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Date : 20040521

Dossier : IMM-2511-03

Référence : 2004 CF 724

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY                          

ENTRE :

                                                ISTUANNE SUHA, LILLA SUHA ET

VIKTORIA ARANKA SUHA

                                                                                                                                     demanderesses

                                                                             et

                                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demanderesse adulte, Istuanne Suha, et ses deux filles, Lilla Suha et Viktoria Suha, demandent le contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 mars 2003 par S. Morgan, agente d'examen des risques avant renvoi (l'agente d'ERAR). Dans cette décision, l'agente d'ERAR a rejeté la demande d'examen des risques avant renvoi (demande d'ERAR) des demanderesses au motif qu'elles n'étaient pas réputées être des personnes exposées à un risque de persécution, de torture, de menace à leur vie ou à des traitements ou peines cruels ou inusités ou à des sanctions si elles devaient rentrer en Hongrie.


QUESTION EN LITIGE

[2]                Bien que les demanderesses aient soulevé plusieurs questions, la question suivante est déterminante dans cette affaire : l'agente d'ERAR a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que les demanderesses pouvaient jouir de la protection de l'État?

[3]                Pour les motifs qui suivent, j'accueillerai la présente demande.

LES FAITS


[4]                Les faits sont tirés de la décision de l'agente d'ERAR et du mémoire de la demanderesse. La demanderesse adulte craint d'être persécutée en Hongrie, et elle croit qu'en tant que lesbienne, personne d'ethnie rom et victime de violence conjugale, une protection adéquate ne lui serait pas offerte par l'État. La crainte des demanderesses mineures vient des mauvais traitements qu'elles ont subis aux mains de leur père, et du fait qu'elles sont de l'ethnie rom. La mère est venue au Canada en 2000 avec sa fille cadette et sa mère. Elle a présenté une demande de statut de réfugié. Alors qu'elle se trouvait au Canada, elle a tenté de faire venir ses deux autres filles qui se trouvaient avec la famille de son mari. Son mari lui a téléphoné, a menacé de la tuer et a dit qu'elle pouvait avoir les enfants, mais seulement si elle allait les chercher elle-même. Elle a alors retiré sa demande de statut de réfugié ainsi que celle de sa fille. Elle est rentrée en Hongrie en mars 2001. Son mari a commencé à la suivre et il l'a battue dans la rue le 17 mars 2001; il a emmené la fille cadette de la demanderesse avec lui. La belle-soeur de la demanderesse a appelé la police mais cette dernière a dit qu'elle n'interviendrait pas dans une affaire familiale et a dit à la demanderesse que son mari avait raison de la battre parce qu'elle était lesbienne. Comme son mari a continué à lui proférer des menaces, la demanderesse est revenue au Canada à titre de visiteur à la fin de mars 2001. La demanderesse est encore une fois rentrée en Hongrie le 30 septembre 2001 pour tenter de récupérer ses enfants, et elle en a effectivement au moins obtenu la garde temporaire. La demanderesse est retournée au Canada en novembre 2001 avec ses deux plus jeunes enfants, laissant l'aînée derrière elle parce qu'elle n'avait pas les moyens de payer son passage. La demanderesse a su par l'entremise de la soeur de son mari que son mari lui profère des menaces. Les filles aînées ont été victimes d'agressions en raison de leur origine rom, et la cadette a reçu des menaces.     

[5]                Parce que la demanderesse adulte et Viktoria ont demandé le statut de réfugiées antérieurement, elles sont réputées ne pas être éligibles au renvoi de leurs demandes à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, maintenant qu'elles sont de retour au Canada. Leurs demandes, ainsi que la demande de Lilla, ont plutôt été traitées par une agente d'ERAR.

DÉCISION CONTESTÉE


[6]                L'agente d'ERAR n'a pas tiré de conclusions défavorables sur la crédibilité. Elle ne conteste pas le fait que la demanderesse adulte est lesbienne, que les demanderesses ont été victimes d'agressions aux mains de leur mari et de leur père respectivement, et que le mari battait à la fois la demanderesse adulte et leurs filles. Ayant étudié la preuve documentaire ainsi que les tentatives de la demanderesse adulte de se prévaloir de la protection de l'État, l'agente d'ERAR a tiré la conclusion que les demanderesses pouvaient bénéficier de la protection de l'État en Hongrie et a donc rendu une décision défavorable.

ANALYSE

[7]                Dans la décision sur l'ERAR dans la présente affaire, la question de la crédibilité n'était pas soulevée. La décision était fondée sur le fait que les demanderesses n'avaient pas qualité de personnes à protéger parce qu'elles pouvaient bénéficier de la protection de l'État. Les demanderesses ont prétendu craindre de rentrer en Hongrie parce qu'elles sont d'origine rom, parce qu'elles craignent le mari abusif de leur mère et parce qu'elles craignent d'être persécutées en raison de l'orientation sexuelle de leur mère.

[8]                Le défendeur allègue qu'il existe une présomption selon laquelle l'État est en mesure de protéger les demanderesses (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Le fardeau de prouver que la protection de l'État n'est pas disponible revient au demandeur.


[9]                L'agente d'ERAR a commis une erreur en se fondant sur la disponibilité de ressources à l'extérieur du gouvernement et de la police dont les demanderesses pourraient bénéficier. Il s'agit ici d'actes nature criminelle. La preuve montre que lors du dernier séjour de la demanderesse en Hongrie, elle a été suivie et agressée dans la rue par son mari dans les deux premières semaines suivant son retour là-bas. Il l'a battue jusqu'à ce qu'elle perde connaissance et a tenté de la poignarder avec un couteau. Auparavant, il avait réussi à retracer la demanderesse après avoir menacé la femme avec laquelle elle vivait, en tenant un rasoir droit sur sa gorge. La demanderesse a cherché sans succès à obtenir la protection de l'État. Dans la décisionMolnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1081, [2003] 2 C.F. 339 (1re inst.), la Cour a conclu ce qui suit aux paragraphes 33 et 34 :

[33]          Quant à la volonté de l'État de régler la situation des Roms en Hongrie, je constate que la Commission était saisie d'une preuve importante démontrant que le gouvernement hongrois avait pris des mesures en ce sens. Toutefois, ceci ne peut être décrit comme une protection adéquate de l'État [...]

[34]          [...] Cette preuve démontre que les Roms vivant en Hongrie craignent à la fois les policiers et le processus judiciaire, puisqu'ils sont victimes de la violence policière et d'un appareil judiciaire qui appuie et même encourage la violence exercée à leur égard.

[10]            Le dossier du tribunal montre qu'une telle preuve documentaire a été déposée. Dans Molnar, précitée, la Cour a ajouté ceci au paragraphe 28 :

[...] il est important [selon moi] de faire une distinction entre les actes qui constituent de la discrimination et ceux qui sont de nature criminelle. Les organisations citées par la Commission ont réussi à diminuer la discrimination contre les Roms. Toutefois, l'objectif de ces organisations n'est pas de protéger les gens face à des actes criminels. C'est là le rôle de la police.

Comme je l'ai dit précédemment, dans la présente affaire il n'est pas question de conclusions de l'agente d'ERAR sur la crédibilité des demanderesses.

[11]            Vu les faits incontestés de la présente affaire et la preuve documentaire fournie, je conclus que l'agente d'ERAR a commis une erreur susceptible de contrôle en tirant la conclusion selon laquelle il n'existait pas plus qu'une simple possibilité de persécution dans l'avenir du fait de l'identité sexuelle de la demanderesse ou de son statut de Rom. L'agente d'ERAR a également commis une erreur lorsqu'elle a dit que la demanderesse n'avait pas démontré que l'État ne prendrait aucune mesure pour réagir contre les actes criminels de son ex-mari.                        

[12]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[13]            Les avocats ont eu la possibilité de soulever une question de portée générale et ne l'ont pas fait. Aucune question n'est certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen. Aucune question de portée générale ne sera certifiée.

                                                                               « Michel Beaudry »          

                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2511-03

INTITULÉ :                                                    SHUREMA VALENSIA (VALENSI) JAFFIER

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 27 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 21 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton                                                  POUR LES DEMANDERESSES

Mielka Visnic                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ronald Poulton                                                  POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)                                             

Morris A. Rosenberg                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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