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Date : 20220218

Dossier : IMM‑202‑21

Référence : 2022 CF 223

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 18 février 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE:

ZHANPENG LIU, ZIJUN WU, JUNYI LIU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent principal d’immigration (l’agent) le 6 janvier 2021 au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Dans la décision, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs. Ces derniers demandent à la Cour d’annuler cette décision.

[2] Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I. Les faits et événements à l’origine de la demande

[3] Les demandeurs adultes sont des citoyens chinois. Le troisième demandeur est leur fils aîné. Ils sont arrivés au Canada en décembre 2015. La famille est composée d’un deuxième fils né au Canada en septembre 2016. Au moment où ils ont présenté leur demande au titre du paragraphe 25(1), les demandeurs adultes attendaient leur troisième enfant.

[4] Les demandeurs ont présenté une demande d’asile, qui a été rejetée en juin 2016 par la Section de la protection des réfugiés. En octobre 2016, la Section d’appel des réfugiés a rejeté leur appel.

[5] Le demandeur, M. Liu, a obtenu un permis de travail en 2016. Il travaille comme chef cuisinier dans un restaurant.

[6] Les demandeurs ont présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR. Ils ont également présenté une demande d’examen des risques avant renvoi. Les demandes ont toutes deux été rejetées en avril 2018.

[7] Le 30 octobre 2019, les demandeurs ont présenté une deuxième demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le présent contrôle judiciaire porte sur la décision de l’agent à l’égard de cette deuxième demande.

[8] La deuxième demande était fondée sur l’établissement des demandeurs au Canada, l’intérêt supérieur de leurs enfants et les conditions défavorables en Chine.

II. La décision à l’égard de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire faisant l’objet du présent contrôle

[9] L’agent a rédigé des motifs détaillés à l’appui de sa décision de ne pas accorder de dispense pour des considérations d’ordre humanitaire. Les motifs font abondamment référence à M. Liu, car celui‑ci était le demandeur principal dans le cadre de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[10] L’agent a conclu que le degré d’établissement de M. Liu au Canada était faible. L’agent a examiné les éléments de preuve liés à l’emploi de chef cuisinier occupé par M. Liu, dont une lettre et un affidavit à l’appui préparés par le propriétaire du restaurant, qui témoignent d’une grande considération pour M. Liu. L’agent a reconnu l’engagement de Mme Wu dans la collectivité et le rôle qu’elle exerce [Traduction] « à la maison à prendre soin des enfants ». L’agent a reconnu qu’ils avaient des attaches familiales au Canada, notamment la sœur et l’oncle de M. Liu et leurs familles respectives. L’agent a également pris connaissance de lettres présentées par des membres de la famille. L’agent a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour établir l’existence d’une interdépendance affective ou financière qui aurait une incidence négative sur les demandeurs ou les personnes qui les soutiennent dans l’éventualité où une séparation devait se produire.

[11] En outre, vers la fin de son évaluation du degré d’établissement, l’agent a souligné ce qui suit au sujet de M. Liu : [Traduction] « [Il] a eu, à quelques reprises, l’occasion de régulariser son statut. Ces tentatives sont restées vaines et le demandeur n’a toujours pas quitté le Canada. Cela m’amène à tirer une conclusion défavorable du refus du demandeur de se conformer aux lois canadiennes et de retourner en Chine de son plein gré. »

[12] En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a confirmé l’identité du demandeur âgé de 5 ans (né en Chine) et de son frère (alors âgé de quatre ans et citoyen canadien). Après avoir dressé la liste des facteurs liés à l’intérêt supérieur des enfants avancés par les demandeurs, l’agent a admis que les enfants avaient passé la totalité ou une grande partie de leur vie au Canada et qu’il leur faudrait s’adapter à de nouvelles conditions si les demandeurs étaient renvoyés en Chine. L’agent a conclu que leurs parents leur apporteraient le soutien dont ils ont besoin qu’ils se trouvent au Canada ou en Chine et que, par conséquent, [Traduction] « le bien‑être affectif, social, culturel et physique des enfants ne [serait] pas compromis ». L’agent n’a pas été en mesure d’évaluer l’argument selon lequel les demandeurs avaient enfreint la politique chinoise des deux enfants, car il n’y avait aucune preuve qu’un troisième enfant s’était ajouté à la famille.

[13] L’agent a examiné les questions de savoir s’il serait difficile de faire admettre le deuxième enfant des demandeurs, Jonathan, dans une école si celui‑ci conservait sa citoyenneté canadienne et si les demandeurs auraient les moyens d’offrir une éducation à leurs enfants si la famille devait retourner en Chine. Après avoir pris connaissance d’articles et de rapports soumis par les demandeurs, l’agent a conclu que la preuve était insuffisante pour donner à penser que Jonathan ne détenait pas déjà la nationalité chinoise par filiation et qu’il n’aurait pas accès à l’éducation publique en Chine. L’agent a conclu que la perspective que M. Liu se retrouve sans emploi à son retour en Chine reposait sur des conjectures. L’agent n’a relevé aucun élément de preuve donnant à penser que les enfants avaient des besoins spéciaux. Par conséquent, l’agent a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour établir qu’un renvoi du Canada aurait une incidence négative sur l’éducation des enfants. Conscient du très jeune âge des enfants et du fait que la présence de leurs parents leur était bénéfique, l’agent a conclu que l’intérêt supérieur des enfants ne serait pas compromis dans l’éventualité où la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire était rejetée.

[14] S’agissant des conditions dans le pays, l’agent a pris acte de l’éducation que M. Liu a reçue en Chine et des emplois qu’il a occupés au début de sa carrière. M. Liu a emprunté de l’argent à son oncle et à sa sœur au Canada ainsi qu’à ses amis et à sa famille en Chine pour se rendre au Canada. Les demandeurs ont affirmé qu’il était convenu qu’ils remboursent les sommes empruntées à leurs amis et aux membres de leur famille et que, s’ils devaient retourner en Chine, M. Liu ne serait pas en mesure de trouver un emploi et ne pourrait donc pas rembourser les sommes dues. Une telle situation lui ferait perdre toute dignité; il se retrouverait isolé de la collectivité et sombrerait dans la pauvreté. L’agent a examiné les lettres de la sœur et de l’oncle de M. Liu et a constaté qu’elles ne faisaient pas mention du remboursement des sommes considérables prêtées à M. Liu pour l’aider à se rendre au Canada avec sa famille. L’agent a conclu que la preuve donnait à penser que [Traduction] « leur relation n’[était] pas du tout assombrie, et que si une telle somme [avait] effectivement été prêtée aux demandeurs, son remboursement n’[était] pas attendu ». M. Liu n’a pas non plus présenté d’éléments de preuve établissant clairement que les personnes en Chine qui lui ont prêté de l’argent exigeaient d’être remboursées ou s’attendaient à l’être.

[15] L’agent a tenu compte des observations concernant les perspectives d’emploi de M. Liu en Chine. L’agent a conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve donnant à penser que les demandeurs n’arriveraient pas à trouver un emploi ou ne seraient pas en mesure de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants s’ils devaient retourner en Chine. L’agent a conclu que l’expérience que M. Liu a acquise au Canada pourrait faciliter sa recherche d’emploi en Chine.

[16] L’agent a ajouté que M. Liu avait clairement démontré qu’il était une personne ingénieuse capable de s’adapter et qu’il pourrait se réinstaller à l’endroit de son choix en Chine. L’agent a reconnu que M. Liu pourrait être confronté à certaines difficultés après avoir vécu au Canada pendant quelques années, mais a jugé qu’il pourrait à nouveau s’établir en Chine, car la langue, la culture et le mode de vie lui sont familiers.

III. Norme de contrôle applicable

[17] La norme de contrôle qui s’applique à la décision de l’agent relativement à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable : Kanthasamy, au para 44; Subramaniam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CAF 202 aux para 17‑18. La norme de la décision raisonnable est énoncée dans l’arrêt Vavilov. Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable est une évaluation déférente et rigoureuse de la question de savoir si une décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12, 13 et 15. Les motifs du décideur, qui constitue le point de départ de l’analyse, doivent être interprétés de façon globale et contextuelle et lus en corrélation avec le dossier dont le décideur était saisi : Vavilov, aux para 84, 91‑96, 97 et 103; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 28‑33.

[18] Le contrôle effectué par la Cour s’intéresse à la fois au raisonnement suivi par le décideur et au résultat de la décision : Vavilov, aux para 83 et 86. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, en particulier aux para 85, 99, 101, 105, 106 et 194; Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 aux para 24‑35.

IV. Analyse

[19] Devant la Cour, les demandeurs ont contesté le caractère raisonnable de la décision de l’agent sur le fondement des deux positions générales suivantes :

  1. Les demandeurs ont affirmé dans un premier temps que l’agent n’avait pas fait preuve d’empathie dans son évaluation de la demande et qu’il n’avait pas examiné l’affaire de façon globale, comme l’exige l’arrêt Canada (Citoyenneté et de l’Immigration) c Kanthasamy, 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909. Selon les demandeurs, la décision de l’agent témoigne d’une [Traduction] « profonde incompréhension de l’affaire ».

  2. Dans un deuxième temps, les demandeurs ont soutenu que l’agent avait commis une erreur de droit dans l’évaluation du degré d’établissement, plus précisément en ne suivant pas les décisions rendues dans Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336 et Sebbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813. Les demandeurs ont fait valoir que l’agent avait axé son analyse sur la question de savoir s’ils pouvaient s’établir à nouveau en Chine plutôt que sur leur établissement au Canada.

[20] Les demandeurs ont exposé leurs positions en détail à l’audience.

[21] Le défendeur a soutenu que la décision de l’agent ne révélait aucun manque d’empathie et que celui‑ci avait dûment examiné l’ensemble des observations des demandeurs au regard de la preuve. Le défendeur a en outre soutenu que l’évaluation que l’agent avait faite de l’établissement des demandeurs était raisonnable.

[22] J’examinerai successivement chacune des deux questions.

A. L’approche générale de l’agent à l’égard de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire

[23] Les demandeurs ont affirmé que l’agent avait manqué d’empathie dans son évaluation de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et qu’il n’avait pas examiné l’affaire « de façon globale », comme l’exige l’arrêt Kanthasamy aux paragraphes 28 et 45. Les demandeurs ont fait valoir un certain nombre de points précis à l’appui de leur position générale, pour tenter de démontrer que l’agent avait évalué la situation du demandeur de façon segmentée et que, dans l’ensemble, sa décision témoignait d’une [Traduction] « profonde incompréhension » de la demande de dispense.

[24] Je conviens que l’agent était tenu de se conformer aux exigences établies par la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy, mais je ne souscris pas à l’argument du demandeur selon lequel il ne l’a pas fait. J’estime que l’agent a fait preuve d’une compréhension satisfaisante de la demande de dispense pour des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur. Je suis d’avis que les motifs invoqués ne sont pas suffisants pour justifier l’intervention de la Cour dans le cadre du présent contrôle judiciaire. J’explique comment je suis parvenu à cette conclusion dans les paragraphes qui suivent.

[25] L’agent a conclu que le degré d’établissement du demandeur au Canada était faible. Les demandeurs ont d’abord critiqué le commentaire de l’agent selon lequel ils n’avaient pas établi pourquoi ils ne pourraient pas continuer à entretenir les relations interpersonnelles qu’ils avaient nouées au Canada à partir de l’étranger ou en effectuant des séjours au Canada. Les demandeurs ont fait valoir que ce commentaire était déraisonnable et illogique et qu’il manquait d’empathie et de considération, parce qu’il ne tenait pas compte du fait qu’une fois renvoyés, les demandeurs ne pourraient pas revenir au Canada sans autorisation de retour. Le demandeur a souligné qu’il était [Traduction] « visé par une mesure de renvoi », mais qu’il n’avait pas reçu instruction de se présenter pour son renvoi. Le demandeur est d’avis que l’agent cherchait uniquement à miner ses affirmations.

[26] Selon moi, les demandeurs accordent trop d’importance au commentaire de l’agent concernant leurs séjours subséquents au Canada. Les phrases qui précèdent immédiatement ce commentaire portent sur les lettres présentées à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a conclu que la preuve présentée par les demandeurs, en particulier les lettres, n’était pas suffisante pour établir l’existence d’une interdépendance affective ou financière avec d’autres personnes si une séparation devait se produire – une conclusion que les demandeurs n’ont pas contesté sur le fond. Le commentaire de l’agent est sans doute inconvenant, mais il n’est pas important au point de constituer une erreur susceptible de contrôle : Vavilov, au para 101.

[27] Les demandeurs fondent également leur contestation sur un court passage se trouvant vers la fin de l’évaluation de l’établissement faite par l’agent. L’agent a fait observer que M. Liu avait eu plusieurs occasions de régulariser son statut. Il a indiqué que [Traduction] « [c]es tentatives [étaient] restées vaines et [que] le demandeur n’[avait] toujours pas quitté le Canada », et a tiré une conclusion défavorable du refus du demandeur de se conformer aux lois canadiennes et de retourner en Chine de son plein gré.

[28] Les demandeurs ont fait valoir que cette conclusion défavorable [Traduction] « manquait d’empathie au point de soulever une crainte raisonnable de partialité » et que l’agent s’était fondé sur cette conclusion pour rejeter l’ensemble de la preuve relative à l’établissement du demandeur. À mon avis, cette observation exagère l’importance d’une possible préoccupation à savoir si l’agent a indûment axé son analyse sur les raisons pour lesquelles le demandeur sollicitait une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR, au point où il aurait omis de tenir dûment compte des facteurs démontrant l’établissement au Canada : voir Sebbe, aux para 21‑24; Lopez Bidart c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 307 au para 32. Or, s’agissant de cette préoccupation, j’estime que les motifs de l’agent ne contiennent aucune erreur susceptible de contrôle. Il était loisible à l’agent de tirer une conclusion défavorable de ces faits et celle‑ci ne diminue pas fondamentalement l’évaluation par ailleurs appropriée que l’agent a faite des facteurs d’établissement relatifs à la vie des demandeurs au Canada; par conséquent, cette conclusion ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. Je ne suis pas d’accord pour dire que les commentaires de l’agent suscitent une crainte raisonnable de partialité.

[29] En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, les demandeurs ont soutenu que certains aspects des motifs de l’agent i) dénotaient du mépris et un manque de considération dans l’évaluation de l’intérêt de leurs enfants, ii) indiquaient que l’agent avait déraisonnablement omis d’évaluer l’incidence de la naissance de leur troisième enfant, et iii) étaient fondés sur des conjectures. J’examinerai chacun de ces points successivement.

[30] Les demandeurs ont soutenu que l’agent avait affirmé de façon très désinvolte que les enfants n’auraient d’autre choix que de s’adapter à la vie en Chine et que leurs parents pourraient leur offrir de l’amour, du soutien et de l’affection que la famille se trouve au Canada ou en Chine, de sorte que leurs intérêts ne seraient pas compromis. Cette déclaration ne m’apparaît pas déraisonnable sachant que les enfants étaient âgés de 4 et 5 ans à l’époque.

[31] Les demandeurs ont également fait valoir que l’agent avait, de façon déraisonnable, omis de tenir compte de la naissance de leur troisième enfant et de l’incidence qu’elle aurait sur la famille compte tenu de la politique chinoise des deux enfants. Les demandeurs ont toutefois reconnu que la preuve indiquait uniquement qu’ils attendaient un enfant. L’enfant est né en mars 2020 et l’agent a rendu sa décision en janvier 2021; or, les demandeurs n’ont pas mis à jour leur demande au cours de cette période de plus de huit mois afin de confirmer la naissance de leur enfant. C’est aux demandeurs qu’incombe le fardeau de présenter et de mettre à jour la preuve, et le défaut de s’acquitter de ce fardeau est à leurs risques et périls : Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 RCF 635 aux para 5 et 8.

[32] Les demandeurs ont en outre soutenu que l’agent s’était livré à des conjectures sur des questions qui ne relevaient pas de son expertise, en concluant que Jonathan pourrait être enregistré dans le hukou familial. Jonathan est né au Canada; il est donc citoyen canadien de naissance. L’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté d’éléments de preuve objectifs indiquant qu’il leur serait difficile de faire admettre Jonathan dans une école publique et que celui‑ci risquait d’être privé d’autres avantages s’il conservait sa citoyenneté canadienne. L’agent a conclu que M. Liu et son épouse ne s’étaient pas [Traduction] « établis à l’étranger » sous le régime de la loi sur la nationalité de la République populaire de Chine, sous‑entendant que leurs enfants auraient la nationalité chinoise en vertu de cette loi. L’agent a jugé que la preuve était insuffisante pour établir que Jonathan ne détenait pas la nationalité chinoise par filiation et a conclu, par conséquent, qu’il aurait accès à l’éducation publique en Chine.

[33] Je ne souscris pas à l’observation des demandeurs selon laquelle l’agent s’est livré à des conjectures. Bien que les demandeurs puissent avoir raison d’affirmer que la question n’était pas aussi simple que le pensait l’agent, la conclusion de ce dernier concernait l’insuffisance de la preuve présentée par les demandeurs pour étayer leurs préoccupations quant à l’intérêt supérieur de Jonathan, plus particulièrement son éducation en Chine et la possibilité qu’il subisse les difficultés associées à une éducation de qualité inférieure parce que la famille n’aurait sans doute pas les moyens de lui offrir une éducation de meilleure qualité dans une école privée étant donné que M. Liu ne trouverait pas d’emploi. Les observations que le demandeur a présentées à la Cour n’ont pas établi que la conclusion de l’agent était indéfendable ou que l’agent avait fondamentalement mal interprété ou omis de prendre en considération certains éléments de preuve cruciaux présentés par les demandeurs à l’appui de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire : Vavilov, aux para 99‑101, 105 et 126.

[34] Les demandeurs ont également reproché à l’agent de s’être livré à des conjectures en ce qui concerne le remboursement par M. Liu des sommes que des amis et membres de sa famille lui avaient prêtées en Chine. Ces sommes ont permis à M. Liu et à sa famille de quitter la Chine, environ quatre ans avant la décision de l’agent. L’agent a souligné que les lettres présentées à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne faisaient nulle part mention du remboursement de ces sommes ou d’une inquiétude liée à la possibilité que M. Liu ne soit pas en mesure de rembourser ces sommes si la famille devait retourner vivre en Chine rurale. Parce que la preuve concernant les sommes prêtées était incomplète et que rien n’indiquait que les prêteurs avaient demandé à être remboursés, l’agent a conclu que le remboursement de ces sommes [Traduction] « n’était pas attendu » et qu’on voyait mal en quoi cette situation ajouterait aux difficultés du demandeur à son retour en Chine.

[35] Les demandeurs ont affirmé que l’agent s’est livré à des [Traduction] « conjectures totalement inappropriées » au sujet des sommes prêtées, mais je ne suis pas de cet avis. Les lettres ne faisaient pas mention des prêts ou de leur remboursement éventuel; or, selon moi, cette information aurait dû naturellement faire partie de la preuve sur ce point qui a été présentée à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (que l’on adopte le point de vue des prêteurs ou celui du demandeur en tant qu’emprunteur). De plus, le dossier n’a révélé aucune demande de remboursement ou de paiement intermédiaire depuis l’arrivée du demandeur quatre ans auparavant. Je suis d’avis que les demandeurs ont omis de démontrer que le dossier de la preuve ne permettait pas à l’agent de tirer les conclusions qu’il a tirées au sujet des prêts ou que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en formulant les observations qu’il a formulées au sujet des prêts.

[36] Pour en revenir à la position générale des demandeurs, il m’est impossible de conclure, lorsque j’examine celle‑ci dans son ensemble à la lumière de la preuve présentée relativement aux questions examinées ci‑dessus, que l’agent n’a pas adopté l’approche empathique que préconise l’arrêt Kanthasamy ou qu’il n’a pas examiné la preuve au dossier de façon globale. Même si un autre agent aurait pu faire une évaluation différente de la preuve ou trancher certaines questions davantage en faveur des demandeurs, je ne vois aucun motif impérieux de conclure que l’agent n’a pas appliqué les normes juridiques établies dans l’arrêt Kanthasamy auxquelles sont assujetties les décisions relatives à des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire.

[37] En outre, je ne crois pas que l’agent ait fondamentalement mal compris la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, comme l’affirment les demandeurs.

[38] Par conséquent, je conclus que la première position générale des demandeurs ne peut être retenue. Ils n’ont pas établi que la décision de l’agent relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire comporte une erreur susceptible de contrôle pour les motifs invoqués.

B. L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit dans son évaluation de l’établissement au Canada?

[39] Le deuxième argument général avancé par les demandeurs est que l’agent a commis une erreur de droit dans son évaluation de l’établissement au Canada. Si je comprends bien leur argument, les demandeurs soutiennent que l’agent a analysé la question de savoir s’ils pouvaient s’établir à nouveau en Chine au lieu d’évaluer l’importance de leur établissement au Canada, contrairement aux indications que la Cour a données dans Lauture aux paragraphes 19 à 26 (qui cite Sebbe, au para 21).

[40] Je ne souscris pas à l’argument des demandeurs pour deux raisons. Premièrement, il est évident que l’agent a expressément tenu compte de l’établissement des demandeurs au Canada, y compris (sous la rubrique « Établissement au Canada ») du poste de chef cuisinier du demandeur au restaurant Sam’s Congee Delights et de la preuve à l’appui présentée par le propriétaire du restaurant; des activités bénévoles de la famille au sein de la Scarborough Chinese Canadian Association et des activités de l’association auxquelles la famille a participé; de la situation financière des demandeurs, par l’examen de leurs déclarations de revenus, de leurs relevés bancaires et de leurs documents d’assurance; et des attaches familiales des demandeurs au Canada ainsi des relations d’amitié qu’ils ont nouées.

[41] Deuxièmement, l’évaluation que l’agent a faite de l’établissement au Canada n’est pas entachée par l’observation – sur laquelle le demandeur a insisté – que l’agent a formulée à la fin de ses motifs, plus de trois pages après la section « Établissement au Canada ». Vers la fin de la section intitulée « Risques et conditions défavorables dans le pays », l’agent a fait observer que M. Liu était une personne ingénieuse capable de s’adapter, qu’il pourrait se réinstaller à l’endroit de son choix en Chine, qu’il trouverait probablement un emploi, qu’il connaissait la langue, la culture et le style de vie chinois, et qu’il pourrait retrouver des membres de sa famille en Chine. Je suis d’avis que les deux parties des motifs de l’agent ne sont pas contradictoires (comme le prétendent les demandeurs) et ne vont pas à l’encontre des principes juridiques invoqués par le demandeur.

V. Conclusion

[42] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question grave à certifier en vue d’un appel.

JUGEMENT dans le dossier IMM‑202‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

« Andrew D. Little »

 

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑202‑21

 

INTITULÉ :

ZHANPENG LIU, ZIJUN WU, JUNYI LIU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JANVIER 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A. D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Rachel Hepburn Craig

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wennie Lee

Lee & Company

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Rachel Hepburn Craig

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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