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Date : 20220302


Dossier : IMM-3671-21

Référence : 2022 CF 268

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2022

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

PATRICIA NKEMKAMMA ROBERT

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La demanderesse, Mme Patricia Nkemkamma Robert, conteste la décision datée du 15 avril 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté son appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui a conclu qu’elle n’était pas crédible et a rejeté sa demande d’asile.

 

[2] En bref, la SAR a rejeté l’appel de Mme Robert et a conclu que la SPR avait eu raison de conclure qu’elle n’était pas crédible. La SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle la demanderesse n’a ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

[3] Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’entends rejeter la demande de contrôle judiciaire.

II. Le contexte

[4] Mme Robert est citoyenne du Nigéria. Du 26 décembre 2016 au mois de mai 2017, Mme Robert a séjourné aux États-Unis, mais n’y a pas demandé l’asile. Elle est retournée aux États-Unis le 24 juillet 2017, mais, là encore, elle n’a pas présenté de demande d’asile.

[5] Le 3 mai 2018, Mme Robert est entrée au Canada depuis les États-Unis et a demandé l’asile au Canada. Le 10 mai 2018, Mme Robert a signé son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], mais n’a fourni aucun renseignement quant au fondement de sa demande.

[6] Le 4 juin 2018, Mme Robert a modifié son formulaire FDA en y ajoutant un exposé circonstancié (DCT, page 55). Mme Robert a indiqué que son époux a été porté disparu le 3 septembre 2003 et que peu après la famille de ce dernier a pris le contrôle de son entreprise. Elle a précisé qu’en 2017, c’est-à-dire 14 ans après la disparition de son époux, ses beaux-parents ont appris qu’il existait un moyen de le faire revenir en toute sécurité et que ce moyen exigeait que sa fille soit excisée pour apaiser les dieux. Mme Robert a refusé d’amener sa fille à ses beaux-parents et, en 2017, son beau-frère a menacé de la tuer et de s’immerger dans son sang. Mme Robert a indiqué que les menaces s’étaient alors intensifiées, qu’elle avait été agressée à la gare d’autobus et qu’elle en était finalement venue à inscrire sa fille dans un pensionnat et a quitté le Nigéria pour les États-Unis. Enfin, elle a affirmé avoir demandé l’asile au Canada parce que les États-Unis n’étaient pas la meilleure option pour elle en raison de la position du gouvernement.

[7] Le 12 février 2020, Mme Robert a présenté un exposé circonstancié modifié. Elle a indiqué que ses beaux-parents la tenaient pour responsable de la disparition de son époux. Elle a ensuite précisé qu’à son retour des États-Unis en 2017, sa sœur lui avait dit que la belle-famille la harcelait. Dans la version modifiée de son exposé circonstancié, Mme Robert n’a fait aucune mention de l’intention de ses beaux-parents de soumettre sa fille à l’excision ni de l’incident de la gare d’autobus.

[8] La SPR a instruit la demande d’asile de Mme Robert le 10 mars 2020. Lors de son témoignage, cette dernière a mentionné à maintes reprises avoir commencé à recevoir des menaces en 2003, alors que les versions originale et modifiée de son exposé circonstancié indiquent toutes deux que ces menaces ont commencé en 2017. Le 7 juillet 2020, la SPR a rejeté la demande d’asile en raison de préoccupations liées à la crédibilité. La SPR a souligné que Mme Robert avait indiqué qu’elle craignait de subir un préjudice grave aux mains de ses beaux-parents ou d’être persécutée par ces derniers parce qu’elle refusait que sa fille subisse une mutilation génitale féminine [MGF]. La SPR a souligné que Mme Robert avait prétendu que ses beaux-parents lui reprochaient d’être à l’origine de la disparition de son époux en 2003, qu’ils la harcelaient à ce sujet et qu’ils croyaient que, si sa fille était excisée, son époux serait retrouvé. La SPR a fait observer que, dans son exposé circonstancié modifié, Mme Robert a ajouté que ses beaux-parents l’avaient accusée d’avoir tué son époux, mais qu’elle a retiré son allégation portant que ses beaux-parents insistaient pour que sa fille subisse une MGF ainsi que son allégation concernant l’altercation qu’elle avait eue avec deux hommes.

[9] La SPR a souligné qu’un témoignage est présumé vrai sauf s’il existe des raisons de douter de sa véracité, et a précisé que de telles raisons étaient présentes en l’espèce. La SPR a conclu que Mme Robert avait souvent manqué de spontanéité, de précision ou de franchise dans ses réponses, qu’elle avait formulé de nouvelles allégations importantes à l’audience et que ses allégations concernant le risque auquel elle était exposée étaient minées par les incohérences entre son témoignage et les versions originale et modifiée de son exposé circonstancié.

[10] En ce qui concerne les rites, la SPR a souligné que Mme Robert a déclaré lors de son témoignage que sa belle-famille voulait qu’elle boive de l’eau dans un sanctuaire pour la disparation de son époux, alors qu’elle n’en avait pas fait mention dans son exposé circonstancié. En outre, la SPR a conclu que la preuve objective ne faisait aucune mention des rituels à pratiquer dans le cas d’un époux disparu et que cette omission et l’absence d’éléments de preuve objectifs corroborants minaient la crédibilité de Mme Robert.

[11] Mme Robert a interjeté appel de la décision devant la SAR et, le 15 avril 2021, cette dernière a rejeté son appel. La décision de la SAR fait maintenant l’objet du présent contrôle judiciaire.

III. La décision de la SAR

[12] Dans sa décision, la SAR a souligné que Mme Robert affirmait être en danger du fait de la disparition de son époux. La SAR a souligné que, dans la version originale de son exposé circonstancié, Mme Robert a affirmé que l’oracle avait donné l’instruction à sa belle-famille de soumettre sa fille à une MGF afin que son époux puisse être retrouvé, et qu’elle avait été harcelée et accusée depuis la disparition de son époux. La SAR a fait observer que, dans son exposé circonstancié modifié, en revanche, Mme Robert affirme que sa belle-famille l’a accusée d’avoir tué son époux, mais ne fait aucune mention de la MGF ou d’un autre incident lors duquel sa belle-famille aurait tenté de lui causer du tort.

[13] Compte tenu des questions soulevées en appel, la SAR a axé son analyse sur 1) les incohérences concernant les menaces et les accusations; 2) le fait que Mme Robert s’est à nouveau réclamée de la protection du Nigéria; 3) le risque qu’elle soit renvoyée de force au Nigéria; 4) l’incohérence concernant les allégations de MGF; 5) l’omission concernant les rites; et 6) les autres éléments de preuve.

[14] S’agissant des incohérences concernant les menaces et les accusations, la SAR a souligné que Mme Robert a témoigné avoir commencé à recevoir des menaces de sa belle-famille en 2003 et avoir craint pour sa vie à partir de ce moment-là, ce qui est en contradiction avec les renseignements qu’elle a fournis dans les versions originale et modifiée de son exposé circonstancié.

[15] Dans son exposé circonstancié original, Mme Robert a affirmé avoir reçu, à son retour des États‑Unis en 2017, un appel de son beau‑frère, qui menaçait de la tuer. En revanche, dans son exposé circonstancié modifié, elle a indiqué que sa sœur lui avait dit, à son retour des États-Unis en 2017, que la belle-famille la harcelait et qualifiait de tueuse d’époux.

[16] La SAR a conclu que la SPR était fondée à conclure que cette incohérence minait la crédibilité de Mme Robert. La SAR a souligné que ni l’exposé circonstancié original ni l’exposé circonstancié modifié ne faisait mention des menaces qui auraient été proférées en 2003 et que les deux exposés circonstanciés se contredisaient quant au moment des premières menaces ou accusations et à la ou aux personnes qui les auraient faites. La SAR n’a pas accepté les explications fournies, estimant qu’elles ne faisaient qu’accroître le niveau d’incohérence.

[17] En ce qui concerne les séjours de Mme Robert aux États-Unis, la SAR a jugé que cette dernière n’avait pas raisonnablement tenté de se renseigner sur le processus de demande d’asile dans ce pays. Elle a souligné que Mme Robert a passé plusieurs mois aux États-Unis, mais a uniquement demandé conseil à un ami, qu’elle est instruite, qu’elle parle anglais, et qu’elle a été en mesure d’obtenir un visa pour les États-Unis et de se rendre seule aux États-Unis.

[18] En ce qui concerne les allégations relatives à la MGF, la SAR a souligné qu’elles avaient été retirées de l’exposé circonstancié modifié et que ce retrait minait la crédibilité de Mme Robert. La SAR a ajouté que l’explication fournie par cette dernière, c’est-à-dire l’absence de documents corroborants, n’était pas raisonnable.

[19] S’agissant de l’omission relative aux rituels, la SAR a souligné que Mme Robert a déclaré lors de son témoignage que sa belle-famille voulait qu’elle aille boire de l’eau dans un sanctuaire pour la disparition de son époux, alors que son exposé circonstancié n’en fait pas mention. La SAR a conclu qu’il était approprié que la SPR examine la preuve objective à la lumière de la question de la crédibilité, mais que l’application qu’elle a faite de cette preuve était erronée. La SAR a précisé que la SPR avait établi que la preuve objective portait uniquement sur les rites traditionnels, dont le rituel consistant à boire de l’eau dans un sanctuaire, qui s’appliquent aux époux morts. La SAR a jugé que, puisque Mme Robert était accusée par la belle-famille d’avoir tué son ex-époux, il n’y avait pas d’incohérence par rapport à la preuve objective à cet égard. La SAR a néanmoins conclu que l’omission grave concernant les rites minait la crédibilité de Mme Robert et est parvenue à la même conclusion que la SPR à cet égard.

[20] En conclusion, la SAR a affirmé que la SPR avait eu raison de conclure que Mme Robert n’est pas crédible, selon la prépondérance des probabilités. La SAR a précisé qu’elle n’examinerait pas les conclusions de la SPR quant au témoignage de Mme Robert concernant les menaces de mort proférées par ses beaux-parents, car elle estimait que celles-ci n’étaient pas déterminantes. La SAR a conclu que la SPR avait à juste titre conclu que Mme Robert n’avait pas établi l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution ou, selon la prépondérance des probabilités, d’une menace à sa vie. Elle a rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR selon laquelle Mme Robert n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

IV. Les questions dont la Cour est saisie

[21] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable à la décision de la SAR est présumée être celle de la décision raisonnable, car aucune des circonstances dans lesquelles cette présomption peut être réfutée n’est présente en l’espèce. La Cour doit donc déterminer si Mme Robert s’est acquittée de son fardeau de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable.

[22] Dans l’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Bafakih, 2022 CAF 18 au paragraphe 27 [Bafakih], la Cour d’appel fédérale a récemment souligné de nouveau que, dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 83 [ Vavilov ]). En dernière analyse, la cour de révision doit être convaincue que la décision administrative est « [...] fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85).

[23] La Cour d’appel fédérale nous a également rappelé que, comme l’a confirmé la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, la cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable doit s’abstenir de trancher elle-même les questions dont était saisi le décideur administratif (Bafakih, au para 52). La Cour d’appel fédérale a en outre souligné que [Traduction] « en d’autres termes, la cour de révision “ne se demande [...] pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’‘éventail’ des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution ‘correcte’ au problème” (Vavilov au para 83) ».

[24] Qui plus est, la Cour doit porter une attention particulière aux détails lorsque des conclusions quant à la crédibilité sont en jeu. Comme elle l’a indiqué dans Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558 au paragraphe 11, « […] la crédibilité est une question de fait pour laquelle la retenue s’impose et qui doit être examinée en fonction de la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.F. no 9, paragraphe 53; Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 42 A.C.W.S. (3d) 886, paragraphe 4 (C.A.F.); Gatore c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 702, [2009] A.C.F. no 871, paragraphes 27-28 ». Dans sa décision Charles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 520 au paragraphe 22, la juge Walker a récemment statué que « [l]a Cour doit faire preuve de déférence envers les conclusions de crédibilité de la SAR (Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 au para 42). La SAR examine attentivement les conclusions de la SPR, la preuve et les arguments dans le mémoire d’appel des demanderesses. La SAR n’entreprend pas une “chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur” (Vavilov au para 102) ». La Cour doit « [...] faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de crédibilité de la SAR et [...] elle doit considérer les motifs dans leur ensemble, à la lumière du dossier (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 53; Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 363 au para 6) » (Ba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 233 au para 10). De façon similaire, dans Kindu Lukombo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 126 au paragraphe 13, la Cour a reconnu qu’elle « [...] doit faire preuve d’une grande retenue à l’endroit des conclusions de crédibilité de la SAR (Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 363 au para 6) ».

[25] Mme Robert soutient que la décision de la SAR est déraisonnable pour deux raisons. À l’audience, Mme Robert a présenté un nouvel argument concernant le traitement que la SPR et la SAR doivent réserver aux modifications qu’un demandeur d’asile apporte à son exposé circonstancié. Cet argument n’a pas été soulevé dans le mémoire de Mme Robert et, conformément à la jurisprudence pertinente, je n’en tiendrai pas compte. Je me permets cependant de préciser qu’en l’espèce, la SPR et la SAR n’ont pas considéré comme problématique le fait que Mme Robert avait modifié son exposé circonstancié; elles ont cependant jugé que l’explication que celle-ci avait fournie pour justifier les changements considérables apportés était déraisonnable. Cet argument est donc dénué de fondement dans tous les cas.

[26] Mme Robert soutient en premier lieu que la SAR n’a pas exercé les pouvoirs dont elle dispose à titre d’organisme d’appel, comme l’exige l’article 111 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[27] Plus précisément, elle soutient que la SAR n’a pas effectué sa propre analyse et n’a pas exercé ses pouvoirs en matière d’appel, car elle a relevé une erreur dans la décision de la SPR concernant la preuve objective, mais a néanmoins tiré la même conclusion quant à la crédibilité en ce qui a trait aux rites. Mme Robert ajoute que l’omission n’est pas au cœur de sa demande d’asile puisqu’elle n’a rien à voir avec les menaces et que la SAR n’a pas fourni d’explications à savoir pourquoi elle considérait que ce rituel touchait au cœur de sa demande.

[28] En outre, Mme Robert estime problématique le fait que la SAR n’ait pas abordé les conclusions de la SPR quant aux menaces de mort, affirmant que celles-ci sont au cœur de sa demande d’asile et que la SAR a commis une erreur.

[29] En second lieu, Mme Robert soutient que la SAR a commis une erreur en confirmant les conclusions de la SPR quant à la crédibilité et qu’elle n’a pas appliqué la présomption voulant qu’un témoignage sous serment soit véridique malgré qu’elle ait à juste titre cité la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 [Maldonado].

[30] Mme Robert ne nie pas que son formulaire FDA, son exposé circonstancié modifié et son témoignage comportent des incohérences ou des omissions, mais affirme que celles-ci concernent des questions anodines ou secondaires. Elle ajoute que le fait qu’elle n’ait pas demandé l’asile aux États-Unis ne constitue pas une renonciation à son droit de demander l’asile dans un autre pays, citant Gavryushenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 194 FTR 161.

[31] Le ministre soutient que la décision de la SAR est raisonnable et que Mme Robert n’a pas démontré qu’elle est déraisonnable. À ce titre, le ministre fait valoir ce qui suit : 1) les trois versions différentes qu’a données la demanderesse en ce qui concerne la première fois où elle a reçu des menaces ou été accusée d’avoir tué son époux minent sa crédibilité; 2) le fait que Mme Robert se soit à nouveau réclamée de la protection du Nigéria et qu’elle n’ait pas demandé l’asile à la première occasion qu’elle a eue de le faire de façon sécuritaire est incompatible avec sa prétendue crainte subjective, et la SPR était fondée à tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité; 3) le fait que la demanderesse n’ait pas non plus demandé l’asile lors de son second séjour aux États-Unis est également incompatible avec sa prétendue crainte subjective; 4) les déclarations incohérentes de la demanderesse au sujet du prétendu risque que sa fille soit soumise à une MGF et l’absence d’une explication crédible à cet égard ont une incidence défavorable sur sa crédibilité; 5) la SPR a eu raison de tirer une conclusion défavorable du défaut de la demanderesse de mentionner dans son exposé circonstancié modifié que ses beaux-parents voulaient qu’elle boive de l’eau dans un sanctuaire pour prouver son innocence; et 6) la SPR a eu raison de conclure que la preuve présentée par la demanderesse ne corroborait pas sa prétention selon laquelle elle était recherchée et prise pour cible par sa belle-famille.

V. Décision

[32] Mme Robert ne m’a pas convaincue que la SAR a omis d’exercer ses pouvoirs en matière d’appel conformément à l’article 111 de la Loi, ou qu’elle a commis une erreur en confirmant les conclusions de la SPR quant à la crédibilité ou dans son application de la présomption de véracité.

[33] En bref, le dossier montre que la SAR 1) a effectué sa propre analyse; 2) n’a pas commis d’erreur en tirant la même conclusion que la SPR en ce qui concerne l’incidence de l’omission relative aux rites sur la crédibilité de Mme Robert, malgré son désaccord au sujet de la preuve objective; 3) n’a pas commis d’erreur en décidant de ne pas aborder les conclusions de la SPR quant aux menaces de mort; et 4) n’a pas commis d’erreur dans la façon dont elle a appliqué la présomption de véracité des témoignages.

[34] La SAR a procédé à un examen indépendant de la preuve, y compris du témoignage de Mme Robert devant la SPR, a évalué les arguments soulevés en appel et a conclu, à l’instar de la SPR, que son histoire manquait de crédibilité. Le simple fait que la SAR ait souscrit aux conclusions de la SPR ne signifie pas qu’elle n’a pas effectué son propre examen indépendant. La décision de la SAR est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti (Vavilov au para 85).

[35] Comme l’a souligné la SAR, Mme Robert a donné trois versions considérablement différentes en ce qui concerne la personne qui a proféré des menaces ou l’a informée des menaces (beau-frère ou sœur), la teneur de ces menaces (menaces à sa vie ou menaces de soumettre sa fille à une MGF), et le moment où ces menaces ont été faites (peu après la disparition de son époux en 2003 ou quelque 14 ans plus tard, en 2017, à son retour des États-Unis). Compte tenu du dossier, il était raisonnable de conclure que Mme Robert n’a pas fourni d’explication crédible relativement à ces incohérences.

[36] S’agissant de la question des rites, il restait à statuer sur le fait que Mme Robert n’en avait pas fait mention dans son exposé circonstancié, uniquement lors de son témoignage, et il était loisible à la SAR de conclure que cette omission minait encore plus la crédibilité de Mme Robert. Je conviens avec le ministre que l’allégation de Mme Robert selon laquelle sa belle-famille lui avait demandé de boire l’eau du sanctuaire pour prouver son innocence était effectivement un élément important en ce qui concerne le préjudice que celle-ci voulait prétendument lui faire subir. Comme l’a expliqué la SAR, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que Mme Robert inclue cette information dans son exposé circonstancié « […] car elle détaille la façon dont sa belle‑famille voulait lui causer du tort » (décision de la SAR au para 28).

[37] Ces incohérences touchaient au cœur de la demande d’asile de Mme Robert et la SAR a raisonnablement jugé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les autres conclusions de la SPR. Sa crédibilité était déjà irrémédiablement minée.

[38] La Cour ne conteste pas les principes généraux qui sous-tendent la présomption de véracité. Toutefois, la présomption de véracité peut être réfutée lorsque des contradictions, des incohérences, des omissions et des invraisemblances font naître des doutes quant à la crédibilité. La décision rendue dans Maldonado établit simplement le principe selon lequel « [q]uand un [demandeur] jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter » [non souligné dans l’original]. (Maldonado au para 5).

[39] À l’instar de la SPR, la SAR a réfuté cette présomption en l’espèce, car, lors d’un examen attentif des allégations formulées par Mme Robert, elle a relevé des incohérences ou des omissions et a constaté qu’aucune explication raisonnable n’avait été fournie en ce qui concerne 1) les menaces et les accusations ainsi que le moment où elles ont été proférées, c’est-à-dire en 2003 ou en 2017; 2) le fait que Mme Robert s’est à nouveau réclamée de la protection du Nigéria; 3) son séjour aux États-Unis; 4) le fait qu’elle a retiré les allégations concernant la MGF de sa fille de son exposé circonstancié modifié; et 5) l’omission relative aux rites.

[40] La SAR n’a pas commis d’erreur en signalant l’incohérence des déclarations de Mme Robert concernant le prétendu risque que sa fille soit soumise à une MGF et l’absence d’une explication crédible en ce qui a trait à cette omission. Il était raisonnable pour la SAR de conclure que ces éléments minaient la crédibilité de Mme Robert. Le dossier confirme que les omissions et les incohérences sont bien réelles – Mme Robert l’a elle-même reconnu – et la SAR a raisonnablement conclu qu’elles étaient suffisantes pour réfuter la présomption de véracité et miner la crédibilité de Mme Robert. Qui plus est, ces omissions et incohérences touchent au cœur de sa demande d’asile; l’argument de Mme Robert voulant que celles-ci soient anodines ou secondaires par rapport à sa demande est donc dénué de fondement.

[41] Mme Robert a bien présenté des documents qui confirment qu’elle a une fille, que son époux est disparu et qu’elle a demandé l’aide de la police. Cependant, ces documents n’établissent pas qu’elle serait exposée à un risque de préjudice si elle devait retourner au Nigéria. Il est raisonnable de conclure que la preuve présentée n’a aucune valeur probante du point de vue de ses allégations concernant le risque auquel elle serait exposée.

[42] Enfin, la SAR pouvait considérer que le retour volontaire d’un demandeur d’asile dans son pays d’origine est un comportement incompatible avec une prétendue crainte subjective de persécution et que, bien que le fait de demander tardivement l’asile ne soit pas déterminant quant à l’issue d’une demande d’asile, un tel retard peut miner la crédibilité de la personne (Hartono c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 601 au para 21; Renee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 409 au para 27; Bouarif c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 49 au para 15).

[43] Mme Robert n’a pas établi que la SAR avait commis une erreur susceptible de contrôle et, par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.


ORDONNANCE dans le dossier IMM-3671-21

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3671-21

INTITULÉ :

PATRICIA NKEMKAMMA ROBERT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec), par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 févrIER 2022

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE ST‑LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 2 mars 2022

COMPARUTIONS :

Me Felipe Morales

POUR LA DEMANDERESSE

Me Guillaume Bigaouette

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Semperlex Avocats

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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