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Date : 20220323


Dossier : IMM-2579-20

Référence : 2022 CF 398

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2022

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

SYED, ATHAR HUSSAIN SYED

ATHAR, AZHAR SALEH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Les demandeurs, M. Athar Hussein Syed Syed et Mme Azhar Saleha Athar, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent principal [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada le 12 mai 2020, par laquelle la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’ils avaient présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC 2001, c 27 [la LIPR], a été rejetée.

[2] Les demandeurs sont un couple marié et sont âgés de plus de 80 ans. Ils sont des citoyens du Pakistan. Ils ont deux filles qui sont nées et ont grandi au Pakistan. Celles-ci ont déménagé au Canada, plus précisément en Ontario et en Saskatchewan, lorsqu’elles se sont mariées. Les filles et les petits-enfants des demandeurs sont des citoyens canadiens. Outre les filles et les petits-enfants des demandeurs, d’autres membres de leur famille vivent au Canada, notamment la sœur de M. Syed et le frère de Mme Athar et sa sœur. Au moment où la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été présentée, les six autres frères et sœurs de Mme Athar vivaient à Karachi, Islamabad, Hyderabad, Hong Kong et en Californie.

[3] M. Syed et Mme Athar ont pris leur retraite en 2017 et en 2016 respectivement. Les deux ont fait des études supérieures au Pakistan. Avant de prendre sa retraite, M. Syed était employé comme comptable, gestionnaire général, chez Atlantis Chemical Industries, poste qu’il occupait depuis 2002. Mme Athar est titulaire d’une maîtrise en travail social et a été directrice adjointe de la protection sociale pour le gouvernement provincial de Sindh au Pakistan de 1972 à 1995. Par la suite, Mme Athar a occupé de nombreux postes, notamment celui de présidente du Network for Women’s Rights à Karachi de 2006 à 2016.

[4] En 2012 et 2014, les demandeurs ont obtenu des visas pour visiter le Canada. Le 19 janvier 2017, ils ont obtenu des super visas pour parents et grands-parents, soit des visas de séjour prolongé à entrées multiples qui permettent à leurs titulaires de rendre visite à leur famille pendant plusieurs années à la fois sans avoir à renouveler leur statut. Les super visas des demandeurs sont valides jusqu’au 27 septembre 2026. Les demandeurs sont entrés au Canada le 15 mai 2017, et y sont restés jusqu’à ce jour.

[5] Le 24 janvier 2018, ils ont déposé une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en vue d’être dispensés de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente à partir de l’extérieur du Canada. Les considérations d’ordre humanitaire de la demande comprenaient l’âge des demandeurs, leurs relations avec leurs enfants et petits-enfants, leur manque de soutien familial et financier au Pakistan et les difficultés auxquelles ils seraient confrontés s’ils devaient demander la résidence permanente depuis l’étranger.

[6] La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été rejetée le 12 mai 2020 [la décision].

[7] Les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable parce que l’agent a) a commis une erreur dans son appréciation des difficultés en ne faisant pas preuve d’empathie et de compassion à l’égard de la situation des demandeurs, et en agissant contrairement à l’objectif de réunification familiale énoncé à l’alinéa 3(1)d) de la LIPR, b) a commis une erreur dans son appréciation de l’établissement en ne tenant pas compte des éléments de preuve essentiels, en se livrant à des suppositions et en ne se concentrant pas sur les difficultés disproportionnées et c) n’a pas été suffisamment attentif, alerte et sensible aux intérêts des petits-enfants.

[8] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire dans les circonstances, après avoir dûment tenu compte, entre autres, i) de l’établissement des demandeurs au Canada, ii) de leurs liens avec le Canada, iii) des conséquences de la séparation d’avec leurs proches et iv) de l’intérêt supérieur des enfants. De l’avis du défendeur, les arguments des demandeurs équivalent à une demande inadmissible à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des éléments de preuve.

II. Question préliminaire – nouveaux éléments de preuve

[9] Dans leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, les demandeurs n’ont pas énuméré, ni dans le corps de la demande ni dans les observations de leur conseil, les noms de leurs petits-enfants, leurs dates de naissance, leur lieu de résidence, ni fourni d’autres informations, à l’exception de ce qui suit, extrait des observations du conseil :

[traduction]
Leurs petits-enfants, qui sont tous très proches de leurs grands-parents, est ce qui compte le plus pour eux. Shazia Shareef a trois enfants âgés de 11 ans à 19 ans et l’autre fille a deux enfants âgés de 21 ans et 23 ans. Nous joignons des photographies de la famille à des fins de référence.

[10] Sur certaines des copies des photographies, les noms des personnes qui y figuraient étaient écrits à la main. Parmi ces noms se trouvaient ceux des petits‑enfants.

[11] Comme nous le verrons plus en détail ci-dessous, dans la décision, l’agent a fait remarquer le manque d’informations fournies sur les petits-enfants dans la demande.

[12] Dans le cadre du contrôle judiciaire, les demandeurs ont présenté un affidavit de M. Syed contenant des informations supplémentaires sur la relation avec ses petits-enfants et les documents d’identité de ces derniers. L’affidavit visait également à apporter des éléments de preuve en réponse à d’autres points soulevés par l’agent, tels que les problèmes de santé des demandeurs et les défis physiques et émotionnels. La documentation médicale jointe est datée de 2012, 2015 et 2016.

[13] La règle générale veut que le dossier de preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative se limite au dossier dont disposait le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19 [Access Copyright]; Heredia c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2022 CF 25 aux para 12-14). Bien qu’il existe des exceptions à la règle générale (Access Copyright, au para 20), je ne suis pas d’avis qu’elles s’appliquent à la présente affaire.

[14] En outre, dans son affidavit, M. Syed a avancé des arguments et a tenté de tirer des conclusions de droit. Ce n’est pas une utilisation acceptable d’un affidavit dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[15] Je suis convaincue que l’affidavit de M. Syed et les nouveaux éléments de preuve soumis par les demandeurs ne sont pas admissibles dans le cadre du contrôle judiciaire. J’ai informé les avocats au cours de l’audience que je n’examinerai pas le contenu de l’affidavit et des éléments de preuve connexes, et que je me limiterai aux éléments de preuve présentés à l’agent.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[16] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable, comme énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La seule question en litige est celle de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

[17] Une décision raisonnable est une décision qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Selon l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit être convaincue qu’un mode d’analyse, dans les motifs avancés, pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait (Vavilov, au para 102, citant Barreau du Nouveau-Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20 au para 55).

[18] Il incombe au demandeur, la partie qui conteste la décision, d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100. Pour pouvoir intervenir, la cour de révision doit être convaincue par la partie contestant la décision que celle-ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que ces lacunes ou insuffisances reprochées « ne [sont] pas [...] simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100).

[19] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle fondée sur la déférence, mais elle est rigoureuse (Vavilov, aux para 12-13). Ainsi, on doit faire preuve de retenue, tout particulièrement à l’égard des conclusions de fait et de l’appréciation de la preuve. À moins de circonstances exceptionnelles, la cour de révision ne devrait pas modifier les conclusions de fait. Ce n’est pas le rôle de la Cour, lors du contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau ou de réévaluer la preuve examinée par le décideur (Vavilov, au para 125).

IV. Analyse

[20] L’octroi d’une exemption en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR est une mesure exceptionnelle et discrétionnaire (Kok c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 741 au para 7; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265 aux para 19-20). Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le large pouvoir discrétionnaire d’exempter les étrangers des exigences habituelles de la Loi et de leur accorder le statut de résident permanent au Canada, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire justifient une telle dispense. Le pouvoir discrétionnaire à cet égard représente une exception sensible et flexible qui vise à accorder un redressement en equity, notamment pour mitiger la rigidité de la LIPR dans les cas appropriés (Rainholz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 121 [Rainholz] aux para 13 et 14).

[21] Les motifs d’ordre humanitaire sont des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs justifient la prise de mesures spéciales aux fins des dispositions de la LIPR (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 2015 CSC 909 [Kanthasamy] aux paras 13 et 21). Comme l’a mentionné mon collègue le juge Little, « selon l’interprétation retenue du paragraphe 25(1), l’agent doit évaluer les difficultés auxquelles le ou les demandeurs se heurteront lorsqu’ils quitteront le Canada. Bien qu’ils ne soient pas employés dans la loi elle-même, la jurisprudence d’appel a confirmé que les adjectifs "inhabituelles", "injustifiées" et "excessives" décrivaient les difficultés susceptibles de justifier une dispense au titre de cette disposition » (Rainholz, au para 15).

[22] Le paragraphe 25(1) renvoie également à la nécessité de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. Lorsqu’il se penche sur l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent doit se montrer « réceptif, attentif et sensible » à cet intérêt (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 75). Les facteurs pertinents à prendre en compte sont entre autres l’âge de l’enfant et son degré de dépendance, le degré d’établissement de l’enfant au Canada, les liens de l’enfant avec le pays à l’égard duquel la demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire est examinée, les conséquences sur l’éducation de l’enfant, les problèmes de santé ou les besoins particuliers de l’enfant, les questions relatives au sexe de l’enfant, les conditions qui règnent dans ce pays et l’incidence possible sur l’enfant (Kanthasamy au para 40).

[23] Il importe de souligner qu’il incombe au demandeur de démontrer que des considérations d’ordre humanitaire justifient la dispense. Le demandeur qui ne présente pas de preuve ou qui omet de produire des renseignements pertinents à l’appui de sa demande le fait à ses risques et périls (Rainholz, au para 18).

[24] En l’espèce, l’agent a conclu que, sur la base de la preuve documentaire dont il disposait, les demandeurs n’avaient pas démontré l’existence de considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR. Le défendeur fait valoir qu’en fait, très peu d’éléments de preuve ont été produits, et que l’agent a clairement et raisonnablement examiné tous ces éléments de preuve.

[25] Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas procédé à une analyse réaliste des difficultés et n’a pas tenu compte de la mesure dans laquelle ils seraient traumatisés par leur retour forcé au Pakistan ni de leur état fragile, émotionnel et physiologique, ni de l’intérêt supérieur des petits-enfants. En outre, ils affirment que l’agent a tiré des conclusions conjecturales selon lesquelles les parents, les enfants des demandeurs, pourraient continuer à être les principaux fournisseurs de soins des petits-enfants.

[26] Malgré les arguments convaincants de l’avocat des demandeurs, je souscris à l’avis du défendeur. La difficulté à laquelle sont confrontés les demandeurs dans la présente affaire est que l’agent ne peut être blâmé étant donné le peu d’éléments de preuve dont il disposait. Les filles des demandeurs résident en Ontario et en Saskatchewan. S’il est possible que les demandeurs s’occupent d’un ou de plusieurs de leurs petits-enfants, il n’y a en fait aucune preuve à cet effet dans le dossier. De tous les petits-enfants des demandeurs, un seul est mineur. Dans la présente demande, M. Syed a affirmé : [traduction] « nous sommes très attachés à nos petits-enfants, et ils comptent sur moi et ma femme pour les guider et les soutenir émotionnellement ». Selon les observations du conseil en 2018, citées au paragraphe 9 du présent jugement, les demandeurs et leurs petits-enfants sont [traduction] « très proches ». Mis à part cette observation, il n’y a pas d’autre preuve de la relation ou de la dépendance. Compte tenu du dossier, il était loisible à l’agent de conclure ce qui suit : [traduction] « en l’absence de preuve contraire, je conclus qu’il est raisonnable de supposer que les petits-enfants des demandeurs sont confiés à la garde principale de leurs parents depuis leur naissance ».

[27] Par ailleurs, les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants. Je ne suis pas de cet avis. Bien que disposant de très peu d’informations sur les petits-enfants, et constatant qu’aucune observation n’avait été présentée concernant l’intérêt supérieur des enfants, l’agent s’est néanmoins penché sur la question. Il a fait remarquer que les demandeurs n’ont pas expliqué, dans leurs observations ou dans toute autre preuve documentaire, la manière dont leurs petits-enfants pourraient être affectés par le retour de leurs grands-parents au Pakistan. L’agent a reconnu que le départ des grands-parents pouvait entraîner des difficultés, mais en l’absence de preuve du contraire, il a raisonnablement supposé que les petits-enfants continueraient à recevoir l’amour, les soins et le soutien de leurs parents au Canada, et qu’ils auraient accès à des soins de santé et à une éducation.

[28] À mon avis, le raisonnement de ma collègue, la juge Roussel, dans l’affaire Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 202, s’applique à la question qui nous occupe :

[18] Les motifs de l’agente reflètent les observations et les éléments de preuve qui lui ont été présentés. L’agente a reconnu que le demandeur a six (6) petits-enfants, qu’il joue un rôle important dans leur vie et que des liens ont été tissés entre eux. Elle a en outre reconnu que les enfants apprenaient de lui des valeurs morales, une culture et une langue. Elle a mentionné explicitement que la présence d’un grand-parent contribue de manière positive au développement d’un enfant. Cependant, elle a précisé, à raison, que mis à part leur âge, il y a très peu d’information sur les enfants au dossier. Même si le demandeur a soutenu qu’il passe beaucoup de temps avec ses petits-enfants, qu’il les amène au parc, leur lit des histoires et leur enseigne des valeurs morales et culturelles, il n’y a pas d’autre renseignement ou élément de preuve au dossier permettant de mettre ces affirmations en contexte et d’illustrer l’ampleur de son implication auprès d’eux. Il était donc possible pour l’agente de conclure que la relation entre le demandeur et ses petits-enfants n’était pas caractérisée par un degré de dépendance ou d’interdépendance tel qu’une séparation aurait des répercussions importantes sur l’intérêt supérieur des enfants.

[29] Je conclus que les motifs de l’agent reflètent les observations et éléments de preuve qui lui ont été présentés. Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de présumer, en l’absence de preuve du contraire, que les parents des petits-enfants continueront d’être en mesure de s’occuper de leurs enfants, dont un seul est mineur, ou que l’interdépendance avec les grands-parents n’était pas telle qu’une dispense était justifiée au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[30] Les demandeurs s’appuient sur la décision Chamas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1352 [Chamas], pour faire valoir que la Cour a reconnu que les grands-parents jouent un rôle important. Toutefois, je suis d’avis que les faits de l’affaire Chamas se distinguent de ceux de l’espèce. Dans l’affaire Chamas, la grand-mère s’occupait des soins quotidiens de sa petite-fille de trois ans que la mère n’était pas capable de fournir en raison de ses lésions physiques. Les éléments de preuve au dossier dans l’affaire Chamas donnaient également des détails sur les soins et le soutien assurés tous les jours à la petite-fille, ainsi que les activités menées par la grand-mère (au para 41). Dans la décision Chamas, ma collègue la juge Go a souligné le rôle crucial que la grand-mère joue et qui exige sa présente physique au Canada (au para 43). En l’espèce, aucune preuve de ce genre n’a été présentée.

[31] Comme dans l’affaire Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1242, à laquelle renvoie le défendeur, l’agent a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que l’intérêt supérieur des petits-enfants serait compromis de manière inacceptable par l’absence physique des demandeurs (aux para 24-25).

[32] Les demandeurs s’appuient sur le paragraphe suivant de l’arrêt Vavilov pour étayer leur argument selon lequel la Cour peut prendre connaissance d’office (ou l’agent aurait dû prendre connaissance) du fait que les grands-parents, et donc les demandeurs, jouent un rôle important dans la vie de leurs petits-enfants :

[106]….dans les sections qui suivent, nous nous penchons sur un certain nombre d’éléments qui sont généralement utiles pour déterminer si une décision est raisonnable. Il s’agit notamment [...] de la preuve portée à la connaissance du décideur et des faits dont le décideur peut prendre connaissance d’office…. Ces éléments ne doivent pas servir de liste de vérification pour l’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable et leur importance peut varier selon le contexte. L’objectif est simplement d’insister sur certains éléments du contexte pouvant amener la cour de révision à perdre confiance dans le résultat obtenu. [Non souligné dans l’original.]

[33] Bien qu’il soit possible que de nombreux grands-parents jouent un rôle important dans la vie de leurs petits-enfants, il n’est pas du tout certain que tous les grands-parents le fassent. Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire que la Cour peut prendre connaissance d’office du rôle que les grands-parents jouent dans la vie de leurs petits-enfants, et je ne pense pas non plus que l’agent aurait dû prendre connaissance d’un tel rôle.

[34] Les demandeurs s’appuient également sur le paragraphe 106 de l’arrêt Vavilov pour étayer leur argument selon lequel la Cour peut prendre acte du fait que l’âge des demandeurs, qui sont de jeunes octogénaires, les empêche d’effectuer des tâches physiques quotidiennes. Les demandeurs font valoir qu’ils [traduction] « sont même parfois incapables de se déplacer de manière autonome », qu’ils sont dépendants et qu’ils sont semblables à des enfants, nécessitant des soins.

[35] Je suis d’avis qu’il n’est pas approprié pour la Cour de prendre connaissance d’office des prétendues infirmités physiques des demandeurs. D’ailleurs, le dossier indique le contraire. En effet, les demandeurs ont déclaré dans leur demande qu’ils ne souffraient d’aucune maladie grave ni d’aucun trouble physique ou mental. Leur demande, y compris les observations du conseil, fait état du [traduction] « soutien émotionnel, moral et financier » fourni par la famille des demandeurs au Canada, et du fait qu’ils comptent sur leur famille pour combler leurs [traduction] « besoins financiers et émotionnels ». Selon la demande, si les demandeurs quittaient le Canada, toute la famille subirait des [traduction] « difficultés émotionnelles et psychologiques ». En outre, la demande mentionne qu’ils comptent sur leur famille pour [traduction] « un soutien moral et financier au quotidien ». Le dossier ne fait aucune mention de difficultés physiques ou de conditions médicales.

[36] L’agent a fait remarquer que [traduction] « bien que ce point ne soit pas déterminant, les membres de la famille des demandeurs n’ont pas présenté aux fins d’examen des lettres de soutien ou d’autres éléments de preuve documentaire attestant des relations que les demandeurs entretiennent avec les membres de leur famille au Canada ». Les demandeurs plaident que ce ne sont pas des membres de la famille qui doivent fournir des lettres de soutien, mais plutôt des tiers ou des personnes extérieures à la famille. Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs. Bien que les membres de la famille des demandeurs ne soient pas tenus de fournir des éléments de preuve, il existe de nombreux cas où ils le font. En fin de compte, il incombe aux demandeurs de démontrer qu’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire est justifiée. Comme je l’ai déjà mentionné, le demandeur qui ne présente pas de preuve ou qui omet de produire des renseignements pertinents à l’appui de sa demande le fait à ses risques et périls (Rainholz, au para 18).

[37] Les demandeurs soutiennent qu’il ne serait pas conforme à la religion à laquelle eux et leurs enfants adhèrent [traduction] « de priver totalement [leurs enfants] d’une telle occasion de plaire à leur Dieu en s’occupant de leurs parents chéris à ce stade vulnérable que sont leurs derniers jours, et de satisfaire leur désir de rester et de mourir dans leurs bras ». Les demandeurs ont consacré du temps pendant l’audience à leurs arguments concernant la religion et la culture, qui étaient liés à leurs observations selon lesquelles l’agent aurait dû faire preuve de compassion et d’empathie dans son approche. Toutefois, aucun élément de preuve n’a été présenté à l’agent et il n’y avait aucune mention dans la demande concernant la religion à laquelle les demandeurs adhèrent ou concernant toute pratique culturelle pertinente. Je ne suis donc pas d’avis que l’agent a commis une erreur à cet égard.

[38] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en déclarant qu’ils ont la possibilité de rendre visite aux membres de leur famille puisque leurs super visas sont valides jusqu’en 2026. Ils s’appuient sur la décision Bernabe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 FC 295 [Bernabe], pour affirmer que l’agent a commis une erreur en prenant en compte un processus d’immigration parallèle. Toutefois, je suis d’avis que les faits de l’affaire Bernabe se distinguent de ceux de l’espèce. Dans l’affaire Bernabe, ma collègue, la juge Sadrehashemi, a conclu qu’il était déraisonnable pour l’agent de prendre en compte d’autres options d’immigration (parrainage parental et visa de visiteur) alors que la famille n’était pas admissible à ces programmes (aux para 27-29). Dans le cas présent, les demandeurs ont en fait déjà obtenu les super visas mentionnés par l’agent.

[39] Enfin, les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a déclaré que les demandeurs [traducteur] « disposent d’un réseau de soutien familial au Pakistan et que les membres de cette famille peuvent les aider à se réinstaller au Pakistan, ne serait-ce que sur le plan émotionnel » (Non souligné dans l’original.) Selon les demandeurs, le dossier contredit cette affirmation. Le défendeur fait plutôt valoir que cette déclaration est conforme au dossier, et qu’il ne s’agit pas d’une erreur susceptible de contrôle. Je suis d’accord avec le défendeur. Le dossier dont disposait l’agent, en particulier le formulaire Fondement de la demande d’asile et les observations du conseil, fait référence à plusieurs membres de la famille vivant au Pakistan. De plus, bien que le dossier contienne des éléments de preuve provenant des frères et sœurs des demandeurs, sous forme de lettres indiquant qu’ils [traduction] « ne sont pas en mesure de répondre aux besoins financiers [des demandeurs] » ou qu’ils sont « financièrement incapables » de subvenir à leurs besoins, rien dans ces lettres ne traite de l’incapacité ou du manque de volonté des membres de leur famille à leur fournir un soutien affectif. Je ne suis pas convaincue que cette déclaration de l’agent constitue une lacune suffisante pour justifier l’intervention de la Cour.

V. Conclusion

[40] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer que la décision était déraisonnable. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2579-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est soulevée aux fins de la certification.

« Vanessa Rochester »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-France Blais, L.L. B., traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2579-20

INTITULÉ :

ATHAR HUSSAIN SYED SYED ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec), par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 23 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Nasir Maqsood

POUR LES DEMANDEURS

Kareena Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nasir Law Office

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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