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Date : 20220407


Dossiers : IMM-4752-21

IMM-4757-21

IMM-4759-21

Référence : 2022 CF 486

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2022

En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné

Dossier : IMM-4752-21

ENTRE :

MUHAMMAD RAHIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-4757-21

ET ENTRE :

ROZINA RAHIM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-4759-21

ET ENTRE :

ZARINA MUSSA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Muhammad et Rozina Rahim sont un couple de Pakistanais dans la quarantaine, et Zarina Mussa est la sœur aînée de Rozina, également pakistanaise. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de trois décisions identiques et simultanées par lesquelles un agent des visas ou d’immigration a rejeté leurs demandes de visa de résident temporaire [VRT].

[2] Après avoir examiné les liens familiaux des demandeurs au Canada et dans leur pays de résidence, l’objectif de leur visite et leur situation financière, l’agent n’était pas convaincu qu’ils quitteraient le Canada à la fin de leur période de séjour autorisée et a donc rejeté leurs demandes.

[3] Les demandeurs veulent que les décisions soient annulées et que l’affaire soit renvoyée pour réexamen.

II. Contexte factuel

[4] Les demandeurs vivent ensemble depuis plus de 10 ans à Karachi, au Pakistan. Ils sont sourds et muets, pauvres et analphabètes. Ils n’ont jamais voyagé à l’extérieur du Pakistan auparavant. Ils ont toujours été dépendants du soutien financier de leurs proches au Canada – d’abord de leurs parents, et maintenant de la nièce des demanderesses et du mari de cette dernière, qui sont tous les deux des citoyens canadiens.

[5] Étant donné les handicaps des époux, entre 2006 et 2016, leurs trois enfants étaient sous les soins et la responsabilité, à distance, de la nièce et de son mari. En 2016, les trois enfants ont déménagé au Canada pour vivre avec eux et leurs deux enfants biologiques. Ils ont été officiellement adoptés en 2017. Les trois enfants sont maintenant âgés de 21 à 26 ans et sont citoyens canadiens.

[6] À la demande des enfants, la mère adoptive et son mari ont invité les demandeurs à venir leur rendre visite au Canada pour trois mois.

[7] En juillet 2019, les demandeurs ont simultanément présenté des demandes distinctes de VRT. Chaque demande comprenait des documents communs à l’appui : observations des avocats, déclaration de la mère adoptive et déclaration de l’un des trois enfants.

[8] En août 2019, les demandes ont d’abord été rejetées sans qu’il y ait d’entrevue ni de communication préalable, et les demandeurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire (IMM-5210-19, IMM-5211-19, IMM-5212-19). L’affaire a été abandonnée en novembre 2019 lorsque les demandeurs ont accepté l’offre du défendeur de réexaminer les demandes.

[9] En février 2020, les demandeurs ont déposé une autre déclaration de la mère adoptive comme document supplémentaire à examiner. En mars 2020, les demandes ont à nouveau été rejetées sans qu’il y ait d’entrevue au motif que les adoptions n’étaient pas authentiques parce que [traduction] « la relation entre les enfants et les parents biologiques n’a pas été rompue » et parce que l’agent n’était pas convaincu de la nature temporaire de la visite. L’affaire a encore une fois été abandonnée en septembre 2020 et les demandes ont été réexaminées.

[10] Le présent contrôle judiciaire vise cette troisième décision.

III. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[11] Les renseignements qui suivent proviennent des notes versées au Système mondial de gestion des cas [le SMGC], qui font partie des décisions.

[12] Les trois demandes ont été rejetées pour les mêmes raisons. L’agent n’était pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de leur période de séjour autorisée pour les motifs suivants : (1) leurs liens familiaux au Canada; (2) leur situation d’emploi actuelle; (3) leurs actifs personnels et leur situation financière.

[13] Les décisions sont concises, mais détaillées. Il y est fait mention des nombreux éléments de preuve déposés par les demandeurs. Lorsqu’il décrit les handicaps et l’analphabétisme des demandeurs, l’agent mentionne que ceux‑ci [traduction] « menaient une vie bien remplie dans la collectivité ismaélienne », mais qu’ils étaient incapables d’élever leurs enfants.

[14] L’agent mentionne que seul un des demandeurs occupe un emploi et que la majeure partie du revenu des demandeurs provient des versements que leur envoient la nièce du Canada et son mari. Les trois demandeurs n’ont pas de compte bancaire, d’économies, d’actifs importants ou de biens. Se fondant sur la preuve, l’agent conclut que le fait qu’ils [traduction] « n’ont pas suffisamment d’actifs pour les lier au Pakistan » et qu’ils sont pauvres constitue des [traduction] « motifs économiques qui justifient leur départ du Pakistan ». Il décrit en détail le soutien financier que la nièce canadienne et son mari offrent aux demandeurs, soutien qui s’est accru depuis que le seul demandeur qui travaillait a cessé de le faire au début de la pandémie mondiale en avril 2020. Par conséquent, l’agent estime que l’emploi de M. Rahim ne constitue pas un lien solide qui le rattache au Pakistan, particulièrement vu qu’il a cessé de travailler durant la pandémie (bien que l’agent mentionne que le demandeur a l’intention de recommencer à travailler quand ce sera possible) et vu [traduction] « les récentes vagues en Asie du Sud ».

[15] L’agent précise que les demanderesses ont [traduction] « approximativement autant de membres de la famille en Colombie‑Britannique qu’ailleurs dans le monde », notamment à Karachi, à Dallas et à Edmonton, mais que les [traduction] « liens familiaux [du demandeur] sont plus concentrés à Karachi, bien qu’il ait lui aussi des parents en Colombie‑Britannique ». Il fait également mention des vidéos et des transcriptions des conversations avec les enfants du couple en langue des signes pakistanaise et américaine et affirme que cet élément de preuve montre que les parents sont [traduction] « bien au courant de la vie de [leurs enfants] » et que [traduction] « leur lien affectif parents-enfants existe toujours », comme on peut le voir par [traduction] « leur contact continu malgré la séparation et l’adoption ». L’agent conclut que [traduction] « les Rahim ne [l’]ont pas convaincu que leurs enfants ne constituent pas leurs liens les plus solides ».

[16] L’agent termine ses notes en affirmant que [traduction] « dans l’ensemble, leurs actifs et leur situation financière semblent être un facteur qui les pousse à quitter le Pakistan plutôt qu’un facteur les liant au pays ».

[17] L’agent estime également que la troisième demanderesse, Mme Mussa, [traduction] « a aussi des liens familiaux au Canada et une situation financière qui semblent être des facteurs d’incitation au départ », qu’elle entretient [traduction] « une relation étroite » avec les enfants des deux autres demandeurs et qu’elle [traduction] « ne peut rester seule au Pakistan sans l’aide » des deux autres demandeurs. L’agent conclut que, si les deux autres demandeurs décident de rester au Canada, la troisième le fera aussi.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[18] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question :

L’agent a‑t‑il commis une erreur en concluant que les enfants biologiques des demandeurs au Canada constituaient leur lien le plus solide et en se fondant sur des facteurs d’incitation au départ suggérés par leur situation financière, mais non démontrés par la preuve?

[19] Je conviens avec les parties que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable aux décisions des agents des visas concernant un visa temporaire (Abdelrahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1141 au para 14; Shoaib c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 479 au para 11; Itsekor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 294 au para 12).

[20] Je conviens également avec le défendeur que la décision d’un agent des visas est une décision hautement discrétionnaire fondée sur des conclusions de fait et qu’il faut donc faire preuve d’une grande retenue.

V. Analyse

[21] Les demandeurs affirment qu’ils ont énuméré beaucoup plus de membres de la famille vivant au Pakistan qu’au Canada. Pourtant, l’agent a conclu que les parents biologiques et leurs trois enfants entretenaient toujours un lien affectif parents-enfants, ce qui voulait dire que leurs liens familiaux les plus solides se trouvaient au Canada. Les demandeurs soutiennent que cette conclusion est déraisonnable pour deux raisons principales.

[22] Premièrement, cette conclusion n’est pas compatible avec la preuve concernant l’adoption et la procédure d’immigration ainsi que la relation à long terme entre les enfants et leurs parents adoptifs.

[23] Deuxièmement, elle est intrinsèquement contradictoire puisque l’agent a évalué que [traduction] « malgré qu’ils soient séparés physiquement de leurs trois enfants biologiques depuis 2016, c’est naturellement avec eux qu’ils entretiennent les liens les plus solides », mais a ensuite conclu qu’ils devraient avoir des liens familiaux plus solides au Pakistan.

[24] Il appartient aux demandeurs de visa d’établir qu’ils répondent aux critères relatifs à la délivrance d’un VRT, notamment de démontrer qu’ils quitteront le Canada à la fin de leur période de séjour autorisée (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Khan), 2001 CAF 345 au para 22). Parmi les facteurs qui ont été jugés pertinents eu égard à cette conclusion, il y a les liens du demandeur au Canada et dans son pays de résidence, ainsi que sa capacité financière (Kheradpazhooh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1097 aux para 2-4; Bunsathitkul c Canada (Citoyeneté et Immigration), 2019 CF 376 aux para 18-19; Rudder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 689 aux para 11-12).

[25] Ayant examiné le dossier et entendu les observations des parties, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les arguments des deux demandeurs peuvent être interprétés comme une demande à la Cour de soupeser à nouveau la preuve et de substituer ses propres conclusions à celles de l’agent. Ce n’est pas le rôle de la Cour.

[26] En toute déférence, je suis d’avis que les motifs de l’agent sont compatibles avec la preuve présentée par les parties. Ils satisfont au critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt (Ministre de la Citoyenneté et Immigration Canada) c Vavilov, 2019 CSC 65, car ils permettent à la Cour de suivre le raisonnement du décideur.

[27] Cela est particulièrement vrai considérant i) la quantité importante de demandes de visa que reçoivent les bureaux des visas au Canada et à l’étranger; ii) l’obligation qu’ont les agents des visas de traiter les demandes rapidement et avec efficience; et iii) le fait qu’ils ne sont pas tenus de donner des motifs détaillés pour justifier leurs décisions (Yuzer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781 aux para 9, 15 et 20).

[28] Lorsque, comme dans le cas qui nous occupe, l’agent des visas a obéi au principe de justification adaptée, la Cour doit s’abstenir d’intervenir.

[29] Les demandeurs soutiennent que les enfants sont maintenant grands et qu’ils n’ont pas besoin du soutien financier et de la présence quotidienne de leurs parents. C’est vrai. Cependant, les liens affectifs et financiers des demandeurs avec les membres de leur famille canadienne sont réels et solides. De plus, ils n’ont pas vraiment d’incitatifs financiers à rester au Pakistan. Ces conclusions sont compatibles avec la preuve dont disposait l’agent.

[30] À mon avis, l’agent a raisonnablement évalué les facteurs d’incitation au départ et d’attirance et, dans l’ensemble, sa décision appartient aux issues raisonnables.

VI. Conclusion

[31] Pour les motifs qui précèdent, je rejette la demande de contrôle judiciaire. Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS IMM-4752-21, IMM-4757-21 ET IMM-4759-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

IMM-4752-21, IMM-4757-21 ET IMM-4759-21

 

DOSSIER :

IMM-4752-21

 

INTITULÉ :

MUHAMMAD RAHIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-4757-21

 

INTITULÉ :

ROZINA RAHIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-4759-21

 

INTITULÉ :

ZARINA MUSSA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 janvier 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 7 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Gordon H. Maynard

 

Pour les demandeurs

 

Helen Park

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maynard Kischer Stojicevic

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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