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Date : 20220407


Dossier : IMM-1857-21

Référence : 2022 CF 509

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

WILFRED USIAYO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision du 16 mars 2021 par laquelle l’agent d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[2] Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des facteurs d’ordre humanitaire présentés dans la demande et qu’il a déraisonnablement exigé qu’il démontre un degré exceptionnel d’établissement. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, car la décision de l’agent est raisonnable.

I. Contexte

[3] Le demandeur, un Nigérien âgé de 52 ans, s’est enfui au Canada en 2005 pour y demander l’asile. Il a obtenu l’asile et est devenu résident permanent en 2009. Cependant, il a perdu son statut de résident permanent en 2011 après avoir été déclaré coupable d’infractions criminelles. Il a demandé le statut de résident permanent pour des motifs d’ordre humanitaire le 13 mai 2020.

[4] Le demandeur vit et travaille en Alberta. Il a un fils qui était âgé de 12 ans à la date de la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

II. Décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire

[5] L’agent a examiné les questions de l’établissement du demandeur au Canada, de l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que de son interdiction de territoire pour grande criminalité. Il a également tenu compte du fait que le demandeur est séropositif.

[6] L’agent a signalé que le demandeur est au Canada depuis 15 ans, ce qu’il a décrit comme une [traduction] « période importante ». Il a aussi souligné qu’il a conservé un emploi stable, qu’il paie ses impôts et qu’il subvient à ses besoins. L’agent a conclu que ces facteurs ainsi que les efforts déployés par le demandeur pour améliorer son sort en suivant régulièrement des formations, étaient louables.

[7] L’agent a fait remarquer que le demandeur est membre d’une église et qu’il a présenté une lettre de soutien de son pasteur. Il a également souligné son implication communautaire auprès d’organisations qui viennent en aide aux personnes vivant avec le VIH et le sida en Alberta.

[8] L’agent a conclu son analyse relative à l’établissement en affirmant ce qui suit : [traduction] « Je conclus que le degré d’établissement du demandeur n’est pas exceptionnel par rapport à celui d’autres personnes qui se trouvent dans une situation semblable et qui sont au Canada depuis une période équivalente. »

[9] En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent a examiné les effets de la décision sur le fils du demandeur. Toutefois, il a souligné que le demandeur n’avait pas de rapports avec son fils et qu’il espérait établir une relation avec lui à l’avenir. Compte tenu de l’absence de preuve selon laquelle le demandeur a tenté de communiquer avec son fils ou de nouer une relation, l’agent a conclu que toute relation à venir était hypothétique et n’a pas accordé un poids important à ce facteur.

[10] En ce qui concerne les antécédents criminels du demandeur, l’agent a indiqué que celui‑ci a été condamné à 12 mois d’emprisonnement avec sursis. L’agent a tenu compte des remords du demandeur et du fait qu’il sera admissible à commencer le processus pour recouvrer son statut de résident permanent en mai 2024, soit 10 ans après l’expiration de sa sentence pénale. Dans l’ensemble, l’agent a conclu que les antécédents criminels du demandeur constituaient un important facteur défavorable.

[11] Finalement, en ce qui concerne l’état de santé du demandeur et l’observation selon laquelle il serait persécuté au Nigéria en raison de sa séropositivité, l’agent a indiqué que celui‑ci était peu susceptible de retourner au Nigéria puisqu’il est un réfugié au sens de la Convention. En outre, l’agent a jugé que le demandeur aurait accès à des soins de santé au Canada.

III. Question en litige et norme de contrôle

[12] La seule question en litige est celle de savoir s’il était raisonnable pour l’agent de rejeter la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[13] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Lorsqu’elle examine le caractère raisonnable d’une décision, la cour doit se « demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). « [S]i des motifs sont communiqués, mais que ceux‑ci ne justifient pas la décision de manière transparente et intelligible […] la décision sera déraisonnable. » (Vavilov, au para 136.)

IV. Dispositions législatives applicables

[14] Le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, prévoit ce qui suit :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

V. Analyse

Était‑il raisonnable pour l’agent de rejeter la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire?

[15] Le demandeur soutient que l’agent a uniquement examiné sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sous l’angle des difficultés, plutôt que d’adopter une approche fondée sur la compassion comme l’exige l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, dans lequel la Cour suprême a énoncé ce qui suit :

23 L’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) […] De plus, ce paragraphe n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle…

[…]

25 Ce qui justifie une dispense dépend évidemment des faits et du contexte du dossier, mais l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids [Renvois omis; en italique dans l’original].

[16] Le demandeur fait valoir que l’agent n’a pas adéquatement tenu compte des facteurs d’ordre humanitaire en l’espèce et qu’il a appliqué un critère déraisonnable, soit celui du [traduction] « degré exceptionnel d’établissement ».

[17] Le demandeur se fonde sur la décision Apura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 762, dans laquelle le juge Ahmed affirme ce qui suit (au para 23) :

J’accepte les points de vue de mes collègues, sous réserve d’une importante mise en garde que je ne crois pas contradictoire. Lorsque l’analyse des considérations d’ordre humanitaire effectuée par un décideur révèle que l’absence de circonstances « exceptionnelles » ou « extraordinaires » constitue le fondement de la décision de refuser un redressement, c’est qu’il a imposé la mauvaise norme juridique.

[18] En outre, le demandeur se fonde sur plusieurs autres affaires pour étayer la proposition selon laquelle il était déraisonnable pour l’agent d’appliquer un critère « exceptionnel » à son examen des facteurs d’établissement, y compris les décisions Baco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 694; Chandidas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 258 et Sebbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813.

[19] Le recours au mot « exceptionnel » par les décideurs et la question de savoir si celui‑ci impose un critère déraisonnable dans le contexte de considérations d’ordre humanitaire a été examiné par le juge Zinn dans la décision Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1482 [Zhang], dans laquelle ce dernier souligne que certaines décisions de la Cour fédérale appuient l’interprétation selon laquelle le critère consiste à comparer la situation du demandeur à celle d’autres personnes pour déterminer si elle est « exceptionnelle ». À ce sujet, le juge Zinn a affirmé ce qui suit au paragraphe 23 de la décision :

Il existe une différence importante entre le fait de souligner que ces mesures exceptionnelles sont prévues parce que la situation personnelle particulière de certains est telle que l’expulsion les frappe plus durement que d’autres, et le fait d’affirmer que l’octroi de pareilles mesures est possible uniquement pour ceux qui font la preuve de l’existence de malheurs ou d’autres circonstances exceptionnelles par rapport à d’autres. Le premier explique la raison d’être de l’exemption, tandis que le second vise à identifier les personnes susceptibles de bénéficier de l’exemption. Le second impose à l’exception une condition qui n’a pas lieu d’être. [Souligné dans l’original.]

[20] Cette affirmation s’appuie sur la décision Damian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1158 au paragraphe 21 [Damian], dans laquelle le juge McHaffie énonce ce qui suit :

Ainsi, dans la mesure où des termes tels qu’« exceptionnelle » ou « extraordinaire » sont utilisés de façon purement descriptive, leur utilisation semble être conforme à celle qu’en fait la majorité dans l’arrêt Kanthasamy, bien que cette utilisation puisse ne pas ajouter grand-chose à l’analyse. Toutefois, si tant est que ces termes visent à importer, dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire, une norme juridique différente de celle établie dans les décisions Chirwa et Kanthasamy (qui suppose l’existence de faits « de nature à inciter [toute personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” »), cela semble contraire aux motifs énoncés par la majorité. Étant donné la possibilité que des termes tels qu’« exceptionnelle » et « extraordinaire » soient utilisés au-delà du simple descriptif pour entraîner l’application d’une norme juridique plus stricte, il serait peut-être plus utile de s’en tenir à l’approche adoptée dans l’arrêt Kanthasamy, plutôt que d’ajouter des qualificatifs supplémentaires.

[21] Dans la décision Zhang, le juge Zinn a conclu que l’agent avait commis l’erreur relevée dans la décision Damian (aux para 28‑29) :

Ces passages démontrent que l’agent croyait, dans son travail, que le demandeur était tenu de faire la preuve de l’existence de difficultés ou d’un établissement « exceptionnels ». Or cela ne constitue pas le critère applicable à une décision pour motifs d’ordre humanitaire. Comme l’a indiqué le juge McHaffie dans l’affaire Damian, les exemptions aux exigences de la LIPR pour motifs d’ordre humanitaire sont « exceptionnelles », en ce sens qu’elles fonctionnent comme des exceptions à la règle générale. Il n’est pas requis qu’un facteur individuel, tel que l’établissement ou le degré de difficulté, soit exceptionnel. Il n’est pas non plus requis que la situation du demandeur dans son ensemble atteigne le seuil d’exception en comparaison avec d’autres. Ce qui est requis, c’est que la situation personnelle du demandeur justifie la prise de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire.

Le raisonnement de l’agent démontre qu’il n’a pas porté son attention sur la question pertinente, à savoir si la situation du demandeur inciterait une personne raisonnable d’une société civilisée à soulager le demandeur de ses malheurs. Par conséquent, je conclus que sa décision était déraisonnable.

[22] À mon avis, les décisions Zhang et Damian énoncent la bonne approche à adopter lorsqu’il s’agit d’examiner le caractère raisonnable de la décision de l’agent à l’égard du facteur de l’établissement. Lorsque j’applique cette approche à la décision de l’agent en l’espèce, je remarque que celui‑ci a utilisé le mot « exceptionnel » à des fins descriptives et non pour désigner le critère à remplir par le demandeur. L’agent a tenu compte de tous les facteurs d’établissement soulevés par le demandeur, mais il n’était pas convaincu que ceux-ci étaient suffisants pour octroyer la dispense sollicitée.

[23] Le demandeur soutient aussi que l’agent n’a pas tenu compte du contexte ayant mené à ses accusations au criminel, à savoir que ses activités criminelles ont commencé à l’époque où son père est mort et où il a découvert qu’il était séropositif, et qu’il a été faussement accusé d’un crime. Le demandeur affirme que l’agent n’a pas tenu compte du fait que les infractions ont été commises sur une courte période, qu’il avait des remords et qu’il n’avait pas été condamné pour d’autres crimes. Ces facteurs ont été pris en considération par l’agent, mais les répercussions des infractions criminelles l’ont emporté sur les facteurs atténuants. Quoiqu’il en soit, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les facteurs ayant dûment été pris en compte par l’agent.

[24] Finalement, il était raisonnable pour l’agent de souligner que le demandeur, qui ne peut être expulsé du Canada parce qu’il a le statut de réfugié au sens de la Convention, sera admissible à demander le statut de résident permanent en mai 2024.

[25] Dans l’ensemble, la décision de l’agent est justifiée, transparente et intelligible. Il a examiné et soupesé l’ensemble des facteurs pertinents. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[26] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune n’est certifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1857-21

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

 

IMM-1857-21

INTITULÉ :

WILFRED USIAYO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 7 AVRIL 2022

 

COMPARUTIONS :

Nicholas Woodward

POUR LE DEMANDEUR

 

Matthew Siddall

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Battista Smith Migration Law Group

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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