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Date : 20220221


Dossier : T‑1413‑19

Référence : 2021 CF 230

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2022

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

JAMES SIPOS

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Monsieur James Sipos, le demandeur, reproche à Service correctionnel Canada [SCC] d’avoir fait preuve de négligence, d’avoir commis une faute dans l’exercice d’une charge publique, d’avoir commis des voies de fait, d’avoir violé la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte] et de ne pas avoir pas respecté une entente.

[2] Monsieur Sipos dit que son traitement par injection d’un anti‑androgène – le Lupron – lui a été administré sans son consentement éclairé et lui a causé un préjudice. Il affirme également que SCC n’a pas respecté leur entente de le transférer de l’Établissement de Bath, où il est actuellement incarcéré, vers un établissement à sécurité minimale s’il se conformait au traitement par Lupron.

[3] La défenderesse a présenté une requête en jugement sommaire sur le fondement de l’article 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, en vue de faire rejeter l’action de M. Sipos.

[4] La défenderesse a proposé que sa requête soit jugée sur dossier, conformément à l’article 369 des Règles. Monsieur Sipos s’y est opposé. Le 15 octobre 2021, la Cour a ordonné la tenue d’une audience en personne pour l’audition de la requête, et l’affaire a ensuite été inscrite au rôle pour instruction. La Cour a tenu compte de l’ensemble des observations présentées par écrit et de vive voix, de la preuve et de la jurisprudence pertinente.

[5] Pour les motifs qui suivent, la requête de la défenderesse sera accueillie et l’action du demandeur, rejetée. La défenderesse s’est acquittée de son fardeau de prouver l’inexistence d’une véritable question litigieuse. Elle a établi que les comportements fautifs qu’auraient commis les psychiatres ou les médecins qui ont traité M. Sipos et surveillé son état de santé et qui étaient des entrepreneurs indépendants à toutes les dates pertinentes n’engagent pas la responsabilité du fait d’autrui de l’État. La défenderesse a également démontré que rien n’établit l’existence d’une entente, explicite ou implicite, entre SCC et M. Sipos. Monsieur Sipos croyait et espérait que le traitement par Lupron le mène à son transfèrement vers un établissement à sécurité minimale, mais les évaluations annuelles de sa cote de sécurité montrent que plusieurs facteurs – dont ce traitement – ont été pris en compte et que sa cote de sécurité était maintenue au niveau de sécurité moyenne. L’attente ou l’espoir d’un transfèrement de la part de M. Sipos, même si ses agents de libération conditionnelle et d’autres personnes en étaient au courant, n’établit pas l’existence d’une entente.

[6] L’applicabilité du délai de prescription ne soulève aucune véritable question litigieuse, puisque les autres questions sont déterminantes. L’action de M. Sipos contre le SCC est mal fondée.

I. Les faits

[7] Monsieur Sipos est actuellement incarcéré à l’Établissement de Bath, un pénitencier fédéral à sécurité moyenne. Il a été déclaré délinquant dangereux après avoir été jugé coupable de plusieurs infractions d’ordre sexuel et avec violence, et, en conséquence, il purge une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée.

[8] En avril 2007, le Dr Robert Dickey a effectué une évaluation psychiatrique prélibératoire de M. Sipos. Dans son rapport, le Dr Dickey a tenu compte des déclarations de culpabilité prononcées contre M. Sipos et des circonstances les entourant, et il a observé que les auteurs de toutes les évaluations de santé mentale antérieures mentionnaient que M. Sipos présentait un risque très élevé de récidive. Après avoir vu M. Sipos en consultation, le Dr Dickey a conclu qu’il présentait un risque [traduction] « inacceptable », quel que soit le type de mise en liberté comportant des contacts avec la collectivité. Le Dr Dickey a recommandé qu’il soit maintenu en incarcération et dit : [traduction] « Si l’exposition à la collectivité est envisagée, elle devrait être précédée d’un traitement comportant l’administration de médicaments intramusculaires à action prolongée qui réduisent les pulsions sexuelles. »

[9] En juin 2008, M. Sipos a demandé une consultation avec son psychiatre traitant, le Dr Oliver, pour discuter de la possibilité de commencer le traitement. En juillet 2008, le Dr Oliver lui a prescrit de l’acétate de leuprolide (connu sous le nom de Lupron), lequel a pour effet de réduire les niveaux de testostérone et est censé réduire les pulsions sexuelles.

[10] Monsieur Sipos a reçu sa première injection de Lupron le 19 juillet 2008. Il a continué de recevoir des injections toutes les quatre semaines, et plus tard à des intervalles plus longs, et ce, jusqu’en 2014.

[11] Monsieur Sipos affirme aujourd’hui que le Lupron lui a causé des effets secondaires importants, notamment des douleurs testiculaires, gastro‑intestinales et mammaires, des maux de dos, de la fièvre, des frissons, des sueurs froides, des vomissements, des maux de tête, du psoriasis et plusieurs autres symptômes.

[12] D’après les notes des médecins qui ont traité M. Sipos et surveillé son état de santé, il lui arrivait parfois de ne pas déclarer d’effets secondaires, alors qu’à d’autres occasions, il disait souffrir de troubles du sommeil, de maux de dos, de douleurs abdominales et articulaires, et de problèmes gastro‑intestinaux. Comme je le souligne plus loin, la preuve n’établit pas clairement si ces problèmes étaient attribuables au Lupron ou à d’autres causes. La preuve fait aussi état de plusieurs demandes présentées par M. Sipos, pendant qu’il prenait du Lupron, pour consulter des professionnels de la santé au sujet d’autres malaises.

[13] Comme je l’explique davantage plus loin, M. Brent Dye, un infirmier à l’Établissement de Bath, atteste que pour donner suite à la demande de M. Sipos d’interrompre le traitement par Lupron, il l’a vu en consultation le 16 juillet 2014. Selon M. Dye, M. Sipos lui aurait dit qu’il avait décidé de ne plus prendre du Lupron [traduction] « pour le moment », puisqu’il estimait avoir épuisé ses voies de droit. Monsieur Sipos n’a reçu aucune autre injection de Lupron.

[14] Le 2 avril 2019, SCC a fourni à M. Sipos la copie d’une note de service interne rédigée par la gestionnaire régionale de l’Ontario, Services de santé mentale en établissement, à l’intention des chefs des Services de santé mentale, datée de mars 2017 [la note de service de 2017]. L’objet de la note de service de 2017 concerne l’usage d’anti‑androgènes (comme le Lupron) comme mesure de gestion des risques associés aux délinquants sexuels.

[15] La note de service de 2017 fait suite aux changements survenus au sein de SCC qui ont fait en sorte de transférer aux psychologues et aux cliniciens en santé mentale l’entière responsabilité d’évaluer les risques associés aux délinquants sexuels de sexe masculin et énonce des recommandations sur les stratégies de gestion des risques. L’auteure de la note de service précise que la pratique consistant à diriger les délinquants vers le psychiatre de l’établissement pour qu’il effectue un examen des risques afin de décider si un traitement anti‑androgène est nécessaire a été abolie. Elle explique que, lorsque le psychiatre d’un établissement reçoit le dossier du délinquant – transmis par un psychologue dans le cadre d’une évaluation exhaustive des risques –, son évaluation doit être de nature médicale (c.‑à‑d. qu’il ne donne pas son avis quant à la gestion des risques). Dans ce contexte, l’auteure de la note de service fournit de plus amples renseignements sur les anti‑androgènes et les considérations propres aux délinquants concernés de SCC.

[16] L’auteure de la note de service de 2017 souligne que certaines recherches comparatives montrent que les taux de récidive décelée chez les délinquants traités par anti‑androgènes sont plus faibles, tandis que d’autres recherches montrent que les taux de récidive de ceux qui sont traités exclusivement par anti‑androgènes (c’est‑à‑dire, à l’exclusion de tout autre programme) sont semblables à ceux qui n’ont aucun traitement.

[17] Dans la section intitulée [traduction] « Restrictions », l’auteure de la note de service dit que les anti‑androgènes doivent être prescrits par un médecin et que la prise de ce médicament est volontaire. Elle énonce les possibles effets secondaires et contre‑indications. Elle mentionne que la prescription d’anti‑androgènes pour réduire les pulsions sexuelles des hommes constitue un usage [traduction] « hors indication ».

[18] Dans la section intitulée [traduction] « Recommandations », l’auteure de la note de service de 2017 affirme que, dans l’ensemble, le traitement par anti‑androgènes ne constitue pas une bonne stratégie de gestion des risques à long terme et que les dossiers transmis aux psychiatres des établissements (par les psychologues) ne devraient être que ceux des délinquants qui présentent un risque élevé de récidive sexuelle, et elle nomme les outils qui permettent d’effectuer une évaluation actuarielle.

[19] L’auteure de la note de service précise que le fait pour un délinquant d’avoir été dirigé vers un traitement par anti‑androgènes ou de s’y conformer ne devrait pas être une condition pour le transfèrement vers un établissement ayant un niveau de sécurité inférieur : les transfèrements devraient plutôt reposer sur [traduction] « une évaluation globale de la conformité du délinquant aux conditions et aux programmes pertinents, ainsi que [sur] sa compréhension et [sur] sa volonté de mettre en œuvre d’autres stratégies de gestion des risques non pharmacologiques ».

[20] Monsieur Sipos dit que peu de temps après avoir reçu la note de service de 2017, il a institué son action contre la défenderesse.

II. Les moyens invoqués par le demandeur

[21] Monsieur Sipos a produit sa déclaration le 28 août 2019. Il affirme qu’il avait accepté de recevoir des injections de Lupron uniquement parce que les agents de SCC lui avaient fait comprendre qu’il s’agissait d’une condition pour un transfèrement vers un établissement ayant un niveau de sécurité inférieur. Il prétend en outre que SCC et la défenderesse n’ont pas respecté cette entente parce qu’ils ne l’ont pas transféré vers un établissement ayant un niveau de sécurité inférieur.

[22] Monsieur Sipos affirme que les injections de Lupron lui ont été administrées sans son consentement éclairé. Il affirme qu’il n’était pas au courant des effets secondaires potentiels, que l’usage du Lupron pour réduire les pulsions sexuelles constitue un usage [traduction] « hors indication » (c.‑à‑d., qu’il ne s’agit pas d’un usage médical approuvé) et qu’aucune preuve n’établit clairement l’efficacité du Lupron pour réduire le risque de récidive sexuelle.

[23] Par conséquent, M. Sipos invoque plusieurs causes d’action contre la défenderesse :

  • l’administrant des injections de Lupron sans son consentement éclairé constituent des voies de fait;
  • le fait pour SCC d’avoir agi au‑delà des pouvoirs que la loi qui confère, compte tenu de l’article 69 et du paragraphe 88(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la LSCMLC], constitue une faute commise dans l’exercice d’une charge publique, ou, si le SCC a agi dans les limites de ces pouvoirs, il a agi dans le but illicite de le punir ou de lui faire subir un traitement inhumain, cruel ou dégradant;
  • l’absence d’un consentement éclairé et de soins de santé conformes aux normes professionnelles reconnues, et le fait que ses besoins en matière de santé et de soins de santé n’ont pas dûment été pris en compte constituent de la négligence.

[24] Monsieur Sipos affirme également qu’il y a eu atteinte aux droits qu’il tire des articles 7 et 12 de la Charte.

[25] Il sollicite un jugement déclaratoire et des dommages‑intérêts compensatoires pour les souffrances physiques et psychologiques qu’il a subies, ainsi que des dommages‑intérêts majorés et punitifs. Il réclame en outre des dommages‑intérêts en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.

III. Les moyens invoqués par la défenderesse

[26] La défenderesse nie en bloc les allégations et fait valoir, entre autres choses, que : l’action de M. Sipos est prescrite; les comportements reprochés n’engagent pas la responsabilité du fait d’autrui de SCC; le traitement de M. Sipos était autorisé par la loi et conforme à la politique de SCC; et M. Sipos a donné son consentement éclairé au traitement et son état de santé était surveillé par des médecins. Subsidiairement, la défenderesse fait valoir que tout préjudice qu’a subi M. Sipos résulte de conditions préexistantes et de sa propre négligence contributive ou du fait qu’en ne rapportant pas les effets secondaires, il n’a pas limité le préjudice.

IV. La requête en jugement sommaire de la défenderesse

[27] La défenderesse a déposé une requête en jugement sommaire le 11 janvier 2021, au motif qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse.

[28] Elle soutient que rien dans la preuve n’établit que les soins médicaux prodigués à M. Sipos étaient inadéquats. En outre, le comportement reproché – à savoir, les actes commis par des entrepreneurs indépendants, et non par des préposés de l’État – n’engage pas la responsabilité de la défenderesse. La défenderesse fait également valoir que rien dans la preuve n’établit que SCC avait convenu de transférer M. Sipos vers un établissement ayant un niveau de sécurité inférieur en échange de son consentement à prendre du Lupron. Elle ajoute que même si les allégations étaient prouvées – ce qu’elle nie – , M. Sipos a produit sa demande après l’expiration du délai de prescription de deux ans applicable en l’espèce.

[29] La défenderesse reconnaît que les exigences auxquelles il faut satisfaire pour obtenir un jugement sommaire sont rigoureuses, mais elle soutient qu’elles sont remplies en l’espèce et que la Cour devrait prononcer un jugement sommaire en sa faveur.

[30] La défenderesse s’appuie sur les témoignages de MM. Dye, Irving et Zuber, ainsi que sur les pièces jointes à leurs affidavits – qui comprennent les dossiers de psychiatres et d’autres médecins qui ont traité M. Sipos, les demandes que M. Sipos a présentées en vue d’obtenir des services de santé ainsi que les évaluations annuelles et semestrielles de la cote de sécurité de M. Sipos. Elle souligne que ces pièces constituent des pièces commerciales qui peuvent être admises en preuve conformément à l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5.

[31] La défenderesse fait valoir que la preuve produite par M. Sipos ne permet pas d’établir l’existence d’une véritable question litigieuse. Elle souligne que M. Sipos a contre‑interrogé les auteurs des affidavits qui ont témoigné pour le compte de la défenderesse. Monsieur Sipos a également présenté son propre témoignage au moyen de deux affidavits auxquels des pièces sont jointes. La défenderesse soutient que M. Sipos n’a présenté aucun autre élément de preuve et qu’il n’est pas suffisant d’affirmer qu’il produira d’autres éléments de preuve au procès.

[32] Selon la défenderesse, M. Sipos n’a fourni aucun élément permettant d’établir qu’un employé de SCC a eu un comportement fautif. L’inconduite n’aurait été commise que par les médecins qui ont fourni des soins à M. Sipos, en tant qu’entrepreneurs indépendants. La défenderesse attire l’attention de la Cour sur le témoignage de M. Irving, qui explique comment l’accès à des médecins dans la collectivité permet de répondre aux besoins en matière de soins de santé des détenus sous responsabilité fédérale, et précise que les médecins qui ont traité M. Sipos ne sont pas des employés de SCC. La défenderesse soutient que les actes commis par les médecins qui ont traité M. Sipos n’engagent pas la responsabilité du fait d’autrui de SCC (de l’État).

[33] La défenderesse renvoie également aux paragraphes 35‑36 de la décision Walker v Canada, 2019 ONSC 4578, [Walker], où la Cour supérieure de justice de l’Ontario a jugé, dans une affaire similaire, qu’il n’y avait aucune preuve de négligence médicale et, plus important encore, que les médecins qui avaient traité le demandeur étaient des entrepreneurs indépendants dont les actes n’engageaient pas la responsabilité du fait d’autrui de l’État.

[34] La défenderesse soutient en outre que M. Sipos n’a produit aucune preuve d’expert ni aucun autre élément de preuve établissant que les médecins qui l’ont traité n’avaient pas respecté la norme de diligence ou n’avaient pas obtenu son consentement éclairé.

[35] Elle fait également valoir que M. Sipos n’a fourni aucune preuve, autre que ses propres affirmations, d’une entente avec SCC portant qu’il serait transféré vers un établissement à sécurité minimale en échange d’un traitement au Lupron. Elle souligne que M. Sipos n’a donné aucun détail de cette entente, par exemple ses modalités, ainsi que la date de sa conclusion et le nom des personnes avec qui elle a été conclue.

[36] La défenderesse souligne que nulle part dans ses actes de procédure M. Sipos ne reconnaît‑il lui‑même l’existence d’une entente explicite avec SCC. Elle ajoute que rien ne permet d’inférer l’existence d’une entente, soulignant qu’une telle entente serait contraire à la loi et à la politique de SCC en matière de classification de sécurité, laquelle exige la prise en compte de plusieurs facteurs.

[37] La défenderesse fait en outre valoir que, même si l’action de M. Sipos contre SCC n’était pas mal fondée, elle serait prescrite en raison du délai de prescription de deux ans applicable en l’espèce.

[38] La défenderesse souligne que M. Sipos a reçu sa dernière injection de Lupron en mai 2014. Si ce traitement constituait des voies de fait, comme l’allègue M. Sipos, toute action aurait dû être intentée dans les deux années suivant le dernier traitement, donc au plus tard en mai 2016.

[39] La défenderesse renvoie encore une fois aux actes de procédure de M. Sipos, dans lesquels il reconnaît qu’avant 2014, ou au plus tard en 2014, il s’était rendu à l’évidence que SCC ne le transférerait pas et que SCC n’avait donc pas respecté l’entente, [traduction] « aggravant ainsi ses souffrances ». Elle soutient que M. Sipos aurait su à cette date qu’un préjudice lui avait été causé et il savait que son transfèrement n’aurait pas lieu. La défenderesse fait valoir qu’en 2014, M. Sipos connaissait l’existence de la cause d’action qu’il invoque aujourd’hui, de sorte qu’il aurait dû instituer son action au plus tard en 2016.

[40] La défenderesse conteste que le fait pour M. Sipos d’avoir reçu en 2019 de la note de service de 2017 appuie son argument portant qu’il ne connaissait pas les effets secondaires du Lupron avant cette date, ou que ces renseignements ont vicié son consentement éclairé au traitement par Lupron.

[41] Selon la défenderesse, les dossiers médicaux de M. Sipos démontrent qu’il avait des problèmes de santé (dont certains étaient peut‑être liés au Lupron) qu’il avait signalés à ses médecins, même si parfois il ne leur signalait aucun effet secondaire.

[42] La défenderesse souligne plus particulièrement, qu’en 2012, M. Sipos a rapporté des problèmes gastro‑intestinaux. Le Dr Louw, un spécialiste, lui a suggéré d’interrompre temporairement le traitement par Lupron, mais M. Sipos a refusé. Selon la défenderesse, si ces problèmes étaient un effet secondaire, ils étaient connus bien avant le point de départ du délai de prescription.

[43] La défenderesse ajoute que rien dans la preuve n’indique que le Dr Dickey, qui a discuté du traitement par Lupron avec M. Sipos en 2007, et le Dr Oliver, qui l’a prescrit pour la première fois en 2008 à la demande de M. Sipos, n’ont pas obtenu son consentement éclairé.

[44] Selon la défenderesse, aucune exception à l’application du délai de prescription de deux ans ne s’applique en l’espèce. Elle soutient que l’injection de Lupron pour le traitement d’un trouble sexuel ne constitue pas une agression sexuelle.

V. Les observations du demandeur au sujet de la requête en jugement sommaire

[45] Monsieur Sipos soutient qu’il existe plusieurs véritables questions litigieuses, notamment : la question de savoir si SCC avait convenu de le transférer en échange de son consentement à prendre du Lupron ou si l’existence d’une entente peut être inférée; la question de savoir si un délai de prescription s’applique aux actes, que M. Sipos qualifie d’agression sexuelle ou de simple agression, commis par les personnes avec qui il avait une relation de dépendance; la question de savoir si la défenderesse peut s’appuyer sur les dossiers des médecins et d’autres personnes que M. Sipos n’a pas eu l’occasion de contre‑interroger; la raison pour laquelle SCC administrait du Lupron aux personnes reconnues coupables d’infractions de nature sexuelle en l’absence d’une preuve claire de son efficacité à réduire le risque de récidive sexuelle; la raison pour laquelle, en 2017, SCC a précisé dans une note de service que le fait de se conformer à un traitement par anti‑androgènes ne devrait pas être une condition pour le transfèrement vers un établissement ayant un niveau de sécurité inférieur; et la raison pour laquelle SCC a attendu en 2019 pour fournir à M. Sipos une copie de la note de service de 2017.

[46] Monsieur Sipos conteste l’argument selon lequel SCC n’est pas responsable du préjudice qu’il a subi. Il soutient que SCC est tenu, en vertu du paragraphe 86(1) de la LSCMLC, de fournir des soins de santé aux détenus incarcérés dans ses établissements et qu’en conséquence, SCC est responsable des actes commis par les psychiatres et les autres médecins dont les services sont retenus par SCC.

[47] Monsieur Sipos affirme qu’il avait convenu avec SCC que SCC le transférerait vers un établissement à sécurité minimale à la condition qu’il prenne du Lupron. Il soutient que la défenderesse admet elle‑même dans ses actes de procédure qu’il a consenti aux injections de Lupron uniquement [traduction] « parce qu’il s’attendait, en contrepartie du traitement, à être transféré ».

[48] Selon M. Sipos, plusieurs autres interactions étayent la conclusion selon laquelle une entente existe ou peut être inférée.

[49] Il affirme que la recommandation du Dr Dickey en 2007 permet d’inférer l’existence d’une entente. Il souligne que le Dr Dickey mentionnait dans son évaluation que l’administration de Lupron devrait être envisagée avant tout changement de cote de sécurité. À l’audience, M. Sipos a expliqué qu’initialement, il ne voulait pas prendre du Lupron, mais qu’il s’était ravisé en raison des nombreuses démarches judiciaires liées à sa peine et au fait qu’il a été déclaré délinquant dangereux. Monsieur Sipos relate (bien qu’il n’ait fourni aucun élément de preuve à l’appui) que le Dr Oliver lui avait expliqué que le Lupron réduirait ses pulsions sexuelles et pourrait entraîner une certaine redistribution des graisses, sans toutefois l’informer d’autres effets secondaires.

[50] Selon M. Sipos, tous ses agents de libération conditionnelle ont discuté de différents programmes avec lui et ils lui ont fait comprendre qu’il pourrait abaisser sa cote de sécurité s’il continuait de prendre du Lupron.

[51] Monsieur Sipos relate également qu’en 2010, un autre psychologue, M. Yokubynas, a mis à jour l’évaluation des risques le concernant, et qu’il a fait remarquer qu’une cote de sécurité minimale pouvait être envisagée si M. Sipos continuait à prendre du Lupron [traduction] « en tout temps ». Monsieur Sipos ajoute que le Dr Dickey a formulé des commentaires semblables.

[52] Monsieur Sipos dit également qu’en 2012, son agent de libération conditionnelle, qui l’a encouragé à poursuivre le traitement par Lupron afin d’être transféré, a assisté à sa consultation avec la Dre Skladman, qui était son psychiatre traitant à l’époque. Toutefois, la Dre Skladman a refusé d’augmenter la dose de Lupron. Selon M. Sipos, même si son agent de libération conditionnelle appuyait son transfèrement vers un établissement à sécurité minimale en 2012, d’autres n’étaient pas de cet avis vu que sa dose de Lupron n’avait pas été augmentée. S’agissant de son refus de cesser de prendre du Lupron, que lui reproche la défenderesse, même si le Dr Louw lui avait suggéré une telle pause en 2012 parce que le Lupron était peut‑être la cause de ses problèmes gastro‑intestinaux, M. Sipos explique aujourd’hui qu’il a refusé parce qu’il craignait que l’arrêt du traitement réduise à néant toutes les années qu’il avait passées à prendre du Lupron en vue d’un transfèrement vers un établissement à sécurité minimale.

[53] Selon M. Sipos, la preuve de la défenderesse, en particulier les dossiers médicaux produits au dossier, comporte du ouï‑dire inadmissible. Il soutient qu’il n’a pas eu la possibilité de contre‑interroger les médecins dont les dossiers sont joints aux affidavits produits pour le compte de la défenderesse, ainsi que le personnel médical de SCC, au sujet de ses traitements par Lupron, afin de vérifier, entre autres choses, leur connaissance des effets néfastes de ce médicament.

[54] Monsieur Sipos ajoute que les renseignements fournis par les auteurs des affidavits produits pour le compte de la défenderesse sont incomplets. Selon lui, M. Zuber a omis de mentionner l’entente conclue avec SCC. Monsieur Sipos soutient qu’il tenterait d’obtenir plus de renseignements à cet égard lors du procès.

[55] Selon M. Sipos, M. Dye omet de renvoyer à certains documents pertinents dans son affidavit, et comme celui‑ci n’a pas assisté aux consultations que M. Sipos e eues avec la Dre Skladman et le Dr Oliver, son témoignage est limité. Monsieur Sipos soutient également que M. Irving n’a fourni aucun détail concernant les contrats et qu’il n’a pas précisé qui, au sein de SCC, était responsable des contrats conclus avec les médecins qui l’ont traité.

[56] Monsieur Sipos affirme qu’avant d’avoir reçu en 2019 la note de service de 2017, il ne connaissait pas les effets secondaires déclarés et il ne savait pas que le traitement par Lupron constituait un usage [traduction] « hors indication » ou que les études sur l’efficacité du Lupron pour réduire le risque de récidive étaient insuffisantes. Il fait valoir que la note de service de 2017 vicie son consentement au traitement parce qu’il n’avait pas ces renseignements au moment où il a consenti à prendre du Lupron.

[57] Monsieur Sipos conteste que son action est prescrite par un quelconque délai de prescription. Il renvoie à l’article 16 de la loi ontarienne sur la prescription des actions et soutient que plusieurs exceptions au délai de prescription de deux ans s’appliquent. Il affirme que ses injections de Lupron constituent des agressions sexuelles. Il affirme également qu’il était entièrement dépendant de SCC et que, comme il a été agressé par le personnel de SCC, les exceptions applicables aux titulaires du droit de réclamation qui dépendent d’une autre personne s’appliquent.

VI. Le critère à appliquer dans le cadre d’une requête en jugement sommaire

[58] Comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7 [Hryniak], les requêtes en jugement sommaire sont un moyen important d’éviter les frais et les retards associés à un procès complet dans les affaires appropriées, permettant ainsi de faire l’économie des ressources judiciaires et de favoriser l’accès à la justice.

[59] Dans la décision Milano Pizza Ltd c 6034799 Canada Inc, 2018 CF 1112 [Milano Pizza], la juge Mactavish a résumé le droit applicable aux requêtes en jugement sommaire devant la Cour fédérale. La Cour fait remarquer que dans l’arrêt Hryniak – où sont examinées la procédure à appliquer dans le cadre d’une requête en jugement sommaire et ses valeurs sous‑jacentes dans le contexte des Règles de procédure civile de l’Ontario –, la Cour suprême du Canada dit que ces procédures et valeurs sont d’application générale (aux para 27‑29) et qu’elles guident l’interprétation des règles applicables aux jugements sommaires (articles 214 et 215 des Règles) devant la Cour fédérale.

[60] Aux paragraphes 31, 33‑36 et 40, qui sont reproduits ci‑dessous dans leur intégralité, la juge Mactavish explique la notion de « véritable question litigieuse », le critère applicable aux jugements sommaires, le fardeau qui incombe à chacune des parties ainsi que d’autres principes fondamentaux qui s’appliquent dans cette affaire :

[31] Le paragraphe 215(1) des Règles prévoit que la Cour rend un jugement sommaire quand le juge est convaincu « qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense ». Selon la Cour suprême, il n’existe « aucune véritable question en litige nécessitant la tenue d’un procès » lorsque la demande n’a pas de fondement juridique ou lorsque le juge dispose de « la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige » : Hryniak, précité, au paragraphe 66. Voir aussi Manitoba, précité, au paragraphe 15, et Burns Bog Conservation Society c Canada, 2014 CAF 170, aux paragraphes 35‑36, 2014 ACF no 655.

[…]

[33] La question qui se pose lors de l’examen d’une requête en jugement sommaire n’est pas « de savoir si une partie n’a aucune chance d’obtenir gain de cause au procès, mais plutôt d’établir si le succès de la demande est tellement douteux que celle‑ci ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès ». Par conséquent, « les jugements sommaires ne sont pas réservés aux affaires particulièrement claires » : les deux citations sont tirées de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Campbell, 2014 CF 40, [2014] ACF no 30, au paragraphe 14, qui cite ITV Technologies Inc. c WIC Television Ltd, 2001 CAF 11, 199 FTR 319, aux paragraphes 4 à 6; Premakumaran c Canada, 2006 CAF 213, [2007] 2 RCF 191, aux paragraphes 9 à 11; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Schneeberger, 2003 CF 970, au paragraphe 17, [2004] 1 RCF 280.

[34] Il incombe à la partie requérante de démontrer qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse. Toutefois, les parties qui répondent à des requêtes en jugement sommaire sont également tenues de « présenter leurs meilleurs arguments » dans leur réponse : F. Von Langsdorff Licensing Ltd. c S.F. Concrete Technology, Inc. (1999), 165 FTR 74, aux paragraphes 12 et 27, [1999] ACF no 526.

[35] La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut se fonder sur des conjectures touchant la preuve qui pourrait être produite à une étape ultérieure de l’instance. Les intimés doivent plutôt invoquer des faits précis dans leur réponse à une requête en jugement sommaire et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse : article 214 des Règles. Voir aussi MacNeil c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CAF 50, au paragraphe 37, [2004] ACF no 201. Cette exigence est réputée nécessiter qu’une partie intimée doit « jouer atout ou risquer de perdre » : voir Kirkbi AG c Ritvik Holdings Inc. (1998), 150 FTR 205, au paragraphe 18, [1998] ACF no 912.

[36] Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, pour être « juste et équitable », le dossier dont est saisi le juge des requêtes doit lui permettre de dégager les faits nécessaires au règlement du litige : Hryniak, précité, au paragraphe 28. Un jugement sommaire ne sera pas rendu lorsque le juge n’est pas en mesure de dégager les faits essentiels ou lorsqu’il serait injuste de le faire.

[…]

[40] Lorsqu’il statue sur ce point, le juge des requêtes doit faire preuve de prudence puisque le prononcé d’un jugement sommaire fera en sorte que la partie ne pourra pas présenter de preuve à l’instruction au sujet de la question litigieuse. Autrement dit, la partie qui répond à une requête et qui n’a pas gain de cause perdra « la possibilité de se faire entendre en cour » : voir Apotex Inc. c Merck & Co., 2004 CF 314, au paragraphe 12, 248 F.T.R. 82, conf. par 2004 CAF 298, [2004] ACF no 1495.

[Non souligné dans l’original.]

[61] J’ai appliqué ces principes à mon examen de la requête en jugement sommaire de la défenderesse.

VII. La preuve au dossier

[62] Les affidavits de M. Irving, de M. Zuber et de M. Dye font partie de la preuve de la défenderesse. Les auteurs de ces affidavits y ont joint plusieurs pièces, lesquelles sont des pièces commerciales de SCC. Monsieur Sipos a contre‑interrogé les auteurs de ces affidavits et leurs réponses font partie de la preuve de la défenderesse.

[63] Monsieur Irving, gestionnaire régional des Services cliniques de SCC à Kingston, décrit son rôle quant aux appels d’offres et à l’attribution de contrats pour des services médicaux au nom de SCC. Il explique comment les services de santé sont administrés à l’Établissement de Bath, ajoutant que les soins de santé offerts aux détenus sont généralement fournis par des médecins qui travaillent sous contrat et qui se présentent à l’établissement à des jours précis, et qui sont appuyés par des infirmières qui travaillent à temps plein. Il ajoute que dans les situations d’urgence et lorsqu’il est nécessaire de consulter des spécialistes, les détenus sont généralement transférés dans des hôpitaux publics pour y être soignés.

[64] Monsieur Irving atteste qu’aucun des médecins et psychiatres qui ont traité M. Sipos, de 2008 à 2014, n’était un employé de SCC ni un mandataire ou un préposé de SCC. Ces médecins ont tous maintenu leurs propres pratiques médicales.

[65] Selon M. Irving, SCC n’a aucune obligation liée à la propriété, à l’occupation, à la possession ou à la garde d’un hôpital où M. Sipos a été traité.

[66] Il atteste en outre que SCC n’a donné aux professionnels de la santé qui ont traité M. Sipos aucune directive sur la façon dont ils devaient offrir des traitements ou des services.

[67] Monsieur Zuber, directeur adjoint, Interventions, à l’Établissement de Bath depuis 2011, décrit son expérience antérieure au sein de SCC, notamment à titre de spécialiste du comportement, d’agent de libération conditionnelle et de gestionnaire des évaluations. Il explique le rôle des agents de libération conditionnelle, notamment la réalisation des évaluations annuelles des cotes de sécurité (deux fois par année depuis 2013). Il joint à son affidavit les évaluations en vue d’une décision [les évaluations] réalisées relativement à la cote de sécurité de M. Sipos de 2008 à 2019, où les auteurs de ces évaluations ont tous recommandé qu’il soit maintenu au niveau de sécurité moyenne.

[68] Monsieur Zuber atteste que ces évaluations montrent que les agents de libération conditionnelle ont tenu compte de l’effet du traitement par Lupron sur la cote de sécurité de M. Sipos, ainsi que de la gravité des infractions commises, de son adaptation dans l’établissement, de ses programmes, du risque d’évasion, du risque pour la sécurité publique, des résultats obtenus à partir des outils d’évaluation actuarielle, des évaluations psychologiques et psychiatriques, et de la preuve fournie à la Commission des libérations conditionnelles. Monsieur Zuber souligne que ces facteurs sont conformes aux exigences de la LSCMLC et de son règlement d’application.

[69] Monsieur Zuber atteste qu’il n’est au courant d’aucune communication entre un agent de libération conditionnelle ou un autre employé de SCC et M. Sipos selon laquelle son transfèrement était garanti simplement du fait qu’il prend du Lupron.

[70] Lors de son contre‑interrogatoire mené par M. Sipos, M. Zuber a réitéré qu’aucune des évaluations ne mentionnait l’existence d’une entente et qu’il n’était au courant d’aucune communication concernant un transfèrement sur ce fondement.

[71] Monsieur Brent Dye décrit son rôle d’infirmier autorisé des Services de santé mentale de l’Établissement de Bath, où il travaille depuis 2011. Il atteste qu’il a examiné le dossier médical complet de M. Sipos dont dispose SCC. Monsieur Dye explique comment sont traitées les demandes que les détenus présentent pour obtenir des services de santé courants et comment il y est donné suite.

[72] Monsieur Dye décrit la situation de M. Sipos concernant son traitement par Lupron : il parle d’abord de la première fois que M. Sipos a consulté le Dr Dickey en 2007, puis du fait que le Dr Oliver lui a prescrit du Lupron en 2008, et enfin du fait que la Dre Skladman a continué de lui prescrire du Lupron d’avril 2010 à mai 2014. Monsieur Dye joint comme pièces à son affidavit plusieurs des notes cliniques des médecins traitants, dont celles du Dr Oliver, datées du 16 juillet 2008, du 10 septembre 2008, du 8 juillet 2009 et du 5 janvier 2010, et celles de la Dre Skladman, datées du 7 mars 2011, du 3 octobre 2011, du 30 avril 2012, du 10 août 2012, du 8 février 2013, du 24 mai 2013, du 25 octobre 2013 et du 22 mai 2014. Les notes cliniques font état des effets secondaires ou d’autres problèmes de santé déclarés par M. Sipos.

[73] Dans ses notes cliniques datées du 22 mai 2014, la Dre Skladman mentionne que M. Sipos a déclaré se sentir bien en général, mais elle ajoute ce qui suit : [traduction] « [I]l fait part de ses réflexions sur les inconvénients et les avantages de prendre du Lupron. Après y avoir longuement réfléchi, il affirme catégoriquement qu’il veut prendre du Lupron après une pause de 10 semaines à ce jour, et sa décision est liée à ses aspirations actuelles à être transféré vers une unité à sécurité minimale. »

[74] Monsieur Dye atteste qu’il a eu une rencontre avec M. Sipos le 23 février 2011. Les notes prises lors de cette rencontre sont jointes à son affidavit et indiquent que M. Sipos espérait que son traitement par Lupron serait perçu comme un geste de bonne volonté qui lui permettrait d’être éventuellement transféré vers un établissement à sécurité minimale.

[75] Monsieur Dye joint également à son affidavit le dossier résultant de la consultation qu’a eue M. Sipos le 7 août 2012 avec le Dr Louw, un spécialiste, au sujet d’un problème gastro‑intestinal. Dans son rapport clinique, le Dr Louw dit : [traduction] « [I]l est très difficile de dire si le problème gastro‑intestinal constitue son principal problème santé. L’usage de leuprolide semble être le responsable évident. » Le rapport du Dr Louw indique qu’il a suggéré à M. Sipos de cesser de prendre le médicament pendant un certain temps pour voir si les symptômes persisteraient, car il ne pouvait pas justifier de soumettre M. Sipos à un examen du tube digestif. Le Dr Louw souligne que M. Sipos lui a dit que le traitement par Lupron est offert sur une base volontaire.

[76] Monsieur Dye atteste que le 7 novembre 2012, M. Sipos a signé une déclaration selon laquelle il refusait de suivre la recommandation du Dr Louw de mettre fin à l’administration du Lupron, et qu’il ne s’est pas présenté à son rendez‑vous de suivi. La déclaration est jointe à son affidavit.

[77] Monsieur Dye atteste qu’il a eu une rencontre avec M. Sipos le 16 juillet 2014, afin de donner suite à la demande de M. Sipos de ne plus poursuivre le traitement par Lupron. Selon M. Dye, M. Sipos lui a dit que vu qu’il avait épuisé ses voies de droit et qu’il ne pourrait obtenir une libération conditionnelle dans un proche avenir, il voulait interrompre ce traitement [traduction] « pour le moment », mais qu’il serait disposé à le reprendre plus tard si la libération conditionnelle devenait possible.

[78] Monsieur Dye joint également à son affidavit la demande de M. Sipos en vue d’interrompre le traitement par Lupron, datée du 16 juillet 2014, et l’ordonnance de la Dre Wyatt (un médecin de l’Établissement de Bath) prescrivant la cessation du traitement.

[79] Monsieur Dye joint également à son affidavit les dossiers de M. Sipos tirés du registre d’administration des médicaments, lesquels font état des injections de Lupron et indiquent la date et la posologie de chacune, ainsi que d’autres médicaments sur ordonnance et sans ordonnance.

[80] Monsieur Dye atteste que M. Sipos a présenté de nombreuses demandes concernant d’autres problèmes de santé, dont des douleurs aux mains et aux pieds, un problème de peau, une infection fongique aux orteils et des problèmes gastro‑intestinaux. Il joint à son affidavit les copies des demandes de M. Sipos pour obtenir des services de santé.

[81] Monsieur Sipos a fourni deux affidavits. Dans le premier, daté du 24 février 2020, il dit que la défenderesse n’a pas fourni d’éléments de preuve établissant les fausses déclarations de SCC et le préjudice causé à M. Sipos. Monsieur Sipos joint la note de service de 2017. Il cite les effets secondaires du Lupron (tirés de la brochure sur le Lupron) et affirme qu’il a ressenti la plupart des effets secondaires déclarés. Il joint également des dossiers concernant son traitement contre le psoriasis et les effets secondaires du médicament prescrit pour le psoriasis. Il atteste qu’à partir de 2008, il a souffert [traduction] « de douleurs atroces, alors que, comme il s’est rendu à l’évidence en 2014, SCC est revenu sur l’entente qui avait été conclue ».

[82] Monsieur Sipos énumère 21 effets secondaires du Lupron qu’il dit avoir ressentis, notamment de la fièvre, des frissons, des bouffées de chaleur, une perte de sommeil, des problèmes gastro‑intestinaux, une perte de densité osseuse, des maux de tête et une prise de poids.

VIII. Il n’existe pas de véritable question litigieuse

[83] Comme je l’ai mentionné, il n’existe pas de véritable question litigieuse s’il n’y a pas de fondement juridique à l’action compte tenu du droit et de la preuve, ou lorsque la preuve à l’appui de la requête en jugement sommaire permet à la Cour de tirer les conclusions de fait nécessaires et d’appliquer les principes juridiques pertinents pour trancher équitablement le litige (Hryniak, aux para 49‑50; Manitoba c Canada, 2015 CAF 57 au para 15; Milano Pizza, au para 31).

[84] En l’espèce, j’estime que la preuve au dossier me permet de trancher équitablement la présente action. La défenderesse a établi que le succès de l’action de M. Sipos est « tellement douteux que celle‑ci ne mérite pas d’être examinée […] dans le cadre d’un éventuel procès » (Milano Pizza, au para 33). La défenderesse s’est acquittée du fardeau qui lui incombait et a établi l’inexistence d’une véritable question litigieuse. En revanche, la preuve de M. Sipos ne permet pas d’en démontrer l’existence.

[85] Monsieur Sipos soutient que, si un procès devait être tenu, il demanderait l’autorisation de faire entendre des témoins, dont un coroner, d’autres personnes qui ont pris du Lupron et les médecins qui l’ont traité et dont les dossiers ont été versés en preuve devant la Cour, ces dossiers étant, selon M. Sipos, sélectifs et incomplets. Or, M. Sipos n’a fourni aucun de ces éléments de preuve en réponse à la requête de la défenderesse. Je reconnais qu’il peut être difficile pour lui de [traduction] « présenter ses meilleurs arguments » et de recueillir ces éléments de preuve, mais ils sont nécessaires. L’article 214 des Règles dispose clairement que la partie qui répond à une requête en jugement sommaire ne peut se fonder sur un élément qui « pourrait » être produit ultérieurement.

[86] De plus, selon la preuve au dossier de la Cour, rien n’étaye la prétention selon laquelle les dossiers de la défenderesse sont sélectifs ou qu’ils ne sont pas exacts. Les témoignages d’autres personnes qui ont pris du Lupron ne prouveraient pas les allégations de M. Sipos. De plus, au moins une question déterminante demeurerait la même si d’autres éléments de preuve étaient produits.

[87] J’estime que la preuve permet à la Cour d’établir les faits nécessaires pour trancher la présente affaire.

A. L’État n’est pas responsable du comportement reproché

[88] Monsieur Sipos n’a pas établi l’existence d’un fondement juridique quant à la responsabilité de la défenderesse. Outre l’allégation de M. Sipos selon laquelle SCC n’aurait pas respecté l’entente, les omissions et les actes qui selon lui engagent la responsabilité délictuelle ou qui sont contraires à la Charte – à savoir le fait de lui avoir irrégulièrement prescrit et administré des injections de Lupron sans son consentement éclairé – ont été commis par des médecins ou des psychiatres (ou des infirmiers agissant sur leurs ordres) qui l’ont traité et qui ont surveillé régulièrement sa santé.

[89] Ces psychiatres et autres médecins étaient, selon la preuve par affidavit non contredite de la défenderesse – en particulier l’affidavit de M. Irving – des entrepreneurs indépendants, et non des employés de SCC ou d’autres préposés de l’État aux dates pertinentes.

[90] La jurisprudence établit que le comportement fautif de médecins qui sont des entrepreneurs indépendants n’engage pas la responsabilité du fait d’autrui de SCC (Walker, au para 35; Hickey c Canada, 2007 CF 246 au para 90; Oswald c Canada, 1997 CanLII 16271 (CF) [Oswald]; Rice c Canada, 2018 CF 983 au para 6 [Rice]).

[91] Dans la décision Walker, un détenu a affirmé qu’il avait subi une blessure alors qu’il travaillait à l’Établissement Frontenac et que les soins médicaux qui lui avaient été prodigués étaient inadéquats. S’agissant de la requête en jugement sommaire présentée par la défenderesse, la Cour supérieure a conclu qu’il n’existait aucune véritable question litigieuse, notamment parce que la faute médicale reprochée aux médecins traitants n’engage pas la responsabilité de l’État. La Cour supérieure a fait les remarques suivantes aux paragraphes 35‑36 :

[TRADUCTION]

Enfin, il n’existe aucune véritable question nécessitant la tenue d’un procès relativement à la question de savoir si les actes ou les omissions des médecins défendeurs engagent la responsabilité l’État défendeur. Rien dans la preuve ne démontre que M. Walker a reçu des soins médicaux inadéquats. Quoi qu’il en soit, selon la preuve incontestée, le Dr Campbell et la Dre Wyatt ne sont pas des employés de l’État défendeur et ils fournissent des services médicaux à M. Walker à titre d’entrepreneurs indépendants.

S’agissant de l’allégation selon laquelle les conditions dans les hôpitaux où M. Walker a été traité engagent la responsabilité de l’État défendeur, l’alinéa 3b)(ii) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50, dispose que l’État est responsable des dommages causés par les manquements aux obligations liées à la propriété, à l’occupation, à la possession ou à la garde de biens. Selon la preuve incontestée, SCC n’a aucune obligation liée à la propriété, à l’occupation, à la possession ou à la garde des hôpitaux où M. Walker a été traité.

[92] Dans la décision Oswald, le demandeur affirmait avoir été victime de négligence en raison de souffrances causées par une intervention chirurgicale qu’il avait subie et par le traitement postopératoire inadéquat qu’il a reçu alors qu’il était incarcéré à l’Établissement de Warkworth. La Cour a conclu, entre autres choses, que les actes reprochés n’engageaient pas la responsabilité du fait d’autrui de SCC. La Cour s’est fondée sur la disposition législative qui est devenue l’alinéa 3b)(i) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50, et sur la définition de « préposés » de l’État qui y était énoncée. La Cour a souligné l’existence d’une distinction entre cette loi et la loi provinciale équivalente de la Colombie‑Britannique, laquelle visait explicitement les entrepreneurs indépendants, et elle a conclu que les actes d’entrepreneurs indépendants n’engageaient pas la responsabilité de SCC en l’absence d’un devoir de prudence indépendant qui ne peut être délégué. La Cour a conclu que SCC peut s’acquitter de son obligation prévue par la common law d’offrir des soins de santé aux personnes incarcérées, reflétée dans les dispositions législatives pertinentes, en retenant, par contrat, les services de professionnels de la santé qualifiés.

[93] De même, dans la décision Rice, la Cour a conclu qu’il n’existait aucune véritable question litigieuse et a fait remarquer, entre autres, ce qui suit au para 6 :

[…] La seule défenderesse, soit Sa Majesté la Reine, n’est pas responsable des actes des médecins en l’espèce, puisqu’ils fournissaient leurs services en vertu d’un contrat et n’étaient donc ni des fonctionnaires ni des mandataires de l’État en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50.

[94] Les circonstances propres à M. Sipos ne sont pas différentes. La preuve incontestée démontre que les médecins et les psychiatres qui ont traité M. Sipos sont des entrepreneurs indépendants.

[95] J’estime que rien n’établit l’existence d’un fondement juridique quant à la responsabilité de l’État.

[96] Je tiens également à faire remarquer que la preuve (par exemple, les pièces jointes à l’affidavit de M. Dye, qui comprennent les notes cliniques des psychiatres et d’autres médecins qui ont surveillé la santé physique et mentale de M. Sipos), montre qu’ils étaient conscients des effets secondaires possibles. Les notes cliniques montrent qu’ils ont régulièrement demandé à M. Sipos s’il souffrait d’effets secondaires et qu’ils ont consigné ceux que M. Sipos déclarait, ainsi que d’autres problèmes qui n’avaient peut‑être aucun lien avec son traitement par Lupron. De plus, les pièces montrent que M. Sipos a présenté plusieurs demandes en vue d’obtenir des services de santé relativement à un éventail de problèmes – qu’il s’agisse d’une infection fongique aux orteils, d’une fasciite plantaire ou de problèmes gastro‑intestinaux –, pour lesquels il a obtenu des rendez‑vous avec les fournisseurs de soins de santé compétents.

[97] La preuve de la défenderesse comprend des dossiers complets qui font état des médicaments administrés à M. Sipos – dont le Lupron, l’ASA, le Metamucil et d’autres médicaments prescrits pour des malaises ou des problèmes de santé particuliers – et de la date à laquelle ils ont été administrés pendant l’incarcération de M. Sipos.

[98] Bien que M. Sipos affirme aujourd’hui avoir subi de nombreux effets secondaires, les dossiers cliniques montrent qu’il n’en a déclaré que quelques‑uns. Comme je l’ai mentionné, sa santé était surveillée régulièrement. Par exemple, le dossier clinique de la Dre Skladman, daté du 24 mai 2013, indique qu’ils ont eu une discussion au sujet de l’ostéoporose, mais que l’examen de la densité osseuse [traduction] « n’a permis de déceler aucune pathologie ». Les notes de la Dre Skladman indiquent qu’elle a expliqué à M. Sipos qu’aucune raison médicale ne justifiait qu’il prenne du Lupron et qu’il pouvait décider de cesser d’en prendre.

[99] Les dossiers cliniques du Dr Louw font état de sa recommandation selon laquelle le Lupron pourrait être le [traduction] « responsable » de problèmes d’estomac non précis dont il souffrait; toutefois, M. Sipos a refusé de suivre la recommandation d’interrompre la prise de Lupron.

B. Rien dans la preuve n’établit l’existence d’une entente avec SCC

[100] Rien dans la preuve n’établit qu’une entente est intervenue entre SCC et M. Sipos, selon laquelle il serait transféré vers un établissement à sécurité minimale à la condition qu’il prenne du Lupron. Par conséquent, rien ne démontre le non‑respect d’une entente justifiant une action en justice.

[101] Le fait pour M. Sipos d’avoir demandé le traitement par Lupron et son consentement aux injections de Lupron [traduction] « parce qu’il s’attendait, en contrepartie du traitement » à être éventuellement transféré vers un établissement à sécurité minimale n’établissent pas l’existence d’une entente, et ils ne permettent pas non plus d’en inférer l’existence.

[102] La défenderesse ne conteste pas que M. Sipos entretenait cet espoir et elle reconnaît qu’il en a discuté avec ses agents de libération conditionnelle. Les notes cliniques des médecins qui ont traité M. Sipos reflètent également qu’il espérait que le traitement au Lupron mène à son transfèrement.

[103] Par exemple, dans son dossier clinique daté du 15 novembre 2010, la Dre Skladman mentionne que M. Sipos lui a dit qu’il avait été recommandé pour un transfèrement vers un établissement à sécurité minimale, à la condition que sa dose de Lupron soit augmentée. Elle ajoute qu’elle ignorait si cette augmentation était justifiée et qu’elle craignait que M. Sipos essaie de la manipuler.

[104] Les pièces jointes à l’affidavit de M. Zuber montrent que M. Sipos a fait l’objet d’évaluations annuelles (et semestrielles après 2013) afin de déterminer sa cote de sécurité. Les évaluations sont rigoureuses et tiennent compte de nombreux facteurs pertinents, y compris le fait que M. Sipos prenait du Lupron. Les évaluations de la cote de sécurité montrent, dans tous les cas, que M. Sipos était toujours maintenu au niveau de sécurité moyenne. Selon les auteurs de deux des rapports (en 2012 et en 2013), bien que M. Sipos ait obtenu une note qui le plaçait à peine au niveau de sécurité minimale, leur conclusion générale était néanmoins qu’il devait être maintenu au niveau moyen.

[105] La preuve démontre que M. Sipos a reconnu que le traitement par Lupron ne mènerait pas à son transfèrement vers un établissement à sécurité minimale. De plus, selon le témoignage de M. Dye, M. Sipos a dit, au moment où il a cessé de prendre du Lupron en 2014, qu’il envisagerait de reprendre le traitement si la prise de ce médicament devenait plus tard un facteur pour l’obtention d’une libération conditionnelle.

[106] Dans l’ensemble, la preuve étaye la conclusion selon laquelle M. Sipos croyait et espérait que son traitement au Lupron mène à son transfèrement vers un établissement à sécurité minimale. Toutefois, il savait avant de cesser d’en prendre – et bien avant d’intenter son action –, que le traitement par Lupron ainsi que plusieurs autres facteurs avaient été pris en compte dans ses évaluations annuelles, et qu’ils n’avaient pas mené à son transfèrement. La preuve montre également que les agents de libération conditionnelle de M. Sipos et ses psychiatres et médecins traitants étaient au courant de son espoir d’être transféré et du fait qu’il continuait de prendre du Lupron pour atteindre cet objectif. Cependant, la preuve ne permet pas de conclure à l’existence d’une entente ou d’une contrepartie convenue avec SCC selon laquelle il serait transféré s’il prenait du Lupron ou pour cette raison. Comme le souligne la défenderesse, et comme le reflètent les évaluations annuelles, plusieurs facteurs sont pris en compte pour déterminer la cote de sécurité.

[107] Je tiens à faire remarquer que M. Sipos aurait pu faire connaître son insatisfaction concernant sa cote de sécurité et son maintien en détention dans un établissement à sécurité moyenne au moyen d’un grief. À l’instruction de la requête de la défenderesse, M. Sipos a exposé les raisons pour lesquelles il n’avait pas opté pour un grief, notamment les longs délais que comporte le processus de règlement des griefs. Quoi qu’il en soit, M. Sipos connaissait la procédure qui lui permettait de contester sa cote de sécurité.

C. Le délai de prescription applicable

[108] Vu que j’ai conclu que la responsabilité de SCC n’est pas engagée et qu’il n’existe aucune preuve d’une entente ou du non‑respect d’une telle entente, et vu que ces questions sont déterminantes, l’action de M. Sipos peut être rejetée sommairement. Le délai de prescription applicable n’a aucune incidence sur ces conclusions.

[109] La défenderesse souligne que l’interaction du paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, et de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’état et le contentieux administratif rend applicable la Loi de 2002 sur la prescription des actions, LO 2002, c 24, annexe B [la Loi sur la prescription], de l’Ontario; par conséquent, l’action se prescrit par deux ans à compter du fait générateur, à moins d’une disposition contraire.

[110] La preuve au dossier étaye la conclusion selon laquelle M. Sipos était au courant ou aurait dû être au courant des effets secondaires du Lupron avant de recevoir sa dernière injection. Il ne s’est pas rendu compte des effets secondaires qu’il a pu ressentir uniquement après avoir reçu en 2019 la note de service de 2017. Selon la preuve, M. Sipos savait que la prescription du Lupron n’était pas justifiée pour des raisons médicales, mais plutôt pour réduire ses pulsions sexuelles dans le cadre d’un plan de gestion plus général. Les notes du Dr Oliver renvoient au [traduction] « consentement éclairé » de M. Sipos, et les notes de la Dre Skladman indiquent qu’elle a expliqué que le traitement était offert sur une base volontaire et à la demande de M. Sipos. D’après les notes cliniques de tous les médecins, [traduction] « aucun effet secondaire n’est déclaré » ou certains problèmes ou préoccupations (lesquels ne sont pas tous des effets secondaires potentiels du Lupron) sont déclarés.

[111] Comme je l’ai mentionné, M. Sipos conteste qu’un délai de prescription s’applique à son action, et il s’appuie sur une ou plusieurs des exceptions prévues aux alinéas 16(1)h), 16(1)h.1) et 16(1)h.2) de la Loi sur la prescription pour affirmer que les voies de fait qu’il a subies du fait d’avoir reçu des injections de Lupron constituent une agression sexuelle, ou, s’il ne s’agit que d’une simple agression, pour affirmer que cette agression aurait été commise par ceux avec qui il avait une relation de dépendance. Toutefois, M. Sipos n’invoque aucune décision pour appuyer son point de vue selon lequel ce comportement peut être qualifié d’agression sexuelle ou relève de l’exception relative aux relations de dépendance. Les prétentions de M. Sipos soulèvent un point intéressant, mais pas de véritable question litigieuse, puisque son action contre la défenderesse est mal fondée.

IX. Les dépens

[112] En général, la partie qui a gain de cause a droit à ses dépens. En l’espèce, les dépens pourraient être adjugés à la défenderesse. Comme je l’ai mentionné à l’instruction de la présente requête, condamner une personne incarcérée, dont la capacité de gagner un revenu est limitée, à payer les dépens – même très modestes, comme le suggère la défenderesse –, revient à lui imposer une obligation plus lourde qu’à d’autres parties. Il est certes possible de condamner aux dépens des personnes incarcérées, mais je refuse de le faire en l’espèce.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

  1. La requête en jugement sommaire de la défenderesse est accueillie.

  2. L’action du demandeur est rejetée dans son intégralité;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

[Linda Brisebois]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1413‑19

 

INTITULÉ :

JAMES SIPOS c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 janvier 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 21 février 2022

 

COMPARUTIONS :

James Sipos

 

POUR son propre ComPTE

 

Vanessa Wynn‑Williams

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aucun

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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