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Date : 20220407


Dossier : IMM‑6902‑19

Référence : 2022 CF 495

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 7 avril 2022

En présence de madame la juge Henegan

ENTRE :

ZENO ROSTAS

CINTIA PAROS

LINA ROSTAS (MINEURE)

NINETTA ROSTAS (MINEURE)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT

[1] Monsieur Zeno Rostas (le demandeur principal), sa conjointe de fait, Cintia Paros, et leurs enfants mineures, Lina Rostas et Ninetta Rostas (collectivement, les demandeurs), sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leur demande d’asile fondée sur l’article 96 et le paragraphe 97(1), respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2] Les demandeurs sont des Roms de la Hongrie. Ils disent craindre d’être persécutés au regard de leur accès à l’emploi et à des soins de santé et de la scolarité des demanderesses mineures. Ils allèguent également qu’une protection policière suffisante ne leur est pas offerte.

[3] La SPR a conclu que les demandeurs font l’objet de discrimination, dont les manifestations, collectivement, n’équivalent pas à de la persécution. À son avis, les demandeurs pouvaient se réclamer de la protection de l’État et, pour étayer cette conclusion, elle a cité une décision de la Cour suprême de la Hongrie, et fait observer que la police avait été tenue responsable.

[4] La décision de la SPR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[5] Dans son examen du caractère raisonnable, la Cour doit se demander si la décision faisant l’objet du contrôle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »; voir Vavilov, précité, au para 99.

[6] Les demandeurs affirment que la décision est déraisonnable, car la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve objectifs qu’ils avaient présentés à l’appui de leur demande d’asile et elle n’a pas précisé pourquoi elle avait refusé de prendre ces éléments en considération. Selon les demandeurs, ces éléments de preuve comprenaient la réponse aux demandes d’information contenue dans le dossier certifié du tribunal (le DCT), ainsi qu’un rapport du Département d’État des États‑Unis, qui avait également été versé au DCT.

[7] Les demandeurs soutiennent que la SPR a apprécié les éléments de preuve et les conditions en Hongrie de manière rétrospective et qu’elle n’a pas procédé à une analyse prospective des éléments de preuve présentés lorsqu’elle a examiné leur demande d’asile.

[8] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration affirme que la décision satisfait à la norme de contrôle applicable et que rien ne justifie l’intervention de la Cour.

[9] Je ne suis pas de cet avis.

[10] À mon avis, la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve documentaire objectifs concernant les conditions sociales des Roms en Hongrie, notamment en ce qui a trait à leur accès à l’emploi et à la ségrégation des enfants roms dans les écoles.

[11] Je renvoie à la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), [1999] 1 CF 53. Dans cette décision, la Cour a conclu que lorsqu’un décideur ne mentionne pas la preuve contradictoire dans ses motifs, on peut inférer que cette preuve n’a pas été prise en compte.

[12] Je renvoie également à la conclusion relative à la protection de l’État.

[13] Je suis d’avis que la conclusion tirée à l’égard de la protection de l’État ne satisfait pas non plus à la norme du caractère raisonnable. La SPR ne pouvait pas s’appuyer sur une seule décision de la Cour suprême de la Hongrie concernant la situation qui existait dans une autre ville que celle des demandeurs pour conclure que la police avait été tenue responsable des comportements discriminatoires envers les Roms. Remédier à l’inconduite policière n’équivaut pas à fournir une protection de l’État.

[14] Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que, même si elle a déclaré avoir procédé à une analyse prospective des risques allégués par les demandeurs, la SPR n’a pas effectué une telle analyse.

[15] Après avoir examiné la décision de la SPR dans son ensemble, je conclus qu’elle ne satisfait pas à la norme de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[16] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SPR sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6902‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de la Section de la protection des réfugiés est annulée et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question à certifier n’a été proposée.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Manon Pouliot


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6902‑19

 

INTITULÉ :

ZENO ROSTAS, CINTIA PAROS, LINA ROSTAS (MINEURE), NINETTA ROSTAS (MINEURE) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO (ONTARIO) ET ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MARS 2022

MOTIFS ET JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 7 AVRIL 2022

COMPARUTIONS :

Michael Korman

POUR LES DEMANDEURS

Nicole Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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