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Date : 20220404


Dossier : IMM‑4443‑21

Référence : 2022 CF 468

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

AHMED IBRAHIM ABDALLA ELBEIBAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION,

DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue le 17 juin 2021, par laquelle un agent principal [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II. Faits

[2] Le demandeur est un citoyen de la Libye âgé de 31 ans. Les membres de sa famille immédiate – sa mère, son père et ses huit frères et sœurs – vivent en Libye. En 2014, il a obtenu un baccalauréat en administration des affaires. Une fois son diplôme obtenu, il a commencé à travailler pour l’entreprise familiale – une quincaillerie. Il a ensuite présenté une demande pour étudier aux États‑Unis en vue d’obtenir un deuxième diplôme.

[3] En 2011, un mouvement de protestation s’est levé en Libye contre la dictature de Muammar Kadhafi, et des personnes innocentes ont été prises pour cibles par des milices violentes. Bien qu’ils n’aient eux‑mêmes jamais soutenu le régime, le demandeur et les membres de sa famille vivaient dans une région de la Libye considérée comme étant favorable à Kadhafi. Des membres de la famille du demandeur ont pris part à la révolution libyenne, et certains ont été enlevés et tués.

[4] Quelques jours avant son départ prévu pour les États‑Unis en septembre 2015, le demandeur a été enlevé par une milice armée dans la région de Njila. Son frère a payé la rançon exigée par la milice et le demandeur a été libéré. Quelques jours plus tard, le demandeur est parti pour les États‑Unis.

[5] Estimant qu’il n’était pas sans danger de retourner en Libye puisque la situation s’y était détériorée, le demandeur a présenté une demande d’asile aux États‑Unis en décembre 2016. Cependant, en raison de la soi‑disant [traduction] « interdiction visant les musulmans », au titre de laquelle les ressortissants de la Libye, entre autres pays à majorité musulmane, se voyaient interdire l’entrée aux États‑Unis, le demandeur a décidé de quitter les États‑Unis pour le Canada. À son arrivée au Canada en avril 2019, il a présenté une demande d’asile, laquelle a été jugée irrecevable puisqu’il avait déjà présenté une demande d’asile aux États‑Unis. Même si sa demande a été jugée irrecevable, le demandeur n’a pas été renvoyé du Canada puisque la Libye était, et est toujours, visée par un sursis administratif aux renvois [le SAR].

[6] Pendant son séjour au Canada, le demandeur a obtenu plusieurs permis de travail, dont le plus récent était valide jusqu’au 27 janvier 2022. Il a en outre suivi des cours au Canada pour améliorer ses compétences linguistiques en français.

[7] En mars 2021, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La demande s’appuyait sur son établissement au Canada et sur les difficultés auxquelles il serait exposé s’il était renvoyé en Libye.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[8] Le 17 juin 2021, l’agent a rejeté la demande. Il n’était pas convaincu que la preuve produite par le demandeur suffisait à établir qu’il était justifié de lui accorder une dispense pour motifs d’ordre humanitaire sur le fondement des conditions défavorables dans le pays et de son établissement.

IV. La question en litige

[9] La question en litige consiste à savoir si la décision est raisonnable.

V. Norme de contrôle

[10] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, qui a été rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], les juges majoritaires ont expliqué les caractéristiques nécessaires à la décision raisonnable et, il importe de le souligner pour les besoins de l’espèce, ce qui est attendu d’une cour de révision lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[11] Dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 86, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit : « [...] il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. » En outre, la Cour suprême a donné la directive selon laquelle la cour de révision doit en arriver à une décision en fonction du dossier dont elle dispose :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle‑ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : par. 48.

[Non souligné dans l’original.]

[12] De plus, suivant l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit examiner la question de savoir si la décision tient compte, de façon significative, des questions clés :

[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39.

VI. Analyse

[13] L’agent a accordé un certain poids aux conditions défavorables dans le pays. S’il a reconnu que, lorsque l’on compare divers aspects économiques et financiers de la Libye à ceux du Canada, les conditions en Libye [traduction] « ne sont peut‑être pas favorables », l’agent n’a pas jugé qu’il s’agissait d’une circonstance exceptionnelle justifiant une dispense. L’agent a conclu que, bien que le niveau de vie varie d’un pays à l’autre et que tous les pays ne bénéficient pas de [traduction] « conditions aussi favorables » que celles qui existent au Canada, le législateur n’avait pas l’intention que l’article 25 de la LIPR soit une façon de compenser la différence.

[14] Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur dans sa conclusion en ne reconnaissant pas la situation désastreuse en Libye, un pays visé par un SAR, et que, de ce fait, il n’a pas tenu compte d’un élément de preuve essentiel au moment d’évaluer les difficultés et il a mal compris l’objectif que visait le demandeur en présentant une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Je suis d’accord.

[15] Le demandeur s’appuie sur la décision Milad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1409, dans laquelle la juge Kane a déclaré, aux paragraphes 36 et 37, que l’existence d’un SAR imposé par le gouvernement du Canada constitue un facteur pertinent dans le contexte de la situation dans le pays et de l’évaluation des difficultés, et que l’on ne peut faire abstraction de ce facteur, ce qui s’applique à la présente affaire tout comme à l’affaire dont était saisie la juge Kane :

[36] En l’espèce, l’agent n’a pas tenu compte des observations mises à jour qui, entre autres renseignements, indiquaient qu’il y avait un moratoire sur les renvois en Libye. Le moratoire ne mènerait pas automatiquement à une conclusion favorable à l’égard d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, mais il constitue un facteur pertinent dans le contexte de la situation dans le pays et de l’évaluation des difficultés. L’agent ne mentionne même pas qu’un moratoire était en vigueur ou que M. Milad ne serait pas renvoyé en raison de ce moratoire (bien qu’il en soit question dans la lettre de présentation à laquelle est jointe la décision de l’agent).

[37] Selon l’arrêt Kanthasamy, l’agent qui évalue une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire doit tenir compte de tous les éléments de preuve présentés. En l’espèce, l’agent était tenu de tenir compte des nombreux documents sur la situation dans le pays, y compris de l’existence du moratoire sur les renvois, qui est pertinent quant à la situation dans le pays et à l’évaluation des difficultés auxquelles M. Milad serait exposé s’il était renvoyé en Libye. La décision de l’agent ne révèle pas que tous les éléments de preuve pertinents ont été pris en compte dans l’évaluation des difficultés. De plus, les éléments de preuve que l’agent a clairement examinés et résumés ne semblent pas avoir été pleinement pris en compte dans l’évaluation des difficultés alléguées par M. Milad.

[Souligné dans l’original.]

[16] En ce qui concerne le fait que l’agent n’a pas tenu compte du SAR visant la Libye, le demandeur s’appuie aussi sur Bawazir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 623 [le juge Norris] [Bawazir] pour faire valoir que les agents chargés d’examiner les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaires doivent tenir compte de l’existence d’un SAR.

[17] À mon avis, les circonstances de l’affaire Bawazir sont très semblables à celles de l’espèce : le demandeur était un ressortissant du Yémen, un pays visé par un SAR. L’agent a accordé peu de poids aux conditions dans le pays au moment d’analyser les difficultés étant donné que le SAR empêchait le renvoi immédiat du demandeur, ce qui rendait la situation [traduction] « beaucoup moins pertinente par rapport à sa situation personnelle ».

[18] En accueillant la demande de contrôle judiciaire, la Cour a conclu que l’agent avait commis une erreur en refusant de tenir compte du fait que le demandeur devrait retourner dans une zone de guerre afin de présenter une demande de résidence permanente sans dispense. Le juge Norris a déclaré ce qui suit :

[17] On peut certainement comprendre pourquoi M. Bawazir souhaite obtenir son statut au Canada en y devenant un résident permanent. À mon avis, toute personne raisonnable et impartiale estimerait que l’obligation de quitter le Canada pour se rendre dans une zone de guerre où sévit une grave crise humanitaire afin de présenter sa demande de résidence permanente est un malheur qui mérite sans doute d’être soulagé. Le sursis administratif aux renvois montre que le Canada considère que la situation qui existe au Yémen en raison de la guerre civile « expose l’ensemble de la population civile à un risque généralisé ». La situation est à ce point critique qu’à quelques exceptions près, le Canada n’expulsera pas de ressortissants vers ce pays. Même si l’application des exigences habituelles de la loi dans ces conditions fait clairement intervenir la raison d’être équitable du paragraphe 25(1) de la LIPR (voir Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336, au paragraphe 43), l’agent n’en estime pas moins que la situation au Yémen et les « difficultés extrêmes » auxquelles M. Bawazir serait exposé méritent qu’on leur accorde « peu de poids » dans le cadre de cette analyse. Cette conclusion s’explique par le fait que M. Bawazir n’est pas menacé d’un renvoi imminent et involontaire. Toutefois, l’agent n’a pas tenu compte du fait que M. Bawazir n’avait d’autre choix que de quitter le Canada pour le Yémen s’il souhaitait demander la résidence permanente, sauf si une exception était faite dans son cas. L’agent a commis une erreur en ignorant effectivement un facteur qui concernait manifestement la raison d’être équitable du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[Non souligné dans l’original.]

[19] À mon avis, Bawazir s’applique avec autant de vigueur dans le cas qui nous occupe, car l’existence du SAR n’a pas du tout été prise en compte. J’en viens donc à la même conclusion que le juge Norris : l’agent n’a pas tenu compte du fait que le demandeur n’avait d’autre choix que de quitter le Canada pour la Libye s’il souhaitait demander la résidence permanente, sauf si une dispense lui était accordée au titre de l’article 25. L’agent a commis une erreur en rejetant l’application d’un facteur qui concerne manifestement la raison d’être de l’article 25.

[20] En outre, je souligne que la juge Roussel, dans la décision Khaled Nazem El Husseini c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 106, a déclaré que le défaut de la SAI d’évaluer les circonstances spécifiques des difficultés constitue une erreur susceptible de contrôle. Cette affaire concernait la Syrie, pays qui était (et est toujours) visé par un SAR :

[14] À mon avis, la SAI avait l’obligation de tenir compte d’éventuelles difficultés auxquelles serait exposé le demandeur s’il était renvoyé malgré le sursis administratif des renvois vers la Syrie. La jurisprudence a clairement établi que la simple existence d’une suspension temporaire des renvois ne signifie pas qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne peut pas automatiquement mener à une issue précise, qu’elle soit favorable ou défavorable (Alcin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1242, au paragraphe 55; Likale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 43, au paragraphe 40). Étant donné qu’un sursis administratif des renvois et une suspension temporaire des renvois sont de nature semblable, je suis d’avis que le même principe peut être appliqué à la présente affaire et que le défaut de la SAI d’évaluer les circonstances spécifiques des difficultés constitue une erreur susceptible de contrôle. Dans son témoignage, le demandeur a déclaré qu’il n’a pas vécu en Syrie et qu’aucun membre de sa famille immédiate ne réside en Égypte. Il a également décrit la situation en Syrie et a indiqué qu’il ne pourrait vivre nulle part et qu’il lui serait impossible de trouver un emploi dans son domaine d’expertise. Tous les membres de sa famille ont fui la Syrie; en ce qui concerne leurs maisons, l’une a été la cible d’un attentat à la bombe et l’autre est occupée par des familles syriennes (DCT, aux pages 1007 et 1008). Tout au long du témoignage du demandeur à ce sujet, la SAI et l’avocate du ministre ont déclaré à maintes reprises qu’il n’était pas nécessaire d’entrer dans les détails de la situation en Syrie en raison de l’existence du sursis. Devant la SAI, l’avocat du demandeur a insisté sur le fait que le demandeur voulait parler des répercussions des difficultés à l’étranger sur sa situation personnelle afin d’établir qu’il y avait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier qu’il demeure au Canada. En l’absence de toute analyse des répercussions sur la situation personnelle du demandeur par la SAI, il n’est pas possible de déterminer si cette dernière a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en se fondant de manière injustifiée sur l’existence du sursis administratif des renvois vers la Syrie et en rejetant la demande du demandeur fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[Non souligné dans l’original.]

[21] J’arrive à la même conclusion en l’espèce. L’agent semble s’être fondé à tort sur l’existence d’un SAR visant la Libye ou en avoir fait abstraction au moment de rejeter la demande du demandeur fondée sur des motifs d’ordre humanitaires. Je reconnais que les agents ne sont pas tenus d’aborder chacune des questions soulevées, mais compte tenu de ces trois décisions qui font autorité et du fait que les SAR sont des décisions gouvernementales directement liées aux difficultés extrêmes, je conclus que le défaut de l’agent de tenir compte du SAR constitue une erreur susceptible de contrôle.

[22] J’ajoute qu’en omettant de prendre en compte l’existence du SAR visant la Libye, l’agent a aussi omis de prendre en compte et d’apprécier tous les facteurs pertinents, rendant ainsi déraisonnable son évaluation des difficultés liées à un retour, comme l’a établi la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 :

[25] Ce qui justifie une dispense dépend évidemment des faits et du contexte du dossier, mais l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids (Baker, par. 74‑75).

[En italique dans l’original.]

[23] Bien que l’observation du défendeur selon laquelle l’existence du moratoire à elle seule ne peut pas automatiquement mener à une issue précise, qu’elle soit favorable ou défavorable (Ndikumana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 328 au para 18; Likale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 43 au para 40; Alcin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1242 au para 55) puisse être fondée, il s’agit d’un point théorique dans la mesure où le SAR n’a pas du tout été pris en compte.

VII. Conclusion

[24] Dans son ensemble, la décision n’est pas conforme aux contraintes juridiques et elle ne tient pas compte d’éléments de preuve essentiels, de sorte qu’elle n’est pas justifiée au regard du dossier et du droit, conformément aux paragraphes 85, 90 et 99 de Vavilov. Par conséquent, la présente demande est accueillie.

VIII. Question certifiée

[25] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4443‑21

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

vide

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4443‑21

 

INTITULÉ :

AHMED IBRAHIM ABDALLA ELBEIBAS c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 4 AVRIL 2022

 

COMPARUTIONS :

Astrid Mrkich

Pour le demandeur

Samar Musallam

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mrkich Law

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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