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Date : 20220218


Dossier : IMM-2630-20

Référence : 2022 CF 221

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 février 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

KAWALJEET KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Kawaljeet Kaur, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 18 mai 2020 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a rejeté son appel du refus de la demande de parrainage de son époux au titre de la catégorie du regroupement familial. La SAI a conclu que le mariage de la demanderesse n’était pas authentique, aux termes du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] La demanderesse soutient que l’incompétence de son ancien consultant en immigration (le consultant) lors de son appel devant la SAI a entraîné un déni de justice constituant un manquement à l’équité procédurale.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclurai que l’incompétence du consultant s’est soldée par une atteinte au droit à l’équité procédurale de la demanderesse. J’accueillerai donc la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Les faits

A. La demanderesse

[4] La demanderesse est une citoyenne canadienne de 32 ans. Elle est née en Inde et a immigré au Canada en tant que personne à charge de ses parents en avril 2011. La demanderesse a une déficience intellectuelle. Elle n’a jamais travaillé à l’extérieur du foyer, n’a pas été scolarisée et a toujours vécu avec ses parents.

[5] Le 10 janvier 2016, la demanderesse a épousé son mari, M. Gagandeep Singh (M. Singh) en Inde, et a ensuite présenté une demande de parrainage, au titre de la catégorie du regroupement familial, pour que ce dernier puisse immigrer au Canada. M. Singh est âgé de 26 ans et est citoyen de l’Inde.

[6] La demanderesse et M. Singh sont des parents éloignés et se connaissent depuis l’enfance. En décembre 2015, la famille de la demanderesse et celle de M. Singh se sont rencontrées pour organiser le mariage, et le couple s’est fiancé le 9 janvier 2016. La demanderesse et M. Singh ont un fils qui est né au Canada le 4 septembre 2017.

[7] Dans une lettre datée du 28 mars 2017, un agent des visas d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (l’agent des visas) a rejeté la demande de parrainage au motif que le mariage n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège en vertu de la LIPR. Selon l’argent des visas, le récit quant à l’évolution de la relation n’était pas crédible et le couple n’était pas compatible en matière d’éducation, d’âge et de maturité intellectuelle et émotionnelle.

[8] La demanderesse a ensuite retenu les services du consultant pour interjeter appel de la décision de l’agent des visas auprès de la SAI.

[9] Le 21 juillet 2020, l’avocat de la demanderesse a envoyé une lettre au consultant concernant les allégations d’incompétence qui avaient été formulées à son égard relativement à sa représentation de la demanderesse. Le même jour, le consultant a répondu par lettre à ces allégations.

B. La décision contestée

[10] Dans une décision datée du 18 mai 2020, la SAI a conclu que le mariage n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège en vertu de la LIPR.

[11] La SAI a expliqué qu’en raison de la déficience intellectuelle de la demanderesse, son cousin a été nommé comme son représentant désigné (le représentant désigné) pour l’aider pendant l’audience de la SAI. La SAI a relevé que, lors de l’audience, il avait été demandé au représentant désigné s’il avait des éléments de preuve supplémentaires à présenter, mais ce dernier avait refusé d’en présenter.

[12] La SAI a conclu que la demanderesse a formulé de nombreuses réponses qui n’étaient pas sensées lors de l’audience et elle a décelé des divergences entre le témoignage de la demanderesse et celui de M. Singh. La SAI a également jugé que la preuve était insuffisante, puisque les parents de la demanderesse n’étaient pas présents à l’audience et ceux-ci n’ont pas fourni d’éléments de preuve relatant les raisons pour lesquelles ils considéraient que l’union était appropriée.

[13] La preuve présentée à la SAI comprenait une évaluation psychologique réalisée le 22 mai 2013 (l’évaluation psychologique). L’évaluation psychologique indique que la demanderesse présente un déficit sur le plan des habiletés de la vie quotidienne; la conclusion est que la demanderesse est atteinte d’une déficience modérée sur le plan du développement et intellectuel et que cette dernière continuera de nécessiter un soutien intensif. La SAI a conclu, en se fondant sur le témoignage de la demanderesse et sur l’évaluation psychologique, que la demanderesse a besoin d’être supervisée pour la plupart des tâches et ne peut s’occuper de son enfant que pendant de courtes périodes.

[14] La SAI a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le mariage est authentique du point de vue de la demanderesse, mais pas de celui de M. Singh. La SAI a conclu que M. Singh n’est pas au courant des limites de la demanderesse dans la vie quotidienne, ni de la déficience de cette dernière et ni de son besoin de supervision, ou n’a pas été franc à l’audience. La SAI a également conclu que l’incapacité de M. Singh à énoncer un véritable projet d’avenir commun sans connaître les limites de la demanderesse est une indication que le mariage n’est pas authentique.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[15] En l’espèce, la seule question en litige est de savoir si la demanderesse a été privée de son droit à l’équité procédurale dans le cadre de son appel devant la SAI en raison de l’incompétence du consultant.

[16] Conformément au paragraphe 31 de la décision de la Cour dans l’affaire Satkunanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 470 (Satkunanathan), je suis d’avis que la question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée) aux para 37-56; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23).

[17] La norme de la décision correcte est une norme de contrôle qui ne commande aucune déférence. Dans le contexte de l’équité procédurale, la question centrale est de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énumérés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux paragraphes 21-28 (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, au para 54).

IV. Analyse

[18] Un demandeur qui invoque l’incompétence ou la négligence de son ancien conseil doit établir que a) que les actes ou omissions du conseil en cause relevaient de l’incompétence et b) que les actes ou omissions du conseil ont entraîné un déni de justice (Satkunanathan, aux para 35-36; voir également Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643 (Hamdan) aux para 36-38). Les erreurs et omissions d’un ancien représentant doivent être exceptionnelles pour constituer une démonstration d’incompétence, et l’incompétence alléguée ne constituera un manquement au principe de justice naturelle que dans des circonstances « extraordinaires » (Hamdan, au para 38).

A. Les actes ou les omissions du consultant constituent-ils une démonstration d’incompétence?

[19] La demanderesse soutient que le consultant ne l’a pas représentée de manière compétente à plusieurs égards. Dans l’ensemble, la demanderesse soutient que le consultant devait faire preuve d’un plus grand discernement quant à la nature particulière de son cas compte tenu de sa vulnérabilité en tant que personne ayant une déficience intellectuelle.

[20] En particulier, la demanderesse fait valoir que le consultant a fait preuve d’incompétence en n’appelant pas un tiers, tel que le père de la demanderesse, à témoigner lors de l’audience de la SAI. La demanderesse affirme que, dans les cas de parrainage mettant en cause l’authenticité d’un mariage comme celui en l’espèce, il est logique pour un représentant d’appeler des tiers qui peuvent témoigner de l’évolution et de l’authenticité d’une relation. Un représentant compétent aurait fait des recherches sur la jurisprudence et aurait été conscient des points auxquels il devait répondre. La demanderesse fait valoir que cela était particulièrement important dans un cas comme le sien, dans la mesure où la SAI avait relevé des lacunes dans son témoignage et a jugé que plusieurs de ses réponses n’étaient pas sensées.

[21] La demanderesse fait en outre valoir que le consultant avait le devoir de préparer les témoins en vue de leur témoignage devant la SAI, ainsi que le devoir d’informer le père de la demanderesse qu’il devait témoigner (Kavihuha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 328 au para 27). La demanderesse soutient que le consultant a fait preuve d’un manque de compétence et de loyauté envers sa cliente lorsqu’il a déclaré, lors de l’audience de la SAI, qu’il était « étonné » que le père de la demanderesse ne soit pas présent.

[22] La demanderesse s’appuie sur la décision Kim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 687 (Kim), dans laquelle la Cour a conclu qu’un consultant avait agi de manière incompétente, puisqu’il avait omis de soumettre des éléments de preuve que l’agent avait spécifiquement estimés manquants dans la demande présentée par les demandeurs (aux para 8 et 18-21). La demanderesse fait également valoir que dans la décision Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092 (Guadron), la Cour a déclaré que, selon la jurisprudence, « […]défaut du représentant de présenter des éléments de preuve qui, de toute évidence, auraient dû être présentés et pour lesquels ce défaut défie toute logique » constituait de l’incompétence (au para 25). Au paragraphe 29 de la décision Guadron, la Cour déclare en outre :

J’estime plutôt que, en sa qualité de représentante légale dûment nommée au titre de la Loi, l’intervenante avait l’obligation de faire les tentatives raisonnables pour trouver les renseignements cruciaux exigés afin que la demanderesse surmonte les obstacles importants de ce recours fondé sur des considérations d’ordre humanitaire, qui se veut hautement discrétionnaire et exceptionnel. Dire que la demanderesse (ou sa famille) n’a pas fourni spontanément ce qu’il fallait n’est pas suffisant.

[23] Le défendeur soutient que dans la lettre de réponse du consultant, ce dernier explique qu’il avait eu l’intention d’appeler le père de la demanderesse à témoigner, qu’il avait communiqué avec la famille de la demanderesse deux mois avant l’audience pour l’informer que son père serait appelé comme témoin, et qu’il s’attendait à ce que ce dernier soit présent le jour de l’audience. La lettre du consultant contient le passage suivant : [TRADUCTION] « Je l’ai appelé quelques jours avant l’audience pour l’informer qu’il était tenu d’être présent, puisqu’il est un témoin dans cette affaire. Il m’a informé qu’il se trouvait aux États-Unis et qu’il ne pouvait pas être présent. »

[24] Cependant, la déclaration sous serment du père de la demanderesse indique que le consultant ne lui avait pas demandé de comparaître comme témoin. Dans sa déclaration sous serment, le père de la demanderesse explique que l’audience de la SAI a été reportée deux fois, et il déclare ce qui suit :

[traduction]
Mon épouse et moi avons assisté à ces deux premières audiences. Cependant, j’ai demandé au consultant si je devais assister à l’audience finale, puisque le représentant désigné y accompagnait la demanderesse, et le consultant m’a répondu que ce n’était pas nécessaire.

[25] La demanderesse fait valoir que le défendeur préfère s’appuyer, de façon arbitraire, sur la lettre non attestée sous serment du consultant plutôt que sur la déclaration sous serment du père de la demanderesse. Je souscris à l’opinion de la demanderesse.

[26] Il ressort de ma lecture du dossier que le consultant n’avait pas dûment fait comprendre au père de la demanderesse qu’il devait être présent à l’audience pour témoigner à titre de témoin tiers. Lors de l’audience, lorsque le commissaire de la SAI a demandé au consultant pourquoi les personnes qui avaient aidé à organiser le mariage n’avaient pas été appelées comme témoins, ce dernier a répondu ce qui suit :

[traduction]
Oui, j’ai parlé plusieurs fois au père et il était toujours présent aux côtés de l’appelante et je suis moi-même étonné aujourd’hui, car les deux dernières fois, lorsque l’audience a été reportée, les deux familles étaient ici; désolé, la mère et le père étaient tous les deux ici, les deux fois, je pense. Il y avait des questions préparées en vue du témoignage du père aujourd’hui; j’étais moi-même surpris aujourd’hui qu’il ait répondu dans le passé que sa fille a besoin d’un partenaire de vie, parce qu’ils ne vont pas être là pour elle à tout jamais […].

[27] En réponse à cela, le commissaire de la SAI a déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « […] je suis sidéré que vous n’ayez pas d’autres témoins, mais c’est comme ça, et je ne peux pas recevoir votre témoignage, je suis simplement curieux de savoir pourquoi ils ne sont pas présents, c’est tout. »

[28] Dans l’ensemble, le défendeur fait valoir que le consultant a fait « [d]es tentatives raisonnables pour trouver les renseignements cruciaux » (Guadron, au para 29) et a représenté la demanderesse du mieux qu’il pouvait. Selon le défendeur, contrairement à ce qui ressort de la jurisprudence citée par la demanderesse, le consultant en l’espèce n’a pas omis d’apprécier la nécessité de certains éléments de preuve et de certains témoignages, mais c’est plutôt la demanderesse et sa famille qui n’ont pas présenté les éléments de preuve et les témoignages demandés. Le défendeur fait en outre valoir que la demanderesse a librement choisi d’être représentée et qu’elle doit accepter les conséquences de cette décision (Pathinathar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1225 au para 38).

[29] Je ne suis pas convaincu que le consultant a représenté adéquatement les intérêts de la demanderesse devant la SAI. Étant donné la vulnérabilité de la demanderesse et le fait qu’elle présente une déficience intellectuelle, j’estime que le consultant aurait dû être plus attentif à ses limites et à la nature particulière de son dossier. Plus particulièrement, je conviens avec la demanderesse que le consultant a commis une erreur en n’appelant aucun témoin tiers qui aurait pu témoigner de l’authenticité et de l’évolution de la relation et du mariage. Je trouve qu’il s’agit d’une lacune importante, étant donné que la décision de la SAI repose expressément sur l’absence de témoignage des parents de la demanderesse pour expliquer les circonstances entourant le mariage arrangé :

[29] La mère et le père de l’appelante n’étaient pas présents à l’audience. Puisqu’ils assurent une surveillance presque constante de l’appelante, ils devraient raisonnablement pouvoir expliquer pourquoi ils ont jugé cette union appropriée. Cet élément de preuve n’a pas été présenté. Le conseil de l’appelante a déclaré qu’il était étonné que les parents de l’appelante n’aient pas été présents, car il était prêt à poser des questions à son père à l’audience.

[30] Je juge également que le consultant a manqué de professionnalisme en déclarant qu’il était « étonné » que le père de la demanderesse ne soit pas présent à l’audience. S’il est possible qu’il y ait eu un malentendu entre le consultant et le père de la demanderesse concernant l’attente que ce dernier témoigne, il incombait au consultant de s’assurer de la clarté de cette attente auprès de la demanderesse, plutôt que de faire preuve d’un tel manquement dans le cadre de sa relation avec sa cliente.

[31] En outre, comme l’avocat de la demanderesse l’a souligné à juste titre lors de l’audience, un examen de la transcription de l’audience de la SAI démontre qu’il y avait également des lacunes importantes dans la plaidoirie du consultant devant la SAI. Par exemple, ce dernier aurait tenté de fournir des éléments de preuve dans ses observations devant la SAI :

[traduction]
M. KHINDA : Je crois que ce mariage est authentique et qu’il n’a pas pour but de faciliter l’entrée au Canada du demandeur principal ou du demandeur désolé, le mariage a été facilité par un membre de la famille en qui les deux côtés de la famille ont confiance; l’une des raisons pour lesquelles ce mariage a été facilité dans la famille proche est que les familles étaient préoccupées par le fait qu’elles ne voulaient pas qu’on tire avantage du…

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Je ne dispose d’aucune preuve à ce sujet ni pour ce qui est des éléments soulevés. J’ai entendu qu’ils s’aimaient bien, qu’ils étaient tous les deux végétariens; c’est ce que j’ai entendu et c’est pourquoi le mariage aurait été facilité. Je n’ai rien entendu d’autre, alors ne fournissez pas d’éléments de preuve.

[32] Je conclus donc que les erreurs du consultant étaient suffisamment importantes pour constituer de l’incompétence.

B. L’incompétence du consultant a-t-elle entraîné un manquement à l’équité procédurale?

[33] Dans la décision Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 (Galyas), la Cour a confirmé que, pour établir un manquement à l’équité procédurale en raison de l’incompétence d’un représentant, le demandeur doit démontrer que le résultat aurait été différent, n’eût été l’incompétence (au para 84).

[34] La demanderesse fait valoir que, dans les motifs de la décision, la SAI s’est manifestement appuyée sur le fait qu’il n’y avait aucun élément de preuve fourni par la famille de la demanderesse expliquant pourquoi le mariage avait été facilité. La demanderesse fait valoir que la SAI déplore le manque de témoins tiers dans sa décision et que l’absence de témoins a mené à des inférences défavorables à son égard. La demanderesse affirme que les erreurs commises par le consultant ont donné lieu à une décision défavorable de la SAI et que, si ces omissions n’avaient pas eu lieu, la SAI aurait pu rendre une décision différente en l’espèce.

[35] La demanderesse s’appuie sur la décision Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196 (Memari), dans laquelle la Cour a conclu que la maladie et l’inattention de la conseil du demandeur à l’égard du dossier de ce dernier ont entraîné un manquement à l’équité procédurale. En raison d’une maladie et des médicaments qu’elle prenait, la conseil du demandeur dans l’affaire Memari a admis avoir commis plusieurs erreurs dans sa représentation (au para 37). La Cour a jugé qu’une conclusion générale différente quant à la crédibilité du demandeur aurait pu être tirée, n’eût été du défaut de l’avocate de représenter adéquatement le demandeur (aux para 61-62). Au paragraphe 64, la Cour souligne ce qui suit :

[64] À mon avis, vu les faits particuliers de l’espèce, l’effet cumulatif des préjudices subis par le demandeur parce que Me Leggett ne l’a pas représenté adéquatement était suffisamment grave pour compromettre le bien‑fondé de la décision de la Commission. Pris isolément, chacun des actes et omissions reprochés à Me Leggett dont il est question ci‑dessus n’aurait pas satisfait au critère du volet « appréciation du préjudice » établi par la jurisprudence susmentionnée. Cependant, je suis convaincu que l’effet combiné de ces actes et omissions était suffisant pour donner lieu à une erreur judiciaire. Considérée dans son ensemble, la représentation assurée par Me Leggett au demandeur n’était ni adéquate ni raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[36] Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas réussi à établir qu’il existe une probabilité raisonnable que l’issue de son appel aurait été différente n’eût été l’incompétence alléguée du consultant (Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1189 au para 21), ou qu’il existait en l’espèce des « circonstances extraordinaires » ayant entraîné un manquement à l’équité procédurale (Hamdan, au para 38).

[37] Plus particulièrement, le défendeur fait valoir que la décision de la SAI était fondée sur le témoignage et les connaissances personnelles de M. Singh. À ce titre, même si un tiers témoin avait témoigné, cela n’aurait pas changé le fait que M. Singh en savait peu sur l’état et les limites de la demanderesse, et qu’il n’était pas en mesure d’exposer les plans d’avenir du couple, ce qui a contribué à la conclusion de la SAI selon laquelle M. Singh s’était marié avec la demanderesse pour acquérir un statut en vertu de la LIPR. Le défendeur affirme qu’aucun autre élément de preuve n’aurait pu concilier le témoignage de M. Singh avec la preuve fournie, notamment le témoignage de la demanderesse.

[38] Le défendeur fait également valoir que les précédents invoqués par la demanderesse ne sont pas assimilables à son cas, puisque ceux-ci renvoient à des situations où l’incompétence du représentant était liée au manque d’éléments de preuve documentaire dans des affaires où aucun témoignage de vive voix ne pouvait être présenté, ou dans des affaires où le manque d’éléments de preuve documentaire appropriés suscitait des doutes en matière de crédibilité. En revanche, la demanderesse et son époux ont pu témoigner devant la SAI en l’espèce et la décision reposait sur le témoignage oral de M. Singh, plutôt que sur un manque d’éléments de preuve documentaire à l’appui de la demande ou sur des contradictions relevées dans la preuve documentaire qui s’avérait incomplète.

[39] Je ne suis pas convaincu par les arguments du défendeur. Même si je conviens que la demanderesse et M. Singh ont pu livrer un témoignage de vive voix, ce qui permet d’établir une distinction entre la présente affaire et les précédents invoqués par la demanderesse, je ne suis pas d’accord avec le défendeur sur le fait qu’aucun autre élément de preuve n’aurait pu concilier le témoignage de M. Singh avec la preuve au dossier.

[40] Après avoir examiné la décision de la SAI, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que le témoignage d’un tiers, qui pouvait relater de l’évolution de la relation et qui a joué un rôle dans la facilitation du mariage, aurait pu clarifier les écarts entre le témoignage de la demanderesse et celui de M. Singh. Cela a été confirmé par la SAI lorsqu’elle a expressément fait référence à la preuve qui aurait pu être fournie par un témoin tiers, en soulignant que le témoignage des parents de la demanderesse aurait pu faire ressortir les raisons pour lesquelles ils considéraient que le mariage était convenable (Kim, au para 24).

[41] Je conclus que la représentation inadéquate du consultant a été suffisamment grave en l’espèce pour entacher la décision de la SAI (Galyas, au para 89), et que l’effet cumulatif des erreurs du consultant et de sa représentation inadéquate d’une personne vulnérable a entraîné une violation du droit à l’équité procédurale de la demanderesse.

[42] Par ailleurs, je désapprouve également le langage utilisé par la SAI dans sa décision. Dans ses motifs, la SAI fait référence au fait que la demanderesse présente une déficience intellectuelle en affirmant qu’elle est atteinte d’un « retard ». Plus précisément, la SAI déclare que la demanderesse est atteinte « d’un retard suffisamment grave pour qu’elle soit incapable de travailler ». Ce langage est désuet et offensant, et témoigne d’un manque de respect à l’égard de la dignité de la demanderesse.

V. Conclusion

[43] Je conclus que les actes et omissions du consultant constituent une démonstration d’incompétence et que cela a entraîné une violation du droit de la demanderesse à l’équité procédurale dans son appel devant la SAI. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[44] Aucune question n’a été proposée aux fins de la certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2630-20

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l’objet du présent contrôle est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2630-20

 

INTITULÉ :

KAWALJEET KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 janvier 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Raj Sharma

 

pour le demandeur

 

Galina Bining

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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