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Date : 20220120


Dossier : T‑26‑22

Référence : 2022 CF 68

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 20 janvier 2022

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

MORRIS KLOS

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Morris Klos dépose la présente requête en injonction interlocutoire dans le cadre de son action contre Sa Majesté la Reine. Pour les motifs qui suivent, la Cour accordera une partie de la réparation procédurale que M. Klos sollicite. Cependant, la Cour n’a pas compétence pour accorder la plupart des ordonnances sollicitées. Par conséquent, la requête doit être en grande partie rejetée.

II. Contexte factuel et procédural

[2] Une partie du contexte procédural pertinent étant exposée dans un récent arrêt de la Cour d’appel fédérale, il n’est pas nécessaire de la répéter ici : Klos v Canada (Procureur général), 2021 CAF 238 [Klos (CAF)]. En résumé, M. Klos est une partie à une instance devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral [la CRTESPF] portant sur sa cessation d’emploi au sein du Service correctionnel du Canada [le SCC] survenue en septembre 2016. En juin 2020, M. Klos a sollicité auprès de la CRTESPF une ordonnance exigeant que le SCC cesse de retenir son salaire. La CRTESPF a refusé cette demande : Klos (CAF) au para 3. La demande de contrôle judiciaire que M. Klos a déposé à l’encontre de ce refus a été rejetée par la Cour d’appel fédérale, qui l’a jugée prématurée : Klos (CAF) aux para 5 à 11. M. Klos a présenté une requête en réexamen à la Cour d’appel fédérale sur laquelle celle‑ci n’a pas encore statué.

[3] Entre‑temps, M. Klos a déposé une déclaration auprès de la Cour dans laquelle Sa Majesté la Reine est désignée comme défenderesse. Dans la déclaration, telle qu’elle est rédigée, il allègue en grande partie que le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada ainsi que certains fonctionnaires, y compris l’avocat de son employeur devant la CRTESPF, ont commis des infractions au Code criminel, LRC 1985, c C‑46. Les allégations de comportement criminel se rapportent principalement, si ce n’est exclusivement, à des actes accomplis à l’audience devant la CRTESPF, actes qui, selon M. Klos, lui ont causé, ou risquaient de lui causer, des lésions corporelles compte tenu de ses problèmes cardiaques, et qui constituent des menaces ou de la négligence criminelle causant des lésions corporelles, ou reviennent à conseiller pareille négligence. Les plus récentes allégations du demandeur sont liées au mode et au lieu de livraison de documents, quoiqu’il y soulève aussi des incidents antérieurs. La déclaration vise à obtenir divers jugements déclaratoires, y compris une réparation liée au paiement de son salaire pour une période antérieure, dans la mesure où il ne fait pas l’objet des ordonnances de la Cour d’appel fédérale.

III. La réparation demandée dans la présente requête

[4] Dans son avis de requête, M. Klos demande plusieurs ordonnances. Je vais traiter de ces demandes en suivant la numérotation des éléments dans l’avis de requête.

(1) Dispenses de fournir des copies papier et de payer les droits applicables

[5] Des éléments de la requête de M. Klos, dont celui‑ci, découlent du fait qu’il est en situation de pauvreté. Il vit dans un véhicule, car il est sans domicile, il dépend de la bonne volonté des gens pour subvenir à ses besoins de base et, par conséquent, il souffre de problème de santé et de problèmes dentaires. M. Klos souligne qu’il souffre de problèmes cardiaques en raison desquels les situations stressantes peuvent lui causer, et lui ont d’ailleurs causé, des incidents cardiaques. Il fait aussi mention de soucis logistiques susceptibles de porter atteinte à sa capacité de poursuivre la présente action, comme des problèmes avec son imprimante personnelle et, de manière plus générale, les coûts de numérisation et d’impression de documents requis pour que l’affaire progresse.

[6] M. Klos demande par conséquent à être dispensé de certaines exigences des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] concernant les copies papier à fournir et les droits applicables. Il se dit aussi préoccupé par le fait qu’il n’a pas d’adresse postale aux fins de signification. La défenderesse n’a judicieusement pas pris position à l’égard de ces demandes, car elle reconnaît qu’il serait déplorable que les soucis logistiques et pécuniaires d’un demandeur en situation de pauvreté portent atteinte à sa capacité de donner suite à sa réclamation. J’exerce le pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 55 des Règles et j’applique le principe général énoncé à l’article 3 des Règles afin de traiter les demandes de M. Klos sous cette rubrique de la façon suivante.

  • Bien que M. Klos sollicite une dispense de l’exigence énoncée au paragraphe 71(5) des Règles au titre duquel il doit fournir des copies papier de la déclaration, cela aurait déjà été fait lors de l’introduction de l’affaire. Aucune autre ordonnance n’est nécessaire.

  • Conformément à l’alinéa 71.1(1)b) et au sous‑alinéa 1(1)a)(i) du tarif A des Règles, M. Klos a payé les droits de dépôt applicables à une déclaration déposée aux termes de l’article 48 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Bien que ces droits soient modestes, M. Klos en est exonéré et ils devront lui être remboursés.

  • Pour ce qui est des autres droits de dépôt prévus au tarif A des Règles :

  • (i) la Cour n’exige aucuns droits pour le dépôt d’une réponse ou pour répondre à une requête, alors une exonération de ces droits n’est pas nécessaire;

  • (ii) de même, aucuns droits ne sont généralement exigés pour le dépôt d’une requête, à l’exception des requêtes liées à la prorogation du délai ou à l’autorisation d’introduire une instance, des situations qui ne se présentent pas en l’espèce, et des requêtes en jugement sommaire ou en procès sommaire;

  • (iii) comme l’action en l’espèce n’en est encore qu’aux toutes premières étapes, il n’y a pas lieu d’aborder maintenant la question de l’exonération de droits de dépôt associés à une hypothétique requête en jugement sommaire ou en procès sommaire. Si M. Klos a l’intention de présenter une telle requête, il pourra demander une exonération au moment opportun, au moyen d’une demande informelle;

  • (iv) il en ira de même des autres droits associés à une demande de conférence préparatoire au procès.

  • M. Klos sollicite une dispense de l’exigence prévue à l’article 72.2 des Règles selon laquelle il doit fournir des copies papier de documents déjà déposés par transmission électronique. Je souligne que des copies papier doivent être fournies seulement « si la Cour l’exige ». La Cour fédérale a publié un avis à la communauté juridique sur le dépôt électronique selon lequel il n’est pas requis de fournir la copie papier d’un document déposé électroniquement dont les pages ou les paragraphes sont numérotés et qui comporte 100 pages ou moins (ou 500 pages ou moins, pourvu qu’il soit déposé cinq jours ouvrables francs avant la date de l’audience). Voir l’avis publié par la Cour intitulé Signification légale électronique et Dépôt électronique à la Cour fédérale : https://www.fct-cf.gc.ca/Content/assets/pdf/base/Annex_French.pdf. Les limites quant au nombre de pages visent à éviter que le greffe soit submergé de très lourds documents électroniques, en particulier ceux qui sont signifiés à la dernière minute. Eu égard à ses demandes et à sa situation, j’ordonnerai que M. Klos ne soit pas tenu de fournir de copies papier de documents suivant les mêmes conditions. S’il sollicite une dispense concernant les plus longs documents, il pourra en faire la demande au moment approprié. Mon ordonnance à ce sujet doit nécessairement être rendue sous réserve de toute autre ordonnance de la Cour dans laquelle un membre de la Cour conclurait que des copies papier d’un document doivent être fournies dans l’intérêt de la justice.
  • Quant aux préoccupations au sujet de l’adresse postale requise aux fins de signification, j’ordonnerai qu’il soit possible d’effectuer la signification par courriel, conformément à certaines conditions énoncées dans mon ordonnance ci‑dessous, lesquelles sont compatibles avec l’avis mentionné ci‑dessus.

(2) Permission de comparaître en personne

[7] La présente requête concerne le mode d’audience. J’ai répondu à la demande par voie de directive préalablement à l’audience, et celle‑ci s’est tenue conformément à cette directive. Il ne m’est donc pas nécessaire de traiter davantage de cette demande.

(3) Jugement déclaratoire portant que le demandeur a droit à son salaire à compter de la date de cessation d’emploi

[8] La Cour n’a pas compétence pour accorder cette réparation, et ce, pour plusieurs motifs.

[9] Comme je l’ai exposé, la question de savoir si M. Klos a droit à son salaire pour la période antérieure à sa cessation d’emploi est actuellement en instance devant la CRTESPF. M. Klos a sollicité une ordonnance provisoire auprès de la CRTESPF, qui lui a été refusée, puis il a contesté ce refus devant la Cour d’appel fédérale. La Cour d’appel fédérale a compétence exclusive pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant la CRTESPF : Loi sur les Cours fédérales, art 28(1)i). Comme il a été expliqué à l’audience, cette compétence exclusive concerne non seulement les demandes d’injonctions, mais aussi les demandes en vue d’obtenir une ordonnance de faire (mandamus) et les jugements déclaratoires tels que ceux que sollicite M. Klos. De telles questions doivent être soumises par présentation d’une demande de contrôle judiciaire : Loi sur les Cours fédérales, art 18(1) et (3). La Cour ne peut être saisie des questions qui relèvent de la Cour d’appel fédérale : Loi sur les Cours fédérales, art 28(3).

[10] En plus du fait qu’en application de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale n’a pas compétence, il serait inapproprié que la Cour accorde une ordonnance alors qu’une ordonnance effectivement équivalente a été sollicitée auprès de Cour d’appel fédérale et que celle‑ci l’a refusée. La requête en réexamen de M. Klos présentée à la Cour d’appel fédérale vise essentiellement la même réparation que celle qu’il sollicite simultanément auprès de la Cour fédérale. Bien que je sois conscient que la situation de M. Klos l’a poussé à tenter par tous les moyens possibles d’obtenir réparation, le moyen en l’espèce n’est pas juridiquement approprié et ne pourrait attribuer à la Cour fédérale une compétence qu’elle n’a pas.

[11] M. Klos renvoie à l’article 64 des Règles, selon lequel « [i]l ne peut être fait opposition à une instance au motif qu’elle ne vise que l’obtention d’un jugement déclaratoire, et la Cour peut faire des déclarations de droit qui lient les parties à l’instance, qu’une réparation soit ou puisse être demandée ou non en conséquence » [non souligné dans l’original]. Bien que cet article prévoie que la Cour puisse faire une déclaration de droit qui lie les parties, elle ne le peut que dans ses domaines de compétence. En d’autres mots, l’article 64 porte sur les réparations que la Cour peut accorder dans ses domaines de compétence, mais il ne lui confère pas le pouvoir d’accorder des jugements déclaratoires dans toutes les affaires : voir Nation crie d’Onion Lake c Canada, 2017 CF 1049 au para 49.

[12] À la limite, dans la déclaration, interprétée pour les besoins en l’espèce très libéralement et en reconnaissant que des carences rédactionnelles peuvent découler du fait que M. Klos assure lui‑même sa représentation, on pourrait considérer qu’il revendique un droit d’action civile en dommages‑intérêts et visant d’autres réparations sur le fondement que divers actes accomplis par des préposés de l’État constitueraient des infractions au Code criminel. Une telle action pourrait viser des dommages‑intérêts découlant précisément de la conduite alléguée. Cependant, elle ne pourrait pas viser aussi le salaire réclamé lui‑même, car l’article 236 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22, art 2, prévoit que le droit de présenter un grief « remplace [l]es droits d’action en justice relativement aux faits – actions ou omissions – à l’origine du différend » [non souligné dans l’original] : Green c Canada (Agence des services frontaliers), 2018 CF 414 aux para 11 à 17.

[13] Par conséquent, je conclus que la Cour fédérale n’a pas compétence pour accorder le jugement déclaratoire contraignant relatif au droit au salaire que demande M. Klos.

(4) Jugement déclaratoire contraignant relatif au droit à une audience équitable

[14] Renvoyant de nouveau à l’article 64 des Règles, M. Klos sollicite deux jugements déclaratoires, l’un contraignant portant qu’il a droit à une audience équitable devant la CRTESPF, et l’autre portant que toute décision contraire va à l’encontre de l’arrêt Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643 de la Cour suprême du Canada.

[15] Même si un jugement déclaratoire concernant la tenue d’une audience administrative devant la CRTESPF était approprié ou nécessaire, ce dont je doute, il s’agit d’une question qui relève de la compétence exclusive de la Cour d’appel fédérale aux termes de l’alinéa 28(1)i) de la Loi sur les Cours fédérales pour les motifs exposés ci‑dessus. La Cour n’a pas compétence : Loi sur les Cours fédérales, art 28(3).

(5) Jugement déclaratoire contraignant relatif au droit du demandeur de recourir à la déjudiciarisation des infractions à l’article 141 du Code criminel alléguées en l’espèce

[16] M. Klos invoque l’article 4 de la Loi sur les Cours fédérales, selon lequel la Cour fédérale est maintenue « à titre de tribunal additionnel de droit, d’equity et d’amirauté du Canada, propre à améliorer l’application du droit canadien, et continue d’être une cour supérieure d’archives ayant compétence en matière civile et pénale » [non souligné dans l’original]. Bien que l’article 4 de la Loi sur les Cours fédérales reconnaisse à la Cour fédérale le statut de cour supérieure d’archives ayant compétence en matière pénale, cela ne constitue pas une attribution de compétence à la Cour à l’égard de toutes les affaires criminelles : Harkat, Re, 2004 CF 1717 au para 19, citant l’arrêt Puerto Rico (Commonwealth) c Hernandez, [1975] 1 RCS 228 aux p 232 et 233. Au contraire, la Cour a conclu que la compétence en matière pénale dont il est question à l’article 4 « n’est pas une compétence pénale générale » et que l’article 4 « ne [confère] pas d’office à la Cour fédérale une compétence pénale limitée ou exploitable » : Letourneau c Clearbrook Iron Works Ltd, 2005 CF 333 aux para 5 et 15.

[17] Il est significatif que, selon l’article 2 du Code criminel, le terme « cour supérieure de juridiction criminelle » désigne, aux fins du Code criminel, les cours supérieures et les cours d’appel des provinces, et que la Cour fédérale soit absente de la définition. Il s’ensuit que la Cour fédérale n’est pas une « cour supérieure de juridiction criminelle » aux fins générales du Code criminel. Bien que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale aient compétence en vertu de certains articles du Code criminel (voir, par exemple, les articles 83.05, 83.13, 83.14 et 462.48), ceux‑ci ne s’appliquent aucunement en l’espèce.

[18] Par conséquent, même en laissant de côté la question de savoir si M. Klos peut revendiquer un [traduction] « droit de recourir à la déjudiciarisation » des infractions alléguées, ce qui paraît très douteux à la lumière du libellé de l’article 141 du Code criminel, la Cour n’a pas compétence pour rendre quelque ordonnance ou jugement déclaratoire relativement à la déjudiciarisation aux termes de l’article 141.

(6) Injonction relative au congé payé

[19] En l’occurrence, M. Klos sollicite aussi une injonction et des réparations pécuniaires liées à des paiements découlant de son emploi. Pour les motifs que j’ai exposés ci‑dessus, la Cour fédérale n’a pas compétence pour accorder une telle injonction.

[20] M. Klos renvoie à l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales, qui donne à la Cour fédérale le pouvoir de décerner un mandamus, une injonction ou une ordonnance d’exécution intégrale « dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire ». De nouveau, cependant, bien que cet article donne à la Cour le pouvoir d’accorder certaines réparations dans ses domaines de compétence, il ne lui donne pas compétence pour accorder de telles réparations dans toute affaire ou toute situation où, tout simplement, elle le juge « juste ou opportun ». Il ne donne certainement pas compétence à la Cour dans des matières où la compétence lui a été expressément retirée par d’autres dispositions législatives, comme l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales ou l’article 236 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[21] Au cours des plaidoiries, M. Klos a essentiellement sollicité toute forme d’ordonnance ou d’injonction qui lui procurerait une forme ou une autre de réparation pécuniaire relevant de la compétence de la Cour et grâce à laquelle il disposerait des moyens de subvenir à ses besoins et de poursuivre la présente action ou l’instance devant la CRTESPF, ou encore les deux. Je ne peux pas faire droit à sa demande, et ce, pour deux motifs.

[22] Premièrement, comme je l’ai expliqué au cours de l’audience, le rôle de la Cour est d’examiner et de juger les questions qui lui sont soumises par des parties. Elle ne donne pas d’avis juridiques et ne peut pas en donner. La Cour peut, et devrait, s’assurer que les parties qui se représentent elles‑mêmes ne sont pas injustement désavantagées, et elle peut expliquer des questions comme celles de la compétence et des procédures de la Cour, mais elle ne peut pas parcourir un dossier à la recherche de motifs ou d’arguments susceptibles d’aider une partie, même si cette partie n’est pas représentée par un avocat.

[23] Deuxièmement, la réparation réclamée par le demandeur constitue en fait une ordonnance provisoire prévoyant le paiement anticipé de dommages‑intérêts préalablement à toute décision concernant la responsabilité de la partie défenderesse à l’égard de ces dommages‑intérêts. Les Règles ne prévoient pas un tel paiement. Même si la Cour avait compétence pour rendre une telle décision provisoire, par exemple en faisant allusion à l’[traduction] « avance relative à un acte délictuel » en droit britanno‑colombien ou aux règles de procédure provinciales qui prévoient un tel paiement provisoire, des conditions essentielles, comme le consentement de la défenderesse ou un verdict de responsabilité, ne sont pas remplies en l’espèce. Le principe de base veut qu’une partie défenderesse ne soit pas responsable des dommages‑intérêts, et qu’elle ne soit donc pas tenue de les payer, tant qu’elle n’en a pas été déclarée responsable. Dans la présente affaire, je ne vois aucun motif de déroger à ce principe.

[24] De même, dans l’éventualité où l’on pourrait considérer que M. Klos demande l’octroi anticipé des dépens, les circonstances d’un tel octroi « rar[e] et exceptione[l] » ne sont pas établies : Little Sisters Book and Art Emporium c Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2 aux para 37 à 42.

[25] Par conséquent, je conclus que la Cour n’a pas compétence pour accorder à M. Klos l’injonction relative au congé payé qu’il demande.

(7) Dénonciation sous serment au titre de l’article 504 du Code criminel

[26] M. Klos a préparé une dénonciation concernant les actes criminels qu’il impute au « Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (Service correctionnel du Canada) » et à certains fonctionnaires, dont l’avocat de l’employeur devant la CRTESPF. La dénonciation semble correspondre aux allégations d’actes criminels qui figurent dans la déclaration.

[27] L’article 504 du Code criminel prévoit que « [q]uiconque croit, pour des motifs raisonnables, qu’une personne a commis un acte criminel peut faire une dénonciation par écrit et sous serment devant un juge de paix […] ». M. Klos avait l’impression qu’à titre de « juge » de la Cour, j’étais aussi un « juge de paix », terme employé à l’article 504, et qu’il pouvait faire une dénonciation sous serment devant moi.

[28] Comme la défenderesse l’a fait observer à l’audience, le terme « juge de paix » désigne selon l’article 2 du Code criminel un « [j]uge de paix ou juge de la cour provinciale […] », et non pas un juge de la Cour fédérale. Je ne suis pas un « juge de paix » au sens de l’article 504 du Code criminel. Je n’ai pas compétence pour connaître cette demande de réparation.

(8) Directives sur le processus relatif aux actes d’accusation proposés

[29] Pour les motifs exposés ci‑dessus à propos de la compétence de la Cour fédérale en matière pénale, la Cour n’a pas compétence pour donner des directives sur le processus relatif aux actes d’accusation au criminel. Bien que l’article 54 des Règles permette à une personne de présenter une requête pour directives, les directives ainsi sollicitées doivent concerner « la procédure à suivre dans le cadre des présentes règles » [non souligné dans l’original]. Les Règles régissent la procédure suivie dans les instances devant la Cour, et non pas la procédure pénale. L’article 54 n’attribue pas à la Cour la compétence de donner des directives concernant des affaires qui relèvent du Code criminel.

(9) Autre réparation

[30] À l’audience, M. Klos a demandé l’autorisation de retirer deux pages de son dossier de requête. Les pages en question contiennent des renseignements personnels délicats, et M. Klos s’est rendu compte qu’il n’était pas pertinent de les inclure aux fins de la présente requête. La défenderesse ne s’est pas opposée à la demande, et j’exercerai le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Cour afin d’autoriser le retrait.

IV. Conclusion

[31] Pour les motifs qui précèdent, la Cour n’a pas compétence pour accorder les réparations demandées aux éléments (3) à (8) de l’avis de requête de M. Klos, et ces éléments de la requête sont rejetés. Une réparation procédurale partielle sera accordée relativement aux éléments (1) et (9) de l’avis de requête. Cette réparation est exposée dans l’ordonnance ci‑dessous. L’élément (2) de l’avis de requête n’exige plus une ordonnance, car j’ai donné une directive avant l’audience.

[32] La Cour est consciente de la situation difficile que traverse M. Klos en raison de ses difficultés financières et de son état de santé. Cependant, cette situation ne donne pas, et ne peut donner, à la Cour une compétence qu’elle n’a pas, et n’autorise pas la Cour à accorder des ordonnances indépendantes enjoignant la Couronne ou l’un des ministères de l’État à effectuer des paiements.

[33] Bien que M. Klos soit en grande partie débouté dans le cadre de la présente requête, la défenderesse n’a pas sollicité les dépens. Aucuns dépens ne sont adjugés.

V. Motifs supplémentaires

[34] Après la rédaction de ce qui précède, alors que la préparation en vue de la publication était en cours, le greffe de la Cour fédérale a reçu un autre dépôt de M. Klos, celui‑là daté du 20 janvier 2022. Le dépôt est présenté sous divers couverts, dont celui d’un texte officiel renvoyant à l’article 468 du Code criminel; d’une demande d’aveux présentée en vertu de l’article 255 des Règles; d’une demande de déclaration supplémentaire; et d’une demande de [traduction] « déjudiciarisation immédiate, ex parte, aux termes de l’article 141 du Code criminel, de l’infraction punissable par mise en accusation commise par la défenderesse devant la Cour », c’est‑à‑dire l’allégation selon laquelle l’avocat de la défenderesse a conseillé à la Cour de commettre une négligence criminelle causant des lésions corporelles, supposément par l’intermédiaire des observations qu’il a présentées à la Cour en réponse à la requête du demandeur. Ce dépôt doit être rejeté en termes clairs pour plusieurs motifs.

[35] Premièrement, il n’est pas approprié de déposer des observations supplémentaires après l’audience sans avoir obtenu l’autorisation de la Cour. Deuxièmement, bien que l’article 468 du Code criminel prévoie que « [t]oute cour supérieure de juridiction criminelle est compétente pour juger un acte criminel », le terme « cour supérieure de juridiction criminelle » désigne, selon la définition qui figure à l’article 2 du Code criminel, les cours supérieures et les cours d’appel des provinces, et non pas la Cour fédérale, comme je l’ai expliqué ci‑dessus au paragraphe [17] . Aux termes de l’article 468 du Code criminel, la Cour n’a pas compétence. Troisièmement, pour ce qui est de la demande d’aveux, l’article 255 des Règles prévoit qu’une partie peut demander à une autre partie de « reconnaître la véracité d’un fait ou l’authenticité d’un document ». La compétence de la Cour fédérale en matière pénale étant une question juridique, et non pas « la véracité d’un fait ou l’authenticité d’un document » qu’une partie peut reconnaître, la prétendue demande d’aveux est inappropriée. Pour dissiper tout doute, je souligne que la défenderesse n’est aucunement tenue de répondre à cette prétendue demande d’aveux.

[36] Dernièrement, et surtout, l’allégation selon laquelle l’avocat de la défenderesse a adopté un comportement criminel est absolument injustifiée. Une telle allégation est tout à fait inappropriée. Je me suis retenu de commenter ci‑dessus le fond des allégations de M. Klos selon lesquelles l’autre avocat a adopté un comportement criminel, car la Cour fédérale n’a pas compétence en matière pénale et je ne suis pas saisi de la question du bien‑fondé des allégations qui figurent dans la déclaration. Cependant, l’allégation actuelle se rattache à une allégation qui découle de la tenue d’une audience devant la Cour, et la situation nécessite que je formule des commentaires. Alléguer qu’une personne a adopté un comportement criminel est grave. Peut‑être que M. Klos, parce qu’il a le sentiment que les observations de l’avocat ou la décision de la Cour pourraient l’affecter, considère qu’il a des motifs valables d’affirmer que l’avocat pourrait avoir adopté un comportement criminel en présentant ses observations à la Cour. Il a entièrement tort, sur les plans juridique et factuel. L’avocat de la défenderesse a présenté des observations appropriées et a même fait des efforts dans celles‑ci pour s’assurer d’expliquer les questions juridiques qui ne prêtent pas à controverse afin qu’elles soient comprises par M. Klos. Il s’agissait là d’une conduite judicieuse, en particulier à l’égard d’une partie qui n’est pas représentée.

[37] Soyons clairs : une partie qui allègue de façon injustifiée qu’un avocat s’est comporté de façon criminelle parce que ce dernier a présenté des observations juridiques compromet sa propre cause, même si les observations en question lui sont défavorables, et un tel geste pourrait être jugé futile et vexatoire, et considéré comme un recours abusif à la Cour : Vasiliou v Hallett et al, 2015 ONSC 3997 au para 2. L’adoption d’un tel comportement par un plaideur devant la Cour est inacceptable.

[38] M. Klos a demandé l’autorisation de comparaître à la prochaine séance générale pour faire une dénonciation sous serment. Pour les motifs qui précèdent, la Cour et ses juges n’ont pas compétence pour entendre une dénonciation d’un crime sous serment. La comparution demandée ne peut donc se justifier et n’est pas permise.


ORDONNANCE dans le dossier T‑26‑22

LA COUR ORDONNE que :

  1. Le demandeur est exonéré des droits de dépôt applicables à la présente demande, lesquels lui seront remboursés par le greffe;

  2. Aucune ordonnance n’est rendue en ce qui concerne l’exonération d’éventuels droits de dépôt applicables, par exemple pour une requête en jugement sommaire, une requête en procès sommaire ou une conférence préparatoire à l’instruction, sans préjudice à la capacité du demandeur de demander une ordonnance l’exonérant de tels droits au moment approprié, ce qui pourra être fait au moyen d’une requête écrite informelle;

  3. Sous réserve d’une autre ordonnance de la Cour, le demandeur ne sera pas tenu de fournir des copies papier de tout document qu’il déposera électroniquement, dont les paragraphes ou les pages seront numérotés, et qui comportera :

    1. 100 pages ou moins, pièces jointes comprises;

    2. 500 pages ou moins, pourvu qu’il soit déposé cinq jours ouvrables francs avant toute date d’audience applicable;

  4. La signification au demandeur peut être effectuée par courriel à l’adresse électronique indiquée dans son dossier de requête. Le demandeur doit accuser réception des courriels à leur réception, s’assurer de conserver l’accès à ce compte courriel, et veiller à ce que la boîte courriel soit vérifiée de façon à ce qu’il prenne connaissance de tout document signifié;

  5. La défenderesse doit, dans un délai de dix jours, communiquer au demandeur une adresse électronique à laquelle il pourra lui signifier des documents. La signification à la défenderesse peut être effectuée par courriel à l’adresse électronique fournie. La défenderesse doit accuser réception des courriels à leur réception;

  6. Si, en ce qui concerne la signification par voie électronique, un problème survient relativement à ce qui précède, les deux parties pourront demander individuellement ou conjointement des directives ou une nouvelle ordonnance;

  7. Le demandeur doit aviser la défenderesse et la Cour de tout changement concernant l’adresse électronique dont il est question ci‑dessus ou son numéro de téléphone actuel, ou encore s’il ne peut plus avoir accès à l’un ou à l’autre;

  8. Le demandeur n’est plus tenu de fournir une adresse postale aux fins de signification ni d’indiquer une adresse postale aux fins de signification sur les documents;

  9. Si le demandeur dispose éventuellement d’une adresse fixe, il devra en aviser la Cour, et cette adresse sera utilisée aux fins de signification. Cependant, la signification électronique demeurera possible;

  10. Le demandeur est autorisé à retirer les pages 58 et 59 de son dossier de requête. Le registraire doit retirer ces pages de toute copie du dossier de requête contenue dans le dossier de la Cour;

  11. À tous les autres égards, la requête est rejetée;

  12. Aucune réparation n’est accordée en ce qui concerne le document du demandeur déposé le 20 janvier 2022, et la demande d’autorisation de comparaître à la prochaine séance générale à Vancouver que le demandeur a présentée afin de faire une dénonciation sous serment lui est refusée;

  13. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑26‑22

 

INTITULÉ :

MORRIS KLOS c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique) (comparution de la défenderesse par vidéoconférence)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 janvier 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 janvier 2022

 

COMPARUTIONS :

Morris Klos

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Rory Makosz

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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