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Date : 20220221


Dossier : IMM‑1121‑21

Référence : 2022 CF 228

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2022

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

ROSEMARY EDIRI ENWELIKU, EMMANUEL CHIKOGWU ENWELIKU, RAYMOND NDUKA ENWELIKU ET

VICTORIA IFEKAM ENWELIKU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) à l’égard de la décision rendue le 12 février 2021 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR). La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) portant que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la LIPR, respectivement. La question déterminante dans la demande d’asile tenait à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI).

[2] Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

II. Les faits

[3] Rosemary Ediri Enweliku (la demanderesse principale ou Mme Enweliku) et ses enfants, une fille mineure et deux fils mineurs, sont citoyens du Nigéria.

[4] Les demandeurs craignent que Mme Enweliku et sa fille soient soumises à la mutilation génitale féminine (MGF) aux mains de la belle-famille de Mme Enweliku. Mme Enweliku craint également d’être victime des fraudeurs qu’elle a dénoncés lorsqu’elle travaillait dans une banque à Benin City, au Nigéria, en 2017.

A. La question de la fraude

[5] Lorsqu’elle travaillait à la banque, Mme Enweliku a découvert une opération frauduleuse. Elle l’a signalée à son superviseur et a ainsi exposé les fraudeurs, à la suite de quoi des inconnus ont commencé à lui faire des menaces et à l’avertir de ne pas se mêler de cette affaire. Quelques semaines après la découverte de la fraude, elle a failli être tuée lorsque des inconnus lui ont tiré dessus alors qu’elle conduisait une voiture. Elle affirme avoir été suivie à au moins deux reprises.

[6] Les fraudeurs lui ont ensuite extorqué de l’argent, en échange duquel ils ont dit qu’ils cesseraient de la prendre pour cible. Même s’il n’a jamais payé en totalité la somme demandée, l’époux de Mme Enweliku en a payé une partie. Mme Enweliku a continué de recevoir des menaces de mort.

[7] Le 30 juin 2017, les demandeurs ont déménagé dans un domaine familial au village de la mère de Mme Enweliku, à Ibillo, au Nigéria. Plus tard, Mme Enweliku est allée vivre chez sa sœur à Lagos, au Nigéria. À la suite de ce déménagement, Mme Enweliku affirme avoir reçu un appel téléphonique anonyme en mars 2018. L’homme qui lui a téléphoné lui a dit qu’il savait où elle se trouvait et que, cette fois, elle ne s’échapperait pas. Mme Enweliku est donc allée se réfugier brièvement chez l’amie de sa sœur à Lagos.

B. La question de la MGF

[8] L’oncle de l’époux de Mme Enweliku est prêtre en chef de son village local. Il s’attend à ce que Mme Enweliku et sa fille subissent une MGF. Il a dit que si la demanderesse principale n’acceptait pas le rituel, elle serait tuée et sa fille serait soumise à la MGF. En juillet 2017, pendant qu’elle vivait à Ibillo, Mme Enweliku a reçu un appel téléphonique anonyme d’une personne qui lui a dit qu’elle et sa fille devaient subir une MGF d’ici la fin de l’année. Mme Enweliku a donc déménagé chez son père dans l’État de Delta, puis chez son frère dans l’État de Bayelsa. Cependant, elle a continué de recevoir des renseignements selon lesquels sa belle-famille continuait de la rechercher en vue de pratiquer le rituel. Après que les demandeurs ont emménagé chez la sœur de Mme Enweliku à Lagos, la demanderesse n’a pas reçu d’autre menace au sujet de la MGF.

C. Le voyage vers le Canada

[9] Le 31 mars 2018, les demandeurs ont quitté le Nigéria pour se rendre aux États-Unis. Ils sont entrés au Canada par un point d’entrée non officiel et ont demandé l’asile le 2 avril 2018.

[10] La SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs. Elle a conclu qu’ils disposaient d’une PRI viable à Abuja, au Nigéria. La SPR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve fiables et crédibles pour démontrer que la belle-famille de Mme Enweliku aurait la détermination ou la capacité de la rechercher à Abuja. Elle a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que les fraudeurs continuaient de rechercher Mme Enweliku ou qu’ils continueraient de la rechercher à Abuja. En outre, elle a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’il serait dangereux ou déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, que les demandeurs cherchent refuge dans la ville proposée comme PRI.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[11] Le 12 février 2021, la SAR a confirmé le rejet par la SPR des demandes d’asile des demandeurs. Elle a jugé que la SPR avait eu raison de conclure qu’Abuja était une PRI viable pour les demandeurs.

[12] La SAR a accepté comme nouveaux éléments de preuve les deux documents suivants : un rapport sur l’avancement de la psychothérapie de Mme Enweliku, qui décrivait le traitement en cours, et un affidavit de celle-ci dans lequel elle alléguait, entre autres, la partialité de la SPR.

A. Le risque de persécution de la part de la belle-famille

[13] Selon la SAR, la SPR avait eu raison de conclure que les demandeurs pourraient vivre en sécurité à Abuja et qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que Mme Enweliku et sa fille soient retrouvées et soumises à la MGF. La justification de cette conclusion tirée par la SAR est fondée sur les éléments suivants :

  • il est beaucoup moins probable que les demandeurs soient retrouvés à Abuja parce qu’ils ne resteraient pas chez des membres de la famille, contrairement à ce qui s’était passé lors de leurs déménagements précédents;

  • la belle-famille de Mme Enweliku ne s’est pas approchée de celle-ci lorsqu’elle vivait chez sa sœur à Lagos;

  • il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que la belle-famille serait en mesure d’obtenir le numéro de téléphone de Mme Enweliku ou qu’elle serait encline à l’obtenir.

B. Le risque de préjudice de la part des fraudeurs

[14] Selon la SAR, la SPR avait raison lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que les fraudeurs continuaient de rechercher Mme Enweliku ou qu’ils continueraient de la rechercher à Abuja. La justification de la SAR est fondée sur les éléments suivants :

  • rien dans la preuve ne montre que les fraudeurs sont liés à la mafia ou qu’ils sont présents partout au Nigéria;

  • il n’y a rien dans la preuve pour appuyer l’affirmation des demandeurs selon laquelle les fraudeurs ont des liens avec les forces de sécurité nigérianes, qu’ils auraient infiltrées et compromises;

  • la SPR a eu raison de conclure que l’absence de contact avec l’époux de Mme Enweliku depuis 2017 indique que les fraudeurs ne la poursuivent plus;

  • contrairement à ce qu’affirme Mme Enweliku, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’un plan de type mafieux serait établi pour la tuer si elle retournait au Nigéria.

C. Le caractère raisonnable de la PRI à Abuja

[15] Après son évaluation indépendante du caractère raisonnable d’Abuja en tant que PRI, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté d’argument convaincant selon lequel un déménagement à Abuja mettrait en péril leur vie ou leur sécurité.

[16] La SAR s’est penchée précisément sur les questions soulevées dans le rapport initial du psychothérapeute, qui était à la disposition de la SPR, et dans le rapport sur l’avancement de la psychothérapie, qui a été admis comme nouvel élément de preuve. Elle a conclu que la SPR avait correctement traité le rapport initial du psychothérapeute. Elle a également conclu, après avoir examiné le rapport sur l’avancement de la psychothérapie, que rien n’indiquait que Mme Enweliku ne pourrait pas poursuivre son plan de traitement à Abuja. De plus, la SAR a jugé qu’il n’y avait aucune raison pour laquelle l’état de Mme Enweliku ne pourrait pas continuer de s’améliorer une fois que celle-ci serait installée à Abuja.

D. L’allégation de partialité

[17] La SAR a rejeté l’allégation de Mme Enweliku selon laquelle la SPR avait fait preuve de partialité. Les demandeurs n’ont pas soulevé la question de la partialité comme motif de contrôle judiciaire dans la présente demande.

IV. Les dispositions pertinentes

[18] Les articles 96 et 97 de la LIPR sont les dispositions pertinentes en l’espèce et figurent à l’annexe ci-jointe.

V. La question en litige

[19] La seule question en litige est celle de savoir si la décision de la SAR concernant la PRI est raisonnable. Les demandeurs contestent le caractère raisonnable de la décision en se fondant sur les éléments suivants : l’évaluation faite par la SAR du risque que Mme Enweliku et sa fille subissent une MGF; l’évaluation faite par la SAR du risque que des fraudeurs retrouvent Mme Enweliku et s’en prennent à elle; le défaut par la SAR d’examiner sérieusement les éléments de preuve psychologiques et psychothérapeutiques; le fait que la SAR est parvenue à une conclusion contraire à ce que montraient les éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays sans se référer à ces éléments; et le défaut par la SAR d’appliquer les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives).

VI. Analyse

[20] Les parties conviennent que la décision de la SAR doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord avec elles (Canada (MCI) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 25). Aucune des exceptions à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce (Vavilov, au para 17.)

[21] « [U]ne décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Les lacunes superficielles ou accessoires ne suffisent pas à infirmer une décision (Vavilov, au para 100). Surtout, la cour de révision doit examiner la décision dans son ensemble et s’abstenir de procéder à une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Vavilov, aux para 85 et 102).

[22] Suivant le critère à deux volets relatif à une PRI, le décideur doit être convaincu de ce qui suit : i) le demandeur d’asile ne serait pas exposé, à l’endroit proposé comme PRI, à une possibilité sérieuse de persécution, au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités; ii) il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui lui sont propres, de chercher refuge à l’endroit proposé comme PRI (Thirunavukkarasu, aux pp 593, 597). Les deux volets du critère doivent être satisfaits pour que la SPR ou la SAR conclue qu’il existe une PRI viable (Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 9). Dès lors qu’une PRI est relevée par la SPR ou par la SAR, il incombe au demandeur d’asile de prouver que la PRI n’est pas viable (Thirunavukkarasu, aux pp 594-595).

[23] L’existence d’une PRI viable entraîne le rejet d’une demande d’asile présentée au titre des articles 96 ou 97 de la LIPR, indépendamment du bien-fondé des autres aspects de la demande (Barragan Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 502 aux para 45-46; Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 7).

A. La question de la MGF

[24] Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte de l’indifférence de l’époux de Mme Enweliku à l’idée que son épouse et sa fille subissent une MGF forcée. Les demandeurs font remarquer qu’il ressort des éléments de preuve que l’époux de Mme Enweliku était ambivalent à l’égard de la question de la MGF, car il ne voulait pas [traduction] « choisir son camp ». Ils soutiennent que ce facteur est important, car il démontre que Mme Enweliku ne peut pas se fier à son époux pour qu’il l’appuie elle et sa fille contre sa famille, s’ils retournent au Nigéria. Les demandeurs soutiennent qu’il est fort possible que la belle-famille de Mme Enweliku les retrouve à Abuja par l’intermédiaire de l’époux de Mme Enweliku.

[25] Les demandeurs soutiennent qu’ils seraient tenus de vivre cachés à Abuja afin d’éviter d’être en contact avec l’époux de Mme Enweliku. On ne peut pas s’attendre à ce qu’un demandeur d’asile se tienne caché pour que le lieu envisagé comme PRI soit raisonnable (Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 93 au para 50; Zaytoun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 939 au para 16). Les demandeurs soutiennent que le fait de ne pas pouvoir communiquer l’endroit où ils se trouvent à leur famille revient à exiger qu’ils se tiennent cachés (Zamora Huerta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 586 au para 29).

[26] L’idée des demandeurs selon laquelle l’époux de Mme Enweliku aiderait sa famille à retrouver les demandeurs à Abuja est hypothétique. En fait, lorsque la famille de l’époux de Mme Enweliku lui a demandé qu’il amène sa femme et sa fille dans leur village pour subir une MGF, il a refusé. Sa réponse n’indique pas qu’il divulguerait l’endroit où les trouver.

[27] De plus, en ce qui concerne la prétendue ambivalence de l’époux à l’égard de la MGF, je souligne que les demandeurs soulèvent la question pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Comme la Cour l’a déclaré dans la décision Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12, la décision de la SAR doit être examinée en fonction de la manière dont l’appel est formulé :

[24] La commissaire de la SAR était tenue de se pencher sur les erreurs particulières alléguées par les demandeurs (Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 au para 30). C’est exactement ce qu’elle a fait. Elle n’avait pas l’obligation d’aller au‑delà du cadre des motifs d’appel avancés par les demandeurs et d’examiner d’autres erreurs potentielles. Par conséquent, il n’était pas déraisonnable pour elle de trancher l’appel comme elle l’a fait.

Étant donné que les demandeurs n’ont pas soulevé la prétendue ambivalence de l’époux à l’égard de la MGF en appel devant la SAR, j’estime qu’il est inapproprié que la Cour effectue un contrôle judiciaire sur la base de ce motif.

[28] Je rejetterais également l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils seraient tenus de se cacher à Abuja afin d’éviter tout contact avec l’époux de Mme Enweliku. Premièrement, rien n’indique que l’époux serait enclin à divulguer l’endroit où se trouvent son épouse et sa fille à sa famille. Deuxièmement, la SAR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels la belle-famille de Mme Enweliku continuerait de les rechercher, elle et sa fille, à Abuja. Cette conclusion est largement fondée sur le fait que la belle-famille n’avait fait aucun effort pour retrouver Mme Enweliku lorsqu’elle vivait chez sa sœur à Lagos.

B. Le risque de préjudice de la part des fraudeurs

[29] Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle Mme Enweliku devait toujours aux fraudeurs une partie de la somme qu’ils avaient exigée. Ils soutiennent que cela constitue une preuve crédible de la motivation des fraudeurs à continuer de la poursuivre. Les demandeurs affirment que le fait de ne pas avoir payé le plein montant contredit la conclusion de la SAR selon laquelle il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels les fraudeurs sont motivés à continuer de rechercher Mme Enweliku. Les demandeurs soutiennent qu’il est déraisonnable de ne pas tenir compte d’éléments de preuve lorsqu’ils sont directement en lien avec l’affaire (Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 393 au para 36).

[30] Il s’agit d’une règle de droit bien connue qu’un décideur administratif est présumé avoir pris en considération tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés (Hassan v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1992] FCJ no 946. Une lecture attentive de la décision de la SAR montre qu’elle a tenu compte, au paragraphe 37, du fait que la somme exigée n’avait pas été entièrement payée. La Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur (Vavilov, au para 125). La SAR a pris en considération tous les faits pertinents, y compris le fait que l’époux de Mme Enweliku, qui vit au Nigéria et qui a payé une partie de la somme extorquée, n’a pas été contacté par les fraudeurs depuis 2017. La SAR a raisonnablement conclu que les fraudeurs ne continueraient pas à rechercher Mme Enweliku à Abuja.

C. La prétendue omission d’examiner sérieusement les rapports sur la psychothérapie

[31] Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas examiné sérieusement le premier rapport du psychothérapeute, qui a été présenté à la SPR, et le rapport sur l’avancement de la psychothérapie, qui a été admis comme nouvel élément de preuve (les rapports). Ils soutiennent que la SAR a omis de mentionner en quoi l’état psychologique de Mme Enweliku pourrait avoir une incidence sur elle et ses enfants lors de leur réinstallation à Abuja, invoquant la décision Okafor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1002, au paragraphe 13, et la décision Asif c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1323, au paragraphe 33. Ils soutiennent en outre que, contrairement à ce qu’a conclu la SAR, les rapports indiquent que la santé mentale de Mme Enweliku se détériorera si elle retourne au Nigéria.

[32] Voici l’extrait pertinent du rapport initial du psychothérapeute :

[traduction]
Compte tenu du danger immédiat auquel Mme Enweliku était exposée dans son pays d’origine et de l’attitude négative et agressive que des membres de sa famille ont manifestée envers elle et sa fille, en exigeant qu’elles se soumettent à des rituels barbares terrifiants, il est très peu probable que Mme Enweliku cesse de souffrir d’anxiété, de dépression et d’un trouble de stress post-traumatique si elle doit retourner au Nigéria.
De plus, nous pouvons supposer que sa santé mentale ne s’améliorerait pas, mais empirerait, une fois de retour au pays qu’elle a dû fuir pour sauver sa vie parce qu’elle ne s’y sentait pas protégée. [Non souligné dans l’original.]

L’extrait pertinent du rapport sur l’avancement de la psychothérapie est ainsi libellé :

[traduction]
Nous tenons à souligner que nous avons toutes les raisons de nous attendre à ce que, compte tenu du degré de traumatisme de la patiente et d’après les six séances de traitement menées avec elle à ce jour, ses cauchemars, ses images du passé et son sentiment de panique augmentent si elle est de nouveau exposée à la cause profonde de son traumatisme initial au Nigéria.
Le traumatisme récent vécu par Mme Enweliku, qui entrave encore son adaptation au Canada, créant ainsi un trouble de l’adaptation, démontre que le syndrome de stress post-traumatique actuel de la patiente, qui découle de son expérience d’un danger intense au Nigéria, pourrait augmenter si elle était de nouveau exposée à ce danger inévitable. Nous estimons également qu’il y a tout lieu de craindre que ses symptômes de trouble dépressif et de trouble anxieux reviennent à leur niveau de départ, voire s’intensifient, si elle retourne au Nigéria. [Non souligné dans l’original.]

[33] La SAR a ainsi fait état de son évaluation des rapports :

[39] […] [La SPR] a examiné le plan de traitement de Mme E. dans le rapport [initial] du psychothérapeute et a constaté qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve montrant qu’un tel traitement ne serait pas accessible à Abuja. […]

[42] J’ai effectué une évaluation indépendante du caractère raisonnable d’Abuja en tant que PRI. J’ai tenu compte des considérations pertinentes mentionnées dans le mémoire des appelants et je conclus que la SPR a abordé correctement toutes ces considérations, y compris le rapport du psychothérapeute. J’ai examiné le rapport d’étape [ultérieur] sur le traitement par un psychothérapeute accepté comme nouvel élément de preuve et je souligne qu’il indique une certaine amélioration de l’état de santé de Mme E. Rien dans le rapport ni aucune autre preuve ne permettent d’établir que Mme E. ne pourrait pas poursuivre le plan de traitement à Abuja. Je souscris à la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y a aucune raison apparente pour laquelle Mme E. ne pourrait pas poursuivre sa thérapie là-bas, de sorte que son état pourra continuer de s’améliorer. [Non souligné dans l’original.]

[34] Le défendeur soutient que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son examen des rapports. Il souligne que, dans le rapport le plus récent, soit le rapport sur l’avancement de la psychothérapie, il est indiqué que le fait pour Mme Enweliku d’être exposée de nouveau à [traduction] « la cause profonde de son traumatisme initial au Nigéria » pourrait avoir des conséquences négatives sur sa santé mentale. Étant donné que la SPR et la SAR ont toutes deux conclu que Mme Enweliku ne serait pas exposée à une possibilité sérieuse de persécution à Abuja, le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu qu’elle ne serait pas exposée aux incidents négatifs désignés comme « la cause profonde de son traumatisme initial ».

[35] Bien que je convienne que l’impact psychologique d’une réinstallation sur un demandeur est un facteur important dont il faut tenir compte dans le deuxième volet du critère relatif à la PRI (Carthagène c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 289 au para 11), je ne souscris pas à l’affirmation des demandeurs selon laquelle la SAR n’a pas examiné les rapports sérieusement.

[36] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait (Vavilov, au para 125). En l’espèce, les motifs de la SAR montrent qu’elle connaissait l’existence des rapports de psychothérapie et qu’elle les a examinés. Je conviens qu’à première vue, il peut sembler contradictoire que la SAR ait conclu que l’état de santé de la demanderesse principale pourrait continuer de s’améliorer à Abuja, même si le rapport daté du 1er octobre 2019 indique le contraire. Toutefois, je suis convaincu que lorsqu’elle a tiré cette conclusion, la SAR a tenu compte du rapport le plus récent, celui daté du 11 mars 2020. Il était raisonnable que la SAR accorde plus de poids à ce rapport, puisqu’il a été préparé après que Mme Enweliku a eu suivi six séances de psychothérapie. Le rapport le plus récent contenait une meilleure évaluation de l’état d’esprit de Mme Enweliku. Je reconnais que le rapport le plus récent indique que l’état de santé de Mme Enweliku s’aggraverait si elle était exposée à ses agents de persécution. Toutefois, étant donné que la SAR a raisonnablement conclu qu’elle serait en sécurité à Abuja, son évaluation des rapports est raisonnable.

[37] Je souligne qu’il ne s’agit pas d’une situation où la SAR a fait abstraction des rapports ni d’une situation où elle s’est concentrée uniquement sur la possibilité d’obtenir des soins de santé mentale dans la ville proposée comme PRI. Le raisonnement adopté par la Cour dans la décision Attama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 903, s’applique en l’espèce :

[20] En résumé, la SAR a reconnu la preuve psychologique et a examiné la question de sa pertinence au regard du second volet du critère relatif à la PRI. Elle a raisonnablement pris en compte les répercussions qu’aurait un retour au pays et n’a pas limité son analyse aux questions de l’accessibilité et de l’abordabilité des traitements en santé mentale dans les villes proposées comme PRI. L’appréciation et l’évaluation des éléments de preuve relèvent du pouvoir discrétionnaire et de l’expertise de la SAR, et il n’appartient pas à la Cour en contrôle judiciaire de soupeser ou d’apprécier la preuve à nouveau : Vavilov aux para 125‑126. Il était loisible à la SAR de conclure que le rapport de la psychologue n’était pas suffisant pour établir qu’il serait déraisonnable pour M. Attama de chercher refuge dans l’une des villes proposées comme PRI, et les motifs de la SAR sont transparents, intelligibles et justifiés.

D. La SAR a tiré une conclusion contraire aux éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays

[38] Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays concernant les difficultés auxquelles sont exposées les femmes sans conjoint qui se réinstallent au Nigéria. Ils soutiennent que la SAR s’est référée à des documents sur la situation du pays qui appuient ses conclusions, mais qu’elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve objectifs, qui démontrent un taux de chômage élevé chez les femmes au Nigéria et une discrimination à l’égard des personnes non autochtones. Ils affirment qu’il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 53 au para 17).

[39] La preuve relative à la situation dans le pays ne contredit pas la conclusion de la SAR selon laquelle Mme Enweliku pourrait trouver un emploi à Abuja. La SAR a reconnu les difficultés qu’éprouvent les femmes à trouver un emploi au Nigéria, en général, et à Abuja, en particulier, mais a conclu qu’étant donné le niveau de scolarité élevé de Mme Enweliku et ses antécédents professionnels, il est probable qu’elle trouve un emploi à Abuja. La question n’est pas de savoir si je suis d’accord ou non avec cette conclusion. La Cour n’a pas pour rôle de soupeser ni d’apprécier à nouveau la preuve. La conclusion de la SAR à cet égard est cohérente, transparente et étayée par la preuve. Je ne peux pas conclure qu’elle n’a pas les caractéristiques d’une décision raisonnable.

E. L’application des Directives

[40] Les demandeurs soutiennent également que la SAR n’a pas tenu compte des Directives et ne les a pas appliquées. Ils affirment que la SAR, en omettant de mentionner les Directives dans sa décision, a fait preuve d’insensibilité à leur égard. Les demandeurs affirment que l’omission de fournir une analyse de la façon dont les Directives ont été appliquées constitue une erreur susceptible de contrôle. Ils citent la décision Higbogun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 445, au paragraphe 32 et la décision Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 663, au paragraphe 18.

[41] Cela dit, un tribunal administratif n’est pas tenu de mentionner expressément les Directives pour démontrer qu’il était sensible à une demande fondée sur des motifs liés au genre. (Voir les décisions Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 625 [Yu] au para 22; Ingabire c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1662 au para 7; Pozos Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 31 au para 22; Correa Juarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 890 aux para 17-18.) Une lecture attentive de la décision montre que la SAR était pleinement consciente des questions liées au genre en ce qui concerne l’emploi, la MGF et le fait que Mme Enweliku retournerait au Nigéria en tant que femme sans conjoint.

[42] Enfin, je souligne que les demandeurs n’ont pas contesté l’application des Directives par la SPR lors de leur appel devant la SAR, et qu’ils n’ont pas non plus expliqué dans leurs observations en quoi la prétendue omission d’appliquer les Directives a entraîné une erreur susceptible de contrôle (Yu, au para 22). Comme indiqué plus haut, au paragraphe 27, il serait inapproprié pour la Cour d’accueillir une demande de contrôle judiciaire sur la base d’un motif qui n’a pas été soulevé devant la SAR.

VII. Conclusion

[43] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable (Vavilov, au para 100). Je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

« B. Richard Bell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Noémie Pellerin Desjarlais


ANNEXE

 

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Définition de réfugié

Convention Refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1121‑21

 

INTITULÉ :

ROSEMARY EDIRI ENWELIKU, EMMANUEL CHIKOGWU ENWELIKU, RAYMOND NDUKA ENWELIKU, VICTORIA IFEKAM ENWELIKU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 février 2022

 

COMPARUTIONS :

Josephat Nwabuokei

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Amy King

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blue House Law Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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