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Date : 2220328

Dossier : IMM-3444-21

Référence : 2022 CF 421

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2022

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

GORAN GARDIJAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 3 mai 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], soit que le demandeur est exclu de la protection accordée aux réfugiés aux termes de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] RT Can no 6 [la Convention] et l’article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] pour avoir commis un crime grave de droit commun en Croatie quand il était mineur.

[2] Le demandeur soutient que la SAR a rendu une décision déraisonnable en tirant des conclusions déraisonnables sur la crédibilité en lien avec le témoignage qu’il a livré et qu’elle a omis d’effectuer un examen complet et solide de la décision de la SPR compte tenu des nouveaux éléments de preuve qui lui ont été présentés. La SAR se serait plutôt attachée, ce qui est une erreur, à justifier les conclusions de la SPR à la lumière du dossier de preuve imparfait dont disposait cette dernière. En outre, le demandeur affirme que la SAR, dans son analyse au regard de l’alinéa 1Fb) de la Convention, s’est fondée de façon machinale et déraisonnable sur les facteurs énoncés dans Jayasekara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 404, en appliquant la règle « machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste », contrairement à la mise en garde formulée dans l’arrêt Febles ce Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68.

[3] Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que la décision de la SAR était déraisonnable et que, par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Le contexte

[4] Le demandeur est un citoyen de la Croatie âgé de 30 ans. Il est entré au Canada en octobre 2017 et, dès son arrivée, a présenté une demande d’asile.

[5] Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], le demandeur a déclaré qu’il était exposé à un risque en Croatie, du fait de ses origines serbes et de sa foi orthodoxe serbe, et qu’il avait été persécuté par des agents de l’État (la police) et des agents ne relevant pas de l’État. Dans l’exposé circonstancié joint à son formulaire FDA, le demandeur a fait état de plusieurs accusations criminelles, dont une accusation portée contre lui en 2008 [l’infraction de 2008] qu’il a décrit comme suit :

[traduction]

J’ai été accusé d’avoir participé au filmage d’une fille se livrant à un acte sexuel sur un garçon, au moyen de mon téléphone cellulaire, dans un parc urbain. Je n’ai pas posé ce geste, mais il m’a été attribué. Mon coaccusé dans cette affaire était le fils d’un membre connu du crime organisé (qui a été abattu cette année). On a décidé de m’accuser avec lui afin que je sois également blâmé pour ce crime. Je n’étais pas avec lui quand la scène est censée avoir été filmée.

[6] Le seul document présenté par le demandeur concernant l’infraction de 2008 était une citation à comparaître qui a été délivrée, à lui et à ses parents, en vue de la tenue d’ une enquête préliminaire portant sur [traduction] « l’infraction criminelle contre la liberté sexuelle et la chasteté, à savoir l’exploitation d’enfants et d’adolescents à des fins de pornographie, visée à l’article 196, paragraphe 1 du code criminel, et l’infraction criminelle de tentative en vue de contraindre une personne à se livrer à un acte sexuel, visée à l’article 190, paragraphe 1 du code criminel et en lien avec à l’article 33 du code criminel ».

[7] Quant aux autres accusations portées contre lui, le demandeur a soutenu qu’elles découlaient du fait qu’il avait été ciblé par la police en raison de son origine ethnique et de ses antécédents familiaux.

A. Procédures devant la SPR et décision de la SPR

[8] Le 10 janvier 2020, la SPR a avisé le ministre (avec copie au demandeur) qu’elle croyait que l’alinéa 1Fb) pouvait exclure le demandeur de la protection offerte aux réfugiés et que la participation du ministre pouvait contribuer à assurer une instruction approfondie de la demande d’asile. Cependant, le ministre a choisi de ne pas participer à l’instance.

[9] Le 3 mars 2020, le demandeur a témoigné devant la SPR. Celle-ci a résumé comme suit les propos du demandeur au sujet du procès lié à l’infraction de 2008 :

[traduction]

[12] Quand il lui a été demandé s’il avait posé le geste dont il a été accusé en 2008, le demandeur a répondu par la négative.

[13] À la question de savoir s’il avait été déclaré coupable, le demandeur a répondu par la négative.

[14] Il a été demandé au demandeur si les accusations ont été abandonnées. Il a répété qu’il n’avait pas été déclaré coupable.

[15] Interrogé sur la durée du procès en jours, le demandeur a répondu qu’il ne voulait pas dire des faussetés. Invité à répondre du mieux qu’il pouvait, il a fait savoir que le procès avait duré une journée.

[16] Le tribunal a cherché de nouveau à confirmer que les deux accusés avaient été acquittés. Le demandeur a répondu qu’il n’a pas été déclaré coupable mais qu’il a dû accomplir certains travaux.

[17] Le demandeur ne se souvenait pas si l’entente avait été négociée avec les poursuivants ou ordonnée par le juge. Appelé à préciser si un certain nombre d’heures avait été convenu, le demandeur a répondu que le nombre d’heures avait été spécifié mais qu’il ne s’en souvenait pas.

[18] À la question de savoir si son coaccusé avait participé à l’agression sexuelle, le demandeur a répondu par l’affirmative. La première fois qu’il a été interrogé à ce sujet, il avait déclaré qu’il croyait que le coaccusé avait participé. Appelé à clarifier sa réponse plus tard pendant l’audience, il a répondu qu’il n’en était pas certain.

[19] À la question de savoir si son coaccusé avait reçu le même nombre d’heures de travaux que lui, le demandeur a répondu qu’aucune peine n’avait été infligée à son coaccusé. Il a répété que lui-même avait été puni, mais pas son coaccusé.

[20] Le demandeur s’est fait demander pourquoi il n’avait pas mentionné dans son formulaire FDA qu’il avait reçu une peine formelle pour l’incident.

[21] Le demandeur a répondu que bien des faits n’ont pas été mentionnés dans son formulaire FDA et que les demandes de précision du tribunal avaient permis de les mettre au jour.

[10] La SPR a rejeté la raison invoquée par le demandeur afin d’expliquer pourquoi il n’avait pas divulgué cette peine dans son formulaire FDA et en a tiré une conclusion défavorable sur sa crédibilité. Étant donné que le demandeur a donné dans son exposé circonstancié des descriptions claires et détaillées du processus et de l’issue d’autres actes criminels dont il avait été accusé en Croatie, la SPR a jugé peu vraisemblable qu’il ne fasse pas de même relativement à l’infraction de 2008.

[11] Quant aux détails de la peine infligée au demandeur pour l’infraction de 2008, la SPR a résumé le témoignage du demandeur dans les termes suivants :

[traduction]

[24] Interrogé sur le genre de travaux qu’il a accomplis dans le cadre de sa peine, le demandeur ne s’en souvenait pas, mais il se rappelait qu’il s’agissait de travaux caritatifs.

[25] Il a été demandé au demandeur s’il possédait un casier judiciaire quelconque depuis l’incident. Il a répondu par l’affirmative et ajouté que ce casier avait contribué à détruire sa vie en Croatie et provoqué davantage de harcèlement par la police.

[26] Il a été demandé au demandeur s’il possédait plus de documents à ce sujet, et il a fait savoir que non. Invité à expliquer pourquoi il n’en avait pas, le demandeur a répondu qu’il avait réuni ce qu’il pouvait quand il est parti.

[12] La SPR a estimé qu’il était déraisonnable que le demandeur soit en mesure d’obtenir un grand nombre de documents relatifs à ses autres arrestations et interactions avec les autorités croates, mais qu’il ne puisse pas présenter de documents plus précis sur l’infraction de 2008. Elle a rejeté l’explication du demandeur au sujet de cette documentation insuffisante et en a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité.

[13] La SPR a souligné dans sa décision que, plus tard au cours de l’audience, elle avait [traduction] « prié le demandeur de fournir plus d’informations au sujet de l’agression sexuelle et clairement fait savoir au demandeur qu’il était extrêmement important de transmettre au tribunal tout autre détail dont il pouvait se souvenir à propos de l’incident ». Elle a constaté que cette demande avait poussé le demandeur à décrire alors la façon dont il avait été traité initialement après avoir été arrêté pour l’infraction de 2008 et avoir refusé de coopérer. Le demandeur a raconté qu’il avait été placé dans une cellule de 4 mètres carrés pendant trois jours, sans recevoir de nourriture et sans avoir accès à un avocat, puis qu’on lui avait demandé s’il avait changé d’idée ou s’il voulait continuer d’être traité de la sorte; il a signé un document simplement pour mettre fin à cette épreuve.

[14] La SPR a souligné qu’aucun détail du traitement subi aux mains de la police, dont les aveux sous la contrainte, n’a été mentionné dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA du demandeur. Ce dernier a répondu qu’il ne savait pas exactement pourquoi ce traitement avait été exclu et a affirmé qu’il en avait parlé à l’ASFC. La SPR a rejeté cette explication, à cause de la façon très précise dont le demandeur a pu décrire ses autres interactions avec la police dans son formulaire FDA, et elle a tiré une autre conclusion défavorable sur la crédibilité du demandeur. Elle a conclu que celui-ci n’avait pas été forcé à signer des aveux.

[15] En ce qui concerne l’application de l’alinéa 1Fb), la SPR a jugé qu’il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis l’infraction et que le crime était grave au sens de la Convention. La conclusion de la SPR se fonde sur les éléments suivants :

  1. Filmer une agression sexuelle commise contre une personne mineure équivaut à de la production de pornographie juvénile, qui constitue un acte criminel, soit une infraction non mixte, passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans en vertu du Code criminel, LRC 1985, c C-46 [le Code criminel].
  2. Le demandeur a tenté d’éviter toute analyse portant sur la véritable peine qui lui a été infligée et le fait que, selon la prépondérance des probabilités, il avait reçu une sanction plus lourde que ce qu’il avait décrit à la SPR.
  3. Même si le demandeur avait 17 ans au moment de l’infraction, étant donné son âge plus avancé et la gravité de l’événement, son statut de mineur ne constituait pas une circonstance atténuante, et il n’y a aucun autre facteur atténuant.
  4. L’âge de la victime de même que le fait que l’événement s’est produit pendant qu’elle subissait une agression sexuelle filmée par le demandeur représentaient tous des facteurs graves et aggravants.
  5. Bien qu’aucun argument ne lui ait été présenté par les conseils relativement à l’échelle de peines, la SPR a estimé que la peine se situerait vraisemblablement plus proche de la limite supérieure si l’infraction avait été commise au Canada, à cause de sa gravité, des facteurs aggravants et de la sanction prescrite.
  6. La gravité de l’infraction visée au Code criminel ainsi le fait que la victime était mineure, que l’infraction impliquait une agression sexuelle, que le demandeur avait été accusé d’avoir délibérément participé à l’incident, qu’il avait filmé et avait manqué de clarté et d’honnêteté en ce qui a trait aux circonstances entourant l’incident l’emportaient sur tout autre facteur atténuant et ont amené la SPR à conclure que l’infraction était grave.

II. Décision en litige

[16] Le demandeur a porté la décision de la SPR en appel devant la SAR. À l’appui de son appel, il a présenté de nouveaux éléments de preuve qui ont été admis par la SAR. Il s’agissait d’une traduction de la décision et des motifs du tribunal qui s’est prononcé sur l’infraction de 2018 [la décision du tribunal croate]. Bien qu’elle ait accepté la décision du tribunal croate, la SAR a rejeté l’explication donnée par le demandeur pour justifier son omission de présenter cette décision à la SPR. Elle a statué comme suit :

[13] … la décision de la cour ne peut être [traduction] « raisonnablement considérée comme étant secondaire ». Deux mois avant l’audience, l’appelant a été informé du fait que l’exclusion au titre de l’alinéa b) de la section F de l’article premier était une question fondée sur la description donnée par l’appelant concernant les infractions qu’il a été accusé d’avoir commises. En outre, à son audience, il s’est vu demander s’il avait des documents supplémentaires liés à l’infraction de 2008 puisque le seul document qu’il avait produit était une citation à comparaître; l’appelant a clairement répondu [traduction] « non ».

[14] Dans son affidavit daté du 8 septembre 2020, la seule explication donnée par l’appelant pour avoir répondu « non » est qu’il s’était trompé. Il déclare : [traduction] « Le commissaire de la SPR m’a également demandé si j’avais d’autres documents relatifs à l’accusation et à la déclaration de culpabilité susmentionnées, et j’ai répondu ‘non’. Je me suis trompé dans ma réponse parce que j’ai découvert par la suite que j’avais effectivement un document supplémentaire relatif à l’affaire, mais que ce document n’avait pas été traduit et présenté à la SPR ».

[15] Je n’admets pas cette explication. L’appelant a été avisé qu’une exclusion au titre de l’alinéa b) de la section F de l’article premier constituait une question à trancher deux mois avant son audience; il a également disposé d’une période de plusieurs mois entre l’audience et le rejet de sa demande d’asile pour chercher et faire traduire ce document important. Autrement dit, il a eu amplement le temps d’examiner les documents en sa possession et a été avisé longtemps à l’avance que la décision de la cour pouvait être déterminante pour sa demande d’asile. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que l’appelant a délibérément induit en erreur la SPR quant au fait qu’il avait des documents très pertinents en sa possession qu’il a dissimulés, car ils ne militaient pas en sa faveur.

[17] La décision du tribunal croate a révélé ce qui suit :

  1. Le procès du demandeur s’est déroulé en chambre de première instance de la jeunesse.
  2. Le demandeur a admis au tribunal croate qu’il était présent quand son coaccusé a eu des rapports sexuels volontaires avec la victime mineure et qu’il les a filmés. Il a déclaré que son coaccusé ne savait pas qu’il filmait.
  3. La victime a admis que les rapports sexuels étaient consensuels, mais elle ne savait pas qu’elle se faisait filmer.
  4. Le tribunal a constaté que le demandeur et son coaccusé s’étaient entendus auparavant pour filmer ces rapports sexuels.
  5. Le demandeur a été inculpé et déclaré coupable d’une autre infraction, décrite comme suit : [traduction] « Le 4 mars 2008, après avoir commis l’infraction criminelle mentionnée au point 1, à Sibenik, ensemble et d’un commun accord, afin de satisfaire des besoins sexuels, ils ont menacé la victime, la mineure [victime], en disant qu’ils publieraient la vidéo sur Internet si elle ne venait pas avec eux à Zaboric et ne les satisfaisait pas sexuellement, ce qu’elle a refusé même si elle craignait avec raison qu’ils le fassent. Par conséquent, ils étaient animés d’une intention, qui ne s’est jamais concrétisée, de forcer une autre personne à accomplir un acte sexuel, à savoir un acte sexuel équivalent sous la menace d’un préjudice grave ».
  6. Le demandeur a nié avoir commis la deuxième infraction. Le tribunal a rejeté la défense du demandeur et s’est appuyé sur les témoignages de la victime et des nombreux témoins.
  7. Le tribunal a souligné que le demandeur avait admis ne pas avoir pensé aux conséquences de son comportement et qu’il s’est excusé auprès de la victime.
  8. Le demandeur a été condamné à [traduction] « des mesures éducatives assorties d’une obligation particulière », par la participation à des travaux individuels ou en groupe dans le cadre de services de counseling de la jeunesse [traduction] « visant à offrir un soutien pour l’acquisition de valeurs morales, d’une responsabilité personnelle à l’égard du type de comportement et l’acquisition d’un sens des responsabilités et de points de vue positifs en matière de sexualité ».

[18] Devant la SAR, le demandeur a soutenu qu’il n’avait pas commis les infractions dont il a été accusé et pour lesquelles il a été déclaré coupable, et il a maintenu plutôt que les poursuites dont il a fait l’objet étaient toutes mal intentionnées parce qu’il est d’origine serbe. La SAR n’a pas accepté cet argument. Elle a passé en revue les conclusions de la SPR sur la crédibilité et les observations du demandeur à ce sujet. Elle a rejeté l’explication donnée par le demandeur concernant les omissions importantes dans son formulaire FDA et constaté que la décision du tribunal croate ne corroborait pas l’affirmation du demandeur selon laquelle il avait été forcé de signer des aveux. La décision du tribunal croate contredit aussi le témoignage du demandeur devant la SPR quant à sa participation au procès en Croatie et au fait que son coaccusé ait été déclaré coupable ou pas. La SAR a jugé que, dans l’ensemble, le témoignage de vive voix du demandeur au sujet de l’infraction de 2008 était trompeur et inexact.

[19] Selon la SAR, l’absence d’intervention de la part du ministre ne militait pas contre une conclusion d’exclusion, comme le faisait valoir le demandeur. La SPR devait quand même évaluer si le demandeur devait être exclu au titre de l’alinéa 1Fb).

[20] La SAR a ensuite examiné les arguments présentés par le demandeur concernant l’application de l’alinéa 1F(b), lesquels sont résumés au paragraphe 37 de la décision de la SAR.

[21] La SAR a repris les facteurs énumérés dans l’arrêt Jayasekara et a conclu que, même si l’âge du demandeur était pertinent au regard de la peine réelle qu’il a reçue et que le juge en Croatie l’a également vu comme une circonstance atténuante, elle devait rejeter l’argument avancé par le demandeur, soit que son âge lorsque l’infraction a été commise empêchait de considérer que cette infraction était une grave. Selon la SAR, « [s]implement parce qu’une personne de moins de 18 ans au Canada ne peut être condamnée à une peine d’emprisonnement de 10 ans pour une infraction autre que le meurtre ne signifie pas que le seul crime grave de droit commun que toute personne ayant moins de 18 ans pourrait commettre serait un meurtre ». Cependant, la SAR a conclu en fin de compte que l’âge du demandeur au moment de l’infraction et le fait qu’il n’avait jamais été déclaré coupable auparavant constituaient des circonstances atténuantes.

[22] La SAR était d’avis que la SPR avait raison d’affirmer que la production de pornographie juvénile selon le paragraphe 163.1(2) du Code criminel est punissable par mise en accusation et que la peine maximale d’emprisonnement est de 14 ans. Qui plus est, elle a souligné qu’il y a une peine minimale d’emprisonnement d’un an, ce qui en dit long sur la mesure dans laquelle les Canadiens prennent au sérieux la production de pornographie juvénile. Elle a conclu que l’infraction elle-même est présumément grave.

[23] La SAR a constaté aussi que la décision du tribunal croate avait révélé que le demandeur avait été déclaré coupable d’avoir tenté d’extorquer des faveurs sexuelles à la victime en la menaçant de publier la vidéo sur Internet, ce qui équivalait à de l’extorsion. Au paragraphe 346(1) du Code criminel, l’extorsion est également considérée comme une infraction punissable par mise en accusation avec une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité. Par conséquent, il s’agit également d’une infraction présumément grave.

[24] La SAR a rejeté l’argument du demandeur selon lequel les infractions étaient dénuées des caractéristiques principales d’un crime grave et a souligné que les crimes en cause impliquaient l’exploitation et l’humiliation intentionnelles de la victime, des menaces à son endroit ainsi qu’une atteinte à ses attentes légitimes en matière de vie privée à un moment aussi vulnérable, ce qui avait eu des effets négatifs sur la victime. À son avis, il était raisonnable de supposer que la jeune victime a subi un préjudice grave à cause de l’incident, vu le stress et l’humiliation supplémentaires qu’elle a vécus durant le procès, étant donné que le demandeur n’avait pas initialement reconnu la responsabilité de ses crimes. Aux yeux de la SAR, il s’agissait d’un facteur aggravant.

[25] La SAR a rejeté un autre argument du demandeur, soit que la SPR aurait dû tenir compte du fait que rien ne portait à croire qu’il avait été motivé par le profit pour produire le matériel pornographique, précisant qu’il ne s’agissait pas d’une considération particulièrement pertinente puisque le demandeur espérait tirer quelque chose de ses actes, même si ce n’était pas de l’argent.

[26] Quant à la nature de l’acte filmé par le demandeur, la SAR a souligné que la citation à comparaître présentée à la SPR portait à croire qu’il s’agissait d’un acte non consensuel. Cependant, elle a constaté que le tribunal croate avait précisé que la victime avait été [traduction] « persuadée » d’accomplir l’acte sexuel mais qu’il n’y avait pas de preuve d’une agression sexuelle. La SAR a conclu que la SPR ne disposait d’aucun élément laissant entendre que l’infraction n’impliquait pas d’agression sexuelle. Par conséquent, s’il est vrai que le demandeur a été déclaré coupable d’avoir filmé un acte consensuel plutôt qu’une agression sexuelle (comme l’a conclu la SPR), la SPR ne disposait pas de cet élément de preuve, tout comme elle ne savait pas qu’il y avait eu une deuxième déclaration de culpabilité pour extorsion. Selon la SAR, bien que la décision du tribunal croate clarifie les infractions, elle n’atténue pas, dans l’ensemble, la gravité des infractions commises par le demandeur.

[27] En ce qui concerne l’échelle des peines au Canada, la SAR a estimé que le raisonnement de la SPR à ce sujet était éclairé, compte tenu des éléments de preuve qui lui avaient été présentés à ce moment-là, et elle a rejeté l’allégation du demandeur selon laquelle la SPR aurait commis des erreurs dans son examen de la preuve. La SAR a constaté que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve relatif à la peine que recevrait une personne de 17 ans au Canada dans une situation semblable et s’appuyait plutôt simplement sur le fait que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, LC 2002 c 1, empêchait d’infliger une peine plus longue que deux ans. Selon la SAR, cet argument n’aidait en rien, car la norme présumée d’une peine de 10 ans est liée à l’infraction et n’a rien à voir avec la situation personnelle du contrevenant. Elle ne disposait d’aucun élément la portant à croire qu’une peine d’emprisonnement serait peu probable dans ce type d’affaire au Canada.

[28] En outre, la SAR a souligné le fait que le demandeur n’avait pas mentionné de counseling ou d’éducation spéciale, mais avait plutôt informé la SPR qu’il avait accompli des travaux caritatifs, sans toutefois se souvenir du genre de tâches, ce qui faisait douter qu’il ait même purgé comme il se doit la peine qu’il a reçue. La SAR a conclu que l’absence de preuve établissant que la peine avait été purgée correctement constituait un facteur aggravant, comme les circonstances suivantes : a) l’absence de preuve démontrant que le demandeur n’avait pas commis d’autres crimes de cette nature ou graves; b) l’existence de plusieurs autres infractions dont il dit avoir été accusé, mais qu’il n’a pas commises; c) le fait qu’il ait tenté de minimiser sa responsabilité à l’égard de l’infraction de 2008 à l’époque; d) le fait que (d’après son témoignage devant la SPR) il n’acceptait toujours pas la responsabilité pour le crime et a plutôt délibérément induit la SPR en erreur et prétendu ne pas avoir pris part du tout aux événements qui se sont déroulés ce jour-là.

[29] La SAR a pondéré les facteurs atténuants et aggravants pour statuer comme suit :

… je reconnais que le point de vue et l’expérience de vie d’une personne de 17 ans sont limités et qu’il est généralement raisonnable de supposer que les adolescents sont moins aptes à réfléchir aux conséquences de leurs actions. Cependant, l’âge de 17 ans est aussi très proche de l’âge adulte au Canada pour ce qui est de la responsabilité criminelle, soit 18 ans. Partant, compte tenu de l’existence de plusieurs facteurs aggravants en l’espèce, j’estime que l’âge de l’appelant et le fait qu’il n’a pas été condamné antérieurement ne justifient pas son comportement. Cela ne signifie pas non plus que le crime qu’il a commis n’était pas grave. Tout bien pesé, je crois que le crime était grave.

[30] La SAR a conclu que le demandeur a effectivement commis un crime grave de droit commun, visé à l’alinéa 1Fb) et, par conséquent, a rejeté l’appel.

III. Question en litige et norme de contrôle

[31] La seule question que la Cour est appelée à trancher est de savoir si la décision de la SAR, soit que le demandeur était exclu de la protection accordée aux réfugiés en vertu de l’alinéa 1Fb) de la Convention, est raisonnable.

[32] Les parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable. Aucune exception à cette présomption n’a été soulevée ni ne s’applique [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25].

[33] Selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [voir Vavilov, précité, aux para 15, 85].

IV. Analyse

[34] Aux termes du paragraphe 107(1) de la LIPR, la SPR accepte ou rejette la demande d’asile « selon que le demandeur a ou non la qualité de réfugié ou de personne à protéger ». L’article 96 de la LIPR définit qui est un réfugié au sens de la Convention, tandis que la définition d’une personne à protéger figure à l’article 97 de la LIPR.

[35] Cependant, la LIPR énonce expressément que certaines catégories de personnes sont exclues de ces définitions. Selon l’article 98, la personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger. Au moyen de cette disposition, le législateur a intégré les clauses d’exclusion de la Convention et, à l’étape de l’examen de la demande d’asile, les a expressément étendues aux personnes à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR. La clause d’exclusion pertinente dans la présente affaire se trouve à l’alinéa 1Fb) de la Convention, qui est libellé comme suit :

1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés…

1F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that :

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;…

[36] La Cour d’appel fédérale a confirmé que, pour appliquer l’exclusion au titre de l’alinéa 1Fb), le ministre n’a qu’à démontrer, en satisfaisant à une norme moindre que la prépondérance des probabilités habituelle en matière civile, qu’il a des motifs sérieux de penser que le demandeur a commis les actes qui lui sont reprochés. Dans Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178 au para 56, le juge Nadon confirme le principe suivant :

[56] Le Ministre n’a pas à prouver la culpabilité de l’intimé. Il n'a qu’à démontrer – et la norme de preuve qu’il doit satisfaire est « moindre que la prépondérance des probabilités » […] quil a des raisons sérieuses de penser que lintimé est coupable.

[Non souligné dans l’original.]

[37] Quant à ce qui constitue un crime « grave », la Cour suprême émet les directives suivantes dans l’arrêt Febles, au paragraphe 62 :

[62] Dans les arrêts Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.), et Jayasekara, la Cour d’appel fédérale s’est dite d’avis que le crime est généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada. C’est aussi mon avis. Toutefois, il ne faut pas voir dans cette généralisation une présomption rigide qu’il est impossible de réfuter. Lorsqu’une disposition du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-46, prévoit un large éventail de peines, qui vont d’une peine relativement légère jusqu’à une peine d’au moins dix ans d’emprisonnement, on ne saurait exclure de façon présomptive un demandeur qui serait condamné au Canada à une peine parmi les plus légères. L’article 1Fb) vise à n’exclure que les personnes qui ont commis des crimes graves. Le HCR a indiqué qu’une présomption de crime grave pourrait découler de la preuve de la perpétration des infractions suivantes : l’homicide, le viol, l’attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic de drogues et le vol qualifié (Goodwin-Gill et McAdams, p. 179). Il s’agit là d’exemples valables de crimes suffisamment graves pour justifier de façon présomptive l’exclusion de la protection offerte aux réfugiés. Toutefois, je le rappelle, la présomption peut être réfutée dans un cas donné. Le fait qu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été perpétré au Canada s’avère un guide utile, et les crimes qui, au Canada, rendent leur auteur passible d’une peine maximale d’au moins dix ans seront en général suffisamment graves pour justifier l’exclusion, mais il ne faudrait pas appliquer la règle des dix ans machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste.

[Non souligné dans l’original.]

[38] Au paragraphe 44 de l’arrêt Jayasekara, la Cour d’appel fédérale définit comme suit les facteurs permettant d’apprécier si le crime qui a été commis est « grave » pour l’application de l’alinéa 1Fb) :

Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de l’alinéa 1Fb) de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité (voir S c. Refugee Status Appeals Authority, (C.A. N.-Z.), précité; S and Others c. Secretary of State for the Home Department, [2006] EWCA Civ 1157 (Cours royales de Justice, Angleterre); Miguel-Miguel c. Gonzales, no 05-15900, (Cour d’appel É.-U., 9e circuit), 29 août 2007, aux pages 10856 et 10858). En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités […]

[Non souligné dans l’original.]

[39] Par conséquent, comme l’a résumé récemment la juge Strickland dans Okolo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 1100, au para 27, un crime grave de droit commun est considéré au départ comme un crime grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée s’il avait été commis au Canada. Cependant, cette présomption est réfutable. Pour évaluer la gravité d’une infraction, la SPR doit examiner les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité.

[40] Le demandeur affirme que la SAR avait une obligation d’examiner de façon indépendante chacun des nouveaux éléments de preuve puis de réévaluer la gravité de l’infraction en lien avec l’alinéa 1Fb) sans s’appuyer sur les conclusions de la SPR, qui n’avait pu prendre connaissance de la décision du tribunal croate. Selon le demandeur, la SAR a rendu une décision déraisonnable parce qu’elle n’a pas procédé à un tel examen et a plutôt entrepris une démarche ressemblant à un contrôle judiciaire, où elle s’est attachée à justifier les conclusions de la SPR. Ce faisant, d’après le demandeur, la SAR n’aurait pas examiné les nouveaux éléments de preuve avec un esprit ouvert et aurait tenté de minimiser les renseignements mis au jour par le tribunal croate en tirant des conclusions [traduction] « pointues » relatives à des incohérences dans le témoignage du demandeur. Même s’il a pu se méprendre sur les détails de sa peine, le demandeur est d’avis que la décision du tribunal croate montre clairement qu’il a reçu une peine corrective minimale.

[41] Je ne suis pas d’accord. Les extraits cités par le demandeur à l’appui de son affirmation contenaient les conclusions tirées par la SAR au regard des points précis qu’il avait soulevés dans son appel à la SAR. Je suis convaincue qu’un examen de l’ensemble de la décision révèle que la SAR a effectué un examen indépendant des éléments de preuve (dont la citation à comparaître, la décision du tribunal croate, le formulaire FDA, l’exposé circonstancié et le témoignage de vive voix du demandeur) avant de conclure que le demandeur avait été avec raison exclu au titre de l’alinéa 1Fb).

[42] En outre, j’estime que les conclusions défavorables de la SAR en matière de crédibilité étaient raisonnables. Le fait que la SAR ait admis la décision du tribunal croate à titre de nouvel élément de preuve ne soustrait pas le demandeur au risque que des conclusions défavorables soient tirées au sujet de sa crédibilité à la lumière, notamment, de cette nouvelle preuve. Bien qu’elle ait apporté les éclaircissements nécessaires quant à la peine réellement infligée au demandeur et établi que le tribunal avait précisé la nature consensuelle de l’acte sexuel en cause, la décision du tribunal croate a mis au jour pour la première fois une condamnation pour extorsion découlant de l’infraction de 2008 (que le demandeur avait passée sous silence) et ne corroborait pas les dires du demandeur, soit que les accusations étaient attribuables au harcèlement dirigé contre lui par les policiers en raison de son origine ethnique et que sa déclaration de culpabilité découlait d’aveux faits à la suite de mauvais traitements.

[43] De surcroît, indépendamment de la décision du tribunal croate, il restait suffisamment d’éléments pour amener la SAR à se prononcer défavorablement sur la crédibilité à partir de la preuve qui avait été présentée à la SPR. Par exemple, le demandeur affirme au paragraphe 30 de son mémoire complémentaire qu’il a toujours été honnête sur le fait qu’il avait commis les infractions. Toutefois, dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, il prétend avoir été faussement accusé et, dans son témoignage devant la SPR, il a été évasif en ce qui concerne sa déclaration de culpabilité et a tout d’abord nié avoir été déclaré coupable. Le demandeur a soutenu par ailleurs dans ses observations écrites à la SAR qu’il n’avait [traduction] « jamais en fait commis l’une ou l’autre des infractions pour lesquelles il a été accusé et jugé coupable ».

[44] J’estime que les raisons sous-tendant les conclusions défavorables de la SAR en matière de crédibilité sont exposées clairement dans la décision et qu’elles sont justifiées compte tenu des éléments de preuve dont la SAR disposait.

[45] De plus, le demandeur fait valoir que l’analyse de l’alinéa 1Fb) effectuée par la SAR constituait une application machinale et déraisonnable des facteurs énoncés dans Jayasekara et que la SAR avait eu recours à la règle « machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste », démarche ayant fait l’objet d’une mise en garde dans Febles. Le demandeur invoque plusieurs erreurs qu’aurait commises la SAR, et je vais les examiner tour à tour.

[46] Selon le demandeur, la SAR a totalement omis d’examiner le fait qu’il a été poursuivi en tant que mineur, et elle n’a pas analysé comment la peine clémente qui lui a été infligée a influé sur sa décision. Le demandeur affirme que la SAR n’a pas dûment pris en considération la peine qu’il aurait probablement reçue pour les infractions en question au Canada et qu’elle a commis une erreur en n’examinant pas la démarche adoptée par la SPR dans d’autres affaires (comme le dossier VA7-01983), où le tribunal a pris en compte la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Dans d’autres décisions, la SPR a examiné les dispositions de cette loi en matière de détermination de la peine et conclu qu’une peine de dix ans n’était pas une possibilité réelle puis jugé que le demandeur ne pouvait pas être exclu pour avoir commis un crime grave de droit commun. Le demandeur soutient que la sanction maximale possible aurait seulement pu être de deux ans si l’infraction avait été commise au Canada et que la peine réellement infligée aurait très vraisemblablement été beaucoup moins lourde, puisqu’il en était à sa première infraction.

[47] Je n’accepte pas ces arguments. La SAR s’est expressément attardée au fait que le demandeur était mineur et qu’il a été poursuivi comme mineur, puis elle a examiné la nature de la peine réelle qui a été prononcée. Elle a constaté que le demandeur avait été évasif à propos de la peine reçue et qu’il n’y avait aucune preuve montrant qu’il l’avait purgée au complet. La SAR a soupesé la peine réellement infligée par rapport aux nombreux autres facteurs énoncés dans Jayasekara et conclu que cette peine n’atténuait en rien la gravité des actes commis. Qui plus est, la SAR a reconnu les limites imposées, au Canada, par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents en matière de détermination de la peine, mais elle a souligné aussi que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve relatif à la peine à laquelle une personne de 17 ans au Canada serait condamnée dans une situation semblable et qu’aucune preuve ne permettait de croire qu’une peine d’emprisonnement serait peu probable dans ce type d’affaire au Canada. Je suis d’accord avec le défendeur quand il soutient qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que la peine maximale d’emprisonnement établie par le législateur ne permettait pas de réfuter la présomption que le crime en soi est grave, étant donné que, même si l’âge peut être pertinent au regard de la détermination de la peine, il n’a rien à voir avec la gravité de l’infraction elle-même [voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Pulido Diaz, 2011 CF 738 au para 14].

[48] Le demandeur soutient que la SAR n’a pas tenu compte des remords qu’il a exprimés au tribunal croate à propos de ses gestes. Selon lui, se repentir est un facteur atténuant important qui milite en sa faveur. Même si le tribunal croate mentionne dans sa décision que le demandeur a avoué ne pas avoir pensé aux conséquences de ses actes et qu’il s’est excusé auprès de la victime, c’est une position radicalement différente que le demandeur a adoptée dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, devant la SPR et la SAR, où il a nié avoir commis les infractions. Il est déconcertant pour la Cour que le demandeur s’attende à être en mesure d’alléguer à la SAR qu’il n’a pas commis l’infraction, puis de critiquer la SAR parce qu’elle n’a pas accordé un poids favorable aux excuses qu’il a présentées dans une autre instance au sujet de cette même infraction. Cette critique à l’endroit de la SAR est dépourvue de tout fondement.

[49] Le demandeur affirme que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que lui-même et la victime avaient le même âge, laissant entendre en quelque sorte que l’infraction de 2008 s’apparentait à l’exploitation d’un enfant par un adulte. Je rejette cet argument. La SAR a correctement souligné l’âge du demandeur et celui de la victime et, de façon appropriée, a tenu compte du fait que, contrairement au cas où deux mineurs consentants échangent des images pornographiques, le demandeur avait filmé la victime sans son consentement et avait tenté par la suite de se livrer à de l’extorsion.

[50] Même s’il n’a pas avancé cet argument à la SAR, le demandeur a fait valoir que l’alinéa 1Fb) ne devrait pas servir à exclure des personnes qui ont commis des crimes quand elles étaient mineures. Il invoque le sous-alinéa 36(3)e)(iii) de la LIPR, selon lequel de jeunes contrevenants ne peuvent être interdits de territoire, de même que le guide opérationnel connexe, pour soutenir qu’il n’était pas dans l’intention du législateur de permettre à une personne ayant un profil semblable au sien d’être admise au Canada comme étudiant ou immigrant économique et en même temps de l’empêcher de demander que le risque de mort auquel il est exposé soit évalué conformément au système d’octroi de l’asile du Canada.

[51] Cependant, le demandeur ne cite aucun précédent qui appuierait son allégation, soit que l’alinéa 1Fb) ne devrait pas s’appliquer aux crimes graves de droit commun commis par des mineurs. De plus, je souscris à l’observation du défendeur, selon laquelle ni l’article 98 de la LIPR ni l’alinéa 1Fb) de la Convention n’énoncent d’exemption générale à l’égard de tout crime commis par une personne mineure. Si le législateur avait souhaité offrir une exemption semblable, il aurait pu le formuler comme il l’a fait à l’article 36 de la LIPR.

V. Question certifiée

[52] À l’audience portant sur la demande de contrôle judiciaire, l’avocat du demandeur a fait savoir pour la première fois qu’il souhaitait présenter des observations au sujet d’une question proposée aux fins de certification en vue de déterminer si l’alinéa 1Fb) exclut ou pas des personnes qui ont commis des crimes graves de droit commun quand elles étaient mineures ou, par ailleurs, de savoir comment l’âge du demandeur au moment de l’infraction devrait être pris en considération dans le cadre d’une analyse au regard de l’alinéa 1Fb).

[53] Les Lignes directrices sur la pratique dans les instances intéressant la citoyenneté, l’immigration et les réfugiés, datées du 5 novembre 2018, disposent que les parties sont censées présenter des observations sur toute question proposée aux fins de la certification dans leurs observations écrites ou oralement à l’audience. Si une partie entend proposer une question à certifier, la partie opposée doit en être informée au moins cinq jours avant l’audience, dans le but que les deux parties puissent s’entendre sur le libellé de la question proposée.

[54] Malgré qu’il ait présenté un mémoire complémentaire dans les semaines ayant précédé l’audience, le demandeur n’a pas fait état de la question qu’il proposait. De surcroît, l’avocat du demandeur n’a pas mentionné la question proposée à l’avocate de l’autre partie au moins cinq jours ni même à aucun moment avant l’audience. L’avocat du demandeur a expliqué que c’était par inadvertance qu’il avait oublié de le faire.

[55] Comme la question proposée découle d’un point soulevé par le demandeur dans son mémoire initial (et non pas présenté par le défendeur dans les semaines précédant l’audience), et compte tenu de l’omission du demandeur de se conformer aux lignes directrices et de tenter de discuter de la question proposée aux fins de la certification avec l’autre avocat avant l’audience, j’ai informé le demandeur à l’audience que, dans les circonstances, la Cour n’était pas prête à lui permettre de proposer une question à certifier.

VI. Conclusion

[56] Je suis convaincue que la décision de la SAR était raisonnable. Elle se fondait sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3444-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3444-21

INTITULÉ :

GORAN GARDIJAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AyLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 28 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Aleksandar Jeremic

POUR LE DEMANDEUR

Rachel Hepburn Craig

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aleksandar Jeremic

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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