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Date : 20220412


Dossier : IMM‑217‑21

Référence : 2022 CF 480

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2022

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

KAMI MICHELLE CHISHOLM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Kami Michelle Chisholm (Mme Chisholm) est une citoyenne américaine de 47 ans. Sa mère vit aux États‑Unis. Mme Chisholm a un frère; nul ne sait où il se trouve. Elle est arrivée au Canada pour la première fois en 2011 en provenance des États‑Unis, à l’âge de 36 ans. Elle a passé la majorité des dix dernières années au Canada, ayant obtenu des permis de travail et d’études. En 2019, Mme Chisholm a présenté une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le 25 janvier 2021, un agent principal d’immigration (l’agent) a rejeté sa demande. Mme Chisholm présente maintenant une demande de contrôle judiciaire, au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR, dans laquelle elle conteste la décision de l’agent.

[2] Mme Chisholm a fondé sa demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire sur son degré d’établissement au Canada, ainsi que sur les prétendus risques et conditions défavorables qui sont présents aux États‑Unis.

[3] Pour les motifs exposés ci‑dessous, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Les faits allégués devant l’agent

[4] En ce qui concerne son degré d’établissement au Canada, Mme Chisholm a entre autres affirmé devant l’agent qu’elle résidait principalement au Canada depuis 2011; qu’elle étudiait et travaillait au Canada; qu’elle avait donné des présentations et des projections de films au Canada; qu’elle avait produit et réalisé un film dans le cadre de son programme de maîtrise à l’Université York, qui avait connu un grand succès à l’échelle internationale; qu’elle avait fondé une entreprise au Canada qui produisait des films et employait des Canadien(ne)s; qu’elle avait reçu de nombreuses subventions du gouvernement à l’échelle municipale, provinciale et fédérale; qu’elle avait lancé le Toronto Queer Film Festival (le festival); qu’elle avait fait la promotion de la réalisation de films autochtones; et qu’elle avait établi un réseau d’amis et de collègues professionnels au Canada.

[5] Quant à la question concernant les risques et les conditions défavorables aux États‑Unis, Mme Chisholm a soutenu qu’elle ne serait pas en mesure de recevoir un soutien médical approprié si elle devait retourner aux États‑Unis; qu’elle serait isolée et sans soutien aux États‑Unis en raison de son orientation sexuelle et de son éloignement de sa famille; qu’elle n’aurait pas d’endroit où vivre; et qu’elle n’aurait aucun moyen d’obtenir un emploi aux États‑Unis. En outre, elle a fait valoir devant l’agent que le financement pour les arts, en particulier pour la communauté LGBTQ+ dont elle est membre, est très limité aux États‑Unis.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[6] L’agent a rejeté la demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par Mme Chisholm. Il a déclaré qu’il n’était pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire justifiaient l’octroi de la dispense.

[7] L’agent a accepté la plupart des observations de Mme Chisholm concernant son degré d’établissement au Canada, et leur a accordé un certain poids. Il n’a accordé aucun poids à l’affirmation de Mme Chisholm selon laquelle elle avait fondé une entreprise au Canada, en raison de l’absence d’éléments de preuve corroborante. Il n’a pas non plus accordé de poids à son affirmation selon laquelle elle avait employé sept membres d’équipe de tournage canadiens pour produire ses films, étant donné le manque de corroboration. Dans l’ensemble, l’agent a conclu que Mme Chisholm [traduction] « [était] établie au Canada », et [traduction] « [a accordé] du poids à ce facteur ».

[8] Quant aux affirmations de Mme Chisholm concernant les risques et les conditions défavorables présents aux États‑Unis, l’agent :

  • n’a accordé aucun poids à l’allégation selon laquelle Mme Chisholm ne serait pas en mesure de recevoir un soutien médical approprié pour ses problèmes de santé si elle devait retourner aux États‑Unis;

  • a jugé que le manque de soutien familial pour Mme Chisholm aux États‑Unis était une [traduction] « difficulté très mineure »;

  • n’a accordé que peu de poids à l’allégation selon laquelle elle ne pouvait pas obtenir de logement ou d’emploi aux États‑Unis, cette allégation étant, selon lui, spéculative;

  • et n’a accordé que peu de poids à l’allégation selon laquelle le financement des arts, en particulier les arts LGBTQ+, est extrêmement limité aux États‑Unis, car il n’y avait aucun élément de preuve corroborant l’affirmation de Mme Chisholm.

[9] L’agent a ensuite procédé à une [traduction] « appréciation globale » des considérations d’ordre humanitaire de Mme Chisholm. Voici l’extrait pertinent de l’appréciation effectuée par l’agent :

[traduction]

« Mon appréciation globale de cette demande porte sur le degré d’établissement de la demanderesse au Canada, et les difficultés potentielles liées son retour dans le pays d’origine. Ces difficultés comprennent le fait de retourner dans un pays où la demanderesse n’a pas de réseau de soutien, et où elle a mentionné avoir des préoccupations d’ordre médical. Selon mon appréciation, la demanderesse est établie au Canada; elle a fait des études et obtenu un emploi en Ontario, et a noué des amitiés et des liens sociaux dans la région de Toronto.

J’ai également examiné les déclarations de la demanderesse concernant les difficultés dans le pays d’origine. […] J’ai accordé peu de poids à ces considérations.

Je reconnais que la demanderesse n’a pas de réseau social aux États‑Unis, et que la famille qui lui reste là-bas ne lui offre aucun soutien. Je suis sensible à cette difficulté. Toutefois, je juge que la demanderesse, qui a déménagé dans un autre pays et s’y est établie, serait probablement en mesure de se rétablir aux États‑Unis, pays dans lequel elle a passé la majeure partie de sa vie.

Je conclus qu’il y aura un défi inhérent au fait de retourner dans son pays d’origine après avoir passé plus de neuf ans au Canada. J’accepte qu’il y aura une période d’ajustement pour la demanderesse après son retour aux États‑Unis. Je reconnais qu’il pourrait initialement y avoir des problèmes liés à l’obtention d’un logement et d’un emploi. Toutefois, je constate également que la demanderesse connaît la langue principale et les coutumes des États‑Unis puisqu’elle y a passé la majeure partie de sa vie, ce qui simplifiera sa transition.

J’ai effectué une appréciation globale de tous les facteurs présentés par la demanderesse, et je ne suis pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire dont je suis saisi justifient l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. »

IV. Les dispositions applicables

[10] La disposition applicable est le paragraphe 25(1) de la LIPR :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

V. Les questions en litige

[11] Mme Chisholm formule les questions de la façon suivante :

[traduction]

· L’agent a‑t‑il déraisonnablement omis d’expliquer pourquoi le degré d’établissement de Mme Chisholm au Canada était insuffisant pour justifier une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire?

· L’agent a‑t‑il déraisonnablement appliqué une approche axée sur les difficultés en substituant une conclusion d’absence de difficultés à une analyse du degré d’établissement?

VI. Analyse

A. La norme de contrôle

[12] Les parties conviennent que la décision de l’agent est sujette à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 25). Aucune des exceptions à la présomption de la norme de contrôle de la décision raisonnable ne s’applique dans les circonstances.

[13] « [U]ne décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Pour infirmer une décision, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes suffisamment graves; ainsi, des lacunes simplement superficielles ou accessoires ne suffiront pas à infirmer la décision (Vavilov, au para 100). Fait important, la cour de révision doit examiner la décision dans son ensemble et s’abstenir de procéder à une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Vavilov, aux para 85, 102).

B. L’agent a‑t‑il déraisonnablement omis d’expliquer pourquoi le degré d’établissement de Mme Chisholm au Canada était insuffisant pour justifier une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire?

[14] Mme Chisholm affirme que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a accepté le fait qu’elle était établie au Canada, sans toutefois expliquer pourquoi son degré d’établissement était insuffisant pour justifier une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Elle soutient qu’il ressort clairement du dossier qu’elle est [traduction] « extrêmement bien établie » au Canada. Mme Chisholm fait valoir que, non seulement l’agent n’a pas expliqué pourquoi son degré d’établissement était insuffisant pour justifier une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, mais qu’il n’a pas non plus mentionné ce qui serait considéré comme étant suffisant pour justifier une dispense en l’espèce. Je m’arrête ici pour dire qu’aucun agent n’est tenu d’expliquer ce qu’il pourrait considérer comme étant suffisant pour justifier une dispense. Les décisions fondées sur des considérations d’ordre humanitaire sont hautement discrétionnaires. Il incombe toujours au demandeur de convaincre le décideur de sa position. Un décideur n’est pas tenu de fournir des décisions anticipées ou d’offrir des conseils juridiques.

[15] Mme Chisholm affirme en outre qu’il y a une absence totale d’un raisonnement démontrant comment son degré d’établissement a été soupesé par l’agent dans son [traduction] « appréciation globale ». Mme Chisholm affirme essentiellement que l’analyse de l’agent, ou encore l’absence d’analyse, la laisse dans le doute quant aux raisons pour lesquelles il a rejeté sa demande. Elle invoque la jurisprudence suivante : Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 989 aux para 18, 19; Kandhai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 656 au para 36; Tindale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 236 aux para 9–11; Chandidas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 258, [2014] 3 RCF 639 au para 80; Baco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 694 au para 18; Ahmadzai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 725 au para 14.

[16] Mme Chisholm soutient également que l’agent a écarté des éléments de preuve pour tenter de réduire son degré d’établissement relativement à l’allégation selon laquelle elle employait des personnes pour le fonctionnement du festival. Elle fait valoir que l’agent disposait de lettres d’employés du festival mentionnant qu’ils avaient travaillé pour celui‑ci, ce qui contredisait la conclusion selon laquelle elle avait fourni peu d’éléments de preuve démontrant que le festival employait des personnes. Cet argument est sans fondement. Ce qui constitue une preuve faible ou suffisante relève de la compétence de l’agent. Une cour de révision ne devrait pas modifier de telles conclusions (Vavilov, au para 125). Je note que l’agent a pris acte du fait que [traduction] « de nombreuses personnes sont maintenant impliquées dans cet événement ».

[17] Le défendeur soutient que le degré d’établissement au Canada est un facteur important, mais non déterminant. Il affirme que la capacité de déterminer si le degré d’établissement est suffisant, tout en prenant en considération d’autres facteurs, relève à bon droit de la compétence d’un agent. Le défendeur soutient que la décision de l’agent était conforme à la jurisprudence exigeant la mise en balance et la prise en considération de tous les facteurs pour trancher une demande fondée sur le paragraphe 25(1), et que le processus visé au paragraphe 25(1) est l’exception. Ce processus ne doit pas devenir une autre voie d’immigration. Je suis d’accord. Le défendeur ajoute, et je conviens, que d’autres décideurs auraient sans doute pu accorder un poids plus ou moins important au degré d’établissement de Mme Chisholm, mais l’appréciation de la preuve relève de la compétence de l’agent (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 RCF 635 [Owusu] au para 12; Vavilov, précité, au para 125).

[18] Un agent qui examine une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, présentée au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR, doit tenir compte de toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes alléguées par un demandeur afin de déterminer si, lorsqu’elles sont appréciées globalement, elles pourraient inciter une personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 au para 13; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1251 au para 13). Les décisions relatives aux considérations d’ordre humanitaire commandent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire axé sur les faits, et le poids accordé par un agent à différents facteurs ne devrait généralement pas être réexaminé par une cour de révision (Arshad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 510 au para 19; Owusu, précité, au para 12; Vavilov, précité, au para 125).

[19] Le degré d’établissement au Canada est l’un des facteurs pertinents à prendre en ligne de compte lors de l’appréciation d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Lorsque l’agent a apprécié le degré d’établissement de Mme Chisholm au Canada, il a conclu qu’elle [traduction] « [était] établie au Canada » et a accordé du [traduction] « poids » à cette considération. Mme Chisholm estime qu’elle est [traduction] « extrêmement bien établie » au Canada. Avec égards, la Cour ne devrait pas disséquer les motifs de l’agent pour déterminer si un adverbe a été omis dans son appréciation du degré d’établissement de Mme Chisholm. La conclusion de l’agent selon laquelle elle était établie était satisfaisante et, compte tenu des éléments de preuve qu’il a acceptés, était déterminante quant à cette question. La question de savoir si l’agent aurait dû accorder plus de poids à certains éléments de preuve est sans importance dans les circonstances.

[20] Il est bien établi que le degré d’établissement d’un demandeur est insuffisant, en soi, pour justifier une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 11 aux para 51, 52; D’Souza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 264 au para 13; Henson c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 1218 [Henson] au para 32.

[21] La situation en l’espèce est différente de celle de l’affaire Henson, où il y avait d’autres facteurs favorables qui auraient pu avoir une incidence sur l’issue (Henson, précité, au para 32). Il convient de rappeler qu’en examinant les autres observations de Mme Chisholm, l’agent a conclu (1) qu’il n’y avait aucun élément de preuve à l’appui de son état de santé ou du fait que les soins de santé aux États‑Unis seraient insuffisants; (2) que le manque de soutien familial pour Mme Chisholm à son retour aux États‑Unis serait une [traduction] « difficulté très mineure »; (3) que les éléments de preuve présentés étaient insuffisants pour démontrer qu’elle ne pouvait pas obtenir de logement ou d’emploi; et (4) qu’il y avait peu d’éléments de preuve à l’appui de sa déclaration selon laquelle le financement pour les arts dans son domaine serait insuffisant aux États‑Unis. Dans ce contexte, je ne vois aucune erreur dans l’analyse par l’agent du degré d’établissement ou dans la pondération de ce facteur au regard de son [traduction] « appréciation globale ». L’agent a pris acte du fait que Mme Chisholm était établie au Canada et a noté qu’il y aurait une difficulté inhérente au fait de retourner dans son pays, mais a finalement conclu que les considérations d’ordre humanitaire qu’elle avait présentées étaient insuffisantes pour justifier une dispense des exigences prévues par la LIPR. À mon avis, cette conclusion est conforme au principe bien connu selon lequel, bien que l’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (Kanthasamy, précité au para 23).

C. L’agent a‑t‑il déraisonnablement appliqué une approche axée sur les difficultés en substituant une conclusion d’absence de difficultés à une analyse du degré d’établissement?

[22] Mme Chisholm soutient que l’agent a uniquement apprécié sa demande sous l’angle des difficultés. Elle soutient qu’il ressort clairement de [traduction] « [l’]appréciation globale » de l’agent qu’il a substitué une conclusion d’absence de difficultés à une analyse du degré d’établissement, ce qui constitue une erreur susceptible de contrôle (Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72 aux para 35–36; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 824 au para 17). Elle soutient également que le fait que l’agent a décrit son manque de soutien familial aux États‑Unis comme une [traduction] « difficulté très mineure » démontre qu’il a mal compris sa situation particulière en tant que membre de la communauté LGBTQ+. De plus, elle affirme que l’agent a transformé ce facteur favorable en un facteur justifiant le rejet de la demande.

[23] Le défendeur soutient que l’agent n’a pas commis d’erreur en tenant compte des éléments de preuve, ou du manque d’éléments de preuve, concernant les difficultés ou les risques auxquels Mme Chisholm ferait face si elle était renvoyée aux États‑Unis. Il soutient en outre que Mme Chisholm n’a pas établi de lien entre les conditions défavorables dans le pays et sa situation personnelle (Kanthasamy, précité aux para 51, 56).

[24] Je ne peux souscrire à l’argument de Mme Chisholm pour dire que son manque de soutien familial aux États‑Unis, tel que décrit par l’agent comme étant une [traduction] « difficulté très mineure » démontre qu’il a mal compris sa situation particulière. Chaque année, les agents d’immigration examinent des centaines de demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire. Cette conclusion a été tirée par l’agent sur la base de son expertise spécialisée en matière d’immigration et de sa connaissance des conditions dans le pays. La Cour n’a pas pour rôle d’effectuer à son tour une analyse (Bhatia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1000 au para 33). Je rejette aussi l’affirmation de Mme Chisholm selon laquelle l’agent [traduction] « a utilisé ce facteur favorable et l’a déraisonnablement transformé en un facteur justifiant le rejet de la demande ». Déterminer ce qui constitue un facteur favorable ou un facteur justifiant le rejet d’une demande fait partie intégrante du rôle d’un agent dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve pour déterminer si ce facteur constitue un [traduction] « facteur favorable », comme le laisse entendre Mme Chisholm (Vavilov, précité, au para 125). Quoi qu’il en soit, il était entièrement loisible à l’agent de conclure que le manque de soutien familial pour Mme Chisholm aux États‑Unis constituerait une [traduction] « difficulté très mineure », compte tenu de sa situation dans la présente affaire. Cette situation comprend, entre autres, sa connaissance de l’anglais, la réputation internationale dans les arts qu’elle alléguait avoir, son haut niveau d’études et d’expérience de travail, et le fait qu’elle avait passé environ 75 p. 100 de sa vie aux États‑Unis.

[25] Avec égards, l’agent n’a pas substitué une conclusion d’absence de difficultés à une analyse du degré d’établissement. Il a analysé en détail la question du degré d’établissement, et a conclu que Mme Chisholm avait démontré qu’elle était [traduction] « établie ». Il a analysé les difficultés potentielles de la même manière, et a constaté qu’elles n’étaient pas convaincantes. Il a ensuite déclaré que son appréciation globale avait tenu compte du degré d’établissement de Mme Chisholm au Canada, qui avait déjà fait l’objet d’une analyse approfondie, ainsi que des difficultés potentielles. Compte tenu de l’analyse détaillée que l’agent a fait de la position de Mme Chisholm sur les diverses questions, il ne m’apparaît pas évident que l’agent soit tombé dans le piège consistant à dénuder de son sens, le facteur de l’établissement comme c’était le cas dans l’affaire Osun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 295 (au para 22).

VII. Conclusion

[26] Je suis d’avis que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. Je crois que les lacunes qui pourraient être présentes dans la décision sont accessoires par rapport au fond de la décision (Vavilov, précité au para 100). Même s’il est possible que certains faits, comme le nombre de personnes employées par Mme Chisholm, soient inexacts, le résultat final resterait le même. L’agent a raisonnablement conclu que la demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de Mme Chisholm n’était pas justifiée.

[27] Je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l’une ni l’autre des parties n’a demandé à la Cour de certifier une question aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale, et le dossier n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑217‑21

 

INTITULÉ :

KAMI MICHELLE CHISHOLM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 janvier 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

Le 12 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Jean Marie Vecina

 

Pour la demanderesse

Bridget A. O’Leary

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vecina Law

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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