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Date : 20220404


Dossier : IMM-2518-21

Référence : 2022 CF 469

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2022

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

DEEPAK KANDA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Deepak Kanda, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 29 mars 2021 par un agent principal d’immigration [l’agent], qui a refusé de lui accorder une dispense de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente, fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, depuis l’extérieur du Canada.

[2] Le demandeur est un citoyen de l’Inde. Il est arrivé au Canada en avril 2015 et quatre (4) mois plus tard, il a demandé l’asile au motif qu’il craignait les autorités policières locales de son pays, qui auraient agi de connivence avec des individus responsables de l’échec de ses démarches d’immigration en Australie.

[3] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile du demandeur en novembre 2015. La SPR a conclu que, bien que le demandeur n’ait pas été crédible sur un élément important de sa demande, il pouvait bénéficier de la possibilité de refuge intérieur [PRI]. En août 2016, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la SPR. Le demandeur a alors tenté sans succès d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel de cette décision devant la Cour.

[4] Le 16 mars 2020, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente depuis le Canada, invoquant son établissement au Canada, les conditions défavorables en Inde et l’intérêt supérieur de son enfant. Le 29 mars 2021, l’agent a refusé la demande parce qu’il était d’avis que les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas une dispense en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC 2001, c 27 [LIPR].

[5] Bien qu’il soulève plusieurs questions dans son mémoire des arguments, le demandeur attaque essentiellement l’appréciation par l’agent de son établissement au Canada et des difficultés liées aux conditions défavorables en Inde.

II. Analyse

[6] La décision d’accorder ou de refuser une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16 et 17 [Vavilov]; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 aux para 10, 44 [Kanthasamy]). Lorsqu’elle effectue l’examen du caractère raisonnable, la Cour doit s’intéresser à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). Elle doit rechercher « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). Il incombe à la partie qui attaque la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

[7] Le demandeur fait valoir que l’agent a omis de mentionner les éléments de preuve à l’appui de son établissement et cite plusieurs lettres de soutien. Il allègue qu’il était déraisonnable pour l’agent d’écarter tous les éléments de preuve en sa faveur. Il soutient également que l’agent a fait abstraction de la preuve concertant son établissement économique.

[8] Le demandeur ne m’a pas convaincu que l’agent n’a tenu compte d’aucun des éléments de preuve concernant son établissement. L’agent a effectivement tenu compte des lettres de soutien du demandeur portant sur son travail bénévole et son engagement auprès d’organisations religieuses. L’agent a également tenu compte des lettres de soutien d’amis et de connaissances. L’agent a toutefois conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve démontrant l’existence d’une interdépendance entre le demandeur et ces personnes ou d’une dépendance du demandeur à l’égard de ces dernières. De plus, l’agent a conclu que ces documents ne permettaient pas de démontrer un degré important d’établissement. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, l’agent n’avait pas à faire référence à chaque élément de preuve dans sa décision (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16).

[9] De même, l’agent n’a pas fait abstraction de la preuve portant sur l’établissement économique du demandeur. L’agent a examiné la preuve du demandeur concernant son emploi, mais a noté qu’il n’avait occupé un emploi que pendant une période d’environ neuf (9) mois au cours des six (6) années où il a été au Canada et que rien n’expliquait son absence d’emploi le reste du temps, malgré le fait qu’il était en mesure d’obtenir des permis de travail. En outre, l’agent a observé que les éléments de preuve financiers présentés par le demandeur ne portaient que sur de courtes périodes. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait des antécédents d’emploi stable ni de saines habitudes de gestion financière.

[10] En plus d’examiner la preuve concernant l’établissement économique du demandeur, son intégration dans la société canadienne et ses liens sociaux, l’agent a également noté que le demandeur n’avait pas de famille au Canada et que tous les membres de sa famille étaient encore en Inde. L’agent a finalement conclu que les éléments de preuve présentés par demandeur n’ont pas permis de démontrer que le demandeur était bien établi et a accordé peu de poids à ceux-ci dans l’appréciation globale des motifs d’ordre humanitaire.

[11] Le demandeur n’a pas relevé d’erreur susceptible de contrôle dans l’appréciation de son établissement par l’agent. Bien que le demandeur puisse être en désaccord avec l’importance accordée aux éléments de preuve qu’il a présentés, il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve (Vavilov, au para 125).

[12] Le demandeur soutient également que l’agent a commis une erreur dans l’appréciation des difficultés auxquelles il ferait face s’il retournait en Inde. Il allègue que l’agent a examiné la preuve relative aux conditions en Inde sous l’angle des articles 96 et 97 de la LIPR, en se concentrant sur ce qu’il voulait que la preuve contienne, plutôt que sur ce que la preuve elle-même établissait.

[13] Les arguments du demandeur sont sans fondement.

[14] Les motifs de l’agent démontrent que la preuve du demandeur a été examinée sous l’angle approprié. L’agent a expressément noté que les faits sous-jacents devaient être examinés sous l’angle des difficultés et non sous celui de la détermination du statut de réfugié. L’agent a également cité un extrait de l’arrêt Kanthasamy, dans lequel la Cour suprême du Canada a fait remarquer que l’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire (Kanthasamy, au para 23). Après avoir examiné la preuve, l’agent a noté que les difficultés alléguées par le demandeur se rapportaient aux mêmes allégations importantes présentées devant la SPR, la SAR et la Cour dans le cadre de la procédure de contrôle judiciaire. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas présenté d’éléments de preuve suffisants pour établir qu’il ferait face à des difficultés importantes en Inde. En plus d’examiner les allégations du demandeur, l’agent a également fait remarquer que le demandeur ne retournerait pas dans un pays inconnu, puisqu’il y avait passé la majorité de sa vie. Il a fait ses études et a déjà travaillé en Inde. Outre le fait que tous les membres de sa famille résident toujours en Inde, le demandeur n’a pas quitté son pays pendant une longue période, puisqu’il est parti au Canada en 2015. Finalement, l’agent a conclu que le facteur difficultés n’était pas important et lui a accordé peu de poids.

[15] Le demandeur ayant soulevé essentiellement les mêmes allégations que celles qu’il a présentées dans le cadre du processus de détermination du statut de réfugié, on ne peut reprocher à l’agent de constater la similitude des allégations et d’indiquer que le demandeur n’a pas réussi à établir le bien-fondé de sa demande devant la SPR, la SAR et la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire. Je conviens avec le demandeur qu’il ne faut pas faire fi de la preuve d’un danger imminent lorsqu’une demande a été refusée en raison d’une PRI viable, mais la SPR et la SAR avaient des doutes quant à la crédibilité de la crainte subjective du demandeur.

[16] Contrairement à ce que soutient le demandeur, l’agent n’a pas fait abstraction de la preuve de danger imminent qu’il a présentée. L’agent a examiné les éléments de preuve sur ce point, mais leur a accordé peu de poids, car ils contenaient des renseignements obtenus de manière indirecte et n’expliquaient pas comment une personne aurait pris connaissance de pareils renseignements. De plus, les éléments de preuve étaient vagues et insuffisants pour établir que le demandeur était toujours poursuivi et ne permettaient pas de démontrer qu’ils étaient liés à la situation personnelle du demandeur. Les éléments de preuve renvoyaient à des incidents visant d’autres personnes et n’établissaient pas le danger allégué par le demandeur. Compte tenu des éléments de preuve présentés par le demandeur, l’agent pouvait raisonnablement conclure que ceux-ci avaient peu de valeur probante pour établir que le demandeur ferait face à des difficultés s’il retournait en Inde.

[17] Le demandeur a raison d’affirmer que l’agent n’a pas mentionné la décision de la Haute Cour du Pendjab et de Haryana [la Haute Cour] datée de 2013. Toutefois, ce document n’aide aucunement le demandeur, car on y indique que l’affaire entre le demandeur et ses persécuteurs a été réglée en 2013. La SAR a tenu compte de cet élément de preuve lorsqu’elle a évalué la disponibilité d’une PRI viable pour le demandeur. La SAR a également jugé non crédibles les allégations du demandeur selon lesquelles trois (3) ans après le prononcé du jugement de la Haute Cour, ses persécuteurs le poursuivaient toujours pour se venger. Le demandeur ne m’a pas convaincu que cette preuve était importante pour établir les difficultés qu’il a alléguées et que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en ne la mentionnant pas. Comme il est indiqué ci-après, l’agent n’était pas tenu de faire référence à chaque élément de preuve dans ses motifs.

[18] Après avoir examiné les conclusions de l’agent et les éléments de preuve au dossier, je ne vois aucune raison d’annuler la décision de l’agent. Bien que le demandeur puisse être en désaccord avec l’évaluation globale de la preuve par l’agent et l’importance accordée à chaque considération d’ordre humanitaire, la Cour ne peut pas apprécier à nouveau la preuve et attribuer un niveau d’importance différent aux motifs d’ordre humanitaire pertinents dans la présente demande.

[19] Avant de conclure, je voudrais aborder deux (2) autres questions qui ont été soulevées par le demandeur dans son mémoire des arguments.

[20] Premièrement, le demandeur a affirmé qu’en tant que victime de torture, il a une crainte réelle et justifiée d’être soumis à la torture ou à un traitement inhumain ou dégradant à son retour en Inde, et que la décision viole les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11, ainsi que l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants des Nations Unies . Cet argument a déjà été abordé et rejeté à plusieurs reprises, car il est prématuré à ce stade (Sandhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 902 au para 2 (CAF); Ogiemwonyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 346 au para 39; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 341 aux para 17-18; Fares c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 797 aux para 40-44; Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 39 au para 16).

[21] Deuxièmement, le demandeur a également indiqué dans son mémoire qu’il contesterait les conclusions de l’agent sur l’intérêt supérieur de son enfant. Il n’a toutefois présenté aucun argument sur cette question, et son mémoire est muet sur ce point. Je ne l’ai donc pas considéré comme une question en litige dans le cadre de la présente demande.

[22] En conclusion, l’octroi d’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR est un recours exceptionnel et discrétionnaire. Il incombe au demandeur d’établir que cette dispense est justifiée. À la lumière de la preuve et des observations présentées, je suis convaincu que l’agent a examiné et soupesé tous les facteurs soulevés par le demandeur et pouvait donc raisonnablement conclure qu’ils ne justifiaient pas l’octroi d’une dispense de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada. Je suis convaincu que, lorsqu’elle est lue de manière globale et contextuelle, la décision de l’agent répond à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov.

[23] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et je suis d’avis que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2518-21

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié, de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et l’Immigration soit désigné comme défendeur.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B. trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2518-21

INTITULÉ :

DEEPAK KANDA c LEMINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 FÉVRIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 4 avril 2022

COMPARUTIONS :

Miguel Mendez

Pour le demandeur

Zoé Richard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude légale Steven Istvanffy

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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