Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220222


Dossier : IMM‑281‑21

Référence : 2022 CF 238

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2022

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

TASHANA SANEEK DAVIS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Mme Davis [la demanderesse] sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 4 janvier 2021 [la décision contestée] par laquelle un agent principal d’immigration [l’agent] a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. En vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], l’agent a conclu que les considérations d’ordre humanitaire ne suffisaient pas pour justifier une levée des exigences habituelles applicables en matière de résidence permanente.

[2] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Le contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne de la Jamaïque âgée de 33 ans. Au moment de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, elle avait résidé au Canada pendant une durée totale de huit ans. Elle s’était initialement rendue au Nouveau‑Brunswick, au Canada, le 28 avril 2010, pour travailler comme transformatrice de fruits de mer saisonnière pendant huit mois. La demanderesse affirme qu’elle ne pouvait pas trouver de travail en Jamaïque et qu’elle devait aider à subvenir aux besoins de ses sept frères et sœurs vivant dans ce pays. Entre 2010 et 2014, elle est revenue au Canada à quatre autres reprises pour occuper le même emploi pendant environ 3,7 ans. Depuis mai 2014, la demanderesse a résidé au Canada sans interruption.

[4] En novembre 2014, la demanderesse a obtenu un permis d’études. En janvier 2015, elle a déménagé à Brampton, en Ontario, où elle a suivi une formation de préposé aux bénéficiaires au Medix College pendant un an. Elle a par la suite obtenu un permis de travail postdiplôme valable d’octobre 2015 à octobre 2016. Après avoir obtenu son diplôme, elle a travaillé en tant que préposée aux bénéficiaires jusqu’en novembre 2016. En février 2017, la demanderesse a obtenu le statut de résidente temporaire à titre de visiteuse, qu’elle a réussi à prolonger à trois reprises. L’amie de la demanderesse, Mme Sowa, a essayé de lui trouver un emploi de fournisseur de soins pour ses deux fils handicapés. Cet arrangement a échoué, parce que Mme Sowa n’a pas pu obtenir une étude d’impact sur le marché du travail et que l’avocat précédent de la demanderesse n’aurait pas rempli correctement les formulaires appropriés. Pendant ce temps, la demanderesse a présenté une nouvelle demande de prorogation du visa de visiteur, qui a été refusée le 26 mars 2019. Par conséquent, son statut d’immigration a pris fin.

[5] Étant donné que la demanderesse n’a pas quitté le Canada lorsque son statut de visiteuse a pris fin, elle a demandé une dispense, au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR, pour avoir manqué de se conformer à la loi. Le 12 août 2019, la demanderesse a déposé sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire afin de pouvoir présenter une demande dans le cadre du Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial [le programme pilote], d’obtenir un permis de travail et de terminer le processus de demande concernant le programme pilote. Le gouvernement a lancé le programme pilote en juin 2019, après que le statut d’immigration de la demanderesse avait expiré. Au moment de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, la demanderesse remplissait les conditions d’admissibilité à ce programme, mais elle ne pouvait pas présenter de demande, puisqu’elle était alors interdite de territoire. Subsidiairement, la demanderesse demandait que des considérations d’ordre humanitaire soient prises en compte pour les efforts qu’elle avait déployés de bonne foi afin d’obtenir la résidence permanente dans une catégorie d’immigrants réguliers. Subsidiairement encore, si les considérations d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisantes, la demanderesse sollicitait l’octroi d’un permis de résidence temporaire.

III. La décision

[6] L’agent a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse au motif que celles‑ci ne suffisaient pas pour justifier la prise de mesures spéciales. L’agent a d’abord examiné l’établissement de la demanderesse au Canada. Il a souligné qu’elle était sans emploi depuis octobre 2016, qu’elle dépendait largement d’autres personnes pour subvenir à ses besoins essentiels et qu’elle n’était pas autonome au Canada.

[7] L’agent a déclaré par erreur que la demanderesse avait résidé au Canada pendant environ six ans. Il a reconnu que, pendant cette période, elle travaillait, étudiait, faisait du bénévolat et avait établi des liens au Canada. Toutefois, l’agent a conclu qu’un tel établissement était normal pour une personne ayant vécu au Canada pendant six ans et qu’il n’était pas « exceptionnel ». L’agent renvoie à diverses lettres de soutien émanant du pasteur, des amis et du cousin de la demanderesse qui témoignent de ses relations au Canada. L’agent a noté que les personnes au Canada manqueraient à la demanderesse, mais qu’en fin de compte, [traduction] « la preuve [était] insuffisante » pour établir que ces liens avaient atteint [traduction] « un degré d’interdépendance et de confiance tel que la séparation d’avec ces personnes aurait des répercussions négatives sur la relation ». L’agent a conclu que [traduction] « la preuve [était] insuffisante » pour établir que le renvoi de la demanderesse entraînerait une rupture des liens. Il a signalé que la demanderesse pouvait maintenir ses relations par téléphone, Skype, lettres ou visites ultérieures.

[8] Ensuite, l’agent a examiné la situation qui prévalait en Jamaïque. Il a conclu que, même s’il se pouvait que la demanderesse soit confrontée à certaines difficultés au début pour se réintégrer, les éléments de preuve ne semblaient pas indiquer que ses parents et ses frères et sœurs seraient incapables ou réticents à la soutenir émotionnellement. Les difficultés de réintégration seraient atténuées par le fait que la demanderesse a grandi en Jamaïque. En outre, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que la demanderesse serait confrontée au chômage, à la pauvreté ou à la faim en Jamaïque. L’agent a souligné que, bien que ces difficultés existent en Jamaïque, le chômage s’améliore et la demanderesse bénéficie d’un avantage concurrentiel. En ce qui concerne la discrimination, il existe peu d’éléments de preuve établissant que la famille de la demandeuse a subi de la discrimination pour obtenir un logement ou un emploi ou pour poursuivre des études, et la demandeuse n’a pas présenté d’éléments de preuve selon lesquels elle avait déjà été victime de discrimination en Jamaïque.

[9] Enfin, l’agent a examiné l’intérêt supérieur des enfants de Mme Sowa et a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve permettant d’établir qu’il y aurait des répercussions sur le bien‑être ou les besoins essentiels des enfants si la demanderesse devait présenter sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada.

 

IV. Les questions en litige

[10] En l’espèce, la seule question en litige est de savoir si la décision contestée était raisonnable. Les sous‑questions pertinentes sont les suivantes :

  1. L’analyse de l’agent concernant les liens de la demanderesse au Canada était‑elle déraisonnable?

  2. L’analyse de l’agent concernant l’établissement était‑elle déraisonnable?

  3. L’analyse de l’agent sur les conditions dans le pays était‑elle déraisonnable?

  4. L’agent a‑t‑il appliqué le mauvais critère juridique dans l’examen de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire?

V. La norme de contrôle

[11] La norme de contrôle applicable à toutes les sous‑questions est celle de la décision raisonnable. La demanderesse cite la jurisprudence antérieure à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] à l’appui de sa thèse selon laquelle la norme de la décision correcte s’applique à la quatrième sous‑question. Récemment, dans la décision Alghanem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1137 [Alghanem], le juge Diner a eu recours à la norme de la décision raisonnable pour examiner la question de savoir si un agent avait appliqué le mauvais critère dans une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (au para 17). Le juge Diner a ensuite fait observer au paragraphe 21 que, « pour confirmer le caractère raisonnable de la décision d’un agent », celui‑ci « doit avoir exercé le vaste pouvoir discrétionnaire dont il dispose à la lumière des contraintes factuelles et juridiques pertinentes, et avoir notamment appliqué le bon cadre juridique » [non souligné dans l’original].

[12] De la même manière, les autres sous‑questions ne soulèvent aucune des exceptions énoncées dans l’arrêt Vavilov et sont donc susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 16‑17, 23‑25). La dispense pour considérations d’ordre humanitaire est une « mesure exceptionnelle et hautement discrétionnaire et [il] convient de faire preuve d’une grande déférence à l’égard de l’agent décideur » (Alghanem, au para 20, citant Miyir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 73 au para 12).

[13] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit tenir compte à la fois du résultat de la décision et du raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que « la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov, au para 15). Pour qu’une décision soit raisonnable, le décideur doit tenir suffisamment compte de la preuve dont il dispose et répondre aux observations du demandeur (Vavilov, aux para 89‑96, 125‑128). Une décision n’est déraisonnable que si elle comporte une déficience « suffisamment capitale ou importante » (Vavilov, au para 100). Les cours de révision doivent s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elles ne modifient pas ses conclusions de fait. (Vavilov, au para 125)

VI. Les thèses des parties

A. L’analyse de l’agent concernant les liens de la demanderesse au Canada était‑elle déraisonnable?

1) La thèse de la demanderesse

[14] L’agent n’a pas examiné la preuve contraire selon laquelle les liens avec le Canada étaient insuffisants (Vavilov, au para 126). La demanderesse a présenté des éléments de preuve importants comprenant une douzaine de lettres de soutien détaillées et des photos d’elle et de ses amis démontrant qu’elle avait des liens importants au Canada caractérisés par une grande interdépendance et une grande confiance. De plus, il est démontré que le renvoi de la demanderesse porterait atteinte aux relations, qui pourraient même être rompues. Par exemple, plusieurs lettres indiquent que ces personnes dépendent de l’aide de la demanderesse à la maison, parce qu’elles sont âgées. D’autres lettres parlent du soutien que la demanderesse a apporté à des amis à la suite du décès d’un membre de leur famille ou à la suite d’une naissance.

[15] Une déclaration générale affirmant que l’agent a examiné les lettres ne suffit pas pour justifier ses conclusions (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 au para 17 [Cepeda‑Gutierrez]).

2) La thèse du défendeur

[16] L’agent a raisonnablement tenu compte des liens de la demanderesse au Canada, notamment sa participation à des activités religieuses, les lettres d’appui provenant d’amis et de membres de la famille et le fait qu’elle a terminé un programme de formation de préposé aux bénéficiaires. La demanderesse demande à la Cour de réexaminer la preuve relative à ses liens au Canada, ce qui ne relève pas du contrôle judiciaire.

B. L’analyse de l’agent concernant l’établissement était‑elle déraisonnable?

1) La thèse de la demanderesse

[17] L’agent n’a pas fourni de motifs suffisants pour justifier sa conclusion selon laquelle l’établissement social de la demanderesse était « ordinaire » et « non exceptionnel » (Vavilov, aux para 86, 97‑98). En outre, l’agent n’a pas expliqué le critère auquel l’établissement devait répondre pour être « exceptionnel » (Chandidas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 258 au para 80 [Chandidas]; Baco c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 694 au para 18 [Baco]; Sivalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 1185 au para 13 [Sivalingam]).

[18] L’agent a également affirmé à tort que la demanderesse avait résidé au Canada pendant six ans, au lieu de huit ans.

2) La thèse du défendeur

[19] L’établissement constitue un des facteurs d’appréciation des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a accordé un certain poids à l’emploi et aux efforts continus en matière de bénévolat de la demanderesse, mais, lorsqu’il a soupesé ces éléments et les autres facteurs, il a raisonnablement conclu que les considérations d’ordre humanitaire étaient insuffisantes pour justifier une dispense.

[20] La simple utilisation du terme « exceptionnel » ne veut pas dire que l’agent a commis une erreur. Il ressort de la lecture de la décision dans son ensemble que l’agent a manifestement utilisé le terme « exceptionnel » en tant que descriptif et non en tant que « norme juridique » (Thiyagarasa c Citoyenneté et Immigration, 2019 CF 111 aux para 28‑32 [Thiyagarasa]).

[21] Finalement, bien que l’agent ait parlé de six ans au lieu de huit ans, il a manifestement tenu compte dans ses motifs de la période pendant laquelle la demanderesse était travailleuse saisonnière.

C. L’analyse de l’agent sur les conditions dans le pays était‑elle déraisonnable?

1) La thèse de la demanderesse

[22] Après avoir établi l’existence de conditions défavorables dans le pays, l’agent a commis une erreur en exigeant une preuve directe établissant que la demanderesse ou sa famille vivait dans la pauvreté ou subissait de la discrimination (Isesele c Canada (Immigration, Réfugié et Citoyenneté), 2017 CF 222 au para 16). Le demandeur doit seulement démontrer qu’il sera vraisemblablement touché par des conditions défavorables dans le pays (Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61 au para 56 [Kanthasamy]). Les éléments de preuve dont disposait l’agent démontraient que les femmes en Jamaïque subissent de la discrimination en matière d’emploi. L’agent disposait également d’une preuve directe que la demanderesse avait initialement quitté la Jamaïque à cause du chômage.

2) La thèse du défendeur

[23] L’agent a dûment examiné le profil de la demanderesse à la lumière des conditions dans le pays et a raisonnablement conclu qu’elle ne ferait pas l’objet de discrimination. Il a reconnu que la marginalisation, la pauvreté et la faim existent en Jamaïque. Toutefois, la preuve était tout simplement insuffisante pour conclure que la demanderesse serait dans une situation semblable. L’agent n’a pas commis d’erreur en soulignant que les efforts déployés par la demanderesse pour obtenir un emploi et poursuivre des études au Canada lui conféreraient un avantage sur le marché du travail jamaïcain.

[24] De même, l’agent n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a souligné que la preuve était insuffisante pour établir que la famille de la demanderesse avait déjà été victime de discrimination. L’agent peut tirer des inférences raisonnables au sujet d’actes discriminatoires posés contre d’autres personnes qui partagent les mêmes caractéristiques personnelles que la demanderesse (Kanthasamy, au para 56).

D. L’agent a‑t‑il appliqué le mauvais critère juridique dans l’examen de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire?

1) La thèse de la demanderesse

[25] Lorsqu’il a appliqué la norme de la décision raisonnable ou la norme de la décision correcte, l’agent n’a pas effectué l’analyse requise par le paragraphe 25(1) de la LIPR. Dans son appréciation des considérations d’ordre humanitaire, l’agent a imposé une norme de preuve plus exigeante que la norme énoncée dans l’arrêt Kanthasamy. En l’espèce, l’agent a limité son pouvoir discrétionnaire en imposant un critère « exceptionnel » et, ce faisant, il a perdu de vue des facteurs positifs tels que les huit années de résidence de la demanderesse, son expérience professionnelle, ses études, son engagement communautaire, son bénévolat et ses liens familiaux. L’agent aurait dû poser la question suivante : « la situation du demandeur, en tenant compte des motifs d’ordre humanitaire, justifiait‑elle la prise d’une mesure extraordinaire »? (Mitchell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 190 au para 24)

2) La thèse du défendeur

[26] L’arrêt Kanthasamy ne change pas la nature des considérations d’ordre humanitaire : une dispense fondée sur de telles considérations demeure une mesure exceptionnelle. L’arrêt Kanthasamy met l’accent sur la vocation humanitaire du pouvoir discrétionnaire général applicable aux demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, mais il n’appuie pas la thèse selon laquelle toute demande de cette nature devrait être accueillie. Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a admis que les difficultés habituelles associées à l’exigence de quitter le Canada ne sauraient généralement justifier une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (aux para 14, 19, 23). L’agent n’a pas adopté une approche segmentée lorsqu’il a apprécié chaque facteur pour voir s’il respectait le critère des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou démesurées ». Au contraire, les motifs démontrent que l’agent a examiné la situation de la demanderesse dans son ensemble.

VII. Analyse

A. Les principes juridiques applicables

[27] En vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, le ministre peut octroyer le statut de résident permanent à l’étranger qui ne se conforme pas aux exigences de la LIPR s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient. Cela veut dire qu’« [i]l peut y avoir des motifs dictés par l’humanité ou la compassion pour laisser entrer des gens qui, règle générale, seraient inadmissibles » (Kanthasamy, aux para 12‑13).

[28] Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a défini les considérations d’ordre humanitaire comme étant les faits, établis par la preuve, qui sont « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (au para 21, citant Chirwa c Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 338 (CAI), à la p 350). Une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est une mesure discrétionnaire. La situation qui justifie une telle dispense varie selon les faits et le contexte de l’affaire. Le demandeur a le fardeau d’établir qu’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est justifiée (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189 au para 45).

[29] Les Lignes directrices ministérielles prévoient que « l’“évaluation des difficultés” permet de déterminer si des considérations d’ordre humanitaire justifient une dispense sur le fondement du paragraphe 25(1) » (Kanthasamy, au para 22). Ces lignes directrices comportent une liste de facteurs qui pourraient être pertinents pour l’appréciation de la question de savoir si les demandeurs seront confrontés à des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées ». Ces facteurs comprennent notamment les liens avec le Canada, l’établissement au Canada et les conditions dans le pays, dont la discrimination n’équivalant pas à de la persécution (Kanthasamy, au para 27).

1) L’analyse de l’agent concernant les liens de la demanderesse au Canada était‑elle déraisonnable?

[30] Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que la preuve contredit la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse n’a pas de liens suffisants au Canada. Je ne souscris pas non plus à l’affirmation selon laquelle l’agent n’a pas examiné la preuve contraire.

[31] L’agent a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que [traduction] « les relations de la [demanderesse] avaient atteint un degré d’interdépendance et de confiance tel que la séparation d’avec ces personnes, le cas échéant, aurait des répercussions négatives sur la relation entre la demanderesse et les personnes au Canada ». Après examen du dossier, y compris les observations de la demanderesse sur les considérations d’ordre humanitaire, je conclus qu’il ressort de la teneur de presque toutes les lettres que la demanderesse est animée d’une grande volonté d’aider les autres et de servir sa communauté religieuse. Les renvois précis de l’agent à diverses lettres démontrent que celui‑ci a examiné et pris en compte tous les éléments de preuve.

[32] Il est vrai qu’une déclaration générale affirmant que le décideur « a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle [sic] n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion » (Cepeda‑Gutierrez, au para 17). Toutefois, en l’espèce, les éléments établissant l’interdépendance ou la confiance étaient négligeables et, à mon avis, ils ne contredisent pas directement les conclusions de l’agent. Les lettres ne donnent pas de précisions sur l’interdépendance ou la confiance, et il était donc loisible à l’agent de conclure que la preuve était insuffisante. En outre, dans ses observations sur les considérations d’ordre humanitaire, la demanderesse n’a pas fait valoir que ses amis âgés ou sa cousine dépendent de sa présence physique pour obtenir des soins ou un soutien affectif. À mon avis, la demanderesse ne peut pas invoquer cet argument à ce moment‑ci (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 11 au para 29).

2) L’analyse de l’agent concernant l’établissement était‑elle déraisonnable?

[33] L’argument de la demanderesse selon lequel l’agent a commis une erreur en déclarant qu’elle a résidé au Canada pendant six ans au lieu de huit ans n’est pas fondé. Lors de l’appréciation de la question relative à l’établissement de la demanderesse, l’agent a d’abord examiné les antécédents professionnels de celle‑ci et a manifestement tenu compte de [traduction] « son emploi de mai 2010 à janvier 2015 en tant que travailleuse saisonnière ».

[34] Ensuite, l’agent a souligné la participation de la demanderesse dans les activités de l’église et ses études au Canada. Il a poursuivi ainsi :

[traduction]

J’accorde un certain poids aux efforts antérieurs de la demanderesse en matière d’emploi au Canada et à ses efforts continus en ce qui a trait au bénévolat. Cependant, je trouve aussi qu’il est courant que les gens aient un certain degré d’établissement après avoir résidé au Canada pendant six ans, que ce soit par le biais de nouvelles amitiés et relations, de l’école, du bénévolat, de l’église et/ou d’autres activités. Je fais également observer que l’on s’attend à ce que les ressortissants étrangers au Canada soient financièrement indépendants et qu’ils tiennent un bon dossier civil. Par conséquent, je conclus que l’établissement social de la demanderesse n’est ni exceptionnel, ni ne dépasse celui auquel il est normal de s’attendre d’une personne qui vit au Canada depuis de nombreuses années.

[35] La demanderesse soutient que la déclaration de l’agent selon laquelle son établissement social n’est pas « exceptionnel » soulève deux problèmes. Premièrement, l’agent ne justifie pas cette conclusion. Deuxièmement, l’agent n’explique pas ce qu’il faut pour qu’un établissement soit « exceptionnel ».

[36] Les deux objections sont fondées sur la croyance selon laquelle le terme « exceptionnel » impose un critère juridique. À mon avis, le paragraphe suivant des motifs de l’agent indique clairement que l’utilisation du terme « exceptionnel » était simplement descriptive :

[TRADUCTION]

Je reconnais que la demanderesse réside au Canada sans interruption depuis 2014 et que, durant cette période, elle a noué de nombreuses relations d’amitié. J’ai examiné les lettres d’appui provenant des amis et du cousin de la demandeuse au Canada dans lesquelles il est question de leurs relations étroites et du fait que la demanderesse travaille dur et est aimable. Je reconnais que, si la demanderesse devait quitter le Canada, les personnes au Canada lui manqueraient. Toutefois, je conclus à l’insuffisance de la preuve qui m’est présentée pour soutenir que les relations évoquées précédemment ont atteint un degré d’interdépendance et de confiance tel que la séparation d’avec ces personnes aurait des répercussions négatives sur la relation entre la demanderesse et ces personnes au Canada. De plus, la demanderesse a fourni une preuve insuffisante pour établir que la séparation d’avec les personnes au Canada briserait les liens qui ont été établis.

[Non souligné dans l’original.]

[37] L’agent a simplement conclu que, bien que la demanderesse ait de nombreux amis proches, ce fait à lui seul ne suffit pas pour justifier une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Comme la Cour suprême du Canada l’a fait observer dans l’arrêt Kanthasamy, « [l]’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1). De plus, ce paragraphe n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle » (au para 23, [citations omises]). En effet, il sera très rare que cet établissement « soit […] si vaste et profon[d] qu’il serait déraisonnable, de la part du ministre, de ne pas accorder la mesure demandée, car l’interruption d’un établissement aussi riche incite à soulager les malheurs d’une autre personne » (Shackleford c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 1313 au para 25 [Shackleford]).

[38] La demanderesse invoque les décisions Chandidas, Baco et Sivalingam à l’appui de la thèse selon laquelle l’agent doit expliquer le critère auquel l’établissement doit répondre pour être « exceptionnel » et doit justifier pourquoi ce critère n’a pas été respecté. Il est possible d’établir une distinction entre ces affaires et l’espèce : dans la présente affaire, l’agent n’a pas imposé de critère juridique lorsqu’il a utilisé le terme « exceptionnel ». De plus, contrairement aux affaires citées par la demanderesse, l’agent explique pourquoi l’établissement social de la demanderesse était insuffisant pour justifier une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. En effet, la preuve était insuffisante pour démontrer que les relations de la demanderesse avaient atteint un degré d’interdépendance et de confiance tel que la demanderesse subirait des difficultés si elle était renvoyée du Canada. L’absence d’interdépendance et de confiance explique pourquoi « l’interruption liée à l’établissement [de la demanderesse] n’entraînerait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » (Baco, au para 14).

3) L’analyse de l’agent sur les conditions dans le pays était‑elle déraisonnable?

[39] La demanderesse souligne à juste titre qu’il n’est pas exigé du demandeur qui invoque des considérations d’ordre humanitaire une preuve directe qu’il court un tel risque d’être victime de discrimination s’il était expulsé (Kanthasamy, au para 54). Au contraire, « […] le demandeur doit seulement montrer qu’il sera vraisemblablement touché par une condition défavorable comme la discrimination » (Kanthasamy, au para 56). À mon avis, l’agent a raisonnablement conclu que la demanderesse n’a pas respecté ce critère.

[40] L’agent a reconnu que les femmes en Jamaïque sont victimes de discrimination et font face à des taux de chômage plus élevés que les hommes. L’agent a toutefois souligné que le chômage en Jamaïque s’améliore dans l’ensemble. Il a examiné le profil particulier de la demanderesse et a conclu qu’elle avait un avantage concurrentiel dans la recherche d’un emploi, parce qu’elle est citoyenne de la Jamaïque, qu’elle parle couramment l’anglais, qu’elle possède plusieurs années d’expérience de travail et qu’elle a poursuivi ses études au Canada. Il était loisible à l’agent de conclure que les compétences et l’expérience que la demanderesse avait acquises au Canada pouvaient réduire les difficultés éventuelles après son renvoi (Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 163 au para 17). L’agent a raisonnablement conclu que, bien que la demanderesse soit une femme, elle n’a pas démontré qu’elle serait vraisemblablement touchée par le chômage. À la lumière de cette conclusion, il était également raisonnable que l’agent conclue que la demanderesse ne serait probablement pas affectée par la faim ou la pauvreté.

[41] Enfin, l’agent a souligné que l’un des documents relatifs aux conditions dans le pays indiquait que les descendants d’esclaves noirs étaient victimes de discrimination en Jamaïque. À cet égard, l’agent a estimé que les parents et les frères et sœurs de la demanderesse résidaient en Jamaïque et qu’il n’y avait aucune preuve qu’ils étaient pauvres ou victimes de discrimination. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’agent a raisonnablement pris en compte les expériences de la famille de la demanderesse et, après les avoir examinées, a néanmoins conclu qu’il n’y avait pas de preuve suffisante établissant que les membres de la famille de la demanderesse étaient victimes de discrimination ou étaient pauvres en raison de leur race. Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a fait observer que « [l]a preuve d’actes discriminatoires contre d’autres personnes qui partagent les mêmes caractéristiques personnelles est […] clairement pertinente pour l’application du paragraphe 25(1) » et que des « inférences raisonnables peuvent en être tirées » (Kanthasamy, au para 56). En l’espèce, l’agent a souligné que la demanderesse [traduction] « n’a pas elle‑même fait état d’incidents de discrimination auxquels elle a été antérieurement confrontée en Jamaïque ». Contrairement aux observations formulées par la demanderesse, je n’interprète pas ce passage comme exigeant l’établissement d’une preuve directe de discrimination. L’agent expliquait simplement qu’il n’y avait pas de preuve suffisante pour conclure que la demanderesse faisait partie d’un groupe qui se trouvait dans une situation semblable et qui serait confronté à la discrimination en Jamaïque.

4) L’agent a‑t‑il appliqué le mauvais critère juridique dans l’examen de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire?

[42] La demanderesse soutient que l’agent a commis la même erreur que celle que l’agente a commise dans l’arrêt Kanthasamy. Dans cet arrêt, l’agente a commis une erreur en traitant les mots « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » comme étant « trois nouveaux seuils en sus de celui des considérations d’ordre humanitaire que prévoit déjà le par. 25(1) » (Kanthasamy, aux para 33, 45). La Cour suprême du Canada a expliqué que, ce que l’agent ne doit pas faire « dans un cas précis, c’est de voir dans le par. 25(1) trois adjectifs à chacun desquels s’applique un seuil élevé et appliquer la notion de “ difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées ” d’une manière qui restreint sa faculté d’examiner et de soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes » (Kanthasamy, au para 33). À mon avis, l’agent n’a pas utilisé le terme « exceptionnel » de manière à restreindre déraisonnablement son analyse.

[43] La simple utilisation du terme « exceptionnel » ne constitue pas une preuve que l’agent a appliqué un seuil déraisonnablement élevé. Comme la Cour l’a fait observer dans la décision Lopez Segura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 894 au para 29, « [c]e n’est pas l’emploi de mots particuliers qui est déterminant, mais plutôt la question de savoir si l’on peut dire en lisant la décision dans son ensemble que l’agent a appliqué le bon critère et procédé à une analyse appropriée ».

[44] La présente affaire est semblable à l’affaire Thiyagarasa. Dans cette dernière, l’agent a accordé un poids favorable aux liens du demandeur avec sa famille élargie vivant au Canada, mais a finalement conclu que le degré d’établissement au Canada n’était pas « exceptionnel ». Le juge Southcott a examiné le contexte dans son ensemble et a formulé les observations suivantes, au paragraphe 31 :

L’agent n’a pas fait du degré d’établissement exceptionnel une norme juridique à respecter pour accueillir la demande, et il n’a pas non plus rejeté la demande pour ce motif. L’agent n’a pas davantage écarté le degré d’établissement du demandeur au motif qu’il n’était pas exceptionnel. Au contraire, il a accordé un poids favorable à ce facteur et en a tenu compte, conjointement avec les autres facteurs d’ordre humanitaire soulevés par le demandeur, mais il a conclu que ceux‑ci ne justifiaient pas une exemption de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada.

[45] On peut en dire autant de la présente affaire. Au quatrième paragraphe de ses motifs, reproduits précédemment au paragraphe 38, l’agent a accordé un poids favorable au fait que la demanderesse avait travaillé, étudié, fait du bénévolat et maintenu des liens personnels au Canada. Toutefois, l’agent a finalement conclu que la demanderesse ne subirait pas de [traduction] « difficultés en présentant une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada en raison des liens établis ».

[46] Il est également important de se rappeler que, comme l’a souligné l’agent, la dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est une mesure exceptionnelle. Au paragraphe 16 de l’arrêt Shackleford, le juge Roy a examiné la nature exceptionnelle de la dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et a formulé les observations suivantes :

L’arrêt Kanthasamy ne déroge pas à l’exigence suivant laquelle la mesure consistant à accorder une dispense fondée sur des considérations CH doit être exceptionnelle et discrétionnaire. Ceci n’est pas nouveau. Cette exigence est prévue par la [LIPR], ainsi que par ses versions précédentes, depuis 1966‑1967 (voir Kanthasamy, au par. 12). Comme l’a déclaré la Cour dans la décision Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au par. 15 :

« Ce recours n’appartient pas aux catégories d’immigration normales, ou à ce qui est décrit comme "l’asile", par lesquelles les étrangers peuvent venir au Canada de façon permanente, mais constitue une sorte de soupape de sécurité disponible pour des cas exceptionnels. Une telle exemption "ne vise pas à créer une filière d’immigration de remplacement ni à offrir un mécanisme d’appel aux demandeurs d’asile" ou aux demandeurs de résidence permanente déboutés ».

Rien dans l’arrêt Kanthasamy ne laisse entendre que les demandes CH sont autre chose qu’exceptionnelles : la description contenue dans la décision Chirwa elle‑même, le fait que ces demandes ne se veulent pas un régime d’immigration de remplacement et que les difficultés associées au fait de quitter le Canada ne suffisent pas, tout cela indique clairement que les considérations CH doivent être suffisamment importantes pour se prévaloir du paragraphe 25(1). Il faut davantage qu’une affaire qui attire la sympathie.

[47] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’agent n’a pas commis d’erreur en soulignant que les liens personnels de la demanderesse n’étaient pas « exceptionnels ». Lorsqu’elle est examinée dans son ensemble, la décision de l’agent de rejeter la demande de la demanderesse fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne repose pas sur l’absence d’un [traduction] « établissement social exceptionnel ». L’agent a examiné une variété de facteurs se rapportant à son établissement et à ses liens personnels, en plus d’autres considérations d’ordre humanitaire telles que la situation dans le pays et l’intérêt supérieur des enfants de Mme Sowa. Je suis convaincu que l’agent a effectué une analyse adéquate et que la décision appartient aux issues raisonnables.

VIII. Conclusion

[48] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑281‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑281‑21

 

INTITULÉ :

TASHANA SANEEK DAVIS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JANVIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

LE 22 FÉVRIER 2022

COMPARUTIONS :

Matthiew Malaga Reano

POUR LA DEMANDERESSE

 

Monmi Goswami

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MM Immigration Law

Avocats

Oakville (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.