Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220405


Dossier : T‑1219‑21

Référence : 2022 CF 464

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 avril 2022

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

KATHRYN CHIN

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Kathryn Chin sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Service canadien du renseignement de sécurité [le SCRS] a rejeté sa demande de communication de renseignements personnels en vertu de l’alinéa 12(1)a) et du paragraphe 13(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21.

[2] Mme Chin allègue qu’elle est victime d’un agresseur inconnu depuis 2007, alors qu’elle était à l’université. L’agresseur aurait implanté sur sa personne un dispositif électronique miniature ou transparent quelconque. Le dispositif serait utilisé pour la suivre, la harceler et l’agresser, ce qui lui cause une grande détresse mentale et physique.

[3] Mme Chin a porté plainte auprès de nombreuses autorités en ce qui concerne sa situation, y compris auprès de la police. Les autorités lui ont toujours répondu qu’elles ne pouvaient pas l’aider sans preuve à l’appui de ses allégations.

[4] Le 18 mars 2021, Mme Chin a présenté une demande de renseignements personnels auprès du SCRS. Elle estime que le SCRS n’a pas pris suffisamment de mesures pour la protéger alors qu’il doit forcément connaître sa situation difficile.

[5] Conformément à sa pratique bien établie, le SCRS a rejeté la demande de Mme Chin en vertu du paragraphe 16(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels en précisant qu’il refusait de confirmer ou de nier si des documents pourraient répondre à sa demande. Le SCRS a souligné que, si les renseignements existaient, ils seraient soustraits à la communication au titre de l’article 21 ou des alinéas 22(1)a) et 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[6] Mme Chin a déposé une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée [le CPVP]. Le 6 juillet 2021, le CPVP a établi que la plainte de Mme Chin était [traduction] « sans fondement ».

[7] Le SCRS peut refuser de communiquer des documents conformément à une politique générale qui lui permet de ne pas faire état de l’existence des documents demandés lorsque « la simple divulgation de l’existence ou de l’inexistence des renseignements est en soi une communication : à savoir si le demandeur fait l’objet d’une enquête » (Ruby c Canada (Solliciteur général), [2000] 3 CF 589 (CAF), aux para 65‑66 [Ruby]). Mme Chin a reçu la même réponse que celle que recevrait tout Canadien ou résident permanent à la suite d’une demande d’accès aux dossiers d’enquête du SCRS. La réponse était raisonnable.

[8] En vertu de l’alinéa 22(1)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui ont été obtenus ou préparés « au cours d’enquêtes licites ». Les documents ne seraient pas soustraits à la communication s’ils révélaient la complicité du SCRS dans un complot illégal visant à nuire à Mme Chin au moyen d’un dispositif électronique miniature ou transparent. Aucune preuve ne permet à la Cour de conclure que le SCRS a participé ou consenti à des tentatives visant à nuire au bien‑être physique ou mental de Mme Chin.

[9] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[10] En réponse à la demande de renseignements personnels de Mme Chin, le SCRS a effectué une recherche de renseignements dans le fichier SCRS PPU 045. Selon « Info Source » du gouvernement du Canada, disponible en ligne :

Ce fichier renferme des renseignements personnels sur : des personnes identifiables dont les activités sont soupçonnées de constituer une menace envers la sécurité du Canada; des personnes identifiables qui sont ou étaient traitées comme sources confidentielles d’information; des personnes identifiables qui ne font plus l’objet d’une enquête du SCRS mais dont les activités ont constitué une menace envers la sécurité du Canada, et qui satisfont encore aux critères de collecte énoncés à l’article 12 de la Loi sur le SCRS; des personnes identifiables faisant l’objet d’une enquête reliée à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou de tout autre pays allié ou associé, ou encore, à la détection, à la prévention ou à la suppression d’ activités subversives ou adverses.

[11] Le fichier SCRS PPU 045 est dénommé fichier inconsultable relativement à la communication prévue à l’article 18 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le SCRS a informé Mme Chin que, si des renseignements concernant sa demande étaient conservés dans le fichier SCRS PPU 045, ils ne pourraient être communiqués en vertu de l’article 21 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui porte sur les efforts de détection, de prévention ou de répression d’activités hostiles ou subversives déployés par le Canada, ou en vertu des alinéas 22(1)a) ou 22(1)b), qui portent sur l’application de la loi et les enquêtes.

[12] Le CPVP a expliqué à Mme Chin sa conclusion selon laquelle la plainte n’était pas fondée de la façon suivante :

[traduction]

Je tiens à vous informer que, pour des raisons de sécurité, le SCRS a adopté une politique qui consiste à refuser de confirmer ou de nier si les renseignements personnels d’une personne se trouvent dans le fichier SCRS PPU 045.

Le SCRS s’appuie sur le paragraphe 16(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels pour ne pas avoir à faire état de l’existence de renseignements personnels concernant un demandeur. Le fichier SCRS PPU 045 est un fichier inconsultable. À titre de référence, vous pouvez consulter en ligne le Décret no 14 sur les fichiers de renseignements personnels inconsultables (SCRS) à l’adresse https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/reglements/DORS-92-688/TexteComplet.html. Le fichier de renseignements personnels en question y est désigné comme un fichier inconsultable formé de dossiers dans chacun desquels dominent les renseignements visés à l’article 21 et aux alinéas 22(1)a) et 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le paragraphe 16(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels précise que le responsable de l’institution fédérale n’est pas tenu de faire état de l’existence des renseignements personnels demandés. Le paragraphe 16(1) prévoit quant à lui que l’institution doit indiquer les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels sur lesquelles elle pourrait raisonnablement se fonder pour se soustraire à la communication si les renseignements existaient. Comme l’exige le paragraphe 16(1), le SCRS a indiqué que, si les renseignements existaient, il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’ils soient visés par l’exemption prévue à l’article 21 ou aux alinéas 22(l)a) ou 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Loi sur la protection des renseignements personnels interdit également au Commissariat à la protection de la vie privée de confirmer ou de nier l’existence des dossiers demandés lorsque l’institution s’est fondée sur le paragraphe 16(2). Mon Bureau est d’avis que le SCRS a correctement mentionné ces dispositions dans sa réponse et qu’il a traité votre demande de façon appropriée et conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

III. Questions en litige

[13] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Le rejet par le SCRS de la demande de communication de renseignements personnels de Mme Chin était‑il raisonnable?

  2. Le rejet par le SCRS de la demande de communication de renseignements personnels de Mme Chin constitue‑t‑il une violation de ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés?

IV. Analyse

[14] Le contrôle judiciaire de la décision d’une institution fédérale de ne pas communiquer des renseignements est un processus qui se déroule en deux étapes (Russell c Canada (Procureur général), 2019 CF 1137 [Russell] au para 24). La Cour doit d’abord déterminer si les renseignements demandés, réels ou hypothétiques, sont visés par les dispositions qui ont été invoquées. Elle doit ensuite apprécier l’exercice, par l’institution fédérale, de son pouvoir discrétionnaire de ne pas communiquer les renseignements demandés.

[15] Avant que la Cour suprême du Canada rende l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], on considérait que la première étape était susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, tandis que la deuxième étape était susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Braunschweig c Canada (Sécurité publique), 2014 CF 218 [Braunschweig] au para 29; Llewellyn c Service canadien du renseignement de sécurité, 2014 CF 432 [Llewellyn] au para 23).

[16] Dans l’arrêt Vavilov, toutefois, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de contrôle doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable (Vavilov, au para 23).

[17] Rien ne permet de réfuter la présomption selon laquelle les deux étapes de l’analyse doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable, et la Cour n’interviendra donc que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). La décision de ne pas communiquer les renseignements qui sont visés par l’exemption invoquée repose en grande partie sur des faits et elle s’accompagne d’une composante politique; ainsi, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’institution fédérale (Martinez c Canada (Centre de la sécurité des télécommunications), 2018 CF 1179 au para 13).

[18] Mme Chin soutient également que le rejet par le SCRS de sa demande de communication de renseignements personnels a violé les droits que lui garantit la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 [la Charte]. Elle n’a pas soulevé d’arguments constitutionnels dans sa demande au SCRS ou dans sa plainte au CPVP, et cet aspect de sa demande est donc examiné pour la première fois.

A. Le rejet par le SCRS de la demande de communication de renseignements personnels de Mme Chin était‑il raisonnable?

[19] En vertu du paragraphe 18(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui sont versés dans des fichiers inconsultables. Le fichier SCRS PPU 045 est un fichier inconsultable qui contient de façon prédominante des renseignements sensibles sur la sécurité nationale de la nature de ceux visés à l’article 21 et aux alinéas 22(1)a) et 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[20] Le défendeur a déposé un affidavit public et un affidavit secret dans la présente instance. Les affidavits expliquent la manière dont la Section de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels [la Section de l’AIPRP] du SCRS a traité la demande de Mme Chin. Les résultats de la recherche dans le fichier SCRS PPU 045 figurent dans l’affidavit secret destiné à la Cour.

[21] En vertu du paragraphe 16(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, une institution fédérale n’est pas tenue de faire état de l’existence des renseignements personnels demandés dans un fichier inconsultable. La chef adjointe de la Section de l’AIPRP a expliqué dans son affidavit public que la réponse à une demande de renseignements personnels versés dans le fichier SCRS PPU 045 doit être la même, qu’il existe ou non des renseignements personnels. Toute autre réponse compromettrait la capacité du SCRS à remplir son mandat, qui consiste à enquêter sur les menaces envers la sécurité du Canada et à conseiller le gouvernement à cet égard.

[22] La Cour d’appel fédérale a confirmé que le SCRS peut refuser de communiquer des documents conformément à une politique générale qui lui permet de ne pas faire état de l’existence des documents demandés lorsque « la simple divulgation de l’existence ou de l’inexistence des renseignements est en soi une communication : à savoir si le demandeur fait l’objet d’une enquête » (Ruby, aux para 65‑66). De nombreuses décisions de la Cour vont également en ce sens (voir, par exemple, Russell, au para 26; VB c Canada (Procureur général), 2018 CF 394 [VB] au para 43; Braunschweig, aux para 45‑46; Llewellyn, au para 37).

[23] Comme le juge Patrick Gleeson l’a souligné dans la décision VB, « [l]a réponse que le demandeur a reçue à la demande de documents d’enquête a été […] la réponse que tout citoyen canadien ou résident permanent recevrait » (VB, au para 48).

[24] Après avoir examiné les éléments de preuve publics et secrets déposés par le SCRS dans le cadre de la demande en l’espèce, je suis convaincu que le SCRS a eu raison de conclure que les documents réels ou hypothétiques demandés étaient soustraits à la communication. Il s’agit d’une conclusion importante, car ces documents ne seraient pas soustraits à la communication s’ils révélaient la complicité du SCRS dans un complot illégal visant à causer du tort à Mme Chin au moyen d’un dispositif électronique miniature ou transparent (Russell, au para 31; Khadr c Canada (Procureur général), 2008 CF 549 aux para 86‑90).

[25] Par cette conclusion, je ne confirme ni ne nie l’existence de documents dans le fichier SCRS PPU 045 qui pourraient concerner Mme Chin et ses problèmes persistants de santé mentale et physique. Je donne simplement effet à l’alinéa 22(1)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui précise que le responsable d’une institution gouvernementale peut refuser la communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui ont été obtenus ou préparés « au cours d’enquêtes licites ». Je suis convaincu que la décision du SCRS d’appliquer les exemptions en l’espèce était raisonnable.

[26] Même si cela ne lui donne pas entière satisfaction, Mme Chin peut avoir l’assurance que la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve lui permettant de penser que le SCRS a participé ou consenti à des tentatives visant à nuire à son bien‑être physique ou mental.

B. Le rejet par le SCRS de la demande de communication de renseignements personnels de Mme Chin constitue‑t‑il une violation de ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés?

[27] Mme Chin affirme que le refus du SCRS de communiquer des renseignements en réponse à sa demande a mis en danger sa santé et sa sécurité. Elle affirme que le fait de vivre avec une technologie inconnue et non réglementée porte atteinte à ses droits et libertés, et crée des conditions de vie dangereuses pour elle‑même et pour les autres.

[28] Toute contestation fondée sur la Charte d’actes ou d’omissions du gouvernement doit être étayée par des éléments de preuve (Fraser c Canada (Procureur général), 2020 CSC 28). En l’espèce, aucun élément de preuve ne permet à la Cour de conclure que des actes ou des omissions du SCRS ont pu nuire au bien‑être physique ou mental de Mme Chin.

[29] La contestation fondée sur la Charte doit donc être rejetée.

V. Conclusion

[30] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[31] Le défendeur réclame des dépens d’un montant modique de 250 $, en soulignant que les motifs du rejet par le SCRS de la demande de dossiers d’enquête présentée par Mme Chin étaient parfaitement expliqués dans la lettre du CPVP dans laquelle on l’informait que sa plainte n’était pas fondée.

[32] Les tribunaux ont confirmé à plusieurs reprises la politique générale du SCRS de refuser de communiquer l’existence de dossiers d’enquête, et ce, pour de bonnes raisons. Toutefois, le SCRS doit comprendre que, dans certaines situations, l’application inflexible de cette politique peut avoir un effet indésirable et exacerber les problèmes de santé mentale de citoyens canadiens et de résidents permanents qui cherchent à se voir communiquer des renseignements personnels (voir, par exemple, Russell; Canada (Procureur général) c Hutton, 2021 CF 750 (décision portée en appel)).

[33] Eu égard à l’ensemble des circonstances, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens contre Mme Chin.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Karine Lambert


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1219‑21

 

INTITULÉ :

KATHRYN CHIN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence entre Calgary et Edmonton (Alberta) et Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 mars 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Kathryn Chin

(Pour son propre compte)

 

Pour la demanderesse

 

Jennifer Lee

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.