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Date : 20220304


Dossier : T‑1411‑21

Référence : 2022 CF 302

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4°mars 2022

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

SE‑BHARAT SINGH

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur, Se Bharat Singh, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 25 août 2021 par laquelle la Division de l’admissibilité au passeport et des enquêtes du Réseau national [la Division des passeports] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a refusé de lui délivrer un passeport et a imposé une période de refus de passeport de deux ans au titre des paragraphes 9(2) et 10.2(1) du Décret sur les passeports canadiens, TR/81‑86. La Division des passeports a établi qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le refus de délivrer un passeport et la suspension des services de passeport étaient nécessaires pour prévenir la commission d’infractions de nature sexuelle sur des enfants à l’étranger, tel qu’il est mentionné au paragraphe 7(4.1) du Code criminel, LRC 1985, c ''C‑46.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[3] Le demandeur est un citoyen canadien qui est originaire du Guyana. Un passeport canadien lui a été délivré le 20 septembre 2016.

[4] Le 23 février 2018, au moment où il s’apprêtait à partir pour le Guyana, le demandeur a été arrêté à l’aéroport Pearson de Toronto et a été accusé de trois (3) chefs de leurre au titre des alinéas 172.1(1)a) et b) du Code criminel. Il a plus tard été libéré sous engagement de caution. Plusieurs conditions ont été imposées au demandeur, dont celle de s’abstenir de quitter la province de Québec.

[5] En mars 2018, la Division des passeports a appris que le Service de police de la ville de Montréal [le SPVM] avait lancé une enquête sur le demandeur après avoir reçu un rapport produit par le National Center for Missing and Exploited Children (centre national pour les enfants disparus et exploités) [le NCMEC]. Le rapport montrait que deux (2) comptes Facebook, liés à l’adresse de protocole Internet du demandeur, avaient été utilisés pour communiquer avec trois (3) mineurs du Guyana entre le 24 septembre 2017 et le 4 février 2018. Les messages contenaient des offres de cadeaux en échange de faveurs sexuelles et mentionnaient que le demandeur retournerait au Guyana le 26 février 2018 et qu’il espérait les rencontrer.

[6] Le 14 mars 2018, la Division des passeports a informé le demandeur de son intention de révoquer son passeport conformément aux alinéas 9(1)b et d) et au paragraphe 10(1) du Décret sur les passeports canadiens, et lui a donné la possibilité de présenter des observations. Le passeport du demandeur a été révoqué le 16 avril 2018.

[7] Le demandeur a plaidé non coupable à tous les chefs d’accusation le 7 novembre 2018. Il a été acquitté le 5 avril 2019, mais a fait l’objet d’un engagement de ne pas troubler l’ordre public aux termes de l’article 810.1 du Code criminel. Le demandeur a été soumis à plusieurs conditions pour une période d’un an, qui a pris fin le 5 avril 2020. Les conditions prévoyaient ce qui suit :

  • - Ne pas avoir de contacts, notamment communiquer par quelque moyen que ce soit, avec des personnes âgées de moins de seize (16) ans;

  • - Ne pas utiliser les sites de médias sociaux, y accéder ou communiquer électroniquement avec toute personne âgée de moins de dix‑huit (18) ans;

  • - Ne pas se trouver dans un parc public ou une zone publique où l’on peut se baigner s’il y a des personnes âgées de moins de seize (16) ans ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il y en ait, une garderie, un terrain d’école ou un terrain de jeu;

  • - Ne pas communiquer, directement ou indirectement, avec les victimes;

  • - Demeurer à l’intérieur de la province de Québec, à moins d’avoir obtenu de la Cour une permission écrite de quitter la province;

  • - Ne pas chercher, accepter ou garder un emploi, rémunéré ou non, ou un travail bénévole qui le placerait en relation de confiance ou d’autorité vis‑à‑vis de personnes âgées de moins de seize (16) ans;

  • - Fournir les mots de passe ou les codes d’accès de tous ses appareils électroniques à tout agent du SPVM qui les demande afin de s’assurer que les conditions sont respectées.

[8] Le demandeur a par la suite contacté IRCC pour savoir si son passeport pouvait être réactivé, et il s’est fait dire qu’il pourrait demander à nouveau des services de passeport s’il n’était pas visé par les conditions énumérées à l’article 9 du Décret sur les passeports canadiens. Le demandeur a présenté une demande de passeport le 13 mai 2019.

[9] Le 19 juillet 2019, la Division des passeports a fait savoir au demandeur qu’il faisait l’objet d’une enquête administrative visant à établir si la prise de mesures administratives était justifiée pour prévenir la commission de tout fait (acte ou omission) visé au paragraphe 7(4.1) du Code criminel. De plus, la lettre mentionnait que les résultats de l’enquête administrative pouvaient avoir des répercussions sur son droit à des services de passeport et qu’un passeport ne serait pas délivré à son nom tant que l’enquête ne sera pas terminée. Le demandeur a répondu à la lettre le 20 août 2019, en faisant valoir qu’il avait été acquitté de tous les chefs d’accusation et qu’il n’avait pas de casier judiciaire.

[10] Le 19 février 2020, la Division des passeports a écrit au demandeur, réitérant que l’alinéa 9(1)d et le paragraphe 9(2) du Décret sur les passeports canadiens pouvaient s’appliquer à lui, et l’a invité à présenter toute information qu’il voudrait soumettre avant qu’une décision ne soit rendue dans son dossier, au plus tard le 6 avril 2020. De plus, la lettre renfermait des renseignements exhaustifs sur ce que l’enquête administrative avait révélé à ce jour. Le demandeur a été à nouveau invité à présenter de l’information en réponse à la lettre.

[11] Le 19 mars 2020, le demandeur a envoyé une réponse, laquelle comportait une déclaration écrite selon laquelle il s’était pleinement conformé à l’ordonnance de la Cour prise au titre de l’article 810.1 du Code criminel, une lettre de son avocat mentionnant qu’il avait été acquitté de tous les chefs d’accusation et qu’il n’avait pas de casier judiciaire, ainsi qu’une copie de son dossier du tribunal. Le demandeur a répété qu’il avait été acquitté de tous les chefs d’accusation et qu’il n’avait pas de casier judiciaire. Il a également dit estimer que la révocation de son passeport était prématurée. De plus, il a affirmé qu’il avait demandé un passeport uniquement en raison de la mauvaise santé de son père et il a précisé qu’il comprenait la gravité des accusations qui pesaient contre lui. Il a fourni une explication quant aux articles qui avaient été saisis à l’aéroport, en soulignant qu’il s’agissait de cadeaux pour sa petite amie et pour des amis de sexe masculin au Guyana. Enfin, il a mentionné les pertes et les difficultés engendrées par cette affaire.

[12] Le demandeur a appris, au moyen d’une lettre datée du 14 janvier 2021, que l’alinéa 9(1)d) du Décret sur les passeports canadiens n’était plus en cause, étant donné que la période au cours de laquelle il devait respecter les conditions de l'engagement de ne pas troubler l’ordre public avait pris fin, et qu’aucune nouvelle accusation n’avait été portée contre lui.

[13] Le 25 août 2021, la Division des passeports a établi qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le refus de la demande de passeport présentée par le demandeur était nécessaire afin de prévenir la commission d’un fait (acte ou omission) visé au paragraphe 7(4,1) du Code criminel, conformément au Décret sur les passeports canadiens. Elle a aussi conclu, au titre du paragraphe 10.2(1) du Décret sur les passeports canadiens, que le refus de services de passeport pour une période de deux ans était nécessaire afin de respecter le mandat de la Division des passeports.

[14] Dans la lettre qu’elle a adressée au demandeur, la Division des passeports a d’abord fait remarquer que le demandeur avait été invité à formuler des observations pendant l’enquête. De plus, elle a énuméré toutes les informations qui servaient d’assise à sa décision de refuser la demande de passeport présentée par le demandeur. Elle a ensuite reconnu la nécessité de concilier soigneusement les différents objectifs de son mandat avec la gravité de l’atteinte aux droits à la liberté de circulation du demandeur qui sont protégés par l’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 [la Charte]. La Division des passeports a pris en compte plusieurs facteurs, dont la situation personnelle du demandeur et les observations formulées par celui‑ci. Ce faisant, elle a constaté que, même si le demandeur avait été acquitté des infractions criminelles, les mesures qu'elle avait prises étaient assujetties à un fardeau de la preuve moins rigoureux que celui applicable aux instances criminelles. De plus, elle a pris acte du désir du demandeur de rendre visite à son père malade à l’étranger et elle a expliqué que le demandeur pouvait demander un passeport à durée de validité limitée pour des considérations urgentes et impérieuses. Après avoir pondéré ces facteurs et son mandat par rapport aux difficultés que peut entraîner une période de refus de services de passeport, la Division des passeports a conclu que le demandeur ne serait pas admissible à des services de passeport régulier jusqu’au 25 août 2023.

[15] Le demandeur, qui n'était pas représenté, soutient que la décision est à la fois déraisonnable et injuste. En dépit de la brièveté de son mémoire des arguments, il y soutient essentiellement que le fait d’avoir été acquitté des accusations semble n’avoir eu aucun effet sur la restauration de son passeport. Il ne souscrit pas à l’affirmation de la Division des passeports concernant le fardeau de la preuve moins élevé, ce qui, à son avis, suppose l’existence de deux (2) paliers de justice. Il ajoute que la Division des passeports a utilisé [TRADUCTION]°« les mêmes renseignements qui [l]’ont fait acquitter pour [lui] refuser des services de passeport en invoquant des normes moins élevées ».

[16] De plus, le demandeur allègue que la décision est injuste, puisqu’il a fallu deux (2) ans pour qu’elle soit rendue, et qu’il risque maintenant deux (2) ans supplémentaires de suspension. La décision de la Division des passeports fait en sorte qu’il aura été privé de services de passeport pendant plus de cinq (5) ans depuis son arrestation et la saisie de son passeport. Le demandeur affirme qu’il a toujours gardé son passeport canadien en règle et qu’il a beaucoup voyagé sans le moindre problème. Il réitère qu’il a été acquitté de toutes les accusations.

III. Analyse

A. Questions préliminaires

[17] Le défendeur soutient que le procureur général du Canada est le défendeur approprié en l’espèce, conformément au paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. C’est aussi mon avis et, par conséquent, l’intitulé de la cause est modifié de façon à désigner le procureur général du Canada en tant que défendeur (Elangovan c Canada (Procureur général), 2020 CAF 882 au para 4 [Elangovan]. Villamil c Canada (Procureur général), 2013 CF 686 au para 2.

[18] Le demandeur et le défendeur ont tous deux inclus dans leur dossier des documents qui ne figurent pas dans le dossier du tribunal. En règle générale, les nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles dans un contrôle judiciaire, sauf s’ils : 1) contiennent des informations générales qui sont susceptibles d'aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, mais ne fournissent pas des éléments de preuve se rapportant au fond; 2) abordent des questions d’équité procédurale; ou 3) font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19–20.

[19] Après avoir examiné les documents présentés par les deux parties, je suis convaincue que, à l’exception des photographies supplémentaires produites par le demandeur, les éléments de preuve sont admissibles étant donné qu’ils ne font que fournir des informations générales. Pour ce qui est des photographies, aucun élément de preuve dans le dossier dont je dispose n’étaye l’affirmation du demandeur selon laquelle elles ont été envoyées à la Division des passeports avant la décision rendue en août 2021. Cela dit, je comprends que le demandeur n’a pas retenu les services d’un avocat et qu’il peut ne pas connaître les règles applicables à l’admissibilité des éléments de preuve dans un contrôle judiciaire et le droit relatif au dossier déficient. Pour cette raison, je supposerai que la Division des passeports en disposait.

[20] Enfin, pendant l’audience, le demandeur a allégué que la conversation dans l’un des messages sur Facebook figurant dans le dossier du tribunal ne reflétait pas la véritable nature de la conversation. Il a tenté de corroborer son argument au moyen des photographies qu’il avait incluses dans son dossier du demandeur. De plus, le demandeur a soutenu qu’il n’avait pas abordé la question avec la Division des passeports, parce qu’il n’avait pas vu les messages sur Facebook avant que ne soit rendue la décision d’août 2021.

[21] Le demandeur n’a pas soulevé cet argument dans le mémoire des arguments qu’il a présenté à la Cour. Le défendeur s’oppose à ce que le demandeur soulève un nouvel argument à l’audience.

[22] Il est un principe bien établi selon lequel la Cour ne devrait pas entendre de nouveaux arguments à l’audience à moins d’une situation exceptionnelle. Agir ainsi léserait le défendeur et pourrait faire en sorte que la Cour ne puisse pas apprécier comme il se doit le bien‑fondé de ce nouvel argument (Rouleau‑Halpin c Bell Solutions Techniques Inc, 2021 CF 177 au para 33; Adewole c Canada (Procureur général), 2012 CF 41 au para 15; Tibilla c Canada (Procureur général), 2011 CF 163 au para 36).

[23] Même si la question de la prétendue non‑divulgation des messages sur Facebook pouvait soulever un argument d’équité procédurale, je suis convaincue que, dans les circonstances de l’espèce, le demandeur connaissait la preuve à réfuter et qu’il a bel et bien eu la possibilité de présenter ses arguments équitablement et pleinement.

[24] Dans la lettre qu’elle a adressée au demandeur le 19 février 2020, la Division des passeports a présenté des éléments d’information importants au sujet des messages sur Facebook figurant dans le rapport du NCMEC, lequel a donné lieu à l’enquête menée par le SPVM. Le demandeur connaissait l’information sur laquelle la Division des passeports s’était fondée et il a bénéficié d’une possibilité équitable d’y répondre.

[25] Bien qu’on puisse raisonnablement supposer que le demandeur avait accès aux comptes Facebook et aux messages sur cette plateforme, celui‑ci a laissé entendre à l’audience qu’il n’avait pas de copie des conversations sur Facebook, parce que celles‑ci étaient détenues par son avocat précédent. Le demandeur n’a pas précisé comment il se faisait que son avocat précédent en avait obtenu une copie, mais il est possible que le rapport du NCMEC ait été communiqué au demandeur dans le cadre des procédures criminelles. S’il est avéré que le demandeur n’a pas de copie des messages sur Facebook, rien ne prouve qu’il a demandé la copie en question à son avocat ou à la Division des passeports après avoir reçu la lettre datée du 19 février 2020. De plus, je constate que, après avoir reçu une copie du dossier du tribunal contenant les messages sur Facebook, le demandeur n’a pas soulevé cet élément dans son mémoire des arguments.

[26] Après avoir examiné le dossier et pris en compte les observations formulées par le demandeur, je suis convaincue que l’argument avancé par le demandeur ne devrait pas être entendu.

B. La norme de contrôle

[27] La décision de refuser les services de passeport repose en grande partie sur les faits et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16 et 17 [Vavilov]; Elangovan, au para 14. Alsaloussi c Canada (Procureur général), 2020 CF 364 aux para 24, 100).

[28] Lorsqu'elle effectue un examen du caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit s’intéresser à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). « Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

C. La décision est raisonnable

[29] Le pouvoir de refuser de délivrer un passeport, de révoquer un passeport et de refuser des services de passeport est prévu aux articles 9 et 10 du Décret sur les passeports canadiens. Aux termes du paragraphe 9(2) du Décret sur les passeports canadiens, le ministre d’IRCC peut refuser de délivrer un passeport s’il a des motifs raisonnables de croire que cela est nécessaire pour prévenir la commission d’infractions d’ordre sexuel sur des enfants à l’étranger. Le ministre peut aussi refuser de fournir des services de passeport pour le même motif pendant une période d’au plus dix (10) ans aux termes du paragraphe 10.2(1) du Décret sur les passeports canadiens.

[30] Plus précisément, les paragraphes 9(2) et 10.2(1) du Décret sur les passeports canadiens prévoient ce qui suit :

Refus de délivrance et révocation

Refusal of Passports and Revocation

9 (2) Sans que soit limitée la généralité des paragraphes 4(3) et (4), il est entendu que le ministre peut refuser de délivrer un passeport s’il a des motifs raisonnables de croire que cela est nécessaire pour prévenir la commission de tout fait visé au paragraphe 7(4.1) du Code criminel.

9 (2) Without limiting the generality of subsections 4(3) and (4) and for greater certainty, the Minister may refuse to issue a passport if he or she has reasonable grounds to believe that the refusal is necessary to prevent the commission of any act or omission referred to in subsection 7(4.1) of the Criminal Code.

[…]

...

10.2 (1) Dans le cas où le ministre refuse de délivrer un passeport ou en révoque un pour un motif autre que celui visé à l’alinéa 9(1)g), il peut refuser, pour le même motif, de fournir des services de passeport pendant une période d’au plus dix ans.

10.2 (1) If the Minister refuses to issue or revokes a passport, on any grounds other than the one set out in paragraph 9(1)(g), he or she may refuse on those same grounds to deliver passport services for a maximum period of 10 years.

[31] Le paragraphe 7(4.1) et les alinéas 172.1(1)a) et b) du Code criminel sont ainsi libellés :

Infraction relative aux infractions d’ordre sexuel impliquant des enfants

Offence in relation to sexual offences against children

7 (4.1) Malgré les autres dispositions de la présente loi ou toute autre loi, le citoyen canadien ou le résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui, à l’étranger, est l’auteur d’un fait – acte ou omission – qui, s’il était commis au Canada, constituerait une infraction aux articles 151, 152, 153 ou 155, aux paragraphes 160(2) ou (3), aux articles 163.1, 170, 171, 171.1, 172.1, 172.2 ou 173 ou au paragraphe 286.1(2) est réputé l’avoir commis au Canada.

7 (4.1) Notwithstanding anything in this Act or any other Act, every one who, outside Canada, commits an act or omission that if committed in Canada would be an offence against section 151, 152, 153 or 155, subsection 160(2) or (3), section 163.1, 170, 171, 171.1, 172.1, 172.2 or 173 or subsection 286.1(2) shall be deemed to commit that act or omission in Canada if the person who commits the act or omission is a Canadian citizen or a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act.

[…]

Leurre

Luring a child

172.1 (1) Commet une infraction quiconque communique par un moyen de télécommunication avec :

172.1 (1) Every person commits an offence who, by a means of telecommunication, communicates with

a) une personne âgée de moins de dix-huit ans ou qu’il croit telle, en vue de faciliter la perpétration à son égard d’une infraction visée au paragraphe 153(1), aux articles 155, 163.1, 170, 171 ou 279.011 ou aux paragraphes 279.02(2), 279.03(2), 286.1(2), 286.2(2) ou 286.3(2);

(a) a person who is, or who the accused believes is, under the age of 18 years, for the purpose of facilitating the commission of an offence with respect to that person under subsection 153(1), section 155, 163.1, 170, 171 or 279.011 or subsection 279.02(2), 279.03(2), 286.1(2), 286.2(2) or 286.3(2);

b) une personne âgée de moins de seize ans ou qu’il croit telle, en vue de faciliter la perpétration à son égard d’une infraction visée aux articles 151 ou 152, aux paragraphes 160(3) ou 173(2) ou aux articles 271, 272, 273 ou 280;

(b) a person who is, or who the accused believes is, under the age of 16 years, for the purpose of facilitating the commission of an offence under section 151 or 152, subsection 160(3) or 173(2) or section 271, 272, 273 or 280 with respect to that person; or

 

[Emphasis added.]

[32] Comme il est mentionné précédemment, le demandeur soutient qu’il devrait à nouveau bénéficier des services de passeport, puisqu’il a été acquitté de tous les chefs d’accusation et qu’il n’a pas de casier judiciaire. Il estime que le fardeau de la preuve moins élevé engendre [TRADUCTION« deux paliers de justice ».

[33] L’argument du demandeur ne me convainc pas.

[34] La décision de refuser la délivrance d’un passeport, de révoquer le document ou de refuser les services de passeport est d’ordre administratif. Elle repose sur les mesures prises et sur les renseignements recueillis par la Division des passeports, qui est un organisme administratif, et les enquêtes que la Division effectue sont de nature administrative. Les enquêtes ne sont pas des procédures criminelles et n’exigent pas la norme de preuve hors de tout doute raisonnable.

[35] Les décisions prises en vertu du paragraphe 9(2) du Décret sur les passeports canadiens sont assujetties à la norme « des motifs raisonnables de croire ». Contrairement à la norme criminelle « hors de tout doute raisonnable », la norme des « motifs raisonnables de croire » n’est pas rigoureuse. Elle exige davantage qu’un simple doute, mais moins que la norme de preuve de la prépondérance des probabilités qui s’applique aux affaires civiles. Il y a des motifs raisonnables lorsque la croyance possède un fondement objectif r reposant sur des renseignements convaincants et dignes de foi (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 aux para 114, 116‑117); Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, au para 89); Ghahraman Ebrahimi c Canada (Procureur général), 2020 CF 746 au para 44, 49 [Ghahraman‑Ebrahimi].

[36] Même si la Cour s’est penchée sur la norme des « motifs raisonnables de croire » dans le contexte de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, il ne semble pas qu’elle se soit penchée sur la question dans le contexte du paragraphe 9(2) du Décret sur les passeports canadiens. Elle l’a toutefois examinée dans le contexte de l’alinéa 10(2)b) du Décret sur les passeports canadiens, et elle a jugé qu’une déclaration de culpabilité n’était pas requise (Ghahraman‑Ebrahimi au para 49).

[37] En l’espèce, la Division des passeports a eu raison de conclure que les renseignements recueillis lors de son enquête étaient suffisamment probants pour constituer des motifs raisonnables de croire que le refus de délivrer un passeport et de fournir des services de passeport au demandeur pour une période de deux ans était nécessaire pour empêcher la commission de tout fait (acte ou omission) visé au paragraphe 7(4.1) du Code criminel.

[38] La Division des passeports a notamment pris en compte les éléments qui suivent : 1) les renseignements factuels recueillis pendant l’enquête; 2) la teneur de la correspondance du demandeur avec les trois mineurs sur Facebook; 3) les antécédents de voyage du demandeur; 4) les objets qui ont été saisis à son domicile et les objets personnels qui ont été trouvés sur lui au moment de son arrestation; 5) les procédures criminelles mettant en cause le demandeur, y compris le fait qu’il a plaidé non coupable aux accusations et qu’il a fini par être acquitté. La Division a aussi pris en compte l’engagement de maintenir la paix signé par le demandeur et le fait que le document a expiré le 5 avril 2020. Plus important encore, la Division des passeports a pris en compte le fait que, malgré l’acquittement du demandeur, le juge chargé du dossier criminel du demandeur a imposé plusieurs conditions à celui‑ci pour empêcher qu’il ait des interactions avec des mineurs. Il était loisible à la Division des passeports d’attribuer du poids à l’existence et à la teneur de ces conditions, lesquelles indiquaient clairement que le demandeur représentait un risque pour les mineurs.

[39] Consciente que le refus des services de passeport porte atteinte aux droits à la liberté de circulation d’une personne aux termes du paragraphe 6(1) de la Charte, la Division des passeports a pris en compte les objectifs du Programme de passeport. En plus de préserver la sécurité, la valeur et l’intégrité des passeports canadiens, la Division des passeports a pris acte de l’engagement du Canada envers la protection des enfants et de la nécessité de prévenir les infractions d’ordre sexuel commises contre les enfants à l’étranger. La Division des passeports a aussi pris en compte la situation particulière du demandeur, y compris son acquittement et l'absence de casier judiciaire, les pertes qu’il a subies en raison des accusations criminelles, et son souhait de rendre visite à son père malade et à d’autres membres de sa famille à l’étranger. De plus, elle a reconnu les difficultés associées à l’incapacité du demandeur de voyager, mais elle a souligné qu’il lui était possible de demander un passeport à durée de validité limitée pour des considérations urgentes, impérieuses et d’ordre humanitaire.

[40] Avec ces éléments favorables, la Division des passeports a pris en compte les facteurs aggravants, particulièrement l’absence de remords du demandeur et le fait que celui‑ci a admis, dans le cadre de la procédure criminelle tenue le 5 avril 2019, que les mineurs avaient des motifs raisonnables de craindre pour leur sécurité. Elle a fait remarquer que ces facteurs soulevaient des préoccupations concernant la possibilité que la situation se reproduise si le demandeur était autorisé à voyager. De plus, elle a souligné, en ce qui concerne les cadeaux trouvés par la police, que le demandeur n’avait présenté aucun document pour étayer le fait qu’il avait une petite amie sérieuse au Guyana. De même, elle a pris en compte la probabilité que le demandeur retourne au Guyana étant donné les liens solides qu’il avait dans ce pays. Après avoir pondéré les divers éléments se rapportant à l’affaire du demandeur, ainsi que le mandat qui lui a été confié, la Division des passeports a conclu que le refus de fournir des services de passeport au demandeur pendant une période de deux ans était raisonnable.

[41] Le demandeur soutient que la suspension pour une période de deux ans signifie qu’il aura été privé de services de passeport pendant quelque cinq (5) ans.

[42] Dans la décision Abaida c Canada (Procureur général), 2018 CF 490, la Cour a expliqué le rôle qui est le sien lorsqu’elle examine des décisions de cette nature en contrôle judiciaire :

[50] Il n’appartient pas à la Cour de déterminer quelle aurait dû être la période de suspension appropriée dans une affaire en particulier. Elle doit plutôt évaluer si une suspension en particulier ayant été imposée est déraisonnable, en tenant compte de l’exigence voulant que la décision de suspension témoigne d’une conciliation proportionnée des valeurs protégées par l’article 6 de la Charte et des objectifs du Programme de passeport du Canada : voir Doré (précité), au paragraphe 57; École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, au para 37.

[43] Après avoir examiné le dossier et pris en compte les faits relatifs à la présente affaire, je ne suis pas convaincue que la décision de suspendre la prestation de services de passeport au demandeur pour une période de deux ans interfère plus qu’il ne le faut avec les droits conférés au demandeur par l’article 6 de la Charte. L’absence de remords et de responsabilisation du demandeur, ainsi que son propre aveu au sujet du risque auquel sont exposés les mineurs, constituaient manifestement des facteurs aggravants pour la Division des passeports.

[44] En résumé, je suis convaincue que la décision de la Division des passeports de refuser de délivrer un passeport et de fournir des services de passeport au demandeur pour une période de deux ans est suffisamment justifiée, transparente et intelligible.

[45] Le demandeur a demandé qu’aucuns dépens ne soient adjugés. Le défendeur a affirmé à l’audience qu’il ne sollicitait aucuns dépens dans la présente demande. Par conséquent, aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑1411‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié de manière que le défendeur désigné soit le procureur général du Canada;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1411‑21

INTITULÉ :

SE‑BHARAT SINGH c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 FÉVRIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DU JUGEMENT :

LE 4 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Se‑Bharat Singh

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Andrea Shahin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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