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Date : 20220323


Dossier : IMM‑3046‑20

Référence : 2022 CF 397

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2022

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

DIKLA DESSIE ET AL.

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision par laquelle une agente principale d’immigration [l’agente] a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs. Cette demande était fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, au sens du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), c 27 [la LIPR].

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

Le contexte

[3] Les demandeurs sont Mme Dikla Dessie [la demanderesse principale] et ses trois enfants, Elishai, Eliel et Elinoi, qui étaient âgés de 21 ans, de 17 ans et de 10 ans, respectivement, au moment où l’agente a rendu sa décision.

[4] Les demandeurs sont entrés au Canada en 2008 avec l’homme qui était à l’époque l’époux de la demanderesse principale et le père des enfants [l’ex‑époux]. Leurs demandes d’asile ont été accueillies en mars 2010 et ils ont ensuite présenté une demande de résidence permanente. Pendant que cette demande était à l’étude, il a été découvert que les demandeurs avaient demandé l’asile en se servant de fausses identités personnelles et nationales, affirmant qu’ils étaient citoyens de l’Éthiopie et qu’ils sollicitaient l’asile à l’égard de ce pays. La demanderesse principale, son époux et les deux enfants aînés sont en réalité citoyens d’Israël et d’aucun autre pays. Leurs demandes de résidence permanente ont par la suite été rejetées pour cause de fausses déclarations. L’enfant le plus jeune est né au Canada et il est citoyen canadien. La demanderesse principale et son époux se sont séparés en 2015.

[5] Le 8 août 2018, les demandeurs ont ensuite présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cela a été suivi d’une lettre d’une longueur de quatre pages, écrite par leur conseil et datée du 21 août 2018; cette lettre contenait des observations à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et était accompagnée de documents justificatifs, dont une déclaration non signée et non assermentée de la demanderesse principale.

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[6] L’agente a traité de l’observation de la demanderesse principale selon laquelle les demandeurs s’exposeraient à des difficultés en Israël en raison de menaces de violence proférées par l’ex‑époux, mais elle a conclu qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour établir que celui‑ci souhaitait leur faire du mal, à elle ou à ses enfants, s’ils retournaient en Israël.

[7] L’agente a également examiné l’affirmation de la demanderesse principale selon laquelle la famille s’exposerait à des difficultés en Israël parce qu’elle‑même perdrait son identité juive, s’étant convertie au christianisme pendant son séjour au Canada. L’agente a fait remarquer que la demanderesse principale n’avait fourni aucune preuve objective à l’appui de cette affirmation ou quant à la manière dont cela lui causerait des difficultés.

[8] En ce qui concerne l’affirmation des demandeurs selon laquelle le fils âgé de 21 ans de la demanderesse principale, Elishai, était à ce point effrayé par l’idée de retourner en Israël qu’il avait reçu un diagnostic de dépression et qu’il prenait des antidépresseurs, l’agente a conclu qu’il n’y avait aucune preuve qui corroborait cette affirmation, comme une évaluation psychologique ou d’autres documents médicaux. Elishai n’avait pas non plus produit un affidavit à l’appui de cette prétention, et il n’y avait aucune preuve qu’il était incapable de le faire. Il ne ressortait pas non plus de la preuve de la demanderesse qu’en Israël Elishai n’aurait pas accès aux traitements ou aux médicaments dont il avait besoin.

[9] Selon l’agente, les demandeurs ont affirmé qu’ils avaient été victimes de discrimination en Israël en raison de leur profil d’Israélites éthiopiens, mais que cette affirmation était vague et non étayée par une preuve corroborante. La situation dans le pays n’aidait pas non plus les demandeurs à cet égard.

[10] L’agente a souligné les appuis que la famille avait reçus dans leur collectivité canadienne. Elle a fait référence à une lettre d’un organisme appelé Guelph‑Wellington Women in Crisis [l’organisme Women in Crisis], qui indiquait que la demanderesse principale bénéficiait de ses services depuis mai 2016, après avoir quitté un conjoint violent sur les plans affectif et physique. L’agente a conclu que la preuve ne confirmait pas que la demanderesse principale avait eu accès aux services de counseling qu’offre l’organisme Women in Crisis ou si elle continuait d’avoir besoin de ces services. Il n’y avait non plus aucune preuve que, si elle avait besoin de services de counseling ou d’aide de la part d’organismes sociaux en Israël, ou si elle décidait d’en demander, ces services ne seraient pas disponibles ou il lui serait difficile d’avoir accès à tout traitement ou service requis.

[11] L’agente a également évalué le degré d’établissement des demandeurs au Canada. Elle a accordé un poids favorable aux efforts faits par la demanderesse principale pour s’établir, elle et sa famille, grâce à des activités professionnelles et bénévoles et à la fréquentation d’une église et d’écoles, mais elle a conclu que leur degré d’établissement n’excédait pas ce à quoi l’on s’attendrait de la part de personnes présentes au Canada pendant un nombre d’années semblable. De plus, les demandeurs avaient entrepris leurs efforts d’établissement tout en sachant que leur statut d’immigrant pouvait être révoqué si l’on découvrait qu’ils n’avaient pas dit la vérité dans leur demande d’immigration.

[12] L’agente a ensuite pris en considération l’intérêt supérieur des enfants d’âge mineur, Elinoi et Eliel. Elle a fait référence à l’observation du conseil des demandeurs selon laquelle les enfants craignaient de retourner en Israël et s’étaient habitués à la culture et à la langue au Canada et que leur renvoi du pays les empêcherait de s’établir et se répercuterait sur leur croissance. Elle a reconnu que ces deux enfants ont une bonne connaissance de la langue et de la culture au Canada, mais a jugé que les demandeurs n’avaient pas fourni de détails précis au sujet de l’incidence qu’aurait un départ du Canada sur le degré d’établissement et la croissance des enfants. L’agente a fait référence à une preuve objective confirmant que l’anglais est une langue qu’on enseigne et qu’on parle en Israël et elle a conclu qu’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que la connaissance qu’ont les enfants de la langue anglaise leur serait avantageuse en tant que langue seconde dans un établissement d’enseignement, qu’Elinoi avait été exposée par sa famille à la langue, à la culture et aux coutumes israéliennes et qu’Eliel avait peut‑être encore des souvenirs de l’éducation qu’il avait reçue en Israël, ce qui faciliterait la transition.

[13] L’agente a pris acte de la lettre de soutien fournie par Dayami Ramirez, de l’organisme Immigrant Services Guelph‑Wellington [l’organisme Immigrant Services], qui indique : [traduction] « il serait dévastateur de les priver [les enfants] de la possibilité de grandir avec leurs amis et de vivre dans le pays qui les a accueillis pour qu’ils réalisent leur plein potentiel en tant qu’êtres humains », mais elle a conclu qu’il ne s’agissait pas là d’un fondement objectif pour cette conviction et que la déclaration était vague, conjecturale et non étayée par une preuve corroborante. Elle a également signalé qu’Eliel était à un âge où il pouvait raisonnablement exprimer ses sentiments à l’égard de la demande, mais qu’il ne l’avait pas fait. En outre, même si ce fait n’était pas déterminant, il n’y avait aucune observation de l’ex‑conjoint, auquel les conditions de l’accord de séparation avaient accordé un [traduction] « accès souple et généreux aux enfants », qui aurait fait part de son point de vue sur l’intérêt supérieur des enfants. Cette preuve ne confirmait pas qu’il serait contraire à l’intérêt supérieur des enfants de vivre dans le même pays que leur père, et de renouer des liens avec lui.

[14] L’agente a signalé l’absence de toute preuve confirmant que les enfants n’auraient pas accès à l’école, à des soins médicaux ou à des activités parascolaires ou des commodités semblables en Israël et elle a déclaré qu’elle n’était pas convaincue que leur retour en Israël en tant qu’unité familiale aurait une incidence défavorable sur l’intérêt supérieur des enfants. Elle a conclu que l’intérêt supérieur des enfants avait été pris en considération et qu’un poids lui avait été accordé, mais que ce facteur ne justifiait pas l’octroi d’une dispense.

[15] L’agente a résumé ses constatations et conclu que les difficultés auxquelles pourraient se heurter les demandeurs en quittant le Canada étaient inhérentes au fait d’être renvoyés après avoir séjourné à un endroit pendant un certain temps. Une mise en balance cumulative des facteurs d’ordre humanitaire que les demandeurs invoquaient ne justifiait pas que l’on exerce la réparation exceptionnelle que prévoit l’article 25 de la LIPR.

Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[16] À mon avis, tous les points que soulèvent les demandeurs se rangent dans la question primordiale de savoir si la décision de l’agente est raisonnable.

[17] Les parties soutiennent – et je suis d’accord avec elles – que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23, 25). Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour est tenue de « se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99).

Analyse

A. La violence familiale

La position des demandeurs

[18] Les observations des demandeurs sont longues, mais l’essentiel de leur argumentation est que l’agente n’a pas tenu compte de leurs circonstances d’ordre humanitaire sous l’angle de la violence entre partenaires intimes. Plus précisément, dans son analyse l’agente n’a pas reconnu les réalités de cette forme de violence. Elle aurait dû tenir pour avérés les dires de la demanderesse principale quant aux antécédents de violence conjugale de la part de son ex‑époux et considéré ce fait comme un indice de ses actes futurs.

La position du défendeur

[19] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part de l’agente de conclure qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour établir que l’ex‑époux souhaitait faire du mal aux demandeurs s’ils retournaient en Israël. La demanderesse principale allègue que sa crainte repose sur les actes de violence antérieurs, et que l’agente était tenue de déterminer s’il y avait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier une dispense de l’application de la LIPR. L’absence de preuve de menaces constantes était pertinente au regard de cette analyse. Les motifs de l’agente n’avaient pas trait à la crédibilité, mais au caractère insuffisant des éléments de preuve étayant la prétention des demandeurs.

Analyse

[20] La mesure que prévoit le paragraphe 25(1) de la LIPR est une réparation exceptionnelle et discrétionnaire. Cette disposition accorde aux étrangers qui sollicitent la résidence permanente en sol canadien et qui sont interdits de territoire ou qui ne répondent pas aux exigences de la LIPR le droit de faire examiner leur situation et de se faire accorder la résidence permanente, ou une dispense par rapport à tout critère ou toute obligation applicable de la LIPR, si le ministre est d’avis que cela est justifié pour des motifs d’ordre humanitaire. L’existence de difficultés dispense une personne d’avoir à quitter le Canada pour solliciter la résidence permanente par les voies habituelles. Une telle disposition d’exception ne vise pas à créer une filière d’immigration de remplacement, ni à offrir un mécanisme d’appel aux demandeurs d’asile ou aux demandeurs de résidence permanente déboutés, mais elle « constitue […] une sorte de ‘soupape de sécurité’ disponible pour des cas exceptionnels ». Le demandeur a le fardeau d’établir qu’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire est justifiée (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 au para 45; Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 287 au para 23; Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082 au para 15; Gregory c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 277 aux para 28‑31).

[21] Il est important de signaler au départ que les observations écrites que le conseil des demandeurs a fournies à l’agente étaient brèves, d’une longueur de quatre pages. Il y est principalement question du degré d’établissement et de l’intérêt supérieur des enfants. Rien n’y est dit au sujet d’actes de violence entre partenaires intimes; en fait, la seule mention faite de l’ex‑époux est la suivante :

[traduction]
Les demandeurs sont conscients et regrettent d’avoir utilisé de faux documents et une fausse identité pour demander l’asile. De nombreux changements sont survenus depuis le rejet de leurs demandes de résidence permanente. L’époux de la demandeure principale les a abandonnés et est parti pour Israël. Il a menacé cette dernière de conséquences inconnues. Le fait qu’il les ait dénoncés aux autorités canadiennes de l’immigration montre jusqu’où il peut aller pour se venger. Hormis les difficultés, l’intérêt supérieur des trois enfants, les menaces de son époux et les problèmes auxquels elle ferait face en Israël sont les motifs de sa demande.

[22] Est jointe aux observations écrites du conseil une déclaration non signée et non assermentée, d’une longueur de cinq pages, de la demanderesse principale. Cette déclaration fait état d’actes de violence antérieurs de la part de l’ex‑époux.

[23] Dans les observations qu’ils ont produites dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs affirment que l’agente aurait dû tenir compte explicitement du fait que les actes de violence antérieurs de l’ex‑époux permettaient de prévoir le risque de violence future. Toutefois, cela n’a pas été invoqué dans les observations soumises à l’agente en tant que motif justifiant une dispense CH.

[24] Quoi qu’il en soit, l’agente a effectivement traité de l’observation des demandeurs selon laquelle les menaces de l’ex‑époux seraient assimilables à des difficultés s’ils étaient renvoyés en Israël. L’agente a conclu que la demanderesse principale n’avait fourni aucune preuve objective que l’ex‑époux les avait menacés, elle ou les enfants, depuis son départ du Canada en décembre 2017. Elle n’avait fourni aucun détail sur ces menaces, comme le moment où elles avaient été proférées, leur fréquence, la manière dont elles avaient été reçues ou leur raison. Elle n’avait pas non plus signalé ces menaces à la police ni expliqué pourquoi elle ne l’avait pas fait. Compte tenu de cela, l’agente a conclu que la demanderesse principale n’avait pas fourni de preuve suffisante pour établir que son ex‑époux souhaitait leur faire du mal, à elle ou à ses enfants, s’ils retournaient en Israël.

[25] Les demandeurs n’affirment pas qu’ils ont reçu des menaces de la part de l’ex‑époux depuis que celui‑ci a quitté le Canada, il y a plus de quatre ans. Dans sa déclaration non signée et non assermentée, la demanderesse principale indique seulement qu’en 2015 son ex‑époux a exigé qu’elle déménage à Guelph. Il a menacé d’exposer leurs fausses demandes d’asile si elle n’obtempérait pas et il a déclaré qu’il allait [TRADUCTION] « s’occuper d’elle personnellement » si elle était expulsée en Israël. De plus, l’ex‑époux avait été violent envers elle au Canada et avait menacé de se comporter de la même façon si elle retournait en Israël. La déclaration ne fait mention d’aucune menace depuis 2015. Je signale également que la déclaration ne dit pas s’il y a eu des communications quelconques entre l’ex‑époux et les demandeurs depuis le départ de celui‑ci en 2017. C’est donc dire que, vraisemblablement, toutes les communications ont été rompues en 2017, ou alors toute communication ultérieure n’a pas été menaçante.

[26] Au vu de cette preuve restreinte, je ne vois aucune erreur dans la conclusion de l’agente selon laquelle la demanderesse principale n’a pas fourni assez d’éléments de preuve pour établir que son ex‑conjoint souhaite leur faire du mal, à elle ou à ses enfants, s’ils retournent en Israël. En conséquence, il ne s’agit pas là d’une difficulté qui justifie la prise d’une mesure extraordinaire en application de l’article 25 de la LIPR.

[27] Les demandeurs soutiennent également que, même si elle avait raisonnablement besoin d’une preuve objective de menaces constantes pour justifier la crainte que disait ressentir la demanderesse principale, l’agente exigeait de manière déraisonnable que la demanderesse principale ait signalé à la police, au Canada, les menaces proférées par l’ex‑époux en Israël. Selon les demandeurs, il s’agit là d’une manifestation des mythes et des stéréotypes que l’on applique aux survivants de la violence conjugale. À mon avis, cette observation est dénuée de tout fondement. Les demandeurs n’affirment pas avoir reçu des menaces depuis que l’ex‑époux a quitté le Canada en 2017. De plus, le point que soulignait l’agente était que, même si les demandeurs affirmaient qu’ils courraient un risque s’ils retournaient en Israël à cause des menaces proférées par l’ex‑époux, il n’y avait aucune preuve objective de ces dernières, dont des signalements faits à la police. L’agente n’exigeait pas que la demanderesse principale ait signalé de telles menaces à la police. Et, comme l’agente l’a signalé, il n’y avait pas d’explication non plus quant à la raison pour laquelle un tel signalement n’avait pas été fait, si des menaces avaient été proférées après le départ de l’ex‑conjoint du Canada. Les demandeurs avaient eu la possibilité, lorsqu’ils avaient présenté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, d’expliquer pour quelle raison ils avaient craint de faire un signalement, si raison il y avait, mais ils n’en ont pas traité. J’ajouterais aussi que, s’il y avait eu des menaces, vu que l’ex‑époux se trouvait dans un pays différent et que les demandeurs savaient qu’ils risquaient d’être renvoyés du Canada, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse principale, à ce stade, signale avoir été victime de menaces quelconques, car cela aurait étayé les difficultés auxquelles ils se seraient heurtés, selon elle, s’ils retournaient en Israël.

[28] Les demandeurs affirment que l’agente n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité de l’allégation de violence de la demanderesse principale et qu’elle aurait dû tenir pour avérée sa déclaration non assermentée, sans exiger de preuve corroborante. À l’appui de cet argument, ils font référence à la décision que j’ai rendue dans Chekroun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 737 [Chekroun].

[29] Premièrement, comme je l’ai conclu plus tôt, l’agente n’a pas remis en question l’allégation de violence de la demanderesse principale. Elle a plutôt conclu qu’il y avait un manque de preuve de menaces constantes de la part de l’ex‑conjoint, ce qui aurait confirmé la prétention des demandeurs, à savoir qu’ils s’exposeraient à des difficultés s’ils retournaient en Israël.

[30] Deuxièmement, comme je l’ai déjà mentionné plus tôt, les demandeurs n’ont pas fait valoir devant l’agente que les actes de violence antérieurs devaient être considérés comme un indice de violence future. La demanderesse fait maintenant référence au document du ministère de la Justice intitulé « Renforcement de la sécurité : Affaires de violence conjugale faisant intervenir plusieurs systèmes juridiques (en matière de droit pénal, de droit de la famille et de protection de la jeunesse) Perspective du droit de la famille sur la violence conjugale » ainsi qu’à diverses affaires de nature familiale concernant les prévisions de violence, mais ces documents et ces observations n’ont pas été soumis à l’agente.

[31] Troisièmement, dans la décision Chekroun j’ai fait référence à l’arrêt Maldonado c Canada (Emploi et Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA), où il a été conclu que lorsqu’un demandeur d’asile jure que son témoignage est véridique, ce témoignage est présumé l’être, à moins qu’il n’existe des raisons valables d’en douter. J’ai conclu dans cette affaire qu’en l’absence de telles raisons le demandeur s’était acquitté du fardeau d’établir son identité sexuelle au moyen d’un affidavit assermenté. C’est donc dire que, toujours dans cette affaire, l’agent avait agi de manière déraisonnable en exigeant des éléments de preuve corroborant ce fait.

[32] En l’espèce, la demanderesse principale n’a pas déposé d’affidavit assermenté. Elle soutient que sa déclaration non signée et non assermentée était jointe au formulaire Renseignements supplémentaires – Considérations d’ordre humanitaire, lequel formulaire contient une déclaration, signée par la demanderesse principale le 8 août 2018, portant que les renseignements fournis dans ce formulaire sont véridiques et exacts. Bien que la déclaration soit insérée dans ce document, tel qu’il figure dans le dossier de demande, dans le dossier certifié du tribunal (le DCT) la déclaration ne s’y trouve pas. Il s’agit plutôt de l’un des documents qui ont été présentés avec les observations du conseil datées du 21 août 2018.

[33] Quoi qu’il en soit, l’agente n’a pas exigé une preuve corroborant les prétendus actes de violence. Elle a fait état d’une absence de preuve corroborante dont on aurait pu raisonnablement s’attendre à ce que la demanderesse principale dispose, à en juger par sa déclaration, mais la décision n’a pas été fondée sur ce point.

[34] En outre, dans la décision Chekroun, après que le demandeur avait prouvé son identité sexuelle, il y avait une abondante documentation relative à la situation du pays qui montrait que ce fait établi créerait un risque pour sa vie en Algérie. En l’espèce, comme l’agente l’a conclu, les demandeurs n’ont pas présenté une preuve de menaces constantes qui était suffisante pour établir que les prétendus actes de violence au Canada causeraient plus tard des difficultés en Israël.

[35] Je ne souscris pas non plus à l’affirmation des demandeurs selon laquelle l’agente n’a pas tenu compte de la lettre de soutien de l’organisme Women in Crisis à cause d’une mauvaise interprétation de la preuve. Cette lettre indique que la demanderesse principale bénéficie des services de cet organisme depuis mai 2016, après avoir quitté un conjoint violent sur les plans affectif et physique. Elle a reçu de l’aide pour obtenir un logement subventionné à titre prioritaire à cause de la violence conjugale qu’elle avait subie et elle s’est vu offrir des services permanents de counseling, de planification de la sécurité et de défense auprès d’autres organismes de services sociaux. Elle a aussi reçu des informations et un appui au sujet des problèmes de garde et de visite relatifs à ses enfants.

[36] Les demandeurs soutiennent que l’agente n’a pas tenu compte du fait que la demanderesse principale, dans son formulaire de demande générique, a indiqué qu’elle avait été mariée du 19 mars 1998 au 26 mars 2016 et, dans sa déclaration non assermentée, qu’elle et son époux avaient repris leur vie commune en 2015 [TRADUCTION] « par suite du procès‑verbal du règlement et des procédures judiciaires connexes en matière familiale ».

[37] Je signale que le procès‑verbal de règlement de la Cour de justice de l’Ontario comporte une entente conclue entre la demanderesse principale et son ex‑époux, à savoir que la demanderesse principale aurait la garde des enfants, l’ex‑époux aurait un accès souple et généreux à ceux‑ci et il paierait la pension alimentaire pour enfants. Le procès‑verbal est daté du 25 juin 2015 et il est signé par un avocat de service en qualité de témoin.

[38] À mon avis, rien ne repose sur la date du procès‑verbal de règlement ni sur celle de toute autre dissolution officielle ultérieure du mariage, au sujet duquel il n’y avait aucune preuve documentaire objective dans le dossier. L’agente a simplement signalé que la déclaration de la demanderesse principale manquait de clarté et soulevait des questions qui demeuraient sans réponse. En fait, il m’est impossible de comprendre l’observation écrite que les demandeurs m’ont soumise, à savoir que la demanderesse principale et son ex‑époux ont repris leur vie commune [TRADUCTION] « par suite du procès‑verbal du règlement et des procédures judiciaires connexes en matière familiale ». Mais, là encore, rien ne repose sur ce point. À mon avis, l’agente a pris en considération la lettre d’appui de l’organisme Women in Crisis et n’en a pas rejeté la teneur. Cependant, cette lettre ne fait état d’aucune menace de violence future en Israël.

[39] En résumé, dans ces circonstances, je ne conviens pas avec les demandeurs que l’agente a commis une erreur en omettant de considérer que les prétendus actes de violence antérieurs de l’ex‑époux pourraient être un indice de violence future en Israël. Je signalerais également qu’aucune preuve dans le dossier ne donne à penser que, en Israël, les demandeurs ne disposeraient pas d’une protection contre toute violence possible.

B. Le degré d’établissement

La position des demandeurs

[40] Les demandeurs sont d’avis que l’agente a commis une erreur dans son analyse concernant le degré d’établissement en ne traitant pas de l’incidence de la violence conjugale sur cet aspect et en omettant d’indiquer ce qui aurait été considéré comme un degré suffisant compte tenu de leur situation.

La position du défendeur

[41] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part de l’agente de tenir compte du fait que les demandeurs savaient ou auraient dû savoir qu’il se pouvait qu’on leur demande de quitter le Canada si l’on découvrait leurs fausses déclarations. L’agente a par ailleurs évalué de manière raisonnable le degré d’établissement des demandeurs, et la Cour ne devrait pas s’ingérer dans cet exercice de pouvoir discrétionnaire.

Analyse

[42] L’agente a passé en revue les antécédents de la demanderesse principale en matière d’emploi, ses observations quant au fait d’avoir suivi des cours d’anglais, ses activités bénévoles auprès de l’Ethiopian Evangelic Church, à Toronto, ainsi qu’auprès du St. Joseph’s Health Centre, à Guelph, et d’autres activités semblables. Elle a considéré sous un jour favorable les efforts qu’avait faits la demanderesse principale pour établir sa famille et elle‑même au Canada, mais elle a conclu aussi que leur degré d’établissement n’excédait pas ce à quoi l’on s’attendrait de la part de personnes qui se trouvaient au Canada depuis un nombre d’années semblable. Elle a également signalé que les demandeurs avaient entrepris leurs efforts d’établissement en sachant que leur statut d’immigrant pouvait être révoqué si l’on découvrait que leurs demandes d’asile n’étaient pas véridiques.

[43] Je ne vois aucun fondement dans l’observation de la demanderesse principale selon laquelle l’agente a commis une erreur en ne traitant pas de sa déclaration quant au fait que, en déménageant à Guelph pour le bien de l’unité familiale et par crainte de la menace que son ex‑époux signalerait aux autorités de l’immigration les fausses déclarations faites dans leurs demandes d’asile, elle avait perdu tout lien avec l’église et les amis qui la soutenaient à Toronto. L’agente a accordé un poids favorable à ses activités bénévoles. Les prétendus actes de violence qui l’ont conduite à déménager à Guelph importent peu, en ce sens que l’agente n’a tiré aucune conclusion défavorable quant aux efforts d’établissement qu’elle avait faits après le déménagement.

[44] Si l’on évalue le degré d’établissement, c’est pour pouvoir tirer une conclusion quant au fait de savoir si un demandeur subirait des difficultés s’il était tenu de présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger. Cette évaluation doit être faite en se rapportant à la situation particulière du demandeur (Ikeji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1422 aux para 61, 62 citant Persaud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1133 aux para 44, 45; Ranji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 521 aux para 19, 20). Notre Cour a déjà déclaré qu’à moins que l’établissement au Canada soit à la fois d’une nature exceptionnelle et non un choix personnel du demandeur, il ne s’agira habituellement pas d’un facteur qui milite en sa faveur. Dans le meilleur des cas, ce facteur est habituellement neutre (Dan Shallow c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 749 au para 9). Plus récemment, dans la décision Rocha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1070, le juge Gascon a établi une distinction avec la décision Chandidas, qu’invoquent les demandeurs en l’espèce, et a‑t‑il écrit :

[25] Pour qu’une demande CH soit accueillie, il faut démontrer un fort degré d’établissement. Il ne suffit pas pour le demandeur de prouver qu’il pourrait être un immigrant modèle et un ajout de qualité à la société canadienne. De plus, être travailleur, respectueux des lois, autonome, entreprenant, économe et charitable envers autrui n’est pas le critère servant à déterminer s’il existe des motifs d’ordre humanitaire justifiant une mesure exceptionnelle (Zambrano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481, au paragraphe 75). « [L]e fait que le demandeur ait progressé dans son adaptation au sein de la société canadienne, qu’il travaille et qu’il est devenu autonome financièrement ne pouvait permettre à l’agent de conclure automatiquement à la présence de motifs d’ordre humanitaire » (Aoutlev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 111, au paragraphe 22). Le demandeur doit prouver qu’être obligé de quitter le Canada lui causera non seulement des difficultés, mais des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Il incombe au demandeur d’apporter une preuve suffisante de son établissement; l’agente n’a pas à faire enquête sur les allégations et les éléments de preuve de M. Rocha (Lalane, au paragraphe 42; Owusu, au paragraphe 5).

[45] Je ne vois aucune erreur dans la manière dont l’agente a évalué le degré d’établissement. Cette dernière a tenu compte de la preuve des demandeurs en concluant que leur degré d’établissement était celui que l’on attendrait de la part de personnes qui se trouvent au Canada depuis un nombre d’années semblable. Elle n’a pas exigé un degré d’établissement extraordinaire. Il n’y a rien dans ses motifs ou dans le dossier qui donne à penser qu’elle a mal saisi les efforts d’établissement des demandeurs ou qu’elle a fait abstraction de l’un quelconque des éléments de preuve qu’ils ont produits. Les observations des demandeurs au sujet de leur degré d’établissement ne donnent pas non plus à penser que celui‑ci a été affecté par les prétendus actes de violence conjugale. En conséquence, contrairement à l’affaire Chandidas, l’agente n’a pas omis de tenir compte de manière sensible de leur situation particulière. Elle a écrit : [TRADUCTION] « la question qui se pose dans la présente évaluation n’est pas de savoir si les demandeurs apporteraient une contribution positive à la société canadienne, mais plutôt si leur retourne Israël est assimilable à des difficultés ». Elle a conclu que le degré d’intégration des demandeurs à la société canadienne ne leur causerait pas de difficultés s’ils retournaient en Israël. Je ne vois aucune raison d’intervenir dans cette conclusion. De plus, comme le soutient le défendeur, le degré d’établissement est un facteur, parmi d’autres, qu’un agent chargé de l’examen des considérations d’ordre humanitaire peut prendre en compte; il n’est pas déterminant.

[46] L’agente n’a pas non plus commis d’erreur en prenant en considération l’incidence des fausses déclarations sur le degré d’établissement.

[47] J’ai traité antérieurement de cette question dans la décision Fouda c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1176 [Fouda] :

[54] Notre Cour a maintenu que l’existence de fausses présentations est un facteur pertinent à examiner lorsqu’on examine le degré d’établissement d’une personne. Agir autrement équivaut à placer le fait de frauder l’immigration sur un pied d’égalité avec la personne qui a respecté la loi. En outre, la détermination du degré d’incidence de la fraude sur l’établissement, que ce soit de réduire l’établissement à zéro ou à quelque chose de plus est une question laissée à la discrétion du décideur sur la foi des faits particuliers qui lui sont présentés (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Liu, 2016 CF 460, au paragraphe 29).

(Voir aussi Tartchinska c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2000] ACF n373 aux para 20, 22 (FCTD); Chau c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 FCT 107 aux para 15, 16 : Zhao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 38 au para 39; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ndir, 2020 CF 673 au para 37).

[48] Je ne relève aucune erreur dans la manière dont l’agente a évalué le degré d’établissement des demandeurs.

C. L’intérêt supérieur des enfants

La position des demandeurs

[49] Les demandeurs soutiennent que l’agente a commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants en ne tenant pas compte de la déclaration de la demanderesse principale selon laquelle les enfants mineurs ont été victimes de violence de la part de l’ex‑conjoint et en émettant l’hypothèse que le fait d’être réunis avec leur père pourrait avoir une incidence favorable. De plus, elle a fait abstraction de l’incapacité d’agir des enfants à l’égard des fausses déclarations et a soupesé celles‑ci par rapport aux difficultés que subiraient les enfants s’ils retournaient en Israël.

La position du défendeur

[50] Le défendeur soutient que l’agente a tenu compte de manière suffisante de l’intérêt supérieur des enfants, conformément à l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]. La demanderesse principale a fourni fort peu de renseignements à l’appui de ses observations concernant l’intérêt supérieur des enfants et n’a pas montré que l’agente avait commis une erreur dans l’évaluation de ce qui avait été fourni.

Analyse

[51] Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a déclaré que le principe de l’intérêt supérieur dépend dans une large mesure du contexte en raison de la multitude de facteurs qui peuvent faire obstacle à l’intérêt de l’enfant. Il convient donc d’appliquer ce principe d’une manière qui tient compte de l’âge de chaque enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité. Il faudrait que le décideur considère l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, qu’il lui accorde un poids considérable et qu’il y soit réceptif, attentif et sensible (Kanthasamy, au para 38, faisant référence à l’arrêt Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 74, 75 [Baker]).

[52] Une décision rendue en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR sera déraisonnable si l’on n’a pas tenu suffisamment compte de l’intérêt des enfants qu’elle touche. Cela veut dire que les décideurs doivent faire plus qu’indiquer simplement qu’ils ont pris en compte l’intérêt de l’enfant; cet intérêt doit être bien identifié et défini, puis examiné avec beaucoup d’attention eu égard à l’ensemble de la preuve (Kanthasamy, aux para 23 à 25, ainsi que 35, 38 et 41). C’est donc dire que l’agente était tenue d’être réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, de lui accorder un poids considérable, de l’examiner avec soin et attention à l’égard de l’ensemble de la preuve et de tenir compte de leur situation personnelle. Cela dit, dans une évaluation CH, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas forcément un facteur déterminant (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 au para 75; Motrichko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 516 au para 21).

[53] En l’espèce, les observations que les demandeurs ont soumises à l’agente ne traitaient pas de l’allégation de violence à l’endroit de la demanderesse principale ou des demandeurs d’âge mineur. L’ensemble des observations relatives à l’intérêt supérieur des enfants était que les enfants se débrouillaient bien à l’école et étaient [TRADUCTION] « aujourd’hui à ce point habitués au système éducatif au Canada qu’il leur serait difficile de s’adapter au système éducatif et au milieu culturel en Israël. De plus, leurs amis, leur école, leur église et leur collectivité, qui sont devenus un élément important de leur vie, leur manqueraient ». En outre, les enfants étaient habitués à la culture et à la langue au Canada et leur renvoi en Israël [TRADUCTION] « restreindrait leur établissement » et [TRADUCTION] « affecterait leur croissance ». En l’espèce, l’avocate des demandeurs a fait valoir que la dispense pour motifs d’ordre humanitaire était justifiée [TRADUCTION] « en particulier à cause des difficultés auxquelles s’exposeraient les enfants ».

[54] Comme il est indiqué dans la section contextuelle des présents motifs, l’agente a traité des observations des demandeurs au sujet de l’intérêt supérieur des enfants, ainsi que des documents à l’appui. Par exemple, elle a tenu compte de la lettre de soutien de l’organisme Immigrant Services, qui indique qu’il aide les demandeurs depuis près de 10 ans à répondre à leurs besoins en matière de règlement et qu’il défend leur cause pour qu’ils restent au Canada. La lettre indique, au sujet des enfants : [TRADUCTION] « il serait dévastateur de les priver de la possibilité de grandir avec leurs amis et de vivre dans le pays qui les a accueillis pour qu’ils réalisent leur plein potentiel en tant qu’êtres humains », et que leur renvoi les empêchera d’accéder à l’avenir dont ils sont en droit de jouir. L’agente a conclu que cette lettre n’indique pas sur quelle preuve objective son auteur fonde sa conviction, et elle a jugé que les affirmations étaient vagues et conjecturales. Je signalerais aussi que cette lettre ne traite pas de l’allégation de la demanderesse principale quant aux difficultés susceptibles de découler de la violence familiale, ni de toute préoccupation relative à la violence que le père infligerait aux enfants. L’agente a également signalé qu’Eliel se situe à un âge où il pourrait exprimer de manière raisonnable ses sentiments vis‑à‑vis de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, mais qu’aucune observation de sa part n’a été fournie.

[55] Les demandeurs n’ont contesté aucune des conclusions relatives à l’intérêt supérieur des enfants que l’agente a tirées en réponse à leurs observations. Après avoir passé en revue les motifs et les observations restreintes qui ont été formulées, de même que les documents justificatifs que les demandeurs ont produits, je suis convaincue que l’analyse que l’agente a faite de l’intérêt supérieur des enfants était raisonnable.

[56] Quant à la référence faite par l’agente au père des enfants, celle‑ci a déclaré que le procès‑verbal de règlement, même s’il n’était pas déterminant, indiquait que le père s’était vu accorder un [TRADUCTION] « accès souple et généreux aux enfants » mais que cela ne traitait pas du fait de savoir en quoi il était dans leur intérêt supérieur qu’ils restent au Canada ou qu’ils retournent en Israël. Les conditions de garde ne confirmaient pas qu’il serait contraire à leur intérêt supérieur de résider en Israël et de renouer des liens avec leur père. Contrairement à ce qu’allèguent les demandeurs, l’agente n’a pas [TRADUCTION] « exigé » que l’on prenne en considération l’intérêt supérieur du père des enfants et que celui‑ci fournisse une preuve au sujet de celui des enfants.

[57] Je reconnais que la demanderesse principale, dans sa déclaration non assermentée, allègue que les enfants ont été victimes de violence. Je signale toutefois qu’il est extraordinaire que cet aspect n’ait pas été soulevé par son conseil dans le cadre des observations relatives à l’intérêt supérieur des enfants. Aucune explication n’est offerte à cet égard. Quoi qu’il en soit, comme l’agente l’a conclu, il n’y avait aucune preuve que l’ex‑époux de la demanderesse principale avait proféré des menaces quelconques contre celle‑ci ou les enfants depuis son retour en Israël en 2017. Comme nous l’avons vu plus tôt, la déclaration de la demanderesse principale ne fait référence qu’à une menace qui aurait été proférée contre elle en 2015. L’agente a conclu que la demanderesse principale n’avait pas fourni assez d’éléments de preuve pour établir que son ex‑époux souhaitait leur faire du mal, à elle ou aux enfants, s’ils retournaient en Israël. Compte tenu de cela, et même s’il aurait peut‑être été préférable que l’agente fasse référence, dans son analyse concernant l’intérêt supérieur des enfants, aux allégations de violence à l’endroit des enfants, lesquelles allégations figurent dans la déclaration non assermentée de la demanderesse principale, sa conclusion relative à l’insuffisance de la preuve était déterminante.

[58] Enfin, pour ce qui est de l’observation des demandeurs selon laquelle l’agente a tiré une conclusion abusive en tenant les enfants responsables des fausses déclarations de leurs parents, l’agente n’a pas tiré de telle conclusion. Dans la mesure où celle‑ci évalue les fausses déclarations comme un facteur négatif, elle le fait uniquement en lien avec le degré d’établissement des demandeurs, et non pour minimiser l’intérêt supérieur des enfants. L’agente n’a pas évalué l’intérêt supérieur des enfants par rapport aux fausses déclarations.

[59] En tout état de cause, il n’incombe pas à un agent de souligner que des enfants n’ont commis aucune faute dans le cas d’une fausse déclaration (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 aux para 26, 27). De plus, notre Cour a statué que, dans le cas d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, un agent peut soupeser les considérations d’intérêt public d’une fausse déclaration faite par un parent par rapport à l’intérêt qu’a l’enfant de rester au Canada (Aslam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 946 aux para 16, 17).

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3046‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

  3. Aucune question de portée générale à certifier n’a été proposée ou il ne s’en pose aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3046‑20

 

INTITULÉ :

DIKLA DESSIE ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VidÉoconfÉrence VIA Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 MARS 2022

 

COMPARUTIONS :

Nastaran Roushan

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nastaran Roushan

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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