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Date : 20220328


Dossier : IMM‑3109‑20

Référence : 2022 CF 422

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 28 mars 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

BALJINDER SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision [la décision] d’un agent d’immigration [l’agent] du Haut‑commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, communiquée dans une lettre datée du 25 juin 2020. Par cette décision, l’agent a rejeté la demande de permis de travail du demandeur et a déclaré ce dernier interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Comme il est expliqué plus en détail ci‑dessous, la présente demande est accueillie, puisque l’agent n’a pas tenu compte de l’exception relative à l’erreur de bonne foi, qui peut s’appliquer afin d’éviter que soit tirée une conclusion d’interdiction de territoire pour fausses déclarations aux termes du paragraphe 40(1) de la LIPR. Comme l’agent était saisi d’éléments de preuve et d’observations à l’appui de l’application de cette exception, le fait que l’agent n’ait pas procédé à une analyse sérieuse de l’exception rend la décision déraisonnable.

II. Contexte

[3] Le demandeur, M. Baljinder Singh, est un citoyen de l’Inde qui, en février 2020, a présenté une demande de permis de travail temporaire dans le but de travailler au Canada en tant que conducteur de grand routier. Il a joint à sa demande une offre d’emploi d’une entreprise appelée New Millenium Transport Ltd [New Millenium], laquelle avait auparavant obtenu auprès d’Emploi et Développement social Canada une étude d’impact sur le marché du travail favorable pour trois postes de conducteur de grand routier rémunérés à un taux horaire de 23,98 $ pour 50 heures par semaine.

[4] Comme l’indiquent les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], un agent d’immigration chargé d’examiner la demande a constaté que l’adresse de New Millenium était une adresse domiciliaire et il n’a pu trouver aucun renseignement de source ouverte concernant l’entreprise. Puisque l’agent craignait que l’offre d’emploi ne soit pas authentique, une lettre d’équité procédurale [la LEP] a été envoyée au demandeur le 6 avril 2020. Il y était fait mention de doutes quant à l’authenticité de l’offre d’emploi faite au demandeur en raison de la taille de l’entreprise censée l’employer. Selon la LEP, le demandeur devait obtenir auprès de son employeur divers documents et renseignements et les fournir à l’agent afin que celui‑ci puisse évaluer sa demande.

[5] Le 18 avril 2020, le consultant en immigration du demandeur a fourni, au nom de ce dernier, une réponse à la LEP accompagnée de divers documents. Les notes consignées dans le SMGC en date du 22 juin 2020 indiquent que l’analyse suivante a été faite de la réponse :

[traduction]
La réponse à la LEP a été examinée. Le T4 Sommaire de versement de 2019 indique que 14 feuillets T4 ont été produits pour un total de 274 295 $. Le T4 Sommaire de versement de 2018 indique que 13 feuillets T4 ont été produits pour un total de 203 416 $. En 2019, 14 employés auraient gagné environ 19 592 $. Cependant, si 3 de ces employés étaient des conducteurs permanents qui touchaient 23,98 $ l’heure et travaillaient 40 heures par semaine durant 52 semaines, ceux‑ci auraient gagné 49 878 $. Si 3 conducteurs permanents avaient gagné 149 635 $, les 11 autres employés se seraient partagé les 124 660 $ restants, soit un peu plus de 11 000 $ chacun. Pour janvier 2020, l’employeur indique que 3 employés ont reçu un traitement de 3 594,50 $ seulement, ou un salaire d’à peine 1 300 $. Pour février 2020, l’employeur indique que 3 employés ont reçu un traitement de 11 310 $. S’il s’agissait de conducteurs permanents, il semble qu’ils n’aient, à aucun moment, été payés un montant équivalent à celui prévu par le contrat signé par le demandeur. Je ne suis pas convaincu que l’employeur éventuel serait en mesure de respecter les conditions énoncées dans l’offre d’emploi. Je ne suis donc pas convaincu qu’il s’agit d’une offre d’emploi authentique, aux termes de la division 200(1)c)(ii.1)(A) du Règlement, puisque l’offre ne semble pas correspondre aux besoins légitimes en main‑d’œuvre de l’employeur. En outre, selon les renseignements qui figurent au dossier et la réponse à la LEP, je suis d’avis que le demandeur principal a présenté une offre d’emploi non authentique dans le seul but d’obtenir un permis de travail canadien et qu’une présentation erronée relativement à ce fait important aurait pu entraîner des erreurs dans l’application de la loi. Demande de révision finale.

[6] Les notes consignées dans le SMGC contiennent aussi l’entrée suivante datée du 25 juin 2020, date à laquelle l’agent a envoyé au demandeur la lettre l’informant de la décision :

[traduction]
40(1) Emport[e] interdiction de territoire pour fausses déclarations l[e] fai[t] suivan[t] : a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi. J’ai examiné la demande, les documents à l’appui et les notes concernant la demande. Le demandeur a présenté une demande de permis de travail afin d’entrer au Canada en tant que résident temporaire. Au cours de l’examen de la demande, l’offre d’emploi présentée à l’appui de la demande a suscité des doutes. Des vérifications ont été effectuées par ce bureau et il a été confirmé que le demandeur avait présenté une offre d’emploi non authentique. Une lettre d’équité procédurale a été envoyée au demandeur pour lui offrir la possibilité de dissiper les doutes de l’agent. La lettre faisait mention des doutes en question ainsi que des conséquences d’une conclusion tirée au titre de l’article 40 de la Loi, y compris l’interdiction d’entrer au Canada pendant cinq ans. Le demandeur a répondu à la lettre, mais sa tentative de dissiper les doutes énoncés ne m’a pas convaincu. À mon avis, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur a présenté des documents non authentiques à l’appui de la demande de permis de travail. Une offre d’emploi est importante dans l’évaluation de l’admissibilité à un permis de travail et de l’intention de l’employeur d’embaucher le demandeur en tant que travailleur étranger temporaire. Le fait de considérer l’offre d’emploi comme authentique aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi, puisque l’agent aurait pu accorder, à tort, un permis de travail au demandeur s’il avait cru que le demandeur avait reçu une offre d’emploi authentique au Canada et qu’il était un véritable travailleur étranger temporaire ayant réellement l’intention de travailler au Canada. Par conséquent, je suis d’avis que le demandeur est interdit de territoire au Canada aux termes de l’article 40 de la Loi. La présente demande est rejetée au titre de l’article 40 de la Loi. Aux termes de l’alinéa 40(2)(a) de la Loi, si un résident permanent ou un étranger a été déclaré interdit de territoire pour fausses déclarations, l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la date de la lettre de refus, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays.

[7] Le 16 juillet 2020, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision. Dans ses arguments, il conteste le caractère raisonnable de la décision.

III. Analyse

[8] Ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire repose sur l’argument du demandeur selon lequel, compte tenu des faits de l’espèce, l’agent devait tenir compte de l’exception à l’interdiction de territoire dans le cas d’une erreur de bonne foi, ce qu’il n’a pas fait.

[9] Pour faire valoir l’application de cette exception, qui est appuyée par la jurisprudence comme je l’expliquerai plus loin, le demandeur soutient qu’il ne connaissait rien des finances et des activités de New Millenium avant qu’il lui soit demandé de répondre à la LEP. Par conséquent, au moment où il a présenté sa demande de permis de travail, il n’était pas au fait des renseignements ou de l’analyse qui ont mené l’agent à conclure que New Millenium ne serait pas en mesure de respecter ses conditions d’emploi, que l’offre lui ayant été transmise par New Millenium ne correspondait pas aux besoins légitimes en main‑d’œuvre de l’entreprise et que l’offre n’était donc pas authentique.

[10] S’appuyant sur ces faits, le demandeur affirme que l’exception relative à l’erreur de bonne foi s’applique pour éviter une conclusion d’interdiction de territoire ou, à tout le moins, que l’agent était tenu de prendre en compte l’application de cette exception. Bien que le demandeur reconnaisse qu’il était loisible à l’agent de conclure que l’offre n’était pas authentique et, par conséquent, de rejeter sa demande de permis de travail, il soutient qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure, par le fait même, qu’il avait fait une fausse déclaration entraînant une interdiction de territoire, et ce, sans tenir compte de l’exception relative à l’erreur de bonne foi.

[11] En réponse à ces arguments, le défendeur souligne que le libellé de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR prévoit que l’interdiction de territoire peut découler du fait de faire, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait, et que l’alinéa 40(1)a) peut s’appliquer même si la présentation erronée a été faite par un tiers et que le demandeur n’en avait, ou prétend n’en avoir eu, aucune connaissance (voir Zolfagharian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1455 [Zolfagharian] aux para 20‑21).

[12] En outre, le défendeur s’appuie sur les dispositions pertinentes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. Aux termes de la division 200(1)(ii.1)(A) du RIPR, un agent peut délivrer un permis seulement si, à l’issue d’un contrôle, il est établi que l’offre d’emploi est authentique. Le paragraphe 200(5) précise, quant à lui, les facteurs sur lesquels un agent doit se fonder pour évaluer l’authenticité d’une offre d’emploi. Ces facteurs consistent notamment à savoir si l’offre correspond aux besoins légitimes en main‑d’œuvre de l’employeur et si l’employeur peut raisonnablement respecter les conditions de l’offre. Le défendeur souligne qu’il s’agit là des facteurs sur lesquels l’agent s’est appuyé pour conclure que le demandeur avait présenté une offre d’emploi non authentique.

[13] Sur le plan du droit, je suis d’accord avec les observations du défendeur. Cependant, comme il est expliqué plus en détail dans Zolfagharian, si même une omission innocente de fournir des renseignements importants peut mener à une conclusion d’interdiction de territoire, la jurisprudence reconnaît aussi qu’une exception restreinte peut s’appliquer dans le cas où un demandeur peut démontrer qu’il croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne cachait pas de renseignements importants (au para 22). Un agent peut commettre une erreur susceptible de révision s’il ne procède pas à une analyse sérieuse de l’exception relative à l’erreur de bonne foi alors que des éléments de preuve semblent appuyer son application (voir Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117).

[14] Le défendeur soutient qu’une telle analyse est inhérente au raisonnement et à la conclusion de l’agent voulant que le demandeur ait présenté une offre d’emploi non authentique. Je suis d’avis que la décision ne comporte pas une telle analyse. La conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur a présenté une offre d’emploi non authentique à l’appui de sa demande de permis de travail est le fruit de l’application, par l’agent, des facteurs prévus au paragraphe 200(5) du RIPR à la preuve. L’analyse effectuée ne portait ni sur l’élément subjectif de l’exception relative à l’erreur de bonne foi, soit la question de savoir si le demandeur croyait honnêtement qu’il ne faisait pas de fausse déclaration, ni sur l’élément objectif de l’exception, soit la question de savoir s’il était raisonnable pour lui, eu égard aux faits, de croire qu’il ne faisait pas de fausse déclaration. Selon moi, l’agent n’a réalisé aucune analyse sérieuse, voire aucune analyse du tout, pour établir si l’exception relative à l’erreur de bonne foi s’appliquait.

[15] Cela dit, je n’affirme pas qu’un agent des visas chargé d’examiner l’application de l’alinéa 40(1)a) doit, dans tous les cas, tenir compte de l’exception relative à l’erreur de bonne foi et en faire l’analyse. Cependant, en l’espèce, il était expliqué dans les observations présentées par le demandeur en réponse à la LEP que le demandeur était surpris que l’authenticité de l’offre d’emploi faite par New Millenium soit mise en doute, que les renseignements demandés dans la LEP étaient ceux de l’employeur tiers et que le demandeur ne devrait pas être exposé aux conséquences d’une interdiction de territoire découlant de doutes quant à la capacité de l’entreprise d’un employeur. À l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, le défendeur a reconnu qu’il était mentionné dans ces observations, implicitement du moins, que le demandeur n’avait aucunement l’intention de faire une fausse déclaration dans sa demande de permis de travail. Compte tenu de ces observations, et du fait que la fausse déclaration reprochée au demandeur se rapporte aux renseignements financiers et opérationnels d’un employeur tiers avec lequel il n’a pas de lien de dépendance, je suis convaincu que l’agent était tenu de se demander si l’exception relative à l’erreur de bonne foi s’appliquait et que son défaut de le faire rendait sa décision déraisonnable.

[16] Du fait de cette conclusion, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et il n’est pas nécessaire pour la Cour de se pencher sur les autres arguments avancés par le demandeur pour contester la décision.

[17] Aucune des parties ne propose de question à certifier aux fins d’un appel, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑3109‑20

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3109‑20

INTITULÉ :

BALJINDER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Richard Kurland

Pour le demandeur

Courtenay Landsiedel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kurland, Tobe

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

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