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IMM-2549-21Date : 20220304


Dossier : IMM‑2549‑21

Référence : 2022 CF 306

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 4 mars 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

MUHAMMAD NAWAZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Monsieur Muhammad Nawaz, un citoyen du Pakistan de confession musulmane chiite, demande, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le contrôle judiciaire d’une décision du 30 mars 2021 prononcée par la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. Cette dernière a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] portant que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. Bien que le demandeur ait été jugé crédible, l’existence d’une possibilité de refuge intérieur valable [la PRI] au Pakistan a scellé le sort de la demande d’asile.

[2] Je suis d’avis que la décision est raisonnable et je vais rejeter la demande.

II. Contexte

A. Le contexte factuel

[3] En mai 2019, le demandeur s’est rendu à Ferozkhail, dans les zones tribales sous administration fédérale [les FATA], pour assister aux funérailles de son oncle. Durant la cérémonie, il a déclaré, devant environ 70 personnes, qu’il appuyait les rangers de l’armée qui protégeaient le pays contre les talibans. Quatre hommes ont crié que le demandeur devait être tué parce qu’il était un chiite et un blasphémateur. Par conséquent, son cousin l’a extrait des funérailles et l’a amené à Peshawar, dans la province du Khyber Pakhtunkhwa [KP].

[4] Quelques jours plus tard, quatre hommes ont abordé son cousin et l’ont sommé de révéler où se cachait le demandeur. Il a répondu que ce dernier était à Peshawar, mais sans préciser où exactement dans cette ville. En juin 2019, quatre motocyclistes ont tiré sur le demandeur et son frère pendant qu’ils se trouvaient à Peshawar. Le demandeur n’a pas été blessé, mais son frère est décédé. Tant la SAR que la SPR ont admis que le Tehrik‑e‑Taliban [le TTP] était responsable de cette attaque.

[5] Une semaine après celle‑ci, le demandeur a fui au Canada. Il a demandé l’asile en décembre 2019.

B. La décision de la SPR

[6] Quoiqu’elle ait jugé le demandeur crédible, la SPR a conclu qu’il disposait d’une PRI valable à Hyderabad. Elle a jugé que, selon la prépondérance des probabilités, le TTP ne serait pas en mesure de retrouver le demandeur dans cette ville en raison notamment de la forte population pakistanaise et de la géographie du pays. Elle a fait remarquer qu’Hyderabad est située à 1 200 kilomètres de Peshawar et des FATA où les incidents allégués se sont produits. La SPR a également conclu que le demandeur n’avait pas établi que le TTP aurait les moyens de le localiser dans le lieu désigné à titre de PRI. Pour ce faire, elle s’est fondée sur de la preuve documentaire selon laquelle il existe un manque de cohésion entre les factions du TTP, ce qui entrave leurs capacités.

[7] La SPR a fait observer que la réinstallation interne pourrait ne pas être possible lorsqu’un demandeur d’asile est passible de poursuites criminelles sous le régime des lois pakistanaises en matière de blasphème. Toutefois, elle a jugé que le demandeur n’avait pas produit d’éléments de preuve voulant qu’il ait été officiellement inculpé de cette infraction. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution ou à un risque de préjudice à Hyderabad en raison de l’allégation de blasphème verbal proférée à son endroit durant les funérailles de son oncle.

[8] Elle a également conclu que le demandeur n’avait pas démontré que le TTP aurait la motivation de le pourchasser s’il décidait de déménager à Hyderabad. Par conséquent, la SPR a conclu, eu égard à toutes les circonstances, y compris la situation personnelle du demandeur, qu’il ne serait pas déraisonnable pour lui de chercher refuge dans cette ville.

C. La décision attaquée

[9] La SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le TTP n’est pas motivé à pourchasser le demandeur vu son profil. Elle a également jugé que rien ne prouve que le TTP cherche toujours à repérer le demandeur ni que l’organisation est même au fait qu’il a fui le Pakistan. La SAR a conclu qu’elle ne disposait pas de preuve selon laquelle le TTP aurait diffusé l’identité du demandeur dans son réseau ni que les agresseurs du demandeur détiennent une quelconque influence au sein de leur organisation. Elle a également relevé que rien n’indique que le demandeur avait été officiellement accusé de blasphème.

[10] La SAR a reconnu que le TTP se trouvait à Hyderabad, où il pratique l’extorsion, mais a jugé que rien ne prouvait que le demandeur en serait victime. Elle a conclu que la SPR avait raison de juger que le demandeur serait à l’abri de ses agents de persécution dans le lieu proposé à titre de PRI.

[11] Elle a également jugé que le demandeur n’avait pas établi une possibilité sérieuse de persécution fondée sur son identité chiite.

[12] Le demandeur n’a soulevé devant la SAR aucun argument quant au caractère raisonnable de la PRI. La SAR a conclu qu’il serait raisonnable qu’il se réfugie à Hyderabad.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[13] Le demandeur plaide que la SAR a commis des erreurs en (1) concluant que le TTP ne disposait pas des moyens de le pourchasser dans le lieu proposé à titre de PRI; (2) concluant que le TTP n’était pas motivé à se lancer à sa poursuite; (3) omettant d’envisager l’État en tant qu’agent de persécution.

[14] Les deux parties soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La norme de la décision raisonnable est fondée sur la déférence, mais elle est rigoureuse : Vavilov, aux para 12‑13. La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, au para 15. La décision raisonnable est celle qui, d’une part, est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et qui, d’autre part, est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. L’analyse du caractère raisonnable d’une décision tient compte du contexte administratif dans lequel elle est rendue, du dossier dont dispose le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes touchées par ses conséquences : Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135.

[15] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la décision souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Les erreurs que comporte une décision ou les réserves qu’elle suscite ne justifient pas toutes une intervention. Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui‑ci : Vavilov, au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » : Vavilov, au para 100.

IV. Analyse

A. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le TTP ne disposait pas des moyens de pourchasser le demandeur dans le lieu proposé à titre de PRI?

[16] Le demandeur invoque plusieurs erreurs quant à la conclusion de la SAR portant que le TTP ne disposait pas des moyens de le pourchasser dans le lieu proposé à titre de PRI.

[17] Tout d’abord, le demandeur plaide que la SAR s’est méprise en exigeant qu’il prouve que son identité avait été diffusée dans le réseau du TTP ou que ses agresseurs étaient des gens influents au sein de l’organisation. Il soutient que cette preuve ne pouvait émaner que du TTP lui‑même. Je rejette cet argument. Il incombait au demandeur d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est exposé à un risque sérieux de persécution ou de préjudice dans le lieu proposé à titre de PRI : Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu]. Il appartient donc au demandeur d’établir, sur la foi d’éléments de preuve concrets, que le lieu désigné à titre de PRI n’est pas valable, même s’il est lui‑même jugé crédible : Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1164. Il était donc raisonnable pour la SAR d’exiger que le demandeur produise des éléments de preuve pour démontrer les risques encourus.

[18] Le demandeur soutient en outre que le fait qu’il a été repéré et attaqué à Peshawar montre que les agents de persécution, qui [traduction] « opèrent à partir de Ferozkhail », [traduction] « disposent manifestement d’une certaine influence au sein de leur réseau et parmi leurs alliés [...] ». Je fais observer que la SAR a tenu compte du fait que le TTP avait été en mesure de localiser et d’attaquer le demandeur à Peshawar. La SAR a toutefois pris note du fait que Peshawar fait partie d’un bastion du TTP, ce qui facilite leur traque du demandeur. Sa conclusion est raisonnable au vu de la preuve relative à la situation au Pakistan.

[19] Ensuite, le demandeur plaide que la SAR s’est fondée sur une preuve documentaire partielle et n’a pas traité de la preuve contradictoire. Le demandeur soutient que la SAR s’est fondée sur de la preuve datant d’au plus 2017 lorsqu’elle a conclu que le TTP ne formait pas un groupe soudé et que leur capacité à planifier et à exécuter des opérations bat de l’aile, mais qu’elle a néanmoins omis de tenir compte d’éléments de preuve contradictoires. Plus précisément, le demandeur avance que parmi la preuve que la SAR n’a pas mentionnée se trouvait une réponse à une demande d’information [la RDI] de 2020 qui indiquait que « la nomination [...] de Noor Wali [...] semble avoir permis d’unifier les factions du TTP sous son commandement », que « [les] récents attentats terroristes perpétrés par le TTP au Pakistan sont une preuve flagrante du renforcement de l’unité du groupe », et que des cibles légitimes de ces attaques sont « les communautés de non‑croyants [...] qui sont vus en train de collaborer avec l’État pakistanais ou sont coupables d’insultes à l’Islam ».

[20] Quant à lui, le défendeur réplique que, contrairement à la prétention du demandeur, la SAR a tenu compte de la RDI de 2020. Il fait valoir que la SAR a expressément mentionné certains éléments de preuve trouvés dans le document.

[21] Mon analyse de la décision révèle que la SAR a procédé à un examen indépendant de la preuve documentaire tirée du cartable national de documentation [le CND] et a fait remarquer ce qui suit :

  • - Le TTP recouvre des groupes qui s’y joignent et le délaissent constamment; leurs cibles de prédilection sont les forces de sécurité;

  • - Les rapports font état d’un déclin dans les activités du TTP attribuables à l’augmentation des offensives militaires menées par l’État pakistanais;

  • - Contrairement au Lshkar‑e‑Jhangvi [LeJ], le TTP n’est pas une organisation anti‑chiite, même s’il peut parfois s’aligner sur le LeJ;

  • - Un rapport de 2019 indique que chaque année, la fréquence des attaques sectaires a diminué depuis le lancement des opérations militaires en 2014;

  • - Les FATA et la KP, où le demandeur a été confronté à deux reprises au TTP, sont des bastions de cette organisation.Hyderabad n’est pas située dans une place forte talibane et est éloignée géographiquement des FATA et de la KP;

  • - Le TTP forme un regroupement flottant d’environ 40 factions islamistes et tribales. En 2014 et en 2017, l’État pakistanais a lancé d’importantes offensives contre le TTP, portant atteinte à leur capacité de planifier et d’exécuter des opérations;

  • - Le TTP est présent dans les villes importantes et les propriétaires d’entreprises sont victimes de ses pratiques d’extorsion. Il garde son emprise sur les cités, particulièrement sur Karachi;

  • - Depuis 2014, le TTP est divisé à l’interne.

[22] Bien que je remarque que la SAR ne renvoie pas à l’ensemble de la preuve expressément invoquée par le demandeur qui contredit sa conclusion voulant que le TTP soit fragmenté, la décision mentionne le fait que Murti Noor Wali Meshud est le dirigeant actuel du TTP. En outre, je me rallie à la prétention du défendeur selon laquelle la SAR n’avait pas à renvoyer à la totalité de la preuve, et mon rôle n’est pas de soupeser à nouveau la preuve dont elle disposait.

[23] Le demandeur soutient que la Cour s’est penchée récemment sur un cas similaire dans l’affaire Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 93 [Ali]. Dans la décision Ali, le juge Russell a jugé que la conclusion de la SAR selon laquelle le TTP ne disposerait pas de la capacité opérationnelle ni de la portée géographique nécessaires pour retrouver ou poursuivre les demandeurs à Hyderabad, parce que ce groupe ne fonctionne pas comme une organisation unifiée et intégrée fait abstraction d’éléments de preuve plus récents qui s’inscrivent en faux contre cette conclusion : au para 56. Selon le demandeur, tout comme dans la décision Ali, la SAR a en l’espèce laissé de côté la preuve relative à l’unification du TTP. Il cite plusieurs autres décisions à l’appui de sa position.

[24] À mon sens, il est possible d’établir une distinction entre les faits des précédents invoqués par le demandeur et ceux en l’espèce. Pour ce qui suit, je renvoie uniquement à l’affaire Ali puisqu’elle concerne également le TTP. Selon la preuve dans cette affaire, les talibans savaient que les demandeurs avaient déménagé au Canada et ces derniers étaient menacés de mort s’ils retournaient au Pakistan. Ils étaient identifiés par les talibans comme « des ennemis de l’Islam qui [avaient] apporté leur assistance à une puissance étrangère » : au para 55. En tirant la conclusion voulant que la SAR ait commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve, la Cour a relevé, au paragraphe 58, que « les erreurs de la SAR concernant le profil des demandeurs ne peuvent être séparées de l’enjeu des motivations qui pousseraient le TTP à les poursuivre. Il ne s’agit pas de gens ordinaires qui n’ont pas été pris pour cible et qui sont peu susceptibles de l’être ».

[25] Avec égards, ces éléments factuels ne sont pas présents en l’espèce. Le demandeur s’est rendu aux funérailles de son oncle en mai 2019. Le TTP a abordé son cousin quelques jours plus tard. Son frère a été assassiné en juin 2019, après quoi le demandeur s’est réfugié au Canada la semaine suivant le meurtre. Selon la preuve déposée par le demandeur lui‑même, rien ne s’est produit entre juin 2019 et le moment de son audience devant la SAR en janvier 2021. Rien n’indiquait que la famille du demandeur (voir même son cousin) avait été approchée par le TTP, et rien ne montrait non plus que le demandeur lui‑même avait reçu d’autres menaces du TTP, que ce soit au Pakistan ou au Canada. Compte tenu de ces faits et de l’appréciation par la SAR de la preuve relative à la situation au Pakistan, je conclus qu’elle n’a pas commis d’erreur en concluant que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’a pas établi que le TTP disposerait des moyens de le retrouver à Hyderabad.

B. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le TTP n’avait pas la motivation de pourchasser le demandeur dans le lieu désigné à titre de PRI?

[26] Le demandeur plaide que la SAR a conclu de façon déraisonnable que le TTP n’avait pas la motivation de le pourchasser à Hyderabad. Il fait valoir que, bien que la SAR ait conclu que les cibles de prédilection du TTP sont des « symboles de l’État », elle n’a pas tenu compte du fait qu’il avait été visé parce qu’il avait parlé en faveur de l’État, ce qui a fait de lui une cible privilégiée du TTP. De façon plus générale, le demandeur avance qu’il était déraisonnable pour la SAR d’admettre que des membres du TTP s’étaient rendus à Peshawar pour le retrouver et l’agresser, pour ensuite conclure que les agents de persécution étaient dépourvus de la motivation de le pourchasser à Hyderabad.

[27] Il soutient de plus qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de se fonder sur le fait qu’aucun autre incident ne s’était produit depuis celui de juin 2019 et que le TTP n’était pas entré en contact avec sa famille pour tirer la conclusion selon laquelle l’organisation n’avait pas la motivation de le pourchasser dans le lieu désigné à titre de PRI. Il plaide qu’il est déraisonnable pour un décideur de conclure que la famille d’un demandeur d’asile serait nécessairement approchée par ses agents du préjudice : Reyad Gad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 303 au para 11. Il avance également que la conclusion de la SAR voulant que le TTP n’était pas au courant qu’il avait quitté le Pakistan relevait de la conjecture.

[28] À mon avis, le demandeur comprend mal le critère relatif à la PRI : c’est à lui qu’il incombe, et non à la SAR, de produire assez d’éléments de preuve pour convaincre la SAR qu’il serait en péril dans le lieu proposé à titre de PRI : Thirunavukkarasu. En l’espèce, la SAR a tenu compte du fait que le TTP n’avait pas tenté de se lancer à la recherche du demandeur, tout comme elle a tenu compte du reste de la preuve dont elle disposait, avant de conclure que l’organisation n’avait pas la motivation de le pourchasser dans le lieu désigné à titre de PRI. Les conclusions de la SAR sont raisonnablement étayées par la preuve versée au dossier, et il ne revient pas à la Cour de soupeser à nouveau la preuve.

[29] Le demandeur plaide que la conclusion de la SAR portant que le TTP cible uniquement les forces de sécurité et les journalistes est déraisonnable. Selon lui, cette conclusion est contredite par la preuve qui montre que « les cibles légitimes des attaques » englobent « les communautés de non‑croyants [...] qui sont vus en train de collaborer avec l’État pakistanais ou sont coupables d’insultes à l’Islam ».

[30] Le défendeur riposte qu’au contraire, il était raisonnable de la part de la SAR de se pencher sur le profil des agents de persécution du demandeur. Il soutient que la raison pour laquelle la SAR a relevé qu’il n’y avait pas de preuve que les agresseurs du demandeur à Peshawar étaient influents tenait au fait que le TTP est un groupe fragmenté et que le lieu proposé à titre de PRI n’est pas un bastion de l’organisation.

[31] Je juge qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur ne fait pas partie des catégories de cibles privilégiées du TTP au vu de la preuve relative à la situation dans le pays. Je juge également qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que, bien que le demandeur ait été repéré et agressé dans un des bastions du TTP, cet incident ne signifie pas que l’organisation sera motivée à le pourchasser à Hyderabad — une ville éloignée géographiquement et qui n’est pas un bastion du TTP — surtout considérant que rien n’indique que le groupe a poursuivi le demandeur au cours de la dernière année et demie ni qu’il le traque toujours.

[32] Le demandeur avance en outre que la conclusion de la SAR portant que le TTP ne prend pas les chiites pour cible est contredite par des éléments de preuve tirés du CND. Il renvoie à un document de janvier 2017 qui relève que le TTP compte parmi les groupes responsables de la plupart des agressions visant les chiites au Pakistan et que la violence sectaire est à la hausse depuis 2012. Il renvoie également à un rapport de février 2019 selon lequel [traduction] « les chiites continuent d’être menacés par les groupes militants anti‑chiites, dont le LeJ [...] ainsi que des factions du TTP ».

[33] Mon examen de la décision révèle que la SAR savait que la violence contre les chiites existe au Pakistan et ses motifs montrent que cette question a été examinée. Elle était également au fait que le TTP se range souvent aux côtés du LeJ, une organisation anti‑chiite.

[34] Bien que le demandeur invoque des éléments de preuve selon lesquels le TTP est responsable des agressions visant les chiites et la violence sectaire est à la hausse, je conviens avec le défendeur que ces éléments ne rendent pas déraisonnable le choix de la SAR d’avoir recours à de la preuve qui atteste une diminution des incidents de violence sectaire de 2013 à 2018. Je fais également remarquer que le demandeur s’est appuyé sur des éléments de preuve datant de 2017 pour soutenir sa prétention voulant que [traduction] « la violence sectaire visant les groupes chiites se soit accrue depuis 2012 », alors que la SAR s’est raisonnablement fondée sur des éléments de preuve plus récents, à savoir un rapport de 2019, pour conclure que la violence sectaire avait diminué depuis 2014.

[35] Les arguments soulevés par le demandeur se résument ultimement à un désaccord quant à la façon dont la SAR a soupesé la preuve. Des désaccords quant à l’appréciation et à la pondération de la preuve dont un décideur disposait ne soulèvent aucune erreur susceptible de contrôle : Mohamud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1140 au para 22.

[36] Le demandeur soutient que la SAR n’a pas tenu compte du fait que, pour vivre en sécurité où que ce soit au Pakistan, il devrait cacher l’endroit où il se trouve à sa famille. Je considère que cet argument est dénué de fondement, vu l’absence de preuve qui montre que le TTP a visé sa famille pour le pourchasser, alors même qu’elle a toujours vécu au même endroit. De plus, cet argument est soulevé pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire.

C. La SAR a‑t‑elle déraisonnablement omis d’envisager l’État comme agent de persécution?

[37] Le demandeur allègue que la SAR a omis d’envisager l’État comme agent de persécution. Il avance que l’une de ses principales allégations était qu’il était accusé de blasphème, mais que la SAR ne s’est pas penchée sur le risque associé à une telle accusation. Selon le demandeur, si elle avait des réserves relatives au manque de preuve documentaire attestant qu’une poursuite en blasphème avait déjà été intentée à son encontre, la SAR était tenue d’apprécier si cette preuve avait raisonnablement pu être accessible, puisqu’elle avait jugé le demandeur crédible : Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968 au para 28.

[38] Je rejette l’observation du demandeur. La SAR a tenu compte, quoique brièvement, de ce point dans sa décision. Sa conclusion voulant que rien n’indique que le demandeur ait été officiellement accusé de blasphème, qu’aucun rapport de police n’avait été établi contre lui et qu’aucune poursuite n’avait été intentée est suffisamment corroborée par l’ensemble de la preuve dont elle disposait. La décision Senadheerage peut être distinguée de la présente affaire, car dans ce dossier, la SAR avait déraisonnablement demandé, sans expliquer pourquoi, une corroboration à cause de ses conclusions d’invraisemblance mal fondées. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[39] Le demandeur plaide que, même si des rapports de police l’accusant de blasphème avaient été établis, ou des accusations officielles de blasphème portées à son encontre, il lui serait quasiment impossible de connaître ou d’obtenir la preuve de tels rapports ou accusations, puisque ces documents ne sont pas publics et sont difficilement accessibles. Il soutient que, même s’il n’existe pas actuellement de rapports de police ou d’accusations officielles portées contre lui, la SAR aurait dû tenir compte du risque prospectif émanant de l’État si les agents de persécution devaient l’inculper à l’avenir.

[40] Même si j’admettais les obstacles auxquels se heurterait le demandeur pour obtenir la preuve d’un rapport de police, la conclusion de la SAR reste raisonnable vu l’absence totale de preuve d’une quelconque inculpation depuis son départ du Pakistan en 2019.

V. Conclusion

[41] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[42] Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2549‑21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2549‑21

 

INTITULÉ :

MUHAMMAD NAWAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 février 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 mars 2022

 

COMPARUTIONS :

Rebeka Lauks

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Maria Burgos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rebeka Lauks

Battista Smith Migration Law Group

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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