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Date : 20220302


Dossier : IMM-4269-20

Référence : 2022 CF 293

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2022

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

LORENA PAREDES ROJAS

MELANIE ZARATE PAREDES

KEVIN BERNARDO ZARATE PAREDES

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] La demanderesse principale, Lorena Paredes Rojas, ainsi que ses deux (2) enfants, sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 4 mars 2020 par la Section d’appel des réfugiés [SAR], laquelle confirme le rejet de leurs demandes d’asile en raison d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] ailleurs dans leur pays d’origine.

[2] Les demandeurs sont citoyens du Mexique. Ils allèguent être victimes de violence conjugale et familiale de la part de l’ex-conjoint de la demanderesse principale, AZL, qui est également le père des deux (2) autres demandeurs. Les demandeurs affirment que AZL a des amis policiers, y compris un commandant de police, de sorte qu’il serait à l’abri d’enquêtes et de poursuites.

[3] Le 30 octobre 2019, la Section de la protection des réfugiés [SPR] conclut que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La SPR juge les demandeurs crédibles quant à leurs allégations selon lesquelles ils ont été victimes de violence familiale. Toutefois, elle conclut que les demandeurs disposent d’une PRI à deux (2) endroits au Mexique, estimant que AZL n’a ni l’intérêt ni la motivation de les rechercher dans les PRI proposées.

[4] Les demandeurs interjettent appel de cette décision devant la SAR. La SAR rejette l’appel et confirme la décision rendue par la SPR. Malgré les nombreux arguments soulevés par les demandeurs en appel, la SAR juge que la question déterminante est celle portant sur les conclusions de la SPR quant à l’existence d’une PRI viable au Mexique. Elle conclut que la SPR n’a pas commis d’erreur.

[5] Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR est déraisonnable et contraire à la preuve présentée.

II. Analyse

[6] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La Cour est du même avis.

[7] Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit se demander si la décision possède les « caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]). De plus, il « incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100).

[8] Les demandeurs soulèvent plusieurs arguments à l’encontre de la décision de la SAR. Toutefois, un seul suffit pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire.

[9] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis des erreurs dans son analyse de la trame factuelle et qu’en conséquence son raisonnement sur la motivation de AZL à les retrouver est erroné.

[10] En effet, la SAR a effectivement commis une erreur lorsqu’elle mentionne que la demanderesse principale a pu vivre chez sa sœur sans incident et sans préjudice pendant plusieurs mois avant son départ, tout comme ses enfants. La preuve démontre plutôt que la demanderesse principale est demeurée chez sa demi-sœur lorsqu’elle est arrivée au Canada. Les éléments de preuve cités en note de bas de page par la SAR ne sont guère plus utiles puisqu’ils n’appuient pas son affirmation.

[11] La Cour est d’accord avec les demandeurs que cette erreur touche directement l’analyse de la SAR sur la motivation de AZL à les retrouver. Dans son analyse, la SAR reconnait que les incidents relatés par les demandeurs démontrent une intention continue de AZL « de les terroriser ». Toutefois, elle conclut que les demandeurs n’ont pas établi la motivation de AZL à les retrouver, puisque la demanderesse principale, tout comme ses enfants, ont pu vivre chez sa sœur sans incident ni préjudice plusieurs mois avant son départ du Mexique. Il s’agit du seul motif de la SAR pour conclure à l’absence de motivation, motif qui est basé sur une lecture erronée des faits.

[12] Par ailleurs, la Cour note qu’il ne s’agit pas de la seule erreur factuelle commise par la SAR. Dans son aperçu, la SAR indique que la demanderesse principale et sa fille ont quitté le Mexique en juin 2017. Or, la preuve démontre qu’elles ont plutôt quitté à des moments différents. La demanderesse principale a quitté le 5 juin 2017, et sa fille le 3 décembre 2017. Bien que cette erreur ne soit pas déterminante en soi, lorsqu’elle se penche sur la motivation de AZL à les retrouver, la SAR souligne que la preuve démontre que AZL a continué à harceler « les appelants associés jusqu’en 2018 ». Pourtant, la fille de la demanderesse principale n’était plus au Mexique en 2018.

[13] Le défendeur reconnait les erreurs commises par la SAR. Cependant, il fait valoir que la Cour devrait considérer la décision dans son ensemble, eu égard à la preuve au dossier et en s’appuyant sur la décision de la SPR. La Cour ne peut souscrire à cet argument.

[14] Bien que la déférence soit effectivement de mise à l’égard des décisions de la SAR, la Cour est d’avis que les erreurs commises touchent le fondement même de la conclusion portant sur la motivation de AZL à retrouver les demandeurs. Il se peut très bien que le résultat soit le même lors du réexamen de l’affaire. Cependant, il ne suffit pas que la décision soit justifiable, comme le défendeur a tenté de le démontrer. Elle doit être justifiée au regard des faits pertinents, en plus d’être intelligible et de contenir des motifs qui soient compréhensibles. La Cour n’est pas persuadée que la décision de la SAR possède les qualités d’une décision raisonnable (Vavilov au para 99).

[15] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée devant un tribunal constitué différemment pour un nouvel examen.

[16] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-4269-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision de la Section d’appel des réfugiés du 4 mars 2020 est annulée;

  3. L’affaire est renvoyée devant la Section d’appel des réfugiés pour un nouvel examen par un tribunal constitué différemment; et

  4. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4269-20

INTITULÉ :

LORENA PAREDES ROJAS ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER MARS 2022

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 2 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Francisco Alejandro Saenz Garay

Pour LES DEMANDEURS

Philippe Proulx

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Francisco Alejandro Saenz Garay

Montréal (Québec)

Pour LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LES DÉFENDEURS

 

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