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Date : 20220318

Dossier : IMM-4466-20

Référence : 2022 CF 371

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2022

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

WILLIAM YESID CASTANEDA ESPINDOLA

JESSICA JOHANNA SANCHEZ CHAPARRO

LUNA NICOL CASTANEDA MARTINEZ

MIA LAURENT CASTANEDA SANCHEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur principal, M. William Yesid Castaneda Espindola, son épouse et ses deux filles mineures, qui sont tous citoyens de la Colombie, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision datée du 26 août 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR est déraisonnable pour les motifs suivants : a) la SAR n’a pas dûment tenu compte du témoignage de Luna (l’une des demanderesses mineures), qui, selon eux, a été obtenu et examiné d’une manière qui est incompatible avec les sections « Questions relatives à la procédure » et « Questions relatives à la preuve » des Directives numéro 3 du président intitulées Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié  [les Directives]; b) la SAR a commis une erreur en confirmant les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité du demandeur principal; c) la SAR a fait abstraction de la preuve documentaire concernant les conditions dans le pays et, ne tenant pas compte de cette preuve, elle n’a pas évalué correctement le témoignage du demandeur principal et a mal interprété d’autres éléments de preuve; d) la SPR et la SAR ont commis une erreur dans leur évaluation du rapport de police; e) la SPR et la SAR n’ont pas tenu compte du fait que les demandeurs menaient une bonne vie en Colombie et qu’ils n’avaient donc aucune raison de tout abandonner pour devenir des réfugiés; f) la SAR a commis une erreur en approuvant simplement la décision de la SPR sans vraiment examiner et analyser de manière indépendante les questions soulevées par les demandeurs.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Le contexte

[4] En novembre 2017, Luna, la fille du demandeur principal, alors âgée de 14 ans, a assisté à une fête chez un ami à Bogota. Les demandeurs soutiennent que des élèves d’une autre école que celle de leur fille s’y sont présentés et y ont apporté de la bière et des biscuits qui contenaient de la drogue, que Luna a consommés. Par la suite, Luna ne se souvenait pas du reste de la soirée. À son retour à l’école le lundi suivant, Luna a affirmé qu’un garçon qu’elle ne connaissait pas lui a montré une vidéo d’elle en train d’avoir une relation sexuelle avec lui et a menacé d’envoyer la vidéo à toute l’école si elle ne faisait pas ce qu’il lui demandait. Luna a déclaré devant la SPR que, même si le garçon lui avait fait des menaces, il ne l’avait plus approchée et ne lui avait jamais dit ce qu’elle devait faire.

[5] Luna a fini par raconter ce qui s’était passé au demandeur principal, qui est allé parler au personnel de l’école. Celui-ci l’a dirigé vers la Fundacion Amigos, un organisme à but non lucratif d’aide et d’orientation des collectivités vulnérables en Colombie. Selon le demandeur principal, c’est par l’intermédiaire de cet organisme qu’il a appris que des groupes criminels organisés ciblaient des filles mineures pour les forcer à se prostituer. Le demandeur principal allègue que, par la suite, il a commencé à recevoir des appels téléphoniques de menaces. Il affirme avoir informé la police de ce qui était arrivé à Luna et des appels téléphoniques de menaces qui ont suivi.

[6] Les demandeurs affirment que, le 24 février 2018, ils ont déménagé à Armenia, une ville située dans l’ouest de la Colombie. Deux jours plus tard, deux hommes ont tenté d’enlever Luna alors qu’elle se dirigeait vers un magasin. Luna affirme qu’elle a crié et s’est défendue et que des voisins témoins de l’incident l’ont aidée, ce qui a amené les hommes à abandonner leur tentative d’enlèvement. Les demandeurs déclarent qu’ils ont immédiatement signalé la tentative d’enlèvement à la police.

[7] Le 30 mars 2018, les demandeurs ont déménagé aux États-Unis. Ils y ont vécu pendant environ six mois avant d’entrer illégalement au Canada et d’y présenter leur demande d’asile. À l’appui de leur demande d’asile, les demandeurs ont prétendu qu’ils avaient été forcés de quitter la Colombie parce que Luna avait été victime d’exploitation sexuelle et d’une tentative d’enlèvement et parce que le demandeur principal subissait des menaces et de l’intimidation de la part de membres d’un gang associé à un groupe paramilitaire. Les demandeurs ont affirmé que la police de la Colombie ne voulait pas ou ne pouvait pas leur offrir une protection valable contre le risque de préjudice.

III. Les décisions de la SPR et de la SAR

[8] Dans sa décision datée du 26 août 2019, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention, car ils n’avaient pas établi de crainte fondée de persécution en Colombie pour un motif prévu dans la Convention. De plus, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de personnes à protéger, car leur renvoi en Colombie ne les exposerait pas personnellement à une menace à leur vie ni à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités ni à un risque de torture.

[9] Après avoir conclu que les demandeurs avaient établi leur identité, la SPR a examiné la question de savoir si l’exploitation sexuelle de Luna lors de la fête et sa tentative d’enlèvement exposaient les demandeurs à un risque prospectif. La SPR a conclu que, concernant l’incident survenu à la fête, il n’y avait pas de risque prospectif pour Luna ni pour les autres demandeurs, car elle n’était pas convaincue que l’incident était lié à un gang, Luna n’avait jamais revu le garçon et la vidéo n’avait jamais été publiée. De plus, elle n’était pas convaincue que ce qui s’était passé à la fête était lié à la tentative d’enlèvement survenue à Armenia. En ce qui concerne la tentative d’enlèvement, la SPR a également conclu qu’il n’y avait aucun risque prospectif pour les demandeurs puisqu’elle était d’avis que la tentative d’enlèvement était aléatoire et qu’elle n’avait aucun lien avec ce qui s’était passé à la fête à Bogota.

[10] Pour parvenir à ces conclusions, la SPR a tiré de nombreuses conclusions quant à la crédibilité des éléments de preuve et du récit présentés par le demandeur principal et elle était d’avis que le récit de Luna ne corroborait pas celui du demandeur principal.

[11] En ce qui concerne le témoignage de Luna à l’audience, la SPR a tenu compte des Directives, tant pour ce qui est de la procédure suivie à l’audience que de son évaluation du témoignage de Luna. La SPR a souligné qu’elle avait établi si Luna comprenait la nature d’une affirmation solennelle et qu’elle lui avait posé une série de questions de « mise en train » concernant des renseignements de base ainsi que des questions sur des sujets susceptibles de l’intéresser. Elle a expliqué ensuite que les questions visaient à vérifier si Luna était capable de présenter un témoignage et à vérifier si elle comprenait les termes utilisés dans les questions, à se faire une idée de la quantité de détails qu’elle était en mesure de fournir, à lui permettre de se familiariser avec le déroulement de la période de questions et de réponses au cours de l’audience et à établir un lien avec elle.

[12] La SPR a conclu que le témoignage de Luna ne corroborait pas l’allégation des demandeurs selon laquelle un gang criminel était en train de la recruter pour la forcer à se prostituer. Elle a posé plusieurs questions à Luna au sujet des adolescents inconnus qui étaient présents à la fête et du garçon qui l’avait approchée à l’école, mais Luna n’a jamais mentionné que les garçons étaient membres d’un gang. De plus, la SPR a conclu que, même si la famille avait continué de vivre à Bogota pendant encore trois mois, le garçon n’avait jamais demandé à Luna de faire quoi que ce soit, elle ne l’avait jamais revu et la vidéo n’avait jamais été publiée.

[13] En ce qui concerne le récit du demandeur principal et les documents fournis à l’appui, la SPR a relevé de nombreuses incohérences importantes. Elle avait des doutes quant à l’authenticité du rapport de police concernant la dénonciation que le demandeur principal avait faite après l’appel téléphonique de menaces reçu le 28 novembre 2017 et a relevé des incohérences dans son témoignage concernant le nombre d’appels téléphoniques reçus, ce qui l’a amenée à conclure que le rapport de police avait été falsifié et à n’y accorder aucun poids. À cet égard, la SPR a fait remarquer que le demandeur principal avait déclaré qu’il n’avait appris les aspects sexuels de ce qui était arrivé à Luna à la fête que lorsqu’ils étaient aux États-Unis en 2018, tandis que la dénonciation faite à la police mentionnait le fait que Luna se trouvait dans une vidéo à caractère sexuel. La SPR a conclu qu’il était impossible pour le demandeur principal d’avoir fourni les renseignements qui précèdent dans une dénonciation présentée le 28 novembre 2017 s’il n’en avait pris connaissance que quelques mois plus tard.

[14] La SPR ne croyait pas non plus que le demandeur principal avait continué de recevoir des menaces par téléphone après la tentative d’enlèvement. Elle a constaté que cette allégation ne figurait dans aucun des deux exposés circonstanciés préparés par le demandeur principal pour le formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA] et, lorsque la commissaire lui a demandé pourquoi il n’avait pas changé de numéro de téléphone cellulaire, il a déclaré qu’il ne l’avait pas fait parce que le numéro était important pour l’entreprise familiale. La SPR n’a pas accepté cette explication et a déclaré que, normalement, quelqu’un qui reçoit sans arrêt des menaces par téléphone changerait simplement de numéro, même si son numéro était lié à une entreprise, car il est facile de transmettre de nouvelles coordonnées aux clients.

[15] De plus, dans le récit du demandeur principal concernant la dénonciation qui a suivi la tentative d’enlèvement, la SPR a constaté des incohérences que le demandeur principal n’a pas expliquées de manière satisfaisante à l’audience. Selon le formulaire FDA modifié du demandeur principal, après la tentative d’enlèvement, les demandeurs [traduction] « se sont immédiatement rendus au poste de police pour donner le meilleur compte rendu possible des événements ». Dans la dénonciation à la police, il est indiqué que le demandeur principal s’est vu poser expressément la question [traduction] « votre fille consomme-t-elle de la drogue ou a-t-elle des problèmes à l’école ou dans le quartier? », à laquelle il a répondu « pas à ma connaissance ». Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer cette incohérence, le demandeur principal a affirmé qu’il voulait répondre aux questions de la police et partir le plus rapidement possible parce qu’il ne leur faisait pas confiance. Il a déclaré que la police l’avait emmené au poste pour qu’il fasse sa dénonciation. Il a été conclu que cette explication contredisait le formulaire FDA modifié du demandeur principal, car le passage pertinent n’indiquait en rien que la police l’avait forcé à faire une dénonciation ni que les demandeurs avaient fourni à la police des renseignements limités. La SPR a également conclu qu’il n’était pas raisonnable que le demandeur principal induise la police en erreur quant à ce qui arrivait à sa fille après que quelqu’un ait tenté de l’enlever, s’il croyait que les incidents étaient liés.

[16] Enfin, en ce qui concerne l’existence d’un risque prospectif en Colombie à la suite de la tentative d’enlèvement, le demandeur principal a allégué à l’audience que la mère biologique de Luna (qui habite à Armenia) lui avait dit que des personnes étaient allées se renseigner à son sujet à l’appartement où il avait vécu à Armenia. La SPR a fait remarquer que le demandeur principal avait omis cette allégation dans les deux exposés circonstanciés des formulaires FDA et que la mère n’avait fourni aucun élément de preuve à l’appui. Lorsqu’il a été interrogé sur cette omission, le demandeur principal a expliqué que les événements s’étaient produits au début de 2019. La SPR a souligné que le deuxième formulaire FDA avait été fourni à peine dix jours avant la première séance de l’audience, et lorsqu’il lui a été demandé pourquoi il n’avait pas mentionné ce renseignement dans son dernier exposé circonstancié, le demandeur principal a répondu que c’était parce que la question ne lui avait pas été posée. De plus, le demandeur principal a déclaré dans son témoignage que sa sœur avait été approchée à Bogota, mais cette information n’avait pas été mentionnée non plus dans son exposé circonstancié du formulaire FDA et aucun élément de preuve n’a été fourni par sa sœur. Lorsqu’il lui a été demandé pourquoi il en était ainsi, le demandeur principal a expliqué que sa sœur ne lui avait fourni aucune précision.

[17] La SPR a conclu que l’existence d’une menace continue en Colombie est au cœur de la demande des demandeurs d’asile, étant donné que le risque est évalué de manière prospective et que les demandeurs ont quitté la Colombie il y a plus d’un an. Elle a souligné que le demandeur principal était représenté par un conseil et que ce dernier savait que le formulaire FDA est un document de base en fonction duquel la demande d’asile de son client serait examinée et que des omissions risquaient de faire en sorte que des conclusions défavorables quant à la crédibilité soient tirées contre son client. Le conseil devrait avoir interrogé longuement son client pour préparer son exposé circonstancié et décrire avec précision tous les incidents pertinents, et le fait que le demandeur principal n’ait pas parlé d’une menace continue dans son exposé était un signe d’un sérieux embellissement.

[18] Dans sa décision du 26 août 2020, la SAR a déclaré que les principaux arguments soulevés en appel par les demandeurs (qui n’étaient pas représentés devant la SAR) étaient que la SPR avait manqué à l’équité procédurale dans sa façon de traiter Luna, que les demandeurs avaient été privés de leur droit à une audience équitable et que les principales conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient erronées pour diverses raisons, notamment la partialité de la SPR et l’appréciation erronée de la preuve.

[19] La SAR a conclu que les demandeurs avaient eu droit à une audience équitable. Elle a jugé qu’aucun élément de preuve n’appuyait l’affirmation des demandeurs selon laquelle la SPR avait fait preuve de partialité ou avait agi de manière inappropriée lorsqu’elle avait questionné Luna ou évalué son témoignage. La SAR a conclu que l’omission par le demandeur principal des menaces continues proférées à Armenia et à Bogota dans son récit était importante (et non mineure comme le prétendent les demandeurs) et que la SPR avait eu raison de conclure que l’explication du demandeur principal concernant les omissions était inadéquate et que celles-ci minaient la vraisemblance du risque prospectif. La SAR n’a relevé aucune erreur dans le raisonnement sur lequel la SPR a fondé son évaluation de la crédibilité, et elle a adopté les motifs de celle-ci. La SAR a également conclu que, contrairement aux observations des demandeurs, la SPR avait tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait et qu’elle n’avait pas commis d’erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas établi de façon crédible l’existence d’un risque prospectif en Colombie.

IV. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[20] La seule question que la Cour doit trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SAR était raisonnable.

[21] Les parties soutiennent, et je suis d’accord avec elle, que la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable. Aucune exception à cette présomption n’a été soulevée ni ne s’applique [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25].

[22] Selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris le raisonnement suivi et le résultat obtenu, est transparente, intelligible et justifiée. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [voir Vavilov, précité, aux para 15, 85].

V. Analyse

[23] Premièrement, selon les demandeurs, la SAR a commis une erreur en confirmant l’évaluation par la SPR du témoignage de Luna et, ce faisant, elle a mal évalué l’application des Directives. Les demandeurs affirment que, si la SAR avait écouté attentivement le témoignage de Luna et accordé une attention particulière à la forme et au contenu, elle aurait conclu que Luna était extrêmement mal à l’aise pendant l’audience et que [traduction] « bon nombre [de ses réponses], sinon toutes », étaient vagues et évasives et visaient manifestement à mettre fin à l’interrogatoire le plus tôt possible.

[24] Je rejette cette affirmation. Il ressort clairement des motifs de la décision de la SAR que celle-ci a en fait écouté l’audience et examiné la transcription écrite du témoignage de Luna et a conclu qu’aucune preuve n’étayait les observations que les demandeurs ont présentées devant la SAR selon lesquelles l’interrogatoire de Luna était inapproprié de quelque manière que ce soit. De plus, même si les demandeurs affirment que [traduction] « bon nombre [des réponses de Luna], sinon toutes », étaient vagues ou évasives, ils n’ont pas précisé à la Cour laquelle de ces réponses pouvait être ainsi qualifiée.

[25] Comme la SAR l’a souligné à juste titre, s’ils étaient d’avis que l’interrogatoire de Luna par la SPR était inapproprié de quelque manière que ce soit, les demandeurs (qui étaient représentés par un conseiller juridique devant la SPR) devaient soulever leurs questions auprès de la SPR, ce qui ils n’ont pas fait [voir Tsigehana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 426 aux para 21-22].

[26] Les demandeurs affirment en outre que les attentes de la SPR et de la SAR à l’égard de la qualité du témoignage de Luna étaient inappropriées vu son âge, car elle n’aurait pas dû être tenue d’établir un lien entre son exploitation sexuelle et la tentative d’enlèvement ni de justifier ses conclusions. Je ne suis pas convaincue que les demandeurs ont démontré que les attentes étaient inappropriées. Au contraire, d’après les documents dont dispose la Cour, j’estime que les questions posées à Luna et les conclusions de la SAR fondées sur son témoignage étaient raisonnables.

[27] Les demandeurs affirment en outre que la SAR a fermé les yeux sur le témoignage de Luna et qu’il était [traduction] « loisible à la SAR » de conclure que la tentative d’enlèvement n’était pas aléatoire, mais qu’elle était liée à l’incident d’exploitation sexuelle qui s’était produit lors de la fête. Encore une fois, je rejette cette affirmation. Les demandeurs n’ont signalé aucun élément de preuve précis dont la SAR aurait fait abstraction. Les demandeurs requièrent plutôt de la Cour qu’elle examine la preuve à nouveau pour en arriver à une conclusion différente, ce qui n’est pas son rôle dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire [voir Vavilov, précité, au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59]. Au regard des éléments de preuve dont la SAR disposait, j’estime que sa conclusion selon laquelle les deux événements n’étaient pas liés était raisonnable.

[28] Deuxièmement, les demandeurs affirment que la SAR a commis une erreur en confirmant les conclusions défavorables que la SPR a tirées quant à la crédibilité du demandeur principal. Les demandeurs affirment que les omissions dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA initial du demandeur principal étaient mineures et qu’une explication crédible des incohérences a été fournie, à savoir que le demandeur principal croyait à tort qu’il pouvait étoffer son exposé à l’audience.

[29] Je rejette cette affirmation. Je juge qu’il était loisible à la SAR de conclure que les omissions faites par le demandeur principal, telles qu’elles sont décrites ci-dessus, n’étaient pas mineures. À cet égard, les demandeurs n’ont présenté aucune observation à l’appui de leur affirmation selon laquelle les omissions étaient mineures et n’étaient pas au cœur de leur demande d’asile. De plus, je juge également que la conclusion tirée par la SAR selon laquelle les omissions n’avaient pas été suffisamment expliquées était raisonnable. À cet égard, les demandeurs n’ont signalé aucune considération non pertinente dont la SAR aurait tenu compte pour tirer cette conclusion. Au contraire, la SAR a tenu compte, à juste titre, du fait que les demandeurs n’avaient pas obtenu de preuve de la mère ou de la sœur pour corroborer une partie des explications du demandeur principal, ainsi que du fait que le demandeur principal avait rédigé un deuxième exposé circonstancié dix jours seulement avant la première audience de la SPR, alors qu’il était représenté par un avocat et devait donc s’être rendu compte qu’il se trompait sur la possibilité d’étoffer son exposé circonstancié à l’audience.

[30] Il est également important de rappeler que l’évaluation défavorable faite par la SAR quant à la crédibilité du demandeur principal n’était pas fondée uniquement sur les omissions dans les exposés circonstanciés de celui-ci. La SAR a également conclu que le demandeur principal avait fourni des éléments de preuve contradictoires concernant le nombre d’appels téléphoniques de menaces qu’il alléguait avoir reçus et concernant le moment où il avait appris la nature sexuelle de ce qui était arrivé à la fête, et que le document de dénonciation à la police présenté par le demandeur principal avait été falsifié. Même si la SAR avait accepté l’explication du demandeur principal concernant certaines omissions dans ses exposés circonstanciés, il restait un fondement plus que suffisant à partir duquel elle pouvait raisonnablement tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[31] Troisièmement, les demandeurs affirment que la SAR n’a pas tenu compte de la preuve documentaire concernant les conditions dans le pays et que, ce faisant, elle n’a pas pu évaluer correctement le témoignage du demandeur principal et a mal interprété d’autres éléments de preuve. Toutefois, les demandeurs n’ont pas expliqué quels éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays avaient été écartés ou lesquels avaient été mal interprétés.

[32] Quatrièmement, les demandeurs affirment que la SPR et la SAR n’ont pas tenu compte du fait que les policiers en Colombie sont mal formés, manquent de ressources et sont souvent incompétents et très corrompus. Les demandeurs affirment que le fait de s’attendre à ce que le travail de la police en Colombie et les documents produits par celle-ci respectent les normes des pays développés témoigne soit d’un manque de connaissances précises, soit d’une erreur grave de jugement, deux erreurs qui sont susceptibles de contrôle. Toutefois, les demandeurs n’ont pas soulevé la question devant la SAR et, par conséquent, il ne leur est pas loisible de la soulever dans le cadre de la présente demande [voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c RK, 2016 CAF 272 au para 6; Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 au para 35]. Quoi qu’il en soit, compte tenu du témoignage du demandeur principal devant la SPR, il était entièrement loisible à la SPR et à la SAR de conclure que les incohérences entre le rapport de police et le témoignage du demandeur principal étaient attribuables au demandeur principal et non à la police.

[33] Cinquièmement, les demandeurs affirment que la SPR et la SAR n’ont pas tenu compte du fait qu’ils menaient une vie bien établie, réussie et heureuse en Colombie et qu’ils n’avaient absolument aucune raison d’y renoncer pour vivre les incertitudes et les indignités liées au fait d’être réfugiés. Encore une fois, cette question n’a pas été soulevée devant la SAR et n’a donc pas été dûment présentée à la Cour.

[34] Enfin, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en approuvant simplement la décision de la SPR sans vraiment examiner les questions soulevées par les demandeurs ni les analyser de manière indépendante. Autrement dit, les demandeurs affirment que la SAR a [traduction] « approuvé machinalement » la décision de la SPR. Ils soutiennent que la concision et la rigidité des motifs de la SAR et le fait qu’elle a omis de traiter de la plupart des motifs d’appel clés indiquent qu’elle n’a pas procédé à une analyse indépendante des questions à trancher.

[35] Je rejette cette affirmation. Le caractère raisonnable d’une décision de la SAR s’apprécie en fonction de son contenu et non de sa longueur. Les demandeurs n’ont signalé aucun motif d’appel précis soulevé devant la SAR que celle-ci n’aurait pas examiné. Au contraire, l’examen de la décision de la SAR montre que celle-ci a examiné et analysé les questions soulevées par les demandeurs et qu’elle était en accord avec les conclusions de la SPR.

VI. Conclusion

[36] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de la SAR était raisonnable, puisqu’elle était fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle était justifiée au regard de la preuve dont elle disposait et des principes juridiques applicables. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[37] Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4466-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Noémie Pellerin Desjarlais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4466-20

INTITULÉ :

WILLIAM YESID CASTANEDA ESPINDOLA, JESSICA JOHANNA SANCHEZ CHAPARRO, LUNA NICOL CASTANEDA MARTINEZ, MIA LAURENT CASTANEDA SANCHEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 18 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Dariusz Wroblewski

POUR LES DEMANDEURS

Pavel Filatov

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dariusz Wroblewski

Avocat

Guelph (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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