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Date : 20220211


Dossier : T‑717‑21

Référence : 2022 CF 192

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 11 février 2022

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

WENXIAN LOU

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

MOTIFS ET ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

[1] Par un avis de requête déposé pour examen sur la base de prétentions écrites sous le régime de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), madame Wenxian Lou (la demanderesse) interjette appel de l’ordonnance rendue par la protonotaire Aylen (maintenant juge à la Cour fédérale) le 15 juin 2021. Dans cette ordonnance, la protonotaire Aylen a accueilli la requête déposée par le procureur général du Canada (le défendeur), également sous le régime de l’article 369 des Règles.

[2] L’ordonnance radie la déclaration dans son intégralité, sans autorisation de la modifier. La demanderesse a été condamnée à payer à la défenderesse les dépens de la requête, établis à 500 $, taxes et débours compris.

II. CONTEXTE

[3] Les détails qui suivent sont tirés des pièces jointes à l’affidavit de Mme Alexis McEwan, chef de bureau/superviseure des assistants juridiques au ministère de la Justice et avocate de la défenderesse dans la présente instance.

[4] Les pièces comprennent les documents suivants :

  1. Pièce « A » ‑ copie de la déclaration déposée le 11 janvier 2021 dans le dossier no T‑91‑21, par la demanderesse contre la défenderesse;

  2. Pièce « B » ‑ ordonnance datée du 18 mars 2021 par laquelle la protonotaire Molgat a accueilli la requête de la défenderesse visant à faire radier la déclaration de la demanderesse dans son intégralité, assortie de dépens de 300 $;

  3. Pièce « C » ‑ ordonnance datée du 7 avril 2021 par laquelle la protonotaire Molgat a rejeté la requête en réexamen de l’ordonnance du 18 mars 2021 présentée par la demanderesse;

  4. Pièce « D » ‑ copie de la déclaration déposée le 30 avril 2021 dans la présente action;

  5. Pièce « E » ‑ ordonnance datée du 15 juin 2021 par laquelle la protonotaire Aylen a accueilli la requête de la défenderesse visant à faire radier la déclaration de la demanderesse dans son intégralité, sans autorisation de la modifier, et a adjugé des dépens à la défenderesse;

[5] Il n’est pas nécessaire d’examiner en détail les faits énoncés dans les déclarations de la demanderesse. Les contestations des déclarations étaient en grande partie fondées sur l’absence de faits pour étayer les causes d’action pouvant être examinées par la Cour.

[6] La demanderesse est arrivée au Canada le 21 août 2016 avec un visa de visiteur afin que son fils puisse fréquenter l’école. Dans la première déclaration, déposée dans le dossier T‑91‑21, elle a déclaré avoir été victime de diverses [traduction] « fraudes » mettant en cause notamment des banques, des compagnies d’assurance, des entreprises et le gouvernement. Selon l’ordonnance de la protonotaire Molgat, dans cette déclaration, la demanderesse sollicitait des dommages‑intérêts de 70 millions de dollars pour atteinte à ses droits et à la sécurité de sa personne parce qu’elle aurait été [traduction] « victime d’un traitement inusité ».

[7] La protonotaire Molgat a examiné le droit applicable à une requête en radiation. Elle a observé que le fardeau qui incombe à la partie requérante, c’est‑à‑dire la défenderesse, est élevé. Le critère à appliquer est de savoir s’il est « évident et manifeste » que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable, au sens des arrêts Hunt c Carey Inc., [1990] 2 RCS 959, et R c Imperial Tobacco Canada Ltée, [2011] 3 RCS 45.

[8] La protonotaire a accepté les arguments de la défenderesse et a conclu que la déclaration de la demanderesse ne révélait aucune cause d’action raisonnable. Elle l’a donc radiée sans son intégralité. Elle a également conclu que les lacunes dans la déclaration ne pouvaient être comblées par une modification et a donc refusé l’autorisation de modifier.

[9] Saisie d’une requête en réexamen de l’ordonnance présentée par la demanderesse, la protonotaire Molgat a appliqué l’article 397 des Règles. Cette disposition est libellée ainsi :

Réexamen

Motion to reconsider

397 (1) Dans les 10 jours après qu’une ordonnance a été rendue ou dans tout autre délai accordé par la Cour, une partie peut signifier et déposer un avis de requête demandant à la Cour qui a rendu l’ordonnance, telle qu’elle était constituée à ce moment, d’en examiner de nouveau les termes, mais seulement pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

397 (1) Within 10 days after the making of an order, or within such other time as the Court may allow, a party may serve and file a notice of motion to request that the Court, as constituted at the time the order was made, reconsider its terms on the ground that

a) l’ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour la justifier;

(a) the order does not accord with any reasons given for it; or

b) une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement.

(b) a matter that should have been dealt with has been overlooked or accidentally omitted.

[10] La protonotaire Molgat a conclu qu’en présentant la requête en réexamen, la demanderesse tentait de contester à nouveau la requête en radiation de la défenderesse afin d’obtenir un résultat différent. Elle a conclu que cette tentative était contraire à l’objectif d’une requête en réexamen et a rejeté la requête de la demanderesse avec dépens.

[11] La demanderesse a ensuite déposé une déclaration, qui est l’acte introductif de la présente instance. Cette déclaration a été déposée le 30 avril 2021.

[12] Le 31 mai 2021, la défenderesse a déposé une requête par écrit en vertu de l’article 369 des Règles afin de demander une ordonnance radiant la déclaration. La demanderesse n’a pas déposé de réponse.

[13] La requête a été tranchée par la protonotaire Aylen. Cette dernière a examiné le droit applicable aux requêtes en radiation. D’après l’ordonnance, elle a comparé des paragraphes de la déclaration du 30 avril 2021 avec ceux de la première déclaration, c’est‑à‑dire l’acte introductif d’instance dans le dossier no T‑91‑21. Elle a essentiellement conclu que la demanderesse répétait les allégations formulées dans la déclaration qui avait déjà été radiée.

[14] La protonotaire Aylen a jugé que la « nouvelle » déclaration ne révélait aucune cause d’action raisonnable et qu’elle comportait les mêmes lacunes que la « première » déclaration, c’est‑à‑dire qu’elle contenait de simples affirmations et des déclarations catégoriques. Elle a également jugé que la « nouvelle » déclaration constituait un abus de procédure parce qu’il s’agissait d’une reformulation voilée des allégations énoncées dans la déclaration qui avait été radiée par la protonotaire Molgat, sans autorisation de la modifier.

[15] Cette déclaration a été déposée le 11 janvier 2021. Le paragraphe 7 de l’ordonnance mentionne la déclaration en ces termes :

[traduction]
Le 11 janvier 2021, la demanderesse a déposé une déclaration (T‑91‑21) dans laquelle elle demandait à la défenderesse de cesser tout comportement illégal contre elle et réclamait des dommages‑intérêts d’un montant de 70 millions de dollars. Dans cet acte de procédure, elle a formulé des allégations de « suivi et de surveillance illégaux », « d’accès illégal à sa résidence personnelle », de viol, d’agression sexuelle et de « traite de personnes organisée par le gouvernement » ainsi que des allégations relatives aux drogues. Elle a également fait mention de ses expériences négatives avec des consultants en immigration, des institutions financières, des compagnies d’assurance, des écoles, des propriétaires et des gestionnaires immobiliers.

[16] La protonotaire Aylen a accueilli la requête de la défenderesse. Elle a jugé qu’il était évident et manifeste que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable et qu’elle constitue un abus de procédure. Plus précisément, elle a conclu que l’acte de procédure était rempli de simples assertions et de déclarations catégoriques et qu’il consistait en un récit décousu dénué de faits importants pouvant étayer une cause d’action pour complot ou toute autre cause d’action connue en droit et à l’égard de laquelle la Cour fédérale a compétence.

[17] La demanderesse a interjeté appel de l’ordonnance en vertu du paragraphe 51(1) des Règles en déposant un avis de requête le 22 juin 2021. Elle a demandé l’autorisation de modifier sa déclaration.

III. OBSERVATIONS

[18] La demanderesse soutient que la protonotaire Aylen a commis une erreur en concluant que les lacunes de la déclaration ne pouvaient pas être corrigées au moyen d’une modification.

[19] La défenderesse a déposé un dossier de requête en réponse et fait valoir que la protonotaire Aylen n’a commis aucune erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a radié la déclaration dans son intégralité, sans autorisation de la modifier, car cette déclaration ne révélait aucune cause d’action raisonnable et constituait un abus de procédure.

[20] La défenderesse soutient que l’appel interjeté par la demanderesse devrait être rejeté avec dépens, dépens que la Cour devrait fixer en application des dispositions 400(3)i), 400(3)k)(i) et 402(1) des Règles.

IV. ANALYSE ET DÉCISION

[21] Le critère applicable lors de l’appel d’une décision d’un protonotaire est établi dans la décision Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, [2017] RCF 331, aux paragraphes 27 et 66 :

[27] [...] la décision discrétionnaire d’un protonotaire est entachée d’erreur flagrante, et ouvre donc droit à l’intervention d’un juge en appel, lorsqu’elle se fonde (1) sur un mauvais principe ‑‑ d’où il suit qu’elle doit être correcte en ce qui concerne les questions de droit ‑‑ ou (2) sur une mauvaise appréciation des faits ‑‑ critère qui semble correspondre à celui de l’« erreur manifeste et dominante » de la norme Housen si cette mauvaise appréciation a eu pour effet d’entacher la décision d’une « erreur flagrante ».

[…]

[66] La Cour suprême a exposé dans Housen la norme de contrôle applicable aux décisions des juges de première instance. Elle y a notamment établi que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait d’un juge de première instance est celle de l’erreur manifeste et dominante. Quant à la norme applicable aux questions de droit, et aux questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il y a une question de droit isolable, la Cour suprême a conclu que c’est celle de la décision correcte (paragraphes 19 à 37 de Housen).

[22] Par son ordonnance, la protonotaire a radié la déclaration de la demanderesse dans son intégralité, sans autorisation de la modifier.

[23] En se faisant, la protonotaire a examiné la jurisprudence applicable, notamment les arrêts Operation Dismantle Inc. c La Reine, [1985] 1 RCS 441, aux para 7‑8, 27; Imperial Tobacco Canada Ltd., supra; Mancuso c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [2015] ACF no 1245; Enercorp Sand Solutions Inc. c Specialized Desanders Inc., [2018] ACF no 1179 et Apotex Inc. c Syntex Pharmaceuticals International Ltd., [2005] ACF no 1600.

[24] Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans la conclusion de la protonotaire selon laquelle la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable et constitue un abus de procédure.

[25] La protonotaire a tenu compte des principes juridiques applicables et a appliqué la jurisprudence pertinente. La déclaration de la demanderesse a été réexaminée adéquatement à quatre reprises puisque la déclaration déposée en l’espèce reflète la déclaration déposée dans le dossier no T‑19‑21.

[26] Par conséquent, l’appel de la demanderesse est rejeté.

[27] La défenderesse sollicite des dépens si elle obtient gain de cause.

[28] Selon l’article 400 des Règles, le pouvoir d’adjuger les dépens relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

[29] Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré à l’article 400 des Règles, j’adjuge des dépens de 500 $ à la défenderesse.


ORDONNANCE dans le dossier T‑717‑21

LA COUR ORDONNE que la requête est rejetée, avec dépens de 500 $ en faveur de la défenderesse.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑717‑21

 

INTITULÉ :

WENXIAN LOU c SA MAJESTÉ LA REINE

 

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT ET EXAMINÉE À ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR) SOUS LE RÉGIME DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

MOTIFS ET ORDONNANCE :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 11 FÉVRIER 2022

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Wenxian Lou

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Nathan Joyal

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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