réponse à la lettre d’équité procédurale. En l’espèce, conclure à l’existence d’une telle obligation reviendrait à dire que l’agent aurait dû demander à l’employeur des renseignements qui auraient complété sa lettre datée du 14 janvier 2020 (dans laquelle il n’était pas question de M. Lejeune) et qui auraient peut-être contredit les renseignements supplémentaires que le demandeur avait fournis (soit ceux tirés du site Web du gouvernement brésilien qui confirmaient que M. Lejeune ne travaillait pas pour Wood Group lorsqu’il avait rédigé la lettre datée du 22 janvier 2018) afin de dissiper les doutes persistants dont l’agent avait fait part dans la lettre d’équité procédurale. Les obligations d’équité procédurale qui incombent à l’agent n’ont pas une telle portée.

[37] Une distinction peut être établie entre l’espèce et l’affaire Rong. Dans cette dernière, la Cour ne devait pas statuer sur une question d’équité procédurale, mais examiner le fond de la décision de l’agente. Après avoir exposé ses motifs, la juge Tremblay-Lamer a conclu que la preuve provenant d’un tiers présentée par la demanderesse corroborait l’information contenue dans sa déclaration personnelle et les renseignements qu’elle avait fournis par téléphone à l’ambassade. En l’espèce, la deuxième lettre d’emploi de Wood Group ne corroborait pas, voire n’abordait pas, la question cruciale soulevée par l’agent, soit celle de savoir si la lettre initiale avait été envoyée par une personne qui était autorisée par Wood Group à le faire.

[38] J’admets que le demandeur a expliqué le rôle de M. Lejeune sur le bâtiment hauturier et sa situation d’emploi au sein des deux sociétés. Toutefois, l’agent connaissait ces éléments de preuve. Les notes du SMGC indiquaient que l’agent a) avait pris connaissance de l’explication du demandeur, mais qu’il n’était toujours pas convaincu que M. Lejeune était son superviseur immédiat, b) avait accordé plus de poids aux résultats de la vérification initiale qu’à l’explication du demandeur, et c) avait encore des doutes du fait que la lettre d’emploi initiale avait été rédigée sur du papier à en-tête de Wood Group alors que M. Lejeune travaillait pour Petro Rio.

[39] Pour ces motifs, je conclus que, dans les circonstances, l’agent n’avait pas l’obligation de faire des vérifications supplémentaires ou de prendre d’autres mesures pour confirmer les renseignements fournis par le demandeur en réponse à la lettre d’équité procédurale.

(2) Le processus de vérification initial de l’agent était-il inadéquat?

[40] Le demandeur a contesté le processus initialement suivi par l’agent pour vérifier ses renseignements concernant son emploi. Il a fait valoir que l’agent n’avait jamais vérifié si le gestionnaire de l’ingénierie était autorisé à fournir les renseignements demandés, mais qu’il avait néanmoins ajouté foi à ces renseignements plutôt qu’à son explication fournie en réponse à la lettre d’équité procédurale, et ce, sans fournir de justification à cet égard. Il a souligné que l’agent n’avait pas communiqué directement avec M. Melville (bien qu’il l’ait invité à le faire) et que l’agent n’avait jamais tenté de joindre M. Lejeune. Le demandeur a également fait remarquer que, suivant les directives d’IRCC, il devait fournir des renseignements sur l’emploi obtenus auprès d’un supérieur immédiat ou d’un représentant des ressources humaines de l’entreprise, mais que l’agent n’avait pas suivi cette norme (en citant la publication sur le site Web d’IRCC intitulée « Demandes reçues dans le cadre des programmes de résidence permanente visés par la vérification de la conformité Entrée express »). Il a ajouté que l’agent n’aurait pas dû se fier aux renseignements fournis par le gestionnaire de l’ingénierie, mais plutôt s’adresser directement au service des ressources humaines de la société.

[41] Je ne suis pas d’accord. Comme l’a fait observer le défendeur, il est bien établi en droit que l’agent avait le droit d’apprécier la preuve et de privilégier une source de preuve au détriment d’une autre, ce qui (en soi) ne contrevient pas aux principes d’équité procédurale. Le processus initial suivi par l’agent n’a pas porté atteinte au droit du demandeur d’être entendu. Les doutes suscités par les renseignements reçus du gestionnaire de l’ingénierie, lequel les avait obtenus du service des ressources humaines, étaient l’objet de la lettre d’équité procédurale. Le demandeur n’a ni contesté le droit de l’agent de relever des raisons de douter de l’authenticité de la lettre d’emploi, ni soutenu que la lettre d’équité procédurale n’indiquait pas adéquatement les raisons invoquées plus tard. Peut-être que la chaîne de communication n’était pas idéale, mais le demandeur n’a indiqué aucune différence importante par rapport à ce qui aurait résulté de communications plus directes. De plus, la présente affaire n’est pas suffisamment semblable à l’affaire Rong, dans laquelle l’agente s’était appuyée sur les renseignements fournis par un réceptionniste qui lui avait répondu lorsqu’elle avait téléphoné à l’employeur, et ce, en dépit du fait que la demanderesse avait expliqué l’incohérence entre les affirmations du réceptionniste et les siennes.

[42] En somme, je ne vois aucune erreur donnant lieu de croire que le demandeur a été privé de la possibilité d’être entendu ou qu’il a été injustement privé de renseignements qu’il devait connaître pour dissiper les doutes dont l’agent avait fait part dans la lettre d’équité procédurale.

(3) Est-ce que le demandeur a subi un retard injustifié dans le traitement de sa demande?

[43] Le demandeur n’a pas soulevé la question du retard indu à l’audience, mais s’est appuyé sur ses observations écrites. Il a soutenu qu’un délai de 22 mois pour le traitement de sa demande, soit du 15 avril 2018, date où il a présenté sa demande, au 11 février 2020, date où la décision a été rendue, est déraisonnable et qu’il constitue un manquement à l’équité procédurale. Après l’expiration du délai de traitement de six mois, le demandeur a présenté 11 demandes de renseignements pour vérifier l’état de sa demande, dont certaines provenaient du bureau d’un député. Il n’a reçu que des réponses générales selon lesquelles le traitement de la demande était en cours.

[44] Le demandeur a également souligné qu’après l’examen de la recevabilité initial, le 16 mai 2018, IRCC avait demandé des renseignements supplémentaires. Il a fourni en réponse les renseignements demandés, après quoi il y a eu un [traduction] « intervalle inexplicable » de 13 mois, d’août 2018 à septembre 2019, pendant lesquels rien ne s’est produit. Ensuite, un agent à Ottawa a consulté le dossier et a mentionné sans donner d’explication qu’il était [traduction] « complexe », puis la demande a été transférée à Mexico. À Mexico, en novembre 2018, environ 17 mois après le dépôt de la demande, un agent a demandé des renseignements supplémentaires que le demandeur a fournis quelques jours plus tard. Ensuite, en moins de trois mois, entre le 25 novembre 2019 et le 11 février 2020, un agent a effectué trois processus de vérification, envoyé la lettre d’équité procédurale, examiné la réponse du demandeur et rendu la décision contestée.

[45] Le demandeur a fait valoir que, d’après la propre norme d’IRCC, les retards dans le présent dossier étaient inutiles et qu’un « retard impossible à justifier équivaut à un déni de l’équité procédurale » : IRCC, Instructions et lignes directrices opérationelles en matière de prestation des services : Équité procédurale (dernière modification le 22 août 2018), en ligne : IRCC <canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/organisation/publications-guides/bulletins-guides-operationnels/prestation-services/equite-procedurale.html>.

[46] Le défendeur a soutenu qu’il n’y a pas eu de délai injustifié dans le traitement de la demande présentée par le demandeur. Il a souligné que ce dernier n’avait pas sollicité une ordonnance de mandamus. Par conséquent, afin de trancher la question de savoir si le retard dans le traitement équivaut à un manquement à l’équité procédurale, il a fait valoir que la question qui se posait n’était pas celle de savoir si la décision avait été rendue en temps opportun, mais plutôt celle de savoir si une iniquité particulière dans le processus avait nui à la capacité du demandeur de réfuter la preuve présentée contre lui ou si le retard lui avait causé un préjudice susceptible d’avoir pour effet de jeter le discrédit sur l’administration de la justice. Il s’est appuyé sur la décision Kandiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 509 aux para 28-30, et Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 RCS 307 aux para 102 et 115.

[47] Le défendeur n’a pas produit de preuve visant à expliquer les retards. Il a par contre fait valoir que, d’après le dossier existant, le retard s’expliquait en grande partie par les vérifications et les procédures supplémentaires requises pour traiter la demande du demandeur, notamment le délai pour obtenir son certificat de divorce, des doutes au sujet de l’authenticité du document, l’attente de la décision de la CISR, la vérification des lettres d’emploi, l’attente de la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale et la complexité générale du dossier.

[48] En réponse aux observations du défendeur, le demandeur a fait valoir qu’il n’avait pas été en mesure de présenter une nouvelle demande de résidence permanente au cours de la période pendant laquelle il avait attendu la réponse à sa demande, soit près de deux ans. Il n’a pas sollicité de réparation en particulier et il n’a pas présenté d’autres observations portant précisément sur le retard dans sa réponse ou à l’audience.

[49] Je ne suis pas d’accord avec le défendeur pour dire que la plupart des retards en l’espèce sont imputables au demandeur. Il y a eu de longs délais administratifs dans le traitement de la demande (tous antérieurs à la pandémie de COVID-19) que le dossier n’explique pas et qui ne semblent pas attribuables au demandeur. En revanche, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’on ne peut faire un parallèle direct entre la présente affaire et les circonstances décrites au paragraphe 102 de l’arrêt Blencoe. D’ailleurs, rien dans la preuve ne démontre que le délai en l’espèce a engendré les conséquences que la Cour suprême a envisagées au paragraphe 115 de l’arrêt Blencoe.

[50] Dans la décision Kandiah, la juge Mactavish, maintenant juge de la Cour d’appel fédérale, a affirmé ce qui suit :

[29] […] les retards dans le traitement de la demande de résidence permanente de M. Kandiah sont regrettables, et le dossier ne permet pas de les expliquer facilement. Cela dit, il ne s’agit pas d’une demande de mandamus. La question n’est pas de savoir si la décision a été rendue dans un délai raisonnable, mais plutôt si de savoir s’il y a eu un manquement à l’équité procédurale.

[30] Pour les motifs qui précèdent, M. Kandiah ne m’a pas convaincue qu’il a été privé de son droit à l’équité dans le cadre du traitement de sa demande de résidence permanente.

[51] Bien que le contexte factuel de l’affaire Kandiah soit différent, j’adopte ce raisonnement et cette conclusion en l’espèce.

B. Le bien-fondé de la décision contestée

[52] Le demandeur a soutenu que l’agent n’avait pas tenu compte de l’ensemble de la preuve, en citant les exigences énoncées par le juge Evans dans la décision Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), [1999] 1 CF 53. Il a attiré l’attention sur des éléments de preuve présentés à l’appui de sa demande que l’agent n’avait mentionnés ni dans les motifs de la décision contestée, ni dans la lettre datée du 11 février 2020, ni dans les notes consignées dans le SMGC, par exemple la nouvelle lettre d’emploi de Wood Group signée par M. Melville ainsi que les relevés de pension et d’impôts.

[53] Pour étayer l’argument selon lequel M. Lejeune était autorisé à signer la lettre, le demandeur a répété ses observations au sujet des explications fournies à l’agent concernant les rôles de Petro Rio et de Wood Group sur le bâtiment hauturier, et les renseignements sur l’emploi de M. Lejeune tirés du site Web du gouvernement brésilien. Il a insisté sur son argument selon lequel il n’avait aucune raison de faire de fausses déclarations sur son expérience de travail.

[54] La norme de contrôle applicable aux éléments de fond de la décision contestée est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Vavilov. Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable est un examen déférent et rigoureux de la question de savoir si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12, 13 et 15. La cour de révision doit interpréter les motifs du décideur de façon globale et contextuelle, et en corrélation avec le dossier : Vavilov aux para 91-97 et 103; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 28-33.

[55] Compte tenu à la fois du raisonnement suivi et du résultat, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, en particulier aux para 83-86, 99, 101, 105-106 et 194. Quant aux contraintes factuelles imposées par le dossier, la question est de savoir si l’agent s’est fondamentalement mépris sur la preuve, s’il est parvenu à un résultat indéfendable ou s’il n’a pas tenu compte d’un élément de preuve essentiel allant à l’encontre de la conclusion : Vavilov, aux para 101, 125-126; Canada (Procureur général) c Best Buy Canada Ltd, 2021 CAF 161 aux para 122-123 (citant Cepeda-Gutierrez, aux para 14-17); Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, alinéa 18.1(4)d).

[56] En appliquant ces principes à la présente affaire, je ne suis pas convaincu que le demandeur a établi que l’agent avait commis une erreur qui autorise la Cour à intervenir. Un autre agent serait peut-être parvenu à une conclusion différente concernant la question de savoir si M. Lejeune était un signataire autorisé, surtout si le demandeur avait présenté à cet égard des éléments de preuve supplémentaires provenant de son employeur. Cependant, après avoir examiné le dossier, je conclus que la preuve invoquée par le demandeur ne fait pas intervenir les principes énoncés dans la décision Cepeda-Gutierrez, tel qu’ils ont été décrits et cités dans l’arrêt Best Buy. De plus, au vu des éléments de preuve présentés, il était loisible à l’agent de tirer sa conclusion générale.

III. Conclusion

[57] Par conséquent, la demande sera rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune ne sera énoncée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-1978-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1978-20

 

INTITULÉ :

CARLOS EDUARDO DA COSTA SERRANO JUNIOR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 SEPTEMBRE 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Geni You

POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Spykerman

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sonia Akilos Matkowsky

Matkowsky Immigration Law PC

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Spykerman

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] Un communiqué de Wood Group vers lequel un lien a été fourni dans les documents du demandeur précise que, en janvier 2016, Petro Rio a accordé un contrat de deux ans à Wood Group PSN concernant la prestation de [traduction] « services intégrés d’exploitation et d’entretien » sur une plateforme appelée Polvo A pour l’exploitation du champ Polvo, situé à environ 100 km au large de Rio de Janeiro. Le communiqué indique également ceci : [traduction] « Détenu et exploité par Petro Rio, le champ comprend une plateforme fixe de production et de forage reliée à un bâtiment flottant de production, stockage et transbordement (BFPST) ».

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