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Date : 20220225


Dossier : IMM‑1841‑20

Référence : 2022 CF 272

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 février 2022

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

SAMUEL AIGBE UWAMUSI ET

VICTOR OSAMEDIAMEH UWAMUSI

demandeurs

et

LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

  1. Aperçu

[1] Les demandeurs, deux frères, sont des citoyens du Nigéria. Leur demande de résidence permanente a été rejetée par un agent des visas [l’agent], qui a conclu qu’ils n’appartenaient pas à la catégorie du regroupement familial au sens de l’article 117 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. L’agent a également conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas qu’ils soient dispensés des exigences prévues dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Les demandeurs sollicitent, au titre de l’article 72 de la LIPR, le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent le 4 novembre 2019. Ils soutiennent que la décision de l’agent à l’égard de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était déraisonnable.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. La conclusion de l’agent selon laquelle les demandeurs n’ont pas démontré qu’il était justifié de les exempter des exigences prévues dans la LIPR était raisonnable.

II. Le contexte

[4] Aux termes de l’alinéa 117(9)d) du RIPR, n’est pas considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial l’étranger qui, à l’époque où le répondant potentiel est devenu résident permanent, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle. Les dispositions pertinentes du RIPR sont reproduites ci‑dessous par souci de commodité :

SECTION 1

Regroupement familial

116 Pour l’application du paragraphe 12(1) de la Loi, la catégorie du regroupement familial est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents sur le fondement des exigences prévues à la présente section.

117 (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

[…]

b) ses enfants à charge;

[…]

Restrictions

117(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

[…]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

DIVISION 1

Family Class

116 For the purposes of subsection 12(1) of the Act, the family class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of the requirements of this Division.

117 (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

[…]

(b) a dependent child of the sponsor;

[…]

Excluded relationships

117(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if:

[…]

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

[5] La mère des demandeurs est arrivée au Canada en 2002 et était parrainée par sa mère à titre d’enfant à charge. Elle est devenue résidente permanente en 2003. Elle n’a pas révélé qu’elle avait un conjoint de fait et deux enfants lorsqu’elle a présenté sa demande de résidence permanente. En conséquence, ces membres de la famille n’ont pas fait l’objet d’un contrôle.

[6] En décembre 2003, la mère des demandeurs s’est rendue au Nigéria et a épousé son conjoint de fait. Elle a ensuite présenté deux demandes consécutives de parrainage au titre de la catégorie du regroupement familial pour son époux et les fils de ce dernier. Lorsqu’elle a fait ces demandes, elle n’a pas mentionné qu’elle avait connu son époux avant 2003 et qu’elle était la mère biologique de ses deux fils. Les deux demandes ont été rejetées.

[7] En février 2019, la mère des demandeurs a présenté une autre demande afin de parrainer ses deux fils. Dans cette demande, elle a dévoilé avec exactitude la relation qu’elle entretenait depuis longtemps avec son époux et elle a précisé que ses fils étaient ses enfants biologiques. Dans une décision datée du 4 novembre 2019, sa demande a été rejetée. L’agent a conclu que les deux fils n’appartenaient pas à la catégorie du regroupement familial en application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR. Il a également conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne suffisaient pas pour justifier de passer outre à l’exclusion.

[8] La mère des demandeurs a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel de l’immigration [la SAI]. La SAI a confirmé la décision d’exclusion, mais a jugé qu’elle n’avait pas compétence pour examiner l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire effectuée par l’agent, une question qui devait plutôt être tranchée dans le cadre d’un contrôle judiciaire (art 65 de la LIPR; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Chen, 2014 CF 262; Habtenkiel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 180; Seshaw c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 181).

  • [9] L’appréciation des motifs d’ordre humanitaire effectuée par l’agent est en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[10] Dans les notes qu’il a consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], l’agent a énoncé les raisons pour lesquelles il a conclu que rien ne justifiait que l’on accorde une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire à l’un ou l’autre des demandeurs.

[11] L’agent a reconnu que les demandeurs avaient principalement été élevés par leur père et qu’il était difficile de déterminer leur degré de dépendance par rapport à leur mère. À cet égard, il a souligné que peu de documents avaient été fournis concernant le degré de dépendance entre les demandeurs et leur mère avant que celle‑ci s’installe au Canada. Il a examiné la preuve documentaire faisant état des répercussions que subissent les enfants élevés par un seul parent ou sans mère, mais il a jugé qu’elle contenait très peu de renseignements sur la façon dont les demandeurs ont été personnellement affectés par le fait d’avoir été élevés par leur père.

[12] Lorsqu’il s’est penché sur l’affirmation selon laquelle les demandeurs ne bénéficiaient pas du soutien financier de leur père, l’agent a souligné que ce dernier n’avait présenté aucun élément de preuve qui le confirme. L’agent a pris acte des éléments de preuve démontrant que la mère s’est rendue au Nigéria à quatre reprises, qu’elle a échangé des messages textes avec les demandeurs en 2018, et qu’elle leur a envoyé de l’argent de 2015 à 2018.

[13] L’agent a conclu que les demandeurs sont des adultes instruits qui ont étudié à l’université au Nigéria, qu’ils ont de la famille dans ce pays et qu’ils n’ont aucun problème de santé. Il a accordé peu de poids à la possibilité que les demandeurs soient séparés de leur mère de façon permanente, soulignant qu’ils avaient déjà reçu la visite de leur mère au Nigéria et qu’ils peuvent présenter une demande de permis d’études au Canada. Il a également fait remarquer que leur mère n’avait pas affirmé qu’elle souffrirait personnellement du fait d’être séparée des demandeurs.

IV. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[14] La demande soulève une seule question : l’analyse des motifs d’ordre humanitaire faite par l’agent, y compris son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants, était‑elle raisonnable?

[15] Il n’est pas contesté que la décision de l’agent à l’égard de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Khandaker c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 985 au para 17). Une décision raisonnable est une décision qui est justifiée, transparente et intelligible et qui appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 86).

V. Analyse

[16] Les demandeurs font valoir que, lorsqu’il a apprécié les motifs d’ordre humanitaire invoqués à l’appui de leur demande, l’agent a accordé un poids excessif à leur exclusion de la catégorie du regroupement familial et au fait que leur mère n’avait pas mentionné sa relation avec son conjoint de fait ni sa filiation avec ses enfants au moment de présenter sa demande de résidence permanente. Selon eux, l’agent a jugé que ces facteurs étaient déterminants lors de l’examen de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, ce qui l’a amené à ignorer ou à écarter certains éléments de preuve.

[17] Dans les notes qu’il a consignées dans le SMGC, l’agent énonce les circonstances dans lesquelles la demande a été présentée et il mentionne que les demandeurs sont exclus de la catégorie du regroupement familial en application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR. Toutefois, lorsqu’il a apprécié les motifs d’ordre humanitaire soulevés par les demandeurs, il n’a pas tenu compte de la conduite de la mère ni de l’exclusion des demandeurs de la catégorie du regroupement familial. D’après les notes versées au SMGC, l’agent s’est intéressé aux motifs d’ordre humanitaire invoqués à l’appui de la demande et a procédé à leur appréciation.

[18] À mon avis, rien dans les notes versées par l’agent dans le SMGC n’étaye l’argument selon lequel l’exclusion des demandeurs de la catégorie du regroupement familial était un facteur prépondérant ou déterminant dans l’examen de la demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[19] Les demandeurs soutiennent en outre que l’agent a accordé [traduction] « très peu d’importance » à la preuve documentaire exposant les difficultés liées au fait d’être élevé par un parent ou un père monoparental et qu’il n’a pas tenu compte des éléments de preuve qu’ils avaient présentés pour démontrer la détresse qu’ils ressentaient après les visites de leur mère au Nigéria. Ils affirment que cette preuve démontre que la séparation les a affectés personnellement et que le maintien de la séparation aurait des répercussions négatives permanentes sur leur mère et sur eux.

[20] L’agent a pris acte de la preuve documentaire concernant les enfants élevés dans des familles monoparentales, mais il a fait remarquer qu’aucun des éléments de preuve présentés n’indiquait que les demandeurs avaient éprouvé ou éprouvaient des problèmes sociaux, affectifs ou psychologiques en raison de l’absence de leur mère. Il a également reconnu et pris en compte les éléments de preuve démontrant que les demandeurs étaient bouleversés après les visites de leur mère au Nigéria, mais il y a accordé peu de poids, estimant que la réaction rapportée (pleurs et mauvaise humeur) est normale lorsqu’un membre de la famille part après une visite. L’agent n’a pas commis d’erreur lors de l’examen de la preuve documentaire.

[21] Les demandeurs contestent également la façon dont l’agent a traité la preuve concernant l’appauvrissement de leur père et le soutien financier fourni par leur mère. Ils prétendent que l’agent n’a pas reconnu que leur mère portait un fardeau financier et que le coût de ses voyages au Nigéria alourdissait ce fardeau. Ils soutiennent que ces facteurs étaient pertinents pour l’appréciation de leur intérêt supérieur.

[22] Aucun de ces arguments ne me convainc. L’agent a examiné la preuve et a répondu aux arguments soulevés en faisant remarquer que [traduction] « certains éléments de preuve indiquaient qu’il y a eu des virements de fonds » entre 2015 et 2018 et que la mère s’est rendue au Nigéria à quatre reprises entre 2007 et 2014. Il a également fait observer que le père des demandeurs n’a pas mentionné qu’il était incapable de soutenir financièrement ses fils. Il était raisonnable de la part de l’agent d’accorder peu de poids ou d’importance à ces facteurs lorsqu’il s’est demandé si une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire était justifiée.

[23] Les demandeurs prétendent également que l’agent ne s’est pas demandé s’il était dans leur intérêt supérieur d’être réunis avec leur mère au Canada. Ils soutiennent qu’il a accordé un trop grand poids au fait qu’ils étaient adultes lors du dépôt de la demande de parrainage et que, ce faisant, il n’a pas tenu compte du fait qu’ils sont étudiants à l’université et qu’ils dépendent du soutien financier de leur mère. Ils affirment qu’en prenant en considération la présence de membres de leur famille au Nigéria, leurs études universitaires et leur absence de problèmes médicaux, l’agent a procédé à une analyse des difficultés au lieu d’apprécier globalement leur intérêt supérieur.

[24] Suivant la jurisprudence, l’intérêt supérieur des personnes âgées de plus de 18 ans peut être pris en compte (Ramsawak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 636 au para 18). En l’espèce, l’agent a bel et bien pris en compte l’intérêt supérieur des demandeurs.

[25] L’appréciation de l’intérêt supérieur d’un enfant dépend fortement du contexte et « doit [...] tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité » (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 35). L’âge, le niveau de scolarité et les capacités des demandeurs, de même que leurs liens avec le Nigéria, sont tous des facteurs et des circonstances dont il faut tenir compte lors de l’appréciation de leur intérêt supérieur.

[26] En l’espèce, l’agent a examiné les motifs d’ordre humanitaire soulevés (y compris l’intérêt supérieur des demandeurs) de façon raisonnable et globale au vu de la preuve présentée et a tenu compte de la situation des demandeurs.

VI. Conclusion

[27] Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la décision de l’agent est raisonnable. La demande est rejetée.

[28] Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier, et je suis d’avis que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1841‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

Blanc

« Patrick Gleeson »

Blanc

Juge

Traduction certifiée conforme

Manon Pouliot, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1841‑20

 

INTITULÉ :

SAMUEL AIGBE UWAMUSI ET VICTOR OSAMEDIAMEH UWAMUSI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Solomon Orjiwuru

 

POUR LES DEMANDEURS

 

John Loncar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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