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Date : 20220310


Dossier : T-1609-19

Référence : 2022 CF 331

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2022

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

DOUG DIXON

demandeur

et

GROUPE BANQUE TD

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Dixon s’est adressé à la Cour afin de contester une décision de la Commission canadienne des droits de la personne datée du 6 septembre 2019 (la décision). Dans cette décision, la Commission a informé M. Dixon qu’elle avait décidé de ne pas statuer sur la plainte de traitement discriminatoire qu’il avait déposée (la plainte) parce qu’elle était frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP).

[2] J’ai soigneusement examiné les observations et les arguments présentés par M. Dixon, mais il ne m’a pas convaincue qu’une intervention de la Cour est justifiée. La conclusion de la Commission, selon laquelle M. Dixon n’a pas satisfait à l’exigence d’établir un lien entre les actes dont il se plaint et un motif illicite de discrimination, est raisonnable. De plus, M. Dixon n’a pas établi que la Commission n’avait pas compétence pour déterminer qu’une plainte est frivole, et il n’a pas établi non plus que la décision allait à l’encontre d’une disposition ou d’un principe constitutionnel. Enfin, M. Dixon n’a pas allégué ni établi de fondement probatoire à l’appui d’une atteinte à ses droits garantis par la Charte. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Aperçu

[3] M. Dixon a déposé sa plainte auprès de la Commission le 29 mars 2019. Il y a allégué que le Groupe Banque TD, ou la Banque Toronto-Dominion (la Banque), avait fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa race, de son origine nationale ou ethnique, de sa couleur, de sa religion, de son âge et de sa déficience. M. Dixon a indiqué que la discrimination alléguée avait eu lieu entre le 2 février 2019 et le 17 mars 2019.

[4] Lors d’une visite dans une succursale de la Banque à Toronto le 2 février 2019, M. Dixon allègue que, même s’il était le premier dans la file d’attente, un autre client a été servi avant lui. Une caissière et deux superviseurs étaient en service à ce moment-là. Selon M. Dixon, le deuxième client est arrivé en tenant ce qui semblait être un billet de 50 $ et il s’est approché de la caissière. Il affirme également que le deuxième client l’a invectivé lorsqu’il lui a mentionné qu’il était le premier dans la file. La caissière en service a demandé à M. Dixon de s’avancer, n’a pas fait de cas du deuxième client et s’est excusée pour le comportement de ce dernier. M. Dixon a mentionné à la caissière qu’il avait une entente avec la Banque selon laquelle la directrice de la succursale [traduction] « accordait un montant en guise d’excuses ». Alors que la caissière traitait les transactions de M. Dixon, un des deux superviseurs s’est occupé d’échanger le billet du deuxième client, ce qui a fait en sorte qu’il a été servi avant M. Dixon.

[5] Dans sa plainte, M. Dixon s’est décrit comme étant un homme âgé blanc, anglo-saxon et devant marcher à l’aide d’une canne ou d’une attelle jambière en raison d’un handicap physique. Le fondement de sa plainte de harcèlement était le suivant :

[traduction]

La caissière, les deux superviseurs et le deuxième client ne semblaient pas être des personnes blanches d’origine anglo-saxonne et il se pourrait qu’ils aient des liens de parenté ou qu’ils se connaissent, ce qui justifierait la discrimination dont j’ai été victime.

[6] À la suite de cette expérience, M. Dixon a présenté une plainte dans le cadre du processus de traitement des plaintes de la Banque TD. Il allègue que, durant ce processus, la directrice de la succursale, Mme Rover, a été impolie avec lui. Après quelques échanges avec le personnel de la Banque responsable du traitement des plaintes en février et en mars 2019, M. Dixon a reçu une lettre mettant fin aux services financiers qu’il recevait de la Banque TD, un appel téléphonique de confirmation, une lettre du directeur du service à la clientèle et une transcription de son appel téléphonique avec ce dernier. La transcription montre que le directeur du service à la clientèle a informé M. Dixon que la Banque TD était d’avis qu’il avait formulé des remarques racistes, qu’il avait été agressif envers des membres du personnel et qu’elle refusait donc de lui fournir des services à l’avenir. M. Dixon a mis fin au processus d’acheminement des plaintes et s’est plaint auprès du bureau de l’ombudsman de la Banque TD.

[7] D’autres renseignements factuels et procéduraux relatifs à la présente demande se trouvent (1) dans l’ordonnance que j’ai rendue et dans laquelle j’ai rejeté la requête interlocutoire de M. Dixon visant à obtenir un subpoena enjoignant aux représentants de la Banque de produire des documents et des dossiers et de comparaître (2020 CF 1054) (l’ordonnance Walker), (2) dans l’ordonnance du juge Norris rejetant l’appel interjeté par M. Dixon d’une ordonnance de la protonotaire Furlanetto (tel était alors son titre), par laquelle sa requête sollicitant la récusation de cette dernière en raison d’un conflit d’intérêts a été rejetée (2021 CF 101) (l’ordonnance Norris).

[8] Un enquêteur a été affecté à la plainte, comme le prévoit le paragraphe 43(1) de la LCDP. Celui-ci a préparé un rapport daté du 26 juin 2019 (le rapport), dans lequel il a recommandé à la Commission de ne pas statuer sur la plainte au motif qu’elle est frivole aux termes de l’alinéa 41(1)d).

[9] L’enquêteur a résumé ainsi les allégations de traitement défavorable fondé sur l’âge, la couleur, la déficience, l’origine nationale ou ethnique et la race que M. Dixon a formulées :

  • a) La Banque n’est pas intervenue en son nom lorsqu’un autre de ses clients l’a agressé verbalement.

  • b) La Banque a offert des services au présumé agresseur avant lui.

  • c) La Banque a mis fin aux services qu’elle lui offrait parce qu’il aurait, entre autres, fait des remarques racistes à l’un de ses employés.

[10] Se fondant sur les renseignements présentés par M. Dixon, l’enquêteur a conclu ce qui suit :

  1. La plainte n’établit pas de lien avec un motif illicite de discrimination.

  2. Il est évident et manifeste que la plainte est vouée à l’échec.

  3. M. Dixon n’a aucun motif raisonnable de croire que la conduite de la Banque TD était discriminatoire au sens de la LCDP.

[11] L’enquêteur a déclaré qu’il incombe au plaignant de présenter des renseignements ou des éléments de preuve suffisants pour convaincre la Commission de l’existence d’un lien entre les faits allégués et un motif illicite de discrimination. Bien que la Commission soit tenue de considérer les faits allégués comme véridiques, elle n’est pas tenue d’accepter de simples affirmations. Le plaignant doit démontrer que sa plainte repose sur des motifs raisonnables.

[12] Dans la mesure où les faits exposés par M. Dixon sont véridiques, l’enquêteur a conclu que celui-ci n’avait présenté aucun renseignement ou fait pour étayer ses allégations que la Banque l’avait traité différemment en raison de son âge, de sa couleur, de sa déficience, de son origine nationale ou ethnique et de sa race. Selon l’enquêteur, les allégations de discrimination de M. Dixon ne sont que de simples affirmations non étayées par des faits. Il a donc conclu que M. Dixon n’avait pas démontré qu’une personne raisonnable dans la même situation croirait que la Banque a fait preuve de discrimination fondée sur les motifs de distinction illicites mentionnés dans la plainte.

[13] Le 26 juin 2019, la Commission a écrit à M. Dixon et à la Banque et leur a transmis une copie du rapport. Elle leur a également donné l’occasion de présenter des observations au plus tard le 24 juillet 2019.

[14] M. Dixon a répondu à la Commission dans une lettre datée du 13 juillet 2019. Il était en désaccord avec les conclusions formulées dans le rapport, notamment avec l’application de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP à sa plainte. M. Dixon a réitéré sa position selon laquelle la Banque avait fait preuve de discrimination envers lui et il a affirmé qu’il était incroyable qu’une personne raisonnable refuse d’admettre qu’il y a eu discrimination fondée sur les motifs allégués.

[15] La Banque a choisi de ne pas présenter d’observations en réponse à la Commission.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[16] La décision est composée d’une lettre et du rapport, qui énonce le raisonnement que la Commission a suivi pour parvenir à sa décision (Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404 au para 37; Anani c Banque Royale du Canada, 2020 CF 870 au para 30).

[17] Dans sa lettre du 6 septembre 2019, la Commission a mentionné qu’elle avait examiné le rapport et les observations présentées en réponse. Après avoir pris connaissance de l’information, elle a décidé de ne pas statuer sur la plainte parce qu’elle est frivole aux termes de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP.

III. Les questions préliminaires

Les allégations de partialité

[18] Dans un courriel envoyé au greffier avant l’audience, M. Dixon a soulevé une crainte concernant mon impartialité en raison de l’ordonnance que j’ai rendue (l’ordonnance Walker) et dans laquelle j’ai rejeté sa requête visant à obtenir un subpoena enjoignant aux représentants de la Banque de produire des documents et des dossiers et de comparaître. Il a demandé que je me récuse à titre de juge présidant l’audience et qu’un autre juge soit nommé à ma place.

[19] À l’audience, j’ai abordé la question du conflit d’intérêts et de la partialité et j’ai mentionné que je n’étais pas offusquée par la crainte soulevée. J’ai donné à M. Dixon et à l’avocate de la Banque l’occasion de présenter des observations.

[20] Après avoir examiné les observations des parties, j’ai déclaré que je ne me récuserais pas de cette affaire. Le désaccord de M. Dixon avec l’ordonnance Walker ne peut à lui seul étayer une allégation de partialité (Blank c Canada (Justice), 2017 CAF 234 au para 5; voir aussi l’ordonnance Norris, aux para 9, 15). L’audience a donc suivi son cours.

Le(s) défendeur(s) désigné(s)

[21] M. Dixon a désigné la Banque et « TD Canada Trust Mme Jacqueline Rover » à titre de défenderesses dans son avis de demande. La Banque soutient que Mme Rover n’est pas la défenderesse appropriée, car elle est une simple employée et n’est pas directement touchée par l’ordonnance sollicitée dans la demande. La Banque invoque deux affaires pour faire valoir que les employés désignés dans une plainte à la Commission ne sont pas des défendeurs appropriés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (Anderson c Canada (Procureur général), 2018 CF 834 au para 29; Davidson c Canada (Procureur général), 2019 CF 877 au para 17).

[22] Suivant le paragraphe 303(1) des Règles des Cours fédérales, le demandeur doit désigner à titre de défendeur toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée. Dans son avis de demande, M. Dixon sollicite plusieurs réparations, notamment une somme de 1 000 $ en guise d’excuse personnelle de la part de Mme Rover.

[23] Comme il a été mentionné, M. Dixon demande à la Cour d’ordonner une réparation qui, si la demande était accueillie, toucherait directement Mme Rover. Toutefois, le rôle de la Cour dans la présente demande est d’examiner la décision, le droit et les observations des parties, puis d’établir si la décision devrait être annulée et si la plainte devrait être renvoyée à la Commission pour réexamen. Même si M. Dixon obtenait gain de cause, la Cour n’a pas le pouvoir d’exiger que Mme Rover lui verse de l’argent en guise d’excuse.

[24] Le contrôle judiciaire est un concept qui peut entraîner de la confusion chez de nombreuses personnes et, parfois, les parties agissant pour leur propre compte demandent à la Cour une réparation qui dépasse la portée d’une demande de contrôle judiciaire. Le fait que M. Dixon a demandé une réparation directement contre Mme Rover ne veut pas dire qu’elle est ou pourrait être « directement touchée par l’ordonnance » qu’il sollicite.

[25] Par conséquent, j’ordonnerai que l’intitulé de la présente affaire soit modifié et que « TD Canada Trust Mme Jacqueline Rover » soit radié comme défenderesse.

L’admissibilité des nouveaux éléments de preuve de M. Dixon

[26] M. Dixon a déposé un affidavit dans le dossier de la présente demande, auquel il a joint 26 pièces, dont bon nombre n’était pas en la possession de la Commission lorsqu’elle a pris sa décision. Les renseignements contenus dans l’affidavit et les pièces relatent les interactions entre M. Dixon, la Banque et la Commission et comprennent le rapport, les observations présentées par M. Dixon en réponse, la décision et l’avis de demande.

[27] La Banque soutient que les renseignements et les documents qui n’ont pas été présentés à la Commission ne sont pas admissibles et que la Cour devrait limiter son examen de la demande de M. Dixon aux éléments de preuve dont la Commission disposait.

[28] Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la règle générale est que la Cour examine les éléments de preuve qui figurent dans le dossier dont disposait le décideur, en l’occurrence la Commission. Le contrôle judiciaire n’est pas une occasion de produire des éléments de preuve supplémentaires qui auraient pu être présentés au décideur initial.

[29] Cette règle respecte la décision du législateur de confier l’affaire en question au décideur et non à la cour de révision (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19 (Access Copyright); Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 aux para 13-28; Première nation de Namgis c Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 149 au para 7). Le décideur décide du bien-fondé de l’affaire en fonction de la preuve dont il dispose. La cour de révision examine la légalité générale de la décision à la lumière de cette preuve et ne procède pas à une nouvelle audition des questions en cause (Access Copyright, aux para 17-19).

[30] Il y a trois exceptions reconnues à la règle générale; elles permettent l’admission de nouveaux éléments de preuve qui fournissent des renseignements généraux, qui portent sur les questions d’équité procédurale ou qui font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif (Access Copyright, au par. 20).

[31] M. Dixon soutient qu’il a produit des éléments de preuve qui sont pertinents pour sa plainte et que la position de la Banque est irrespectueuse.

[32] J’ai examiné attentivement l’affidavit et les pièces présentés par M. Dixon et je les ai comparés à l’information dont disposait la Commission lorsqu’elle a pris sa décision. Je conclus que les pièces jointes à l’affidavit de M. Dixon contiennent quelques informations générales qui sont pertinentes dans le cadre de la plainte. Ces informations sont admissibles. Cependant, elles contiennent aussi de nouveaux éléments de preuve qui ne sont pas admissibles dans la présente demande. Les nouveaux renseignements et les nouvelles pièces peuvent être considérés comme une tentative de compléter le dossier présenté à la Commission.

[33] Par conséquent, pour parvenir à mes conclusions dans la présente affaire, j’ai écarté les renseignements et les pièces inadmissibles présentés par M. Dixon et j’ai axé mon analyse sur l’information dont disposait la Commission et sur les renseignements généraux contenus dans les pièces.

IV. L’avis de question constitutionnelle

[34] Le demandeur a signifié et déposé un avis de question constitutionnelle conformément à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales et à l’article 69 des Règles des Cours fédérales. Aucun des 14 procureurs généraux ayant reçu signification de l’avis n’a répondu ou n’a cherché à intervenir dans la présente instance.

[35] M. Dixon affirme que l’alinéa 41(1)d) de la LCDP est incompatible avec les paragraphes 52(1) et (2) de la Loi constitutionnelle de 1982 (la Loi constitutionnelle), qu’il donne lieu à une demande de réparation au titre du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et qu’il est contraire à la primauté du droit, ce qui le rend inopérant. Il fait valoir que la Commission n’a pas compétence pour juger qu’une plainte est frivole. À son avis, cette compétence relève de la Cour et du système judiciaire. M. Dixon invoque deux décisions à l’appui de cet argument : Leonardis c Société canadienne des postes, 2002 CanLII 45934 (TCDP) au para 23 (Leonardis); Côté c Canada (Procureur général), 2003 TCDP 32 au para 13 (Côté).

[36] La Banque soutient que M. Dixon n’a cité aucune disposition importante de la Loi constitutionnelle ou de la Charte dans sa demande. Elle affirme que le paragraphe 24(1) de la Charte et les paragraphes 52(1) et (2) de la Loi constitutionnelle sont de nature réparatrice et ne concernent pas les questions de fond. Par conséquent, on ne peut y porter atteinte comme le prétend M. Dixon.

[37] Je partage l’avis de la Banque. Le paragraphe 24(1) de la Charte prévoit que toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la Charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances. M. Dixon n’a pas allégué que la décision de la Commission constituait une violation ou une négation des droits et libertés qui lui sont garantis par la Charte, et il n’a pas non plus déposé suffisamment d’éléments factuels ou de preuve pour étayer une telle allégation.

[38] Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle prévoit que la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada et qu’elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. Le paragraphe 52(2) énonce quant à lui les éléments de la Constitution.

[39] M. Dixon soutient que l’alinéa 41(1)d) de la LCDP est incompatible avec le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle, mais n’a cité aucune disposition constitutionnelle à laquelle il aurait été porté atteinte. Le paragraphe 52(1) prévoit une réparation en cas de violation d’une disposition constitutionnelle. Autrement dit, M. Dixon doit d’abord établir que l’alinéa 41(1)d) viole une disposition particulière de la Constitution et ce n’est qu’à ce moment qu’il peut invoquer le paragraphe 52(1) pour faire annuler l’alinéa. Il ne l’a pas fait.

[40] M. Dixon invoque les décisions Leonardis et Côté pour faire valoir que la Commission n’a pas compétence pour juger si sa plainte est frivole et que la décision est incompatible avec la primauté du droit. Cette position présente deux problèmes.

[41] Premièrement, M. Dixon a mal interprété les conclusions dans ces deux affaires. Dans la décision Leonardis (au para 23), le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a mentionné que l’alinéa 41(1)d) de la LCDP concerne le pouvoir discrétionnaire de la Commission de décider si elle doit ou non traiter une plainte. Le Tribunal a ensuite déclaré que l’examen de telles décisions « relève de la Cour fédérale du Canada et non du présent Tribunal ». Dans la décision Côté (au para 13), le Tribunal a confirmé qu’il n’exerce pas de pouvoir de surveillance ni sur les faits et gestes de la Commission ni sur ses décisions et que ce pouvoir est exclusivement du ressort de la Cour fédérale. Aucune de ces décisions n’établit le principe selon lequel la Commission n’a pas compétence pour exercer le mandat que lui confère la LCDP, dont l’un des aspects est de décider si une plainte est frivole au sens de l’alinéa 41(1)d). Elles confirment plutôt que M. Dixon a adopté la voie de recours appropriée en présentant à notre Cour une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

[42] Deuxièmement, l’affaire de M. Dixon ne fait pas intervenir les principes de la primauté du droit. Les arguments qui y sont avancés sont axés sur le pouvoir de la Commission de trancher sa plainte et non sur une violation de la Loi constitutionnelle. La Cour suprême a récemment confirmé, dans une décision majoritaire, que les principes constitutionnels non écrits, y compris la primauté du droit, ne peuvent pas servir à invalider des mesures législatives (Toronto (Cité) c Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34 aux para 49-60, 69-73, 78 (Cité de Toronto)). Dans l’arrêt antérieur Colombie-Britannique c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49 (citée dans Cité de Toronto), la Cour suprême a déclaré ceci (au para 59) :

[59] [...] il est difficile de concevoir que la primauté du droit puisse servir à invalider une loi comme celle qui nous occupe en raison de son contenu. Cela tient au fait qu’aucun des principes qu’embrasse la primauté du droit ne vise directement les termes de la loi. Le premier principe requiert que les lois soient appliquées à tous ceux, incluant les représentants gouvernementaux, à qui, de par leur libellé, elles doivent s’appliquer. Le deuxième principe signifie que les lois doivent exister. Quant au troisième principe, lequel chevauche dans une certaine mesure le premier et le deuxième, il exige que les mesures prises par les représentants de l’État s’appuient sur des lois.

[43] La LCDP confère expressément compétence à la Commission pour examiner la plainte de discrimination présentée par M. Dixon et pour établir si elle est frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi. M. Dixon n’a présenté aucun argument convaincant établissant que la Commission n’avait pas compétence pour le faire. Il n’a pas démontré qu’il y avait eu violation d’une disposition ou d’un principe constitutionnel. En outre, M. Dixon n’a pas allégué ni établi de fondement probatoire à l’appui d’une atteinte à ses droits garantis par la Charte.

V. La décision est-elle raisonnable?

[44] M. Dixon conteste le fond de la décision. Il est en désaccord avec la conclusion de la Commission selon laquelle sa plainte est frivole et avec sa décision de ne pas statuer sur la plainte.

[45] Les décisions rendues par la Commission au titre de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP sont susceptibles de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23) (Vavilov); Stukanov c Canada (Procureur général), 2021 CF 49 au para 28). Lorsque la Cour apprécie le caractère raisonnable d’une décision administrative, son rôle consiste à examiner les motifs fournis par le décideur et à déterminer si la décision « est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si elle est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable.

[46] L’alinéa 41(1)d) de la LCDP prévoit que la Commission doit statuer sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime que celle-ci est « frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi ».

[47] La nature et la portée du rôle de la Commission ont été décrites à de nombreuses reprises dans la jurisprudence. Dans l’arrêt Cooper c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854 (Cooper), la Cour suprême a décrit la Commission comme étant un organisme d’administration et d’examen qui ne joue pas de rôle important et décisionnel. La Commission ne détermine pas s’il y a eu discrimination, mais plutôt s’il est justifié pour le Tribunal canadien des droits de la personne de mener une enquête plus poussée. L’aspect principal du rôle de la Commission est de vérifier s’il existe une preuve suffisante (Cooper, au para 53; voir aussi Ritchie c Canada (Procureur général), 2017 CAF 114 au para 38).

[48] La définition juridique du terme « frivole » aux fins de l’alinéa 41(1)d) n’est pas la même que le sens ordinaire. Le critère à appliquer pour déterminer si une plainte est frivole au sens de cet alinéa consiste à se poser la question suivante : « compte tenu de la preuve, apparaît-il manifeste et évident que la plainte est vouée à l’échec? » (Hérold c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 544 au para 35; voir aussi Love c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2015 CAF 198 au para 23 (Love)). Autrement dit, la Commission vérifiera si la plainte a des chances de succès advenant le cas où les allégations factuelles seraient tenues pour véridiques. Dans ce contexte, une plainte frivole a également été décrite comme une plainte « vouée à l’échec » (Zulkoskey c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CAF 268 au para 24).

[49] Lorsqu’elle évalue si une plainte est frivole, la Commission peut examiner l’absence d’un lien allégué entre la conduite contestée et un motif de discrimination prévu par la LCDP. Comme la juge Gleason l’a expliqué dans l’arrêt Love, « si un plaignant ne parvient pas à établir un lien entre la conduite reprochée et un motif illicite de discrimination, ou autrement dit, s’il n’arrive pas à expliquer pourquoi le traitement défavorable était lié à l’un des motifs illicites prévus par la LCDP, la Commission peut conclure raisonnablement qu’il est clair et évident que la plainte ne pouvait être accueillie » (Love, au para 24, citant McIlvenna c La banque de Nouvelle-Écosse, 2014 CAF 203 au para 14). La norme de preuve est peu exigeante, mais il appartient au plaignant de démontrer que le lien allégué existe (Ozcevik c Canada (Agence du revenu), 2021 CF 13 au para 23).

[50] D’après mon examen du dossier, il est évident que les renseignements et les observations présentés par M. Dixon dans le cadre de sa plainte n’établissaient pas de lien entre les faits décrits et les motifs de discrimination allégués. La jurisprudence sur laquelle M. Dixon se fonde ne lui est d’aucune utilité. Ses allégations de discrimination sont de simples affirmations non étayées par les faits énoncés ou par la preuve documentaire. Si l’on reconnaît les faits relatés par M. Dixon comme véridiques, il a vécu une situation désagréable en raison des actes et des paroles d’un autre client lors de sa visite à une succursale de la Banque TD le 2 février 2019. La caissière en service s’est empressée de servir M. Dixon rapidement pendant qu’un de ses collègues s’est occupé du deuxième client. Elle s’est excusée au nom de la Banque pour les actes du deuxième client et a servi M. Dixon sans problème. Se fondant sur ces faits, M. Dixon allègue que la Banque a fait preuve de discrimination fondée sur l’âge, la couleur, la déficience, la religion, l’origine nationale ou ethnique et la race.

[51] Dans son rapport, l’enquêteur a fait mention de la déclaration de M. Dixon selon laquelle la Banque a mis fin aux services qu’elle lui offrait au motif qu’il avait fait des remarques racistes à l’un des membres de son personnel. Dans son récit des faits, M. Dixon a parlé d’un traitement impoli et irrespectueux de la part de la directrice de la succursale. Il n’a pas affirmé que son comportement était discriminatoire, mais il est clairement préoccupé par la façon dont il a été traité dans le cadre du processus de règlement des plaintes de la Banque et par les allégations de comportement raciste formulées contre lui. Je ne trouve aucune erreur susceptible de contrôle dans l’examen, par l’enquêteur, de cet aspect de la plainte qui justifierait l’intervention de la Cour.

[52] Compte tenu de l’analyse qui précède, la Commission a raisonnablement conclu que M. Dixon n’a pas démontré l’existence d’un lien entre les actes de la Banque ou de ses employés lors de sa visite de la succursale, ou durant le processus de règlement des plaintes, et les motifs illicites de discrimination qu’il invoque. Le fait que les employés de la Banque en service ce jour-là et le deuxième client soient de la même race, origine nationale ou couleur ne constitue pas un fondement raisonnable permettant de croire que la conduite des employés était discriminatoire. Il était raisonnable pour la Commission d’accepter les conclusions tirées dans le rapport et de ne pas statuer sur la plainte au motif qu’elle est frivole.

[53] J’aborderai brièvement un dernier point. M. Dixon conteste la décision de la Banque de ne pas répondre à la lettre de la Commission l’invitant à commenter le rapport. Contrairement à ce que M. Dixon prétend dans ses observations, la Banque n’était pas tenue de répondre à l’invitation de la Commission et aucune inférence défavorable ne peut être tirée de cette décision. C’est à M. Dixon qu’il incombe de prouver ses allégations. Les lettres que la Commission a envoyées aux parties le 26 juin 2019 leur donnaient l’occasion de formuler des commentaires sur le rapport si elles étaient en désaccord avec le contenu. Elles n’exigeaient pas de commentaires.

[54] Pour tous les motifs énoncés dans le présent jugement, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

VI. Dépens

[55] Ayant eu gain de cause en l’espèce, la Banque a droit à des dépens en temps normal. Lors de l’audition de la demande, l’avocate de la Banque a demandé une somme globale au titre des dépens de 1 500 $, tout compris. Elle soutient que la somme demandée est raisonnable compte tenu du fait que la Banque n’a pas sollicité de dépens dans les deux requêtes d’ordre procédural présentées par M. Dixon ni dans l’appel qu’il a interjeté contre l’ordonnance de la protonotaire Furlanetto concernant la récusation. L’avocate note que la Banque s’est réservé le droit de demander des dépens pour l’appel à l’issue de l’audition de la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente. M. Dixon a mentionné qu’il demanderait une taxation des dépens si la Banque obtenait gain de cause.

[56] J’ai examiné les observations des parties concernant les dépens. En tenant compte des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales, j’exercerai le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par le paragraphe 400(1) pour adjuger à la Banque une somme globale de 1 500 $ à titre de dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1609-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé de la présente affaire est par les présentes modifié afin de radier « TD Canada Trust Mme Jacqueline Rover » comme défenderesse.

  3. Les dépens, d’une somme globale de 1 500 $, taxes et débours compris, le cas échéant, sont adjugés à la Banque.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1609-19

 

INTITULÉ :

DOUG DIXON c GROUPE BANQUE TD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 NOVEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 MARS 2022

 

COMPARUTIONS :

Doug Dixon

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Bonny Mak

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin

Cabinet d’avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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