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Date : 20220421


Dossier : IMM-4580-21

Référence : 2022 CF 572

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2022

En présence de l'honorable juge Roy

ENTRE :

LIONEL NZAMBE LETEYI

MADDIE MIDIBI NZAMBISA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Lionel Nzambe Leteyi et Mme Maddie Midibi Nzambisa, les demandeurs, recherchent le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent principal d’immigration (le « décideur ») qui a refusé leur demande faite en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) [LIPR]. Les demandeurs voulaient être dispensés de devoir faire leur demande de résidence projetée à partir de l’extérieur du Canada, comme le requiert l’article 11 de la LIPR. La dispense leur a été refusée.

[2] La demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu de l’article 72 de la LIPR.

I. Le contexte

[3] Les demandeurs sont des citoyens de la République démocratique du Congo (RDC) qui sont arrivés au Canada en septembre 2014 avec des visas d’étude émis à Tunis en août 2014; ils débarquaient à Montréal le 7 septembre de la même année. Ils faisaient des demandes d’asile au début d’octobre 2014 et celles-ci étaient refusées le 5 décembre 2014 dans le cas de monsieur et le 5 janvier 2015 pour madame. Des permis de travail ont été émis par ailleurs pour les deux en mai 2015 et ont été renouvelés à répétition depuis. Ils invoquaient des considérations humanitaires pour leur permettre de faire une demande de résidence permanente sans quitter le Canada le 30 juillet 2020.

[4] Deux enfants sont nés de l’union des demandeurs. Il s’agit de deux fillettes, nées le 30 août 2019 et le 22 décembre 2016.

[5] Les facteurs invoqués au titre des considérations humanitaires sont : l’établissement de la famille, l’intérêt supérieur des enfants et les conditions défavorables et difficiles en RDC. On doit noter qu’une suspension temporaire des renvois (STR) à destination de la RDC est en place depuis plusieurs années. Les demandeurs ne sont pas à risque présentement de devoir retourner dans leur pays de nationalité.

II. La décision attaquée

[6] Les demandeurs invoquent leur établissement au Canada. Puisque les demandeurs étaient au Canada depuis six ans au moment où ils ont fait leur demande, un certain niveau d’établissement est attendu. Les deux demandeurs auront fourni des avis de cotisation pour les années 2014 à 2018, mais les avis de M. Leteyi pour les années 2015 à 2018 n’indiquent aucun revenu pour ces années alors que les trois autres années auraient généré des revenus modestes, dont une année avec un revenu de 2 500 $. Mme Nzambisa montrait des revenus tous inférieurs à 20 000 $ par année. Le décideur devait commenter que peu d’information était fournie au sujet de la stabilité financière d’une famille de quatre personnes alors que les revenus présentés sont modestes. L’emploi des demandeurs est certes un facteur positif, mais il ne peut recevoir qu’un poids relatif. J’ai compris que la relativité provenait des revenus modestes.

[7] Le décideur a aussi retenu qu’il semble que les demandeurs aient su développer des réseaux sociaux et de soutien, à en juger par les lettres d’appui reçues.

[8] Le décideur a noté dans sa décision que les demandeurs ont fourni peu d’explications ou de preuves à l’égard de leur argument relatif à l’intérêt supérieur des deux enfants. Cette constatation de la part du décideur n’est pas contestée, l’avocat des demandeurs ayant concédé qu’il y avait peu à dire étant donné le bas âge des enfants.

[9] Le décideur a donc dû ne considérer que les conditions en RDC relatives aux enfants, constatant qu’elles sont loin d’être idéales, surtout lorsqu’on les compare au Canada. De fait, le jeune âge des enfants fait en sorte que leur intérêt serait de rester avec leurs parents. Or, le décideur note qu’un refus de la demande faite en l’espèce n’entraînera pas le départ des parents puisque la STR reste en place. C’est ainsi qu’à l’heure actuelle, « il est plus probable qu’improbable que les enfants continueront d’avoir accès à leurs parents, au logement, aux soins de santé et à l’éducation publique en restant au Canada » (Décision de l’agent principal d’immigration, p. 5 de 6).

[10] Le décideur a aussi examiné comme facteur, indépendamment de l’intérêt des enfants, les conditions défavorables en RDC pour ce qui est des défendeurs eux-mêmes. Il semble, selon la décision sous examen, que les demandeurs aient repris dans une bonne mesure les mêmes éléments qui avaient été soulevés lors de leurs demandes d’asile : ces demandes ont été rejetées. Manquait à l’examen l’expérience des deux demandeurs de leur croissance en RDC où ils semblent bien avoir pu se développer et étudier sans incident apparent.

[11] Malgré tout, l’agent d’immigration a reconnu « que les conditions dans le pays sont extrêmement mauvaises à un point tel que les demandeurs seraient probablement confrontés à des difficultés en conséquence, et que l’idée de retourner dans le pays peut présenter un stress et des difficultés supplémentaires. J’ai accordé une attention positive à ces demandes » (Décision de l’agent principal d’immigration, p. 5 de 6). Or, le décideur note que la STR pour la RDC est en place et qu’il n’y a aucune indication que les demandeurs sont interdits de territoire au Canada, faisant en sorte qu’ils puissent faire l’objet d’un renvoi malgré la STR. En conséquence, le refus de la demande ne produit aucun renvoi, ce qui atténue évidemment les difficultés que les demandeurs pourraient devoir éprouver.

[12] Examinant dans leur ensemble les facteurs invoqués par les demandeurs pour bénéficier de l’article 25 de la LIPR, le décideur constate le peu d’éléments offerts relatifs à l’intérêt supérieur des enfants; leurs intérêts seraient de rester avec leurs parents qui, de toute manière, resteraient au Canada. L’établissement des demandeurs est positif mais modeste, d’autant que la preuve fournie donne une image incomplète de leur situation financière. Quant aux conditions défavorables en RDC, elles reçoivent aussi une considération positive, mais elle est atténuée du fait que les demandeurs n’ont pas à y faire face vu la STR. Évaluant la situation dans son ensemble, le décideur conclut que la situation personnelle des demandeurs ne mérite pas la réponse exceptionnelle que représente l’article 25 de la LIPR.

III. Arguments et analyse

[13] Tout le monde convient que ce genre de décision fait l’objet d’un contrôle judiciaire sur la base de la décision raisonnable. Essentiellement, les demandeurs prétendent que la décision sous étude est déraisonnable parce que le décideur a retenu comme positif chacun des facteurs relevés et présentés par eux à l’appui de leur demande sans conclure à une décision globale favorable aux demandeurs.

[14] Pour les demandeurs, le fait que le décideur aura conclu que les facteurs avaient tous des aspects positifs suffit pour que la conclusion finale soit que le paragraphe 25(1) de la LIPR doit s’appliquer à eux. Je reproduis ce paragraphe :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

Du fait que le décideur n’a pas donné suite à ses conclusions sur les différents facteurs soumis rendrait, selon les demandeurs, la décision incohérente, et donc déraisonnable.

[15] Les demandeurs invoquent aussi ce qu’ils considèrent comme un manque d’attention aux intérêts supérieurs des enfants; ces intérêts n’ont pas été suffisamment pris en compte selon les demandeurs.

[16] Le Ministre, pour sa part, défend le caractère raisonnable de la décision prise. Il insiste que la mesure réclamée en l’espèce est exceptionnelle et discrétionnaire; le fardeau repose sur les épaules de qui invoque l’article 25 et il leur incombe de fournir une preuve suffisante pour convaincre. Le défendeur invite la Cour à faire preuve de retenue.

[17] Au sujet du facteur de l’établissement des demandeurs, le défendeur rappelle que le décideur a conclu qu’il ne fallait qu’accorder un poids peu significatif à ce facteur. L’information sur la situation financière du couple indique des revenus modestes, là où il y aura eu revenus, et le dossier était muet sur la capacité de faire face au coût de la vie avec la présence de deux enfants. Le simple fait qu’après six ans au Canada les demandeurs ont tissé des liens sociaux et professionnels ne justifie pas une dispense de faire une demande pour devenir immigrant autrement que depuis l’étranger.

[18] Les conditions qui prévalent en RDC n’ont pas été retenues par les décideurs dans le cadre de demandes d’asile. Un même récit ne sera pas davantage crédible lorsque présenté dans le cadre de la demande fondée sur des considérations humanitaires (Zingoula c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 201; Nwafidelie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 144). De plus, il eut fallu que les demandeurs établissent le lien entre leur situation particulière et les conditions défavorables : cela n’a pas été fait (Laguerre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 603; Nyabuzana v Canada, 2021 FC 1484). Enfin, il n’y a rien de déraisonnable à tenir compte du fait que la présence de la STR fait en sorte que les demandeurs ne seront pas renvoyés. Cela fait en sorte que d’accorder peu de poids aux conditions en RDC est tout à fait raisonnable.

[19] Pour ce qui est de l’intérêt supérieur des enfants, le Ministre note que cette question n’est pas nécessairement déterminante en ce que le critère juridique est que le décideur doit être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant, et non pas que celui-ci est décisif. Ici, la preuve au sujet des enfants était mince vu leur jeune âge (ce qui a été concédé par les demandeurs). Qui plus est, le fait que les enfants ne seront pas renvoyés avec leurs parents étant donné la STR fait en sorte que le facteur ne pourrait suffire à lui seul.

[20] À mon avis, les demandeurs n’ont pas établi que la décision sous étude n’est pas raisonnable parce qu’elle serait incohérente. L’incohérence reprochée à la décision serait provenue, selon les demandeurs, du fait que les facteurs mis de l’avant ont été reconnus comme positifs. Or, cela aurait dû se transformer en réponse positive. La Cour a rappelé, lors de l’audition de la demande de contrôle judiciaire, que les demandeurs doivent rencontrer en ces matières la norme maintenant établie dans Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] :

[13] C’est la Commission d’appel de l’immigration qui, dans la décision Chirwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 351, s’est penchée la première sur la signification de l’expression « considérations d’ordre humanitaire ». La première présidente de la Commission, Janet Scott, a jugé que les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi » (p. 364). Cette définition s’inspire de celle que renferme le dictionnaire à l’entrée « compassion », soit [TRADUCTION] « chagrin ou pitié provoqué par la détresse ou les malheurs d’autrui, sympathie » (Chirwa, p. 363). La Commission reconnaît que cette définition « implique un certain élément de subjectivité », mais elle dit qu’il doit aussi y avoir des éléments de preuve objectifs pour que la mesure spéciale soit accordée (Chirwa, p. 363).

[J’ai souligné]

[21] Il n’est pas non plus inutile de rappeler que le régime de l’article 25 de la LIPR ne constitue pas un régime parallèle d’immigration (Kanthasamy, para 23). Il s’agit d’une mesure d’exception qui implique un pouvoir discrétionnaire conféré au Ministre par la loi pour lui permettre de mitiger la sévérité de la loi dans les cas appropriés (Kanthasamy, para 19). La norme non seulement veut donner accès à la dispense pour considérations d’ordre humanitaire, « mais aussi à faire obstacle à une portée indûment excessive de la disposition en cause » (Kanthasamy, para 14). La nature exclusive de la LIPR continue d’être.

[22] Il n’est pas inutile de rappeler l’ampleur de la discrétion que la LIPR confie au Ministre en ces matières. Dans Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, la Cour d’appel rappelait :

[19] Bref, la Loi sur l'immigration et la politique canadienne en matière d'immigration sont fondées sur la prémisse que quiconque vient au Canada avec l'intention de s'y établir doit être de bonne foi et respecter à la lettre les exigences de fond et de forme qui sont prescrites. Quiconque entre illégalement au Canada contribue à fausser le plan et la politique d'immigration et se donne une priorité sur tous ceux qui, eux, respectent les exigences. Le ministre, qui est responsable de l'application de la politique et de la Loi, est très certainement autorisé à refuser la dispense que demande une personne qui a établi l'existence de raisons d'ordre humanitaire, s'il est d'avis, par exemple, que les circonstances de l'entrée ou du séjour au Canada de cette personne la discréditent ou créent un précédent susceptible d'encourager l'entrée illégale au Canada. En ce sens, il est loisible au ministre de prendre en considération le fait que les raisons d'ordre humanitaire dont une personne se réclame soient le fruit de ses propres agissements.

[23] La décision en l’espèce n’a rien d’incohérent. Pour satisfaire au critère de Kanthasamy, il apparaît évident que les difficultés rencontrées par qui veut avoir accès au remède doivent être d’une certaine intensité pour inciter une personne raisonnable dans une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne. Le critère reconnaît spécifiquement qu’il s’agit d’un redressement spécial. Les facteurs présentés par les demandeurs ne suffiront pas s’il n’y a qu’une addition de facteurs plus ou moins positifs. Ainsi, au plan de l’établissement, celui-ci n’a reçu qu’une « certaine considération positive ». Il n’a pas été établi en quoi cela serait déraisonnable. À cet égard, je partage l’avis de ma collègue la juge Catherine Kane qui écrivait récemment dans Evans c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 733 :

[53] Bien que l’agent n’ait pas suggéré de degré d’établissement attendu pour M. Evans, je ne suis pas d’accord pour dire que ce serait nécessairement une erreur pour un agent de conclure qu’un demandeur n’a pas atteint ou dépassé le degré d’établissement qui serait habituel pour une personne se trouvant dans une situation semblable. Une dispense pour considérations d’ordre humanitaire n’est pas simplement un autre moyen d’obtenir un statut au Canada ou de surmonter la nécessité de présenter une demande à partir de l’étranger (comme il est mentionné dans l’arrêt Kanthasamy). Dans ce contexte, il serait raisonnable pour un agent de déterminer si le degré d’établissement correspond simplement au degré minimal raisonnable dans les circonstances ou s’il est plus important, sans fixer de niveau artificiel ou d’attente, en fonction du temps passé au Canada. Travailler, payer le loyer, payer les factures et se faire des amis sont des aspects fondamentaux de la vie qui sont raisonnablement « attendus », à moins qu’il n’y ait un obstacle. En l’espèce, il ne s’agirait pas d’un établissement remarquable ou exceptionnel qui justifierait d’accorder un poids relatif plus grand dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[24] Les deux autres facteurs invoqués par les demandeurs (intérêt supérieur des enfants et les conditions en RDC) souffrent tous les deux de la même lacune identifiée par le décideur : la STC fait en sorte que les difficultés à être rencontrées au pays où les demandeurs pourraient être éventuellement retournés ne sont pas présentes puisqu’ils bénéficient de la suspension des renvois.

[25] L’existence de la STR est pertinente. D’une part, son existence n’établit pas qu’il faille accorder la demande fondée sur l’article 25 (Likale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 43; Nkitabungi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 331). Mais plus encore, je partage l’avis que la présence même de la STR est un facteur que le décideur pouvait considérer et qu’il est pertinent. Dans Emhemed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 167, on lit :

[11] Je n’estime pas que l’agent a limité indûment son analyse des difficultés ou a entravé son pouvoir discrétionnaire en s’en remettant à la suspension administrative des renvois. L’agent a tenu compte de tous les facteurs pertinents que le demandeur avait soulevés dans ses observations. Je note également que le demandeur n’a pas présenté d’observations indiquant en quoi la situation en Libye le touchait personnellement. Dans l’ensemble, je conclus que l’évaluation des difficultés par l’agent est raisonnable. Je conclus aussi qu’il n’était pas déraisonnable qu’au cours de son évaluation des difficultés, l’agent se fonde sur le fait que le demandeur ne serait pas renvoyé du Canada. La Cour en est venue à une conclusion semblable dans la décision Ndikumana, au paragraphe 18, et dans la décision Likale, au paragraphe 38.

[Je souligne.]

De même, dans Ndikumana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 328 [Ndikumana], notre Cour constatait que les conditions difficiles dans le pays de citoyenneté peuvent ne recevoir que peu de poids lorsque prévaut une suspension temporaire de renvois :

[17] Tout d’abord, l’Agent a accordé peu de poids au fait qu’il existe des conditions difficiles au Burundi compte tenu du fait que, même en cas de refus, madame Ndikumana n’y retournerait pas compte tenu du SAR. Cette conclusion est raisonnable. Les faits sont très similaires à la cause Nicolas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 903 [Nicolas], dans laquelle le juge Noël a conclu que la décision de refuser la demande CH au motif que la dame n’avait pas pu prouver les conditions défavorables en Haïti, malgré une STR en vigueur, était raisonnable (Nicolas au para 32).

[…]

[19] En l’espèce, il ne serait pas déraisonnable de conclure que madame Ndikumana va continuer de bénéficier du SAR, et qu’elle n’aura donc pas à affronter les conditions actuelles au Burundi.

[…]

[21] La conclusion selon laquelle madame Ndikumana n’aura pas à souffrir des conditions actuelles au Burundi, considérant qu’une STR est actuellement en cours, est donc raisonnable.

[26] Il me semble que le caractère raisonnable doit inclure le simple fait qu’un demandeur ne saurait invoquer une situation de faits à laquelle il ne sera pas confronté de par la présence de la STR (ou du sursis administratif au renvoi [SAR]). Si la situation devait changer dans le pays de citoyenneté de telle manière que le sursis temporaire de renvoi était levé, il y aurait alors lieu de considérer en quoi, et de combien, la situation intérieure est défavorable. À ce stade-ci, l’exercice est artificiel et fondamentalement théorique.

[27] Face à la possibilité qu’il soit raisonnable pour le décideur en notre espèce de donner peu de poids aux conditions actuelles défavorables en RDC, ce qui porte bien sûr directement atteinte au caractère déraisonnable de la décision sous étude, l’avocat des demandeurs a suggéré qu’un argument puisse être que c’est l’état de précarité au Canada dans lequel sont laissés les demandeurs qui pourrait justifier le remède de l’article 25. Cet argument ne peut être présenté au stade du contrôle judiciaire puisqu’il n’a jamais été présenté devant le décideur administratif à qui a été confié le soin d’examiner les arguments au mérite. Rien de tel n’a été fait. C’est au tribunal administratif de considérer les arguments au mérite, pas à la cour chargée de la révision d’une décision (Canada (Public Safety and Emergency Preparedness) v Bakafik, 2022 CAF 18, 466 DLR (4th) 333 aux paras 51-53). Je note toutefois qu’un argument similaire semble bien avoir été présenté dans Ndikumana. Notre Cour a conclu que le rejet de l’argument par le décideur avait tous les attributs de la décision raisonnable (Ndikumana, para 23). En notre cas, la question ne se pose pas.

[28] Au cours de l’audience, la Cour a demandé à l’avocat du Ministre s’il était possible aux demandeurs de faire une nouvelle demande en vertu de l’article 25 de la LIPR si tant est que la STR devait être levée au sujet de la RDC. Sans aucune hésitation, et de façon formelle, l’avocat a déclaré que ce serait possible. De fait, on a souvent vu plus qu’une demande basée sur l’article 25 être faites là où les conditions auront changé. Les facteurs pourraient alors être présentés de nouveau, avec les ajustements nécessaires à cause du passage du temps. Il me semblerait équitable que le Ministre considère une nouvelle demande qui serait présentée avec diligence en temps opportun avant que des mesures de renvoi ne soient entreprises dans ce cas d’espèce. Lorsque l’agent principal d’immigration rejette une demande en vertu de l’article 25 de la LIPR en bonne partie parce que les demandeurs n’auront pas à quitter le Canada en vertu d’une STR, l’intention des demandeurs de rechercher le redressement spécial a été clairement manifestée. Lorsque les conditions changent, un examen approprié des conditions réelles alors en place devrait être permis. S’il est vrai qu’un examen soit artificiel alors que la STR est en place, lorsque les conditions sont suffisantes pour lever la STR, il serait équitable de refaire l’exercice si les demandeurs en font la demande de manière diligente.

[29] La Cour conclut que la demande de contrôle judiciaire telle qu’elle est présentée est rejetée. Après avoir considéré la suggestion d’une question en vertu de l’article 74, question qui aurait été difficile à justifier en vertu du droit applicable (Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130; Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22), les demandeurs n’ont pas fait une telle suggestion. Le Ministre n’en a pas suggéré non plus. Il en résulte qu’aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT au dossier IMM-4580-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question en vertu de l’article 74 de la LIPR n’est certifiée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-4580-21

 

INTITULÉ :

LIONEL NZAMBE LETEYI et AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 avril 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Sibomana Emmanuel Kamonyo

 

Pour LEs DEMANDEURs

 

Michel Pépin

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale – Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

Pour LEs DEMANDEURs

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

 

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