Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220211


Dossier : IMM-6755-20

Référence : 2022 CF 184

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 février 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

NNENNA IKODIYA NWOSU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 18 septembre 2020 [la décision] rendue par un agent principal d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [l’agent] relativement à une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] fondée sur les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

II. Le contexte

[2] La demanderesse, Nnenna Ikodiya Nwosu, est une citoyenne du Nigéria âgée de 74 ans. Elle est arrivée au Canada le 11 juin 2012. La demanderesse a présenté plusieurs demandes en matière d’immigration, dont une demande d’asile qui a été rejetée (demande rejetée le 21 décembre 2017; appel rejeté le 1er février 2018) et une demande de résidence permanente à partir du Canada pour des considérations d’ordre humanitaire qui a également été rejetée et qui fait actuellement l’objet d’un contrôle judiciaire devant notre Cour dans le dossier IMM-6599-20 [la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire], laquelle demande est entendue consécutivement.

[3] La demanderesse a présenté une demande d’ERAR le 8 mai 2019. Elle a demandé l’asile au Canada en raison des risques qui découlent du fait qu’elle est veuve et n’a pas d’héritier et qu’elle craint d’être persécutée par sa famille, qui l’accuse d’être une sorcière et d’avoir causé la mort de son défunt mari, selon ce qui a été présenté à la Section de la protection des réfugiés [SPR].

[4] L’agent a rejeté la demande d’ERAR de la demanderesse dans la décision datée du 18 septembre 2020. La demanderesse sollicite les mesures suivantes :

  1. un bref de certiorari annulant la décision de l’agent;

  2. une ordonnance renvoyant l’affaire à un autre agent pour nouvelle décision;

  3. toute autre mesure que les avocats peuvent proposer et que la Cour estime juste dans les circonstances.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[5] L’agent a fait remarquer que le but de l’ERAR n’est pas d’apprécier à nouveau l’affaire ni de statuer sur la décision de la SPR concernant la demande d’asile, mais plutôt de tenir compte de l’évolution de la situation et des risques auxquels la demanderesse serait exposée au moment de son renvoi, conformément à l’alinéa 113a) de la Loi.

[6] En se fondant sur les Directives du président intitulées « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe » présentées devant la SPR à l’appui de la demande d’asile de la demanderesse, l’agent a conclu que les documents sur la situation dans le pays qui accompagnaient la demande d’ERAR (même les documents déposés après l’audience devant la SPR) ne constituaient pas de nouveaux éléments preuve – les risques et les problèmes concernant le traitement des femmes et des personnes accusées de sorcellerie, ainsi que les rituels tribaux, avaient déjà été soulevés devant la SPR et celle-ci s’était déjà prononcée à ce sujet.

[7] En plus de conclure qu’il n’y avait pas eu de changement « marqué » dans la situation au Nigéria depuis la date de la décision de la SPR, l’agent a conclu que la preuve ne suffisait pas à démontrer que les agents de persécution recherchaient toujours la demanderesse pour lui porter préjudice. De plus, la SPR a conclu que la demanderesse avait une possibilité de refuge intérieur viable.

[8] Enfin, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve pour répondre aux conclusions de la SPR ou les réfuter.

[9] Après avoir examiné les éléments de preuve dont il disposait, l’agent a conclu que, en cas de renvoi au Nigéria, il n’existait pas plus qu’une simple possibilité que la demanderesse soit exposée à un risque de persécution pour des motifs prévus par la Convention, selon l’article 96 de la Loi. L’agent a également conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse ne risquait pas d’être soumise à la torture et qu’il était peu probable qu’elle soit exposée à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, aux termes de l’article 97 de la Loi.

IV. La question en litige

[10] La décision de l’agent est-elle raisonnable?

V. La norme de contrôle

[11] La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25].

VI. Analyse

A. Question préliminaire — Modification de l’intitulé

[12] À titre préliminaire, le défendeur fait remarquer que la demanderesse nomme le « ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté » comme défendeur, au lieu du « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

[13] L’intitulé est donc remplacé par celui qui suit : Nnenna Ikodiya Nwosu c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

B. La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[14] Dans le cadre d’une demande d’ERAR, l’agent procède à une évaluation des nouvelles observations et des nouveaux éléments de preuve qui lui sont présentés par le demandeur conformément à l’alinéa 113a) de la Loi :

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet; [...]

[15] Le rôle de l’agent d’ERAR n’est pas de revoir les conclusions de fait et les conclusions relatives à la crédibilité qui ont été tirées par la SPR, mais bien d’examiner la situation actuelle [Razza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1385 au para 22, conf par Razza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385 [Razza]].

[16] L’agent d’ERAR doit tenir compte de tous les éléments de preuve présentés, à moins qu’ils ne soient exclus en raison de leur manque de crédibilité, de pertinence, de nouveauté ou d’importance.

[17] Dans l’évaluation des « nouvelles informations », ce n’est pas seulement la date du document qui compte, mais également la question de savoir si l’information est importante ou sensiblement différente de celle produite précédemment.

[18] De plus, les éléments de preuve que l’on entend présenter à l’appui d’une demande d’ERAR ne peuvent pas être rejetés au seul motif qu’ils concernent le même risque que celui qu’a évalué la SPR. Cependant, l’agent d’ERAR peut validement rejeter de tels éléments s’ils n’établissent pas que les faits pertinents tels qu’ils se présentaient à la date de la demande d’ERAR sont sensiblement différents des faits constatés par la SPR.

[19] Par ailleurs, les éléments de preuve qui viennent d’être présentés, mais qui attestent de faits accessibles au moment de l’instruction de la demande d’asile, ne peuvent être admis comme nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un ERAR [Ghargi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1014 au para 35; Razza, à l’alinéa 13(5)a)].

[20] Les agents d’ERAR doivent prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que, depuis le rejet, de nouveaux éléments de preuve soient survenus qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement [Woldemichael c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 655 au para 37]. De plus, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de l’évaluation par l’agent de la preuve relative à la situation dans le pays [Gombos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 850 au para 61].

[21] La demanderesse invoque deux motifs principaux pour contester la décision de l’agent :

  1. L’agent a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas présenté de nouveau risque ni de nouveaux éléments de preuve au titre de l’alinéa 113a) de la Loi;

  2. L’agent a manqué à l’équité procédurale en tirant des conclusions voilées quant à la crédibilité sans lui donner la possibilité de répondre dans le cadre d’une audience conformément à l’alinéa 133b) de la Loi et à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) [le Règlement].

[22] La demanderesse soutient qu’elle a présenté une nouvelle allégation de risque qui n’a pas été évaluée par l’agent, à savoir, que la sorcellerie est une infraction criminelle au Nigéria, un fait qu’elle ignorait jusqu’alors. De plus, la demanderesse soutient que, même si la SPR avait déjà évalué ce même risque, celui-ci aurait dû être réexaminé dans le cadre de la demande d’ERAR parce qu’elle avait présenté de nouveaux éléments de preuve, dont la SPR n’a pas tenu compte.

[23] Dans sa décision, l’agent démontre qu’il a raisonnablement conclu que ce nouveau risque allégué avait déjà été soulevé et tranché par la SPR. L’agent a pris acte du fait que la demanderesse présentait des arguments distincts selon lesquels elle était exposée à un risque lié à la famille de son mari et à un risque fondé sur des allégations de sorcellerie. Il a expressément déclaré que les risques et les problèmes dont il était question dans la documentation sur la situation dans le pays présentée par la demanderesse dans le cadre de la demande d’ERAR [traduction] « concernant le traitement infligé aux femmes et aux personnes accusées de sorcellerie » avaient été soulevés devant la SPR. Le nouveau risque allégué fait simplement écho à des renseignements déjà produits devant la SPR.

[24] En outre, il était question de la loi qui interdit la pratique de la sorcellerie au Nigéria dans le cartable national de documentation (CND) présenté à la SPR. Le fait que la demanderesse n’était pas au courant de l’information n’est pas pertinent. La demanderesse a également présenté à la SPR des éléments de preuve qui montraient que sa fille avait communiqué avec la police nigériane au sujet des allégations de sorcellerie formulées par sa famille et que la police avait refusé d’intervenir dans des questions qui relèvent de la culture ou d’une tribu. Par conséquent, la police semble avoir été informée des allégations de sorcellerie portées contre la demanderesse et a refusé d’intervenir, ce qui, par conséquent, mine l’argument de la demanderesse selon lequel elle risque d’être traduite en justice par l’État à son retour au Nigéria.

[25] De plus, la demanderesse a eu l’occasion de soulever devant la SPR la question du risque de poursuites pour sorcellerie par l’État. Comme elle ne l’a pas fait, elle ne peut s’appuyer maintenant sur les éléments de preuve nouvellement présentés et sur des faits qui étaient accessibles au moment de l’audience devant la SPR. L’illégalité de la sorcellerie avait été présentée en preuve devant la SPR dans le CND. Un examen de la demande d’ERAR déposée par la demanderesse montre qu’elle n’a pas spécifiquement allégué qu’elle était exposée au risque d’être poursuivie par l’État, mais qu’elle a simplement déclaré que la sorcellerie est une infraction criminelle au Nigéria. Par conséquent, ce risque, ou tout élément de preuve permettant de démontrer que la demanderesse est exposée à ce risque, n’a pas été porté à l’attention de l’agent.

[26] La conclusion de l’agent selon laquelle le « nouveau risque » avait déjà été examiné et tranché par la SPR et selon laquelle la demanderesse n’avait pas présenté d’éléments de preuve suffisamment différents de ceux qui avaient déjà été présentés à la SPR était raisonnable.

[27] La demanderesse soutient également que l’agent a manqué à l’équité procédurale en tirant des conclusions voilées en matière de crédibilité dans le cadre de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire quant à la capacité de sa fille de l’aider au Nigéria. La demanderesse prétend que ces conclusions peuvent également avoir eu une incidence sur la décision relative à l’ERAR visée en l’espèce. Elle affirme que l’agent aurait dû tenir une audience conformément à l’article 167 du Règlement pour résoudre les questions de crédibilité ou les divergences dans la preuve.

[28] Dans le contexte d’une demande d’ERAR, une audience constitue l’exception et n’est justifiée que si la demande d’ERAR soulève des questions importantes à l’égard de la crédibilité [Zarifi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 1207 au para 17, citant Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 89 au para 38].

[29] Comme il a déjà été mentionné, la Cour était également saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision concernant la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Dans la décision Nnenna Ikodiya Nwosu c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2022 CF 181, aux paragraphes 25 à 26, la Cour a conclu que l’agent n’avait exprimé aucun doute quant à la crédibilité de la demanderesse et que rien n’indiquait que l’agent avait tiré des conclusions voilées en matière de crédibilité.

[30] L’agent a fait référence à juste titre aux conclusions tirées par la SPR selon lesquelles la fille de la demanderesse avait continué de résider dans la ville d’Aba sans subir de préjudice. La preuve a démontré que la demanderesse a de la difficulté à joindre sa fille au téléphone, et non pas que la demanderesse et sa fille ne se parlent plus ou que la demanderesse ne sait pas où habite sa fille. L’agent n’a jamais affirmé que la fille de la demanderesse pouvait subvenir aux besoins de celle-ci au Nigéria. Il a dit qu’au besoin, la demanderesse pourrait reprendre contact avec sa fille. Par conséquent, la décision ne reposait pas sur l’hypothèse selon laquelle la fille de la demanderesse soutiendrait celle-ci si elle retournait au Nigéria.

[31] L’agent a tiré des conclusions raisonnables en fonction du peu d’éléments de preuve dont il disposait. Comme l’agent n’a tiré aucune conclusion voilée en matière de crédibilité, il n’y avait pas lieu de tenir une audience pour apprécier la demande d’ERAR.

VII. Conclusion

[32] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6755-20

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé est modifié de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné à titre de défendeur.

  2. La présente demande est rejetée.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Noémie Pellerin Desjarlais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6755-20

 

INTITULÉ :

NNENNA IKODIYA NWOSU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

HEBATULLAH ISA-ODIDI

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

NICOLE RAHAMAN

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

HEBATULLAH ISA-ODIDI

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.