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Date : 20220214

Dossier : IMM-2755-21

Référence : 2022 CF 196

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 14 février 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

GEWEN SHI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur est un citoyen de la Chine dont la demande d’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) a été rejetée. Il disait craindre d’être persécuté en Chine parce qu’il était un adepte du Falun Gong.

[2] Le demandeur s’adresse à la Cour pour faire annuler la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR), datée du 12 avril 2021, rejetant l’appel déposé contre la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR). Les deux sections ont conclu que le demandeur et ses allégations n’étaient pas crédibles. Elles étaient d’avis toutes les deux, pour des raisons différentes, que le demandeur avait présenté un faux document. Elles ont également conclu que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Falun Gong, car il n’avait pas démontré qu’il avait une connaissance suffisante de la discipline.

[3] Dans la présente instance, le demandeur a soutenu que la SAR a manqué à son obligation d’équité procédurale envers lui parce qu’elle a tiré une conclusion déterminante, soit que la citation à comparaître qu’il avait présentée était frauduleuse, sans lui donner la possibilité de faire valoir d’autres arguments ou de présenter des éléments de preuve supplémentaires pour en établir la véracité. Comme je l’explique ci-après, la SAR a suivi selon moi un processus équitable sur le plan procédural à l’endroit du demandeur. Sa conclusion quant au caractère frauduleux de la citation à comparaître déposée par le demandeur n’était pas une nouvelle question en appel. La SPR avait examiné cette question et le demandeur avait présenté des observations à ce sujet lors de l’audience devant la SAR. Le demandeur connaissait la preuve et les arguments qu’il devait réfuter en appel.

[4] Le demandeur a affirmé par ailleurs que la SAR avait tiré des conclusions déraisonnables concernant sa crédibilité. Appliquant les principes énoncés dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, je conclus que le demandeur n’a pas établi que la décision de la SAR était déraisonnable.

[5] En conséquence, la demande sera rejetée.

I. Les faits et les événements à l’origine de la demande

[6] Le demandeur, M. Gewen Shi, fondait sa demande d’asile sur les allégations suivantes.

[7] En novembre 2017, il a été initié par un ami au Falun Gong. Après trois mois environ, il a commencé à ressentir les bienfaits de cette discipline.

[8] Le demandeur a raconté que la police, en mars 2018, a effectué une descente au lieu où il pratiquait le Falun Gong. Il a été appréhendé et emmené au Bureau de la sécurité publique (le BSP) local, où il a été détenu et interrogé. Durant sa détention, il a été menotté, giflé, frappé de coups de pied, mis à genoux de force et fouetté au moyen d’une baguette électrique. On l’a aussi privé de nourriture et de sommeil, puis il a été soumis à des séances de lavage de cerveau. Il a été contraint de signer une lettre d’aveux où il promettait de cesser ses activités liées au Falun Gong. Deux semaines plus tard, il était remis en liberté.

[9] La police a également détenu l’ami qui avait initié M. Shi (Ma) au Falun Gong. La police n’a pas libéré Ma et a plutôt déposé des accusations contre lui pour avoir dirigé un groupe de Falun Gong, ce qui est illégal.

[10] Après sa remise en liberté, le demandeur a dû se présenter à la police chaque semaine et suivre des cours trois fois par semaine. Il a perdu son emploi parce que son employeur craignait d’avoir des difficultés avec les autorités. Il n’a pas été en mesure de trouver un autre travail.

[11] Aux dires du demandeur, les policiers locaux se rendaient souvent à son domicile pour voir s’il pratiquait encore le Falun Gong. Ils fouillaient sa maison et le harcelaient. L’épouse du demandeur est allée vivre chez ses parents.

[12] Les policiers ont continué de poser des questions au sujet du demandeur et, d’après la demande d’asile, lui ont remis une citation à comparaître datée du 22 mai 2008 l’obligeant à se présenter au poste de police le 28 septembre suivant pour un interrogatoire.

[13] La famille du demandeur s’inquiétait de la possibilité qu’il se fasse arrêter. À la fin de mai 2018, le demandeur est allé vivre à la campagne chez une tante. Des membres de sa famille ont commencé à chercher un passeur pour l’aider à sortir de la Chine. Pendant qu’il se cachait, le demandeur a appris que Ma avait reçu une peine d’emprisonnement de dix ans. La police a sommé les proches du demandeur de leur révéler l'endroit où il se trouvait.

[14] Craignant d’être arrêté, le demandeur s’est enfui de la Chine le 16 août 2018 avec l’aide d’un passeur. À son arrivée au Canada, il a déposé une demande d’asile au titre de la LIPR.

[15] Dans une décision datée du 17 février 2020, la SPR a rejeté sa demande. Les questions déterminantes étaient la crédibilité et la preuve documentaire présentée à l’appui de la demande. La SPR a jugé que le demandeur n’était pas crédible en raison d’incohérences entre l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile et son témoignage de vive voix; de la fiabilité de la citation à comparaître remise par la police et de sa licence de mariage; du fait que le demandeur a pu quitter la Chine en utilisant son propre passeport authentique.

[16] Les conclusions de la SPR comprennent ce qui suit :

  • a)Citation à comparaître remise par la police et licence de mariage frauduleuses : La SPR était d’avis que la citation à comparaître du 22 mai 2018 remise par la police n’était pas authentique, tout comme la licence de mariage du demandeur. Elle a jugé que la présentation de ces documents frauduleux était fatale pour la crédibilité du demandeur.

  • b)Connaissance des pratiques du Falun Gong : Compte tenu que le demandeur affirmait avoir pratiqué le Falun Gong pendant trois ans, la SPR a conclu qu’il ne possédait pas les connaissances et ne pouvait donner le genre de précisions auxquelles on pourrait raisonnablement s’attendre. Même s’il a montré qu’il comprenait les principes théoriques de base, il était incapable d’expliquer comment appliquer les pratiques du Falun Gong dans sa vie quotidienne.

  • c)Départ de la Chine : La description faite par le demandeur de son départ pour la Chine n’était pas crédible aux yeux de la SPR. Le demandeur prétendait avoir pu se rendre à un aéroport pour quitter le pays muni de son propre passeport. Toutefois, citant des éléments de preuve sur le système de repérage du gouvernement chinois, connu sous le nom de Bouclier d’or, la SPR a jugé qu’il aurait dû être impossible pour le demandeur de quitter la Chine, ce qui vient miner sa principale allégation, soit que la police l’avait cité à comparaître et le recherchait.

  • d)Demande d’asile sur place : La SPR n’a relevé aucun élément de preuve convaincant portant à croire que les autorités chinoises savaient que le demandeur pratiquait le Falun Gong au Canada ou qu’il aurait été perçu comme un adepte du Falun Gong à son retour en Chine.

[17] La SPR a conclu que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Falun Gong et ne courrait donc aucun risque de persécution ou d’autre nature en raison de ses activités au Canada.

[18] Le 12 avril 2021, la SAR a rejeté l’appel du demandeur. C’est cette décision de la SAR qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

II. La décision de la SAR

[19] La SAR a conclu que la SPR avait commis certaines erreurs dans son raisonnement. Elle a cependant passé la preuve en revue elle-même et en a tiré des conclusions semblables ou identiques à celles de la SPR sur les questions importantes qui sont pertinentes en l’espèce.

[20] Tout d’abord, relativement à la citation à comparaître frauduleuse, la SAR a convenu avec le demandeur que certaines parties du raisonnement de la SPR n’étaient pas défendables. Toutefois, son propre examen indépendant de la preuve l’a amenée à conclure que le document était frauduleux. À l’instar de la SPR, la SAR a comparé le document du demandeur et l’information qui se trouve dans le cartable national de documentation (le CND) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) sur la Chine. La SAR a relevé une [traduction] « différence importante » entre les deux qui n’était [traduction] « pas mineure ni négligeable ». La [traduction] « différence problématique en cause » se rattachait à la disposition légale en vertu de laquelle la citation avait été remise. Dans le document du demandeur, il s’agissait de [traduction] « la section 82 de la loi sur les peines administratives en matière de sécurité publique (Administrative Punishments of Public Security Law en anglais) de la République populaire de Chine ». Par contre, selon le CND, ce genre de citation se fonde plutôt sur l’article 82 de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique (Public Security Administration and Punishment Law) ou de la loi sur les peines et l’administration de la sécurité (Public Security Administration Punishments Law) de la République populaire de Chine.

[21] La SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’un document officiel et authentique ne renfermerait pas d’erreur dans le nom de la loi qui régit sa délivrance. En outre, à la lumière des différences entre les citations à comparaître, d’autres conclusions relatives à la crédibilité et de [traduction] « l’omniprésence de documents frauduleux en Chine », la SAR a jugé qu’elle disposait d’un [traduction] « fondement suffisant » pour en arriver à la conclusion que la citation à comparaître du demandeur [traduction] « n’était pas authentique ».

[22] Pour la SAR, ce document constituait un élément déterminant dans l’examen de la demande d’asile du demandeur. Comme il s’agissait d’un faux, il n’a pu étayer les principales allégations du demandeur. La SAR en est venue à la conclusion que le demandeur n’était pas crédible dans l’ensemble : il n’avait pas pratiqué le Falun Gong en Chine ou au Canada, n’avait pas établi la véracité de ses allégations au sujet de la descente policière dans le lieu où il pratiquait le Falun Gong et n’était pas pourchassé par le BSP en Chine.

[23] Ensuite, la SAR a examiné attentivement les connaissances du demandeur sur le Falun Gong et sa pratique de la discipline au Canada. Après une longue analyse du témoignage du demandeur, la SAR était d’accord avec la SPR pour conclure que, selon la prépondérance des probabilités, les connaissances du demandeur sur le Falun Gong étaient insuffisantes pour établir qu’il était, et est toujours, un adepte sincère du Falun Gong en Chine ou au Canada. Cette conclusion découlait aussi des multiples conclusions défavorables concernant la crédibilité du demandeur. La SAR a rejeté la demande d’asile sur place du demandeur.

[24] La SAR a également pris connaissance d’une lettre du frère du demandeur. Elle a conclu que la SPR avait eu tort de ne pas examiner cette lettre. Toutefois, après lui avoir accordé un [traduction] « certain poids », elle a estimé qu’elle ne l’emportait pas sur les conclusions défavorables relatives à la crédibilité du demandeur, plus spécialement en lien avec la citation à comparaître frauduleuse.

III. La preuve dans la présente instance

[25] Les éléments de preuve dans la présente instance soulèvent deux questions préliminaires.

[26] Premièrement, le demandeur a déposé un affidavit d’un consultant en immigration et interprète qui parle couramment l’anglais et le mandarin. L’affidavit concernait la traduction de la citation à comparaître, plus précisément la traduction du titre de la loi habilitante.

[27] Selon la règle générale, le dossier de la preuve qui est soumis à la cour de révision se limite au dossier de la preuve dont disposait le décideur administratif. Les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance du décideur et qui ont trait au fond de l’affaire ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19; Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 au para 42; Perez c Hull, 2019 CAF 238 au para 16, citant Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48 au para 8. Il existe des exceptions à cette règle générale. Par exemple, un affidavit peut être nécessaire pour porter à l’attention de la cour de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du décideur administratif, ce qui permet ainsi à la cour de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale. Voir les analyses dans Perez, au para 16, Association des universités et collèges, au para 20 et Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 au para 26.

[28] À la demande de la Cour, les deux parties ont formulé des observations de vive voix à ce sujet lors de l’audition de l’appel. Je suis d’avis que l’affidavit de l’interprète ne peut être admis puisque son contenu porte sur le fondement de la décision de la SAR. L’auteur de l’affidavit mentionne une erreur dans la traduction anglaise de la citation à comparaître déposée par le demandeur et propose les deux traductions possibles (corrigées) du titre de la loi chinoise et des renvois à la disposition pertinente (« article » au lieu de « section » en anglais). Le document ne précise ni n’explique la question d’équité procédurale soulevée par le demandeur, question qui est clairement mise en lumière de toute façon dans les décisions de la SPR et de la SAR ainsi que dans le dossier certifié du tribunal. Il est donc assujetti à la règle générale et ne bénéficie pas de l’exception relative à l’équité procédurale. Il ne peut pas être utilisé dans la présente instance.

[29] Deuxièmement, la veille de l’audience, le demandeur a sollicité l’autorisation de déposer des documents tirés du CND sur la Chine, dont le spécimen d’une véritable citation à comparaître de la Chine et sa traduction, afin de montrer que la SAR aurait pu comparer les caractères chinois apparaissant sur le document authentique et ceux qui figuraient sur la citation à comparaître présentée par le demandeur. Une fois que les parties ont convenu que les documents se trouvaient dans le dossier certifié du tribunal, le défendeur ne s’est pas opposé à ce qu’ils soient utilisés à l’audience. Les documents ne constituaient pas, en fait, de nouveaux éléments de preuve.

[30] Il est important pour l’issue de la présente demande de comparer la citation à comparaître déposée par le demandeur et sa traduction anglaise, d’une part, et le spécimen de citation à comparaître qui se trouve dans le CND sur la Chine et sa traduction anglaise, d’autre part. Je reviendrai à cette question plus loin.

IV. Analyse

[31] Le demandeur a avancé deux arguments généraux pour contester la décision de la SAR : l’équité procédurale et les erreurs susceptibles de révision contenues dans l’analyse de la crédibilité effectuée par la SAR. Les parties ont centré la quasi-totalité de leurs observations durant l’audience sur l’équité procédurale.


 

A. L’équité procédurale

[32] Le contrôle judiciaire par la Cour des questions d’équité procédurale n’implique aucune déférence à l’égard du décideur. La question est de déterminer si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances en mettant l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne : Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 aux para 46‑47; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121, en particulier aux para 49 et 54; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817.

[33] Le demandeur a fait valoir que la conclusion de la SAR suivant laquelle il avait présenté une citation à comparaître frauduleuse avait été déterminante dans son appel, pour deux raisons : tout d’abord, la SAR en a conclu qu’il n’avait pas pratiqué le Falun Gong en Chine, qu’il n’était pas recherché par le BSP et qu’il n’était pas devenu un véritable adepte du Falun Gong au Canada. Ensuite, le document, s’il était authentique, permettait de prouver les allégations du demandeur.

[34] Selon le demandeur, la SPR a conclu que la citation à comparaître était frauduleuse pour certaines raisons, mais la SAR est parvenue à la même conclusion à partir d’un [traduction] « motif tout à fait différent ». Le doute à l’égard de la citation à comparaître qui a été exprimé par la SAR n’avait pas été soulevé par la SPR, et la SAR n’a pas avisé le demandeur de cette nouvelle préoccupation. Le demandeur a soutenu que, si la SAR l’avait avisé, il aurait pu expliquer l’erreur d’interprétation ou l’incohérence. Comme la SAR ne l’a pas fait, elle l’a privé d’une occasion de répliquer avant que la citation à comparaître soit contestée pour un motif nouveau. Étant donné qu’il ne parle pas l’anglais, le demandeur ne pouvait déceler l’erreur de traduction en anglais sans être informé de son existence. À ses yeux, la SAR a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en omettant de lui donner cette information.

[35] Il a soutenu également que la conclusion de la SAR au sujet de la citation à comparaître se fondait sur un examen microscopique et déraisonnable. Il a souligné que la citation à comparaître mentionnait la loi chinoise applicable, sauf que le titre de la loi avait été traduit un peu différemment.

[36] Après avoir examiné la décision de la SPR, les arguments présentés par le demandeur en appel à la SAR, la décision de la SAR et la jurisprudence de la Cour, je suis d’avis que la SAR n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur. Je m’appuie à cette fin sur plusieurs motifs interreliés, que j’expliquerai ci-dessous.

[37] Premièrement, selon moi, la conclusion de la SAR ne concernait pas une nouvelle question en appel. D’après le critère juridique établi, pour décider si l’équité procédurale nécessite un avis préalable et la possibilité d’être entendu, il faut se demander si la SAR a soulevé une nouvelle question, qui est « différente, sur les plans juridique et factuel, des moyens d’appel avancés, et qu’on ne peut raisonnablement prétendre qu’elle découle des questions soulevées en appel » : Lopez Santos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1281 (le juge Norris) au para 45, citant R c Mian, 2014 CSC 54, [204] 2 RCS 689 aux para 30-33; Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725 (la juge Kane) aux para 65-76.

[38] La SPR et la SAR devaient décider si la citation à comparaître était frauduleuse, et les deux ont conclu que c’était le cas. À la SPR, une partie du raisonnement du commissaire reposait sur le fait que le demandeur avait présenté un document qui n’était pas conforme aux spécimens figurant dans les sections 9.2 et 9.3 du CND sur la Chine. La citation à comparaître du demandeur ne présentait pas non plus certaines caractéristiques physiques qu’on retrouvait sur ces spécimens.

[39] Le demandeur a contesté en appel la conclusion de la SPR. Dans ses observations écrites, il a souligné expressément les erreurs de raisonnement commises par la SPR sur ce point, lorsqu’elle a comparé son document aux spécimens, parce que ces derniers étaient désuets (mais cet argument n’a pas été invoqué dans le présent contrôle judiciaire, étant donné que les spécimens avaient été mis à jour) et qu’il n’y avait aucun élément de preuve indiquant qu’une citation à comparaître devait posséder certaines caractéristiques physiques pour être authentique.

[40] En appel, certains arguments du demandeur ont convaincu la SAR que la SPR avait commis des erreurs dans son évaluation de la citation à comparaître. La SAR a effectué sa propre évaluation et comparé le document du demandeur et l’information donnée dans le CND. Elle a constaté qu’il y avait une grande différence quant au texte législatif servant de fondement à la délivrance de la citation à comparaître, ce que j’ai déjà été mentionné. Elle a conclu qu’un [traduction] « document authentique et officiel ne contiendrait pas d’erreurs dans le nom de sa loi habilitante ». La SAR a signalé par ailleurs que le CND confirmait l’omniprésence de faux documents en Chine. Elle a précisé que la Cour avait reconnu que des différences dans des détails mineurs ou microscopiques pouvaient permettre de détecter des documents frauduleux (ce qui n’était pas l’objet des observations dans la présente instance). La SAR a jugé que la citation à comparaître était frauduleuse pour les raisons suivantes :

[traduction]
Les différences entre les citations à comparaître, conjuguées aux autres conclusions sur la crédibilité et à l’omniprésence de documents frauduleux en Chine, m’amènent à croire, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe un fondement suffisant pour conclure que la citation présentée par le demandeur n’est pas authentique.

[41] À la lumière de cet examen, il est évident que la question dont étaient saisies la SPR et la SAR, la même qui a été soulevée par le demandeur en appel, était la suivante : la citation à comparaître était-elle frauduleuse? En outre, la SAR a dû examiner un autre argument présenté en appel et décider si la SPR avait dûment comparé la citation à comparaître déposée par le demandeur et les spécimens contenus dans le CND sur la Chine. Ayant conclu que la SPR avait commis une erreur dans sa comparaison des documents, la SAR a procédé à sa propre comparaison et est parvenue à la même conclusion que la SPR.

[42] Par conséquent, je ne peux pas conclure que l’appel porte sur une nouvelle question au sens établi par la Cour suprême et la jurisprudence de la Cour : voir Mian, au para 30; Lopez Santos, au para 45; Ching, aux para 66-67 et 74. La conclusion de la SAR au sujet du caractère frauduleux de la citation à comparaître ne se fondait pas sur un [traduction] « motif complètement différent », comme l’a avancé le demandeur.

[43] Deuxièmement, la citation à comparaître et sa traduction ont été présentées par le demandeur lui-même. Aux paragraphes 9 et 10 de la décision Moïse c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 93, le juge LeBlanc a fait observer ce qui suit :

La jurisprudence de cette Cour est sans équivoque : les règles de l’équité procédurale n’exigent pas que les demandeurs d’asile soient confrontés à des renseignements qu’ils connaissaient et qu’ils ont, par surcroit, eux-mêmes fournis [...] [Renvois omis.]

La situation est toute autre lorsque les renseignements que l’on invoque à l’encontre du demandeur d’asile et auxquels il n’a pas été confronté, sont des éléments de preuve extrinsèques.

Voir également : Omirigbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 787 (le juge Diner) au para 40; Han c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1390 (le juge Ahmed) au para 31.

[44] L’élément de preuve en cause ici ne faisait pas partie de la preuve extrinsèque. C’est le demandeur qui a fourni la citation à comparaître et sa traduction. Les spécimens provenaient du CND sur la Chine. Je constate que le demandeur n’a pas fait valoir, ni en appel ni devant la Cour, que le processus de comparaison en soi avait été inéquitable ou n’aurait pas dû avoir lieu.

[45] Troisièmement, j’ai examiné le raisonnement qui sous-tend certaines décisions antérieures rendues par la Cour fédérale, conscient que l’équité procédurale doit être évaluée selon les faits et le fondement propres à chaque cas.

[46] Le demandeur a cité la décision Fu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1074. À mon avis, la décision Fu concorde avec les principes juridiques relatifs aux nouvelles questions dont j’ai déjà parlé, mais elle peut être distinguée de la présente affaire sur le plan des faits. Dans la décision Fu, la SAR a statué sur plusieurs aspects d’une citation à comparaître qui n’avaient pas été soulevés par la SPR. La SAR y a conclu notamment que le BSP, une fois que le demandeur ne s’est pas conformé à la citation à comparaître, aurait recouru à un instrument de l’État plus percutant comme une sommation coercitive ou un mandat d’arrêt. Le juge Diner a déclaré que la SAR avait l’obligation de permettre aux parties de répondre à de nouvelles questions cruciales qui n’ont pas été soulevées par la SPR : Fu, au para 14. Il était d’accord avec le fait qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce que les demandeurs avaient le droit de se voir offrir la possibilité de répondre à la décision de la SAR de « plonger » dans la procédure pénale chinoise, ce que la SPR n’avait pas fait : Fu, au para 15, citant Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684 (le juge Hughes) au para 10.

[47] En l’espèce, la SAR n’a pas décidé de plonger de la sorte : elle a été directement saisie de la nature frauduleuse de la citation à comparaître et de la comparaison des documents (celui qu’a présenté le demandeur et les spécimens de citation à comparaître). Il lui incombe d’examiner le dossier et de décider si la SPR a tiré la bonne conclusion : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] 4 RCF 157 au para 103; Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 209 CAF 223, [2020] 2 RCF 299 aux para 41-42; Rozas del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145, [2019] 2 RCF 597 (le juge Diner) aux para 122-125.

[48] La Cour s’est prononcée plus récemment à ce sujet dans He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 627. Dans cette affaire, les demandeurs alléguaient que la SAR était allée à l’encontre de l’équité procédurale parce qu’elle avait soulevé une nouvelle question en appel, sans préavis. La SPR avait conclu que Mme He était dans l’ensemble non crédible et qu’elle avait présenté des documents frauduleux à l’appui de sa demande. En appel, la SAR a mis en doute l’authenticité de la citation à comparaître et de la décision d’infliger une peine par le Bureau de la sécurité publique en Chine interdisant à la demanderesse de quitter son lieu de résidence d’origine et l’obligeant à coopérer à toute enquête future. La juge en chef adjointe Gagné a conclu que la SAR n’avait pas manqué à l’équité procédurale en soulevant la question de l’authenticité de la décision d’infliger une peine : He, aux para 20‑21. Elle a souligné que la SPR avait fait référence à maintes reprises à la décision d’infliger une peine et à la nature de cette peine. La SPR avait également indiqué que [traduction] « la totalité des éléments de preuve documentaire présentés par les demandeurs » avait été examinée et que « les documents frauduleux sont répandus en Chine ». La juge en chef adjointe Gagné était d’avis que ces commentaires auraient dû inciter les demandeurs à préparer une réponse satisfaisante à la SAR concernant le contenu et l’authenticité de leurs documents. Elle a conclu que les commentaires suivants du juge Favel dans Oluwaseyi Adeoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 246 s’appliquaient en l’occurrence :

[13] En l’espèce, la SAR n’a pas soulevé de nouvelle question en appel parce que la crédibilité de la demanderesse était déjà en litige devant la SPR. Il n’y a pas de problème d’équité procédurale lorsque la SAR invoque un autre fondement pour remettre en cause la crédibilité de la demanderesse au moyen du dossier de preuve dont était saisie la SPR […] La demanderesse avait déjà été informée que la crédibilité était une question à trancher selon la décision originale de la SPR.

[Renvoi omis.]

Voir aussi : Tarar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1222 (le juge Gleeson) aux para 9-14 et Han c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1390 (le juge Ahmed) aux para 29-32.

[49] Dans la présente affaire, et c’est le cas aussi dans les décisions He et Oluwaseyi Adeoye, la crédibilité de la partie demanderesse était en litige. Comme dans He, aussi bien la SPR que la SAR ont souligné (en s’appuyant sur le CND relatif à la Chine) que les documents frauduleux étaient répandus en Chine. À mon avis, le demandeur a été avisé bien plus longtemps d’avance que les demandeurs dans la décision He et avait une compréhension de loin supérieure des questions soulevées en appel. Plus particulièrement, il a eu la possibilité de présenter des observations sur le caractère frauduleux de la citation à comparaître et, expressément, sur la comparaison entre le document qu’il a déposé et les spécimens.

[50] Quatrièmement, il ne faut pas oublier ce que la SAR a fait : elle a comparé les mots utilisés dans les deux traductions anglaises (celle de la citation à comparaître présentée par le demandeur et les spécimens traduits en anglais dans le CND) pour savoir si elles correspondaient. Ce n’était pas le cas.

[51] Le demandeur a soutenu à l’audience que la SAR était tenue également de pousser son examen plus loin, c’est-à-dire de comparer les caractères chinois figurant sur la citation à comparaître qu’il a présentée et ceux des spécimens contenus dans le CND sur la Chine. Le demandeur n’a cité aucune règle, décision judiciaire ou autre référence obligeant ou habilitant la SAR à adopter une telle démarche, et il n’a pas non plus présenté de jurisprudence à l’appui de son argument suivant lequel il s’agissait d’une erreur susceptible de révision pour la SAR de ne pas approfondir sa comparaison.

[52] Je ne peux pas conclure que la SAR aurait dû aller au-delà des deux traductions anglaises et comparer les caractères chinois pour voir s’ils concordaient. Selon moi, il était légal et approprié pour la SAR de se fier aux deux traductions anglaises. Si je statuais autrement, la SAR serait obligée de mettre de côté ou de considérer inacceptable une traduction certifiée par un interprète et présentée par une partie en appel dans le cas où elle a l’impression que les mots ou les caractères ne concordent pas. Ce serait favoriser les méfaits. En avançant cet argument, le demandeur oublie la complexité et la nuance de la langue ainsi que la perspicacité et les compétences considérables requises pour traduire et interpréter. À mon avis, les mésententes au sujet du contenu d’une traduction devraient être résolues par le témoignage de professionnels qualifiés et non par des profanes qui doivent décider si des caractères chinois se ressemblent ou pas.

[53] En dernier lieu, le demandeur a fait valoir que la SAR a réalisé une évaluation microscopique et déraisonnable de la citation à comparaître. Cet argument n’est pas applicable dans la présente instance. Selon un principe bien établi en droit, un décideur administratif ne doit pas effectuer une analyse trop zélée de la preuve ni examiner à la loupe des éléments qui ne sont pas pertinents ou s’avèrent accessoires à la demande d’asile. Une conclusion défavorable quant à la crédibilité ne devrait pas non plus se fonder sur un examen dit « microscopique » de questions secondaires ou périphériques à une demande d’asile : voir par exemple Paulo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 990 (le juge Gascon) aux para 56 et 59; Haramicheal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1197 (la juge Tremblay-Lamer) au para 15; Cooper c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 118 (le juge Rennie) aux para 3-4; Lubana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CF 116 (le juge Martineau) au para 11; Attakora c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168 (CAF).


 

[54] En l’espèce, l’analyse de la SAR portait sur une question centrale dont la SPR avait été saisie et qui avait été soulevée par le demandeur en appel, non pas sur une question secondaire ou périphérique. Il serait plus exact de qualifier cette analyse de fouillée et détaillée : voir par exemple Paulo, aux para 60-61.

[55] Pour ces motifs, je conclus que le demandeur n’a pas établi que la SAR a manqué à son obligation d’équité procédurale en appel. Le demandeur savait quelle question était soulevée en appel et a eu la possibilité de présenter des observations sur le caractère frauduleux de la citation à comparaître qu’il a présentée aussi bien que sur la comparaison entre la traduction du document qu’il a déposé et la traduction des spécimens. Il connaissait les arguments et la preuve qu’il devait réfuter en appel.

B. L’analyse de la crédibilité faite par la SAR était-elle raisonnable?

(1) Norme de contrôle

[56] Le contrôle de la décision de la SAR sur le fond doit être fait selon la norme de la décision raisonnable, comme l’indique l’arrêt Vavilov. Il incombe au demandeur de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov, aux para 75 et 100.

[57] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable constitue un examen déférent et rigoureux de la question de savoir si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12, 13 et 15. La Cour examine les motifs du décideur de façon globale et contextuelle, et en corrélation avec le dossier dont disposait le décideur : Vavilov, aux para 85, 91-96, 97 et 103; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 28- 33. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, plus particulièrement aux para 85, 99, 101, 105‑106 et 194.

(2) Analyse

[58] J’examinerai tour à tour les deux principales observations du demandeur.

[59] Premièrement, le demandeur a contesté les conclusions de la SAR relatives à sa crédibilité qui étaient fondées sur sa méconnaissance des pratiques du Falun Gong. Selon le demandeur, il n’y avait aucun motif raisonnable justifiant que la SAR en vienne à la conclusion qu’il n’avait pas expliqué l’incidence de la philosophie du Falun Gong sur sa vie. Il a mis en doute l’évaluation de sa connaissance de la discipline qu’a faite la SAR.

[60] À mon avis, l’analyse de la SAR ne comportait pas d’erreur susceptible de révision.

[61] La SAR a effectué une évaluation indépendante du témoignage du demandeur. La description détaillée de cette évaluation dans les motifs de la SAR s’étend sur cinq pages. En résumé, le demandeur prétendait qu’il pratiquait le Falun Gong depuis trois ans et avait lu le Zhuan Falun dix fois. Il a affirmé qu’il le lisait chaque jour et faisait ses exercices du Falun Gong. Dans son analyse, la SAR a examiné l’évaluation du témoignage du demandeur faite par la SPR et y a souscrit. À la lumière de sa propre analyse du dossier, la SAR a éprouvé de nouveaux doutes sur le témoignage du demandeur et en a fait état. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait un lien personnel avec les enseignements du Falun Gong et n’avait pu expliquer comment il les appliquait dans sa vie de tous les jours, ce qui témoignait d’un manque de sincérité dans ses croyances. La SAR a conclu en outre que le demandeur avait mémorisé des renseignements sur le Falun Gong pour donner du poids à sa demande d’asile.

[62] À mon avis, les arguments avancés par le demandeur dans la présente instance servent simplement à exprimer son désaccord avec l’analyse et la conclusion de la SAR sur ce point. Le demandeur n’a pas remis en question le raisonnement de la SAR ni invoqué d’élément de preuve qui contraignait la SAR à rendre une décision différente ni démontré que la conclusion de la SAR était indéfendable : Vavilov, particulièrement aux para 101 et 126. Il n’appartient pas à la Cour d’être en accord ou pas avec la SAR ni d’apprécier de nouveau les éléments de preuve portant sur les connaissances ou les croyances du demandeur. Le demandeur n’a pas démontré que la SAR a commis une erreur susceptible de révision dans son analyse de cet argument.

[63] Le demandeur a énoncé un deuxième argument dans son mémoire, mais pas à l’audience. Selon lui, l’évaluation de la lettre de son frère par la SAR était déraisonnable. Le défendeur a, quant à lui, mentionné expressément cette question.

[64] Le demandeur a centré son argument sur le raisonnement suivant de la SAR :

[traduction]
[Le demandeur] fait valoir que la SPR a commis une erreur en omettant de prendre en considération la lettre de son frère, qui précise, en général, que le BSP recherche encore [le demandeur].

Je suis d’avis que la SPR a eu tort de ne pas examiner cette lettre, compte tenu plus particulièrement de sa pertinence à l’égard de la principale question soulevée dans la présente demande. Même si j’estime qu’il faut attribuer un certain poids à la lettre, je ne crois pas que, lorsqu’elle est conjuguée à l’ensemble de la preuve, elle l’emporte sur les conclusions défavorables concernant la crédibilité, surtout compte tenu de la citation à comparaître frauduleuse.

[65] Reprenant la conclusion de la SAR au sujet du [traduction] « certain poids » à accorder à la lettre, le demandeur a affirmé que la SAR aurait dû évaluer la lettre en suivant une méthode du « tout ou rien ». Autrement dit, soit que la lettre était fondamentalement digne de foi, soit qu’elle ne l’était pas (citant Osikoya c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2018 CF 720 (le juge Norris) au para 51).

[66] Quand la Cour a statué sur ce point, elle s’est préoccupée de la possibilité que des conclusions défavorables implicites sur la crédibilité ou des doutes sur l’authenticité d’un document soient exprimés sans une analyse ou des explications appropriées, portant ainsi à conclure que l’analyse était incohérente ou manquait de justification et de transparence, ce qui est contraire à l’arrêt Vavilov. En plus de la décision Osikoya, voir Sitnikova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1082 (la juge Mactavish) aux para 18-21; Oranye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 390 (le juge Ahmed); Arsu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 617 (le juge McHaffie) aux para 39-42; Mabirizi c Canada, 2021 CF 1354 (la juge Sadrehashemi) aux para 18-20; Sinnathamby c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1387 au para 28.

[67] L’existence d’une conclusion inexpliquée ou voilée n’entraîne pas en soi inévitablement une erreur susceptible de révision. Les circonstances précises doivent être examinées soigneusement : voir par exemple Arsu, aux para 41-42. En outre, notre Cour a reconnu qu’il est loisible au juge des faits, lorsqu’il examine la preuve, de passer directement à une évaluation du poids ou de la valeur probante de la preuve, sans tenir compte de la question de la crédibilité : Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 aux para 25‑27; Arsu, aux para 37 et 41. Le juge Zinn a fait remarquer dans la décision Ferguson que cela se produit lorsque le juge des faits estime que la crédibilité ou la fiabilité n’est pas pertinente, car la preuve ne se verra accorder que peu, voire aucun poids, même si elle était considérée comme étant une preuve fiable : Ferguson, au para 26.

[68] Après avoir lu l’extrait de la décision de la SAR sur la lettre du frère du demandeur en corrélation avec son raisonnement global, et compte tenu des principes juridiques énoncés plus haut, je conclus que la déclaration de la SAR ne constitue pas une erreur susceptible de révision. Bien que je reconnaisse que la question n’est pas parfaitement libre de tout doute, la meilleure interprétation est que la SAR a conclu que, même si la lettre était considérée comme un élément de preuve crédible ou fiable, elle ne suffisait pas à contrebalancer la preuve militant contre le demandeur, notamment toutes les conclusions défavorables relatives à sa crédibilité, particulièrement en lien avec la citation à comparaître frauduleuse. La lettre du frère corroborait l’argument du demandeur suivant lequel il était recherché par la police et, à cet égard, elle servait à prouver ses allégations et était liée à un aspect fondamental de sa demande d’asile. Il est important de souligner, toutefois, qu’elle n’expliquait pas pourquoi la police le recherchait. Elle ne mentionnait pas la pratique ni les croyances du Falun Gong du demandeur. Elle ne constituait pas non plus une preuve directe de la pratique du Falun Gong par le demandeur, de sa présence à la réunion ayant été l’objet d’une descente policière, de sa détention par la police ou de sa fuite à la campagne pour aller vivre chez sa tante. En d’autres termes, elle n’offrait aucun élément de preuve supplémentaire et direct appuyant le reste de la demande d’asile fondée sur un motif énoncé dans la Convention ou dans l’article 97.

[69] Par conséquent, même si j’arrivais à la conclusion que la SAR a commis le genre d’erreur décrit dans Sitnikova et la jurisprudence subséquente, je n’annulerais pas la décision de la SAR en l’espèce. Étant donné le contenu limité de la lettre du frère du demandeur et l’ensemble des autres conclusions de la SAR, aucune erreur ne serait suffisamment importante au regard de l’analyse de la SAR pour rendre la décision déraisonnable : Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36; Alexion Pharmaceuticals Inc. c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 au para 13.

[70] Pour ces motifs, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que la décision de la SAR était déraisonnable.


V. Conclusion

[71] La demande est donc rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question aux fins de la certification, et aucune question ne sera énoncée.


 

JUGEMENT dans le dossier IMM-2755-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

En blanc

« Andrew D. Little »

En blanc

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude G. Leclerc

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2755-21

 

INTITULÉ :

GEWEN SHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JANVIER 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 février 2022

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nimanthika Kaneira

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elyse Korman

Korman & Korman

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nimanthika Kaneira

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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