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Date : 20220425


Dossier : T‑749‑21

Référence : 2022 CF 492

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2022

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

NORMA JOHNSTONE

demanderesse

et

MISTAWASIS NÊHIYAWAK,

DARYL WATSON, COLBY DANIELS,

ROBIN DANIELS, STEVEN JOHNSTON,

LESLIE PECHAWIS ET

DEREK SANDERSON

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] Norma Johnstone [Mme Johnstone] présente une demande en vertu de l’article 31 de la Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014, c 5 [la LEPN], dans laquelle elle conteste l’élection du 7 avril 2021 de Mistawasis Nêhiyawak [Mistawasis] pour les postes de chef et de conseillers [l’élection]. Mistawasis est partie au Traité no 6 et est une bande d’Indiens au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5 [la Loi sur les Indiens]. Les particuliers défendeurs sont les candidats élus à l’élection. Mme Johnstone est une membre de Mistawasis qui n’a pas été réélue au Conseil lors des élections.

[2] Mme Johnstone demande : (1) une ordonnance déclarant que l’élection a contrevenu à la LEPN ou au Règlement sur les élections au sein de premières nations, DORS/2015‑86 [le REPN], et que ces contraventions ont vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection; et (2) une ordonnance annulant l’élection et ordonnant la tenue d’une nouvelle élection avec un autre président d’élection [PE].

[3] Je conclus qu’il y a eu deux contraventions au REPN, mais qu’aucune de ces contraventions n’a vraisemblablement influé sur les résultats de l’élection au sens de l’article 31 de la LEPN. Par conséquent, la demande de Mme Johnstone sera rejetée.

II. Le contexte

A. Le régime législatif et les faits précédant l’élection

[4] La LEPN et le REPN [le régime législatif] ne s’appliquent qu’aux Premières Nations qui ont choisi d’y adhérer. L’élection, qui a eu lieu pendant la pandémie de COVID‑19, a été la première élection de Mistawasis tenue en application du régime législatif.

[5] Le 26 janvier 2021, le chef et le conseil de Mistawasis ont nommé le PE et fixé la date de l’élection et la date de mise en candidature. Le 27 janvier 2021, le PE a nommé cinq personnes à titre d’adjoints au président d’élection [APE] pour l’aider à mener et à superviser l’élection.

[6] Le régime législatif permet aux électeurs hors réserve de voter par la poste. Le paragraphe 4(1) du REPN prévoit qu’une Première Nation doit fournir au PE, au moins 65 jours avant l’élection, une liste indiquant « les dernières adresses postale et électronique connues de chacun des électeurs qui ne réside pas dans la réserve ». L’article 15 du REPN prévoit que les membres doivent présenter au PE une demande écrite pour une trousse de vote postale et fournir une « preuve d’identité ».

[7] Le 5 février 2021, le PE a envoyé par la poste aux électeurs hors réserve un avis d’assemblée de mise en candidature comprenant la trousse de mise en candidature, ainsi qu’un formulaire de demande de bulletin de vote postal [le formulaire]. Le PE a demandé aux électeurs hors réserve de lui envoyer par la poste, par télécopieur ou par courrier électronique leur formulaire dûment rempli et leur preuve d’identité pour recevoir leur trousse de vote postale. Le PE n’a envoyé des trousses de vote postales que par la poste. Il n’a envoyé aucune trousse de vote postale par courrier électronique. Certaines des trousses de vote postales ont été [traduction] « retournées à l’expéditeur ». Le PE affirme qu’il a envoyé 107 trousses de vote postales, mais qu’il n’en avait reçu que 56 à la date de l’élection ou avant cette date. Après la réception d’une trousse de vote postale, il la gardait dans une mallette verrouillée qui a été en sa possession pendant toute la période précédant l’élection.

[8] Lorsque les électeurs demandaient des bulletins de vote postaux, le PE considérait que la seule « preuve d’identité » acceptable était une pièce d’identité avec photo. Lorsque le formulaire ne comprenait pas de pièce d’identité avec photo, le PE tentait d’en aviser le membre pour corriger la lacune. Le PE a reçu cinq formulaires qui ne comprenaient pas de pièce d’identité avec photo. Deux de ces électeurs ont voté en personne alors que les trois autres n’ont pas voté.

[9] Le fils de Mme Johnstone, Perry Pechawis [M. P. Pechawis], était l’un des trois électeurs qui n’ont pas fourni de pièce d’identité avec photo et qui n’ont pas voté. Au moment de l’élection, M. P. Pechawis était l’un des six membres de Mistawasis incarcérés au pénitencier de Prince Albert. Dès le début du processus électoral, Mme Johnstone a demandé au PE comment faciliter le vote pour ces membres, puisqu’ils n’avaient pas accès à une pièce d’identité avec photo. Le PE n’a pris aucune mesure pour s’assurer que ces membres puissent voter par la poste. Mme Johnstone a fourni au PE une lettre certifiée du commis à l’appartenance de Mistawasis confirmant le nom, le numéro de registre, la date de naissance et le sexe de M. P. Pechawis. Le PE a refusé d’accepter cette preuve d’identité parce qu’elle [traduction] « n’était pas une pièce d’identité avec photo délivrée par le gouvernement ». Mme Johnstone affirme qu’aucun des membres incarcérés de Mistawasis n’a pu exercer son droit de vote. Toutefois, je fais remarquer qu’il n’y a aucun élément de preuve indiquant que l’un des autres membres incarcérés ait demandé un bulletin de vote postal.

[10] Le paragraphe 16(1) du REPN prévoit qu’un électeur doit demander une trousse de vote postale dans les 30 jours précédant la date de l’élection. Toutefois, le paragraphe 16(2) du REPN permet à un électeur de demander un bulletin de vote postal six jours ou plus avant la date de l’élection. Le 10 mars 2021, une électrice, soit Margaret Struck [Mme Struck], a envoyé un courriel au PE pour obtenir une trousse de vote postale. Le courriel de Mme Struck a été déposé dans le dossier de courrier indésirable du PE et ce dernier ne l’a découvert que le 29 mars 2021. Conformément au paragraphe 16(2), le PE a envoyé par Xpresspost une trousse de vote postale le jour où le courriel a été découvert. Mme Struck n’a pas reçu sa trousse de vote postale à temps et n’a pas pu voter. Elle affirme également qu’elle a présenté une demande plus tôt, mais que cette demande n’est pas versée au dossier.

[11] Il y avait deux bureaux de vote par anticipation à Saskatoon et à Prince Albert, mais personne ne conteste la façon dont le vote s’est déroulé dans ces bureaux de vote.

B. Les résultats de l’élection et le recomptage des voix

[12] Le rapport du PE indique qu’il y avait 2 094 électeurs admissibles, dont 820 ont voté pour le conseil. Le candidat élu au poste de chef a été élu par plus de 50 voix. Chaque candidat élu au poste de conseiller a été élu par une marge d’au moins 20 voix, à l’exception du dernier siège au conseil. La présente demande concerne le dernier siège au conseil.

[13] Trois APE ont compté manuellement les bulletins de vote la nuit de l’élection, après la fermeture des bureaux de vote. Mme Johnstone affirme que, contrairement aux élections précédentes, le PE n’a pas soulevé chaque bulletin de vote et n’a pas lu les voix. En outre, Mme Johnstone ne conteste pas le processus de comptage, à l’exception du résultat de l’élection. Les premiers résultats pour le dernier siège de conseiller étaient ceux‑ci :

Résultats initiaux

 

Leslie Pechawis

171

William Badger

171

Norma Johnstone

169

 

[14] Les APE ont recompté les voix en faveur de Leslie Pechawis et de William Badger en utilisant le même processus [le premier recomptage]. Les voix en faveur de Mme Johnstone n’ont pas été recomptées. Voici les résultats :

Premier recomptage

 

Leslie Pechawis

172

William Badger

170

 

[15] Leslie Pechawis a été élu au dernier siège au conseil. Le lendemain matin, Mme Johnstone a demandé un recomptage au PE et ce dernier l’a informée qu’elle n’avait pas droit à un recomptage. En fin de compte, le PE a accepté qu’un recomptage soit effectué le 11 avril 2021 à son domicile. Toutefois, la veille, soit le 10 avril 2021, le PE a signé et certifié les résultats de l’élection et les a envoyés à Affaires autochtones et du Nord Canada [AANC]. Il a confirmé que Leslie Pechawis avait reçu 172 voix et que William Badger en avait reçu 170.

[16] Le 11 avril 2021, Mme Johnstone, son époux, une autre personne au nom de Mme Johnstone, et un APE se sont présentés à la résidence du PE. Le PE a compté les bulletins de vote pendant que Mme Johnstone observait le processus et que les trois autres personnes gardaient le décompte. Trois recomptages ont eu lieu ce jour‑là [le deuxième recomptage, le troisième recomptage et le quatrième recomptage]. Les défendeurs affirment que pendant le deuxième recomptage, Mme Johnstone a constamment interrompu le PE et posé des questions. Le PE n’a compté que les voix en faveur de Mme Johnstone. Voici les résultats :

Deuxième recomptage

 

Norma Johnstone

171

 

 

Troisième recomptage

 

Norma Johnstone

169

 

 

Quatrième recomptage

 

Norma Johnstone

169

[17] Les parties n’ont pas demandé à la Cour de déterminer si le deuxième recomptage, le troisième recomptage et le quatrième recomptage sont des recomptages officiels au sens du régime législatif. Néanmoins, les parties ont renvoyé à ces recomptages dans leurs observations.

[18] Mme Johnstone, qui n’a pas foi dans les recomptages incohérents, a interjeté le présent appel le 6 mai 2021. Le 23 septembre 2021, suivant une entente entre les parties, un cabinet comptable indépendant a effectué un autre recomptage [le cinquième recomptage]. Toutefois, au cours du cinquième recomptage, deux bulletins de vote de moins ont été comptés. Le jour de l’élection, le nombre total de bulletins de vote comptés pour les postes de conseiller était de 820 (802 bulletins de vote valides et 18 bulletins de vote rejetés). En comparaison, lors du cinquième recomptage, il y avait 818 bulletins de vote (796 bulletins de vote valides et 22 bulletins de vote rejetés). Le cabinet comptable a rejeté quatre autres bulletins de vote en application de l’alinéa 21(4)b) du REPN. Le cabinet a rejeté les bulletins de vote parce que [traduction] « il y avait plus de marques que les cinq marques autorisées sur chacun des bulletins de vote, même si l’intention de l’électeur avait pu être interprétée ». Voici les résultats du cinquième recomptage :

Cinquième recomptage

 

Leslie Pechawis

171

William Badger

170

Norma Johnstone

167

 

III. La preuve

[19] Mme Johnstone a déposé son affidavit et les affidavits de Mme Struck, de Lana Johnstone‑Ledoux [Mme Johnstone‑Ledoux], d’Anita Johnstone [Mme A. Johnstone] et de Sheila Matheson [Mme Matheson]. Mme Matheson avait initialement déposé un affidavit indiquant qu’elle n’avait reçu aucun bulletin de vote postal et qu’elle n’avait pas pu voter à l’élection, mais elle a précisé dans un affidavit supplémentaire qu’elle avait voté en personne. Les défendeurs n’ont contre‑interrogé que Mme Johnstone.

[20] Les défendeurs ont déposé les affidavits du PE et de Rosalind Alger, l’une des APE. Mme Johnstone n’a contre‑interrogé que le PE.

IV. La question préliminaire

A. La position des défendeurs

[21] Les défendeurs soutiennent que les parties suivantes des affidavits déposés par Mme Johnstone devraient être radiées ou qu’aucun poids ne devrait leur être accordé parce qu’elles constituent une preuve par ouï‑dire, ce qui est contraire au paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] :

  • les paragraphes 3 et 4 de l’affidavit de Mme Johnstone‑Ledoux;

  • le paragraphe 2 de l’affidavit de Mme A. Johnstone;

  • les paragraphes 5, 6, 8, 11, 13 et 28 de l’affidavit de Mme Johnstone.

[22] Subsidiairement, les défendeurs soutiennent que, suivant le paragraphe 81(2) des Règles, la Cour devrait tirer une inférence défavorable de l’omission de Mme Johnstone de présenter ses meilleurs éléments de preuve (c’est‑à‑dire le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits). Les défendeurs soulignent que Mme Johnstone n’a pas fourni d’affidavits de M. P. Pechawis, de Cree Duquette (dont le nom figure dans l’affidavit de Mme Johnstone) et de Joshua Johnstone (dont le nom figure dans l’affidavit de Mme A. Johnstone), et qu’elle n’a pas expliqué pourquoi ces éléments de preuve n’ont pas été présentés.

B. La position de la demanderesse

[23] À l’audience, l’avocat de Mme Johnstone a reconnu que certains des affidavits contiennent un ouï‑dire. L’avocat a déclaré que la preuve par ouï‑dire fournit des renseignements généraux et a reconnu qu’il convient de lui accorder moins de poids. Toutefois, l’avocat a fait valoir que les éléments de preuve concernant Mme Struck et M. P. Pechawis sont admissibles parce que les défendeurs les ont mis à l’épreuve lors du contre‑interrogatoire du PE.

C. Analyse

[24] Je conclus que certaines parties des paragraphes susmentionnés comprennent des faits qui ne se limitent pas à la connaissance personnelle directe des auteurs des affidavits, contrairement au paragraphe 81(1) des Règles. Toutefois, le paragraphe 81(1) n’exclut pas nécessairement la preuve par ouï‑dire. Il prévoit que, dans le cadre d’une demande, tous les affidavits doivent se limiter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Si les éléments de preuve contenus dans un affidavit sont jugés nécessaires et fiables, ils peuvent quand même être admis malgré le paragraphe 81(1) (Éthier c Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 CF 659, [1993] CAF no 183 (CAF)).

[25] La preuve par ouï‑dire est une déclaration extrajudiciaire présentée pour établir la véracité de son contenu (R c O’Brien, [1978] 1 RCS 591 à la p 593). L’exclusion dont les déclarations relatées sont présumées faire l’objet tient essentiellement à l’incapacité générale d’en vérifier la fiabilité. Le ouï‑dire est présumé inadmissible, à moins qu’il ne soit visé par une exception traditionnelle ou qu’il soit admissible suivant l’approche raisonnée (R c Khelawon, 2006 CSC 57 aux para 2‑3). Aucun poids ne devrait être accordé aux paragraphes qui contiennent « des preuves par ouï‑dire, des arguments et des observations non pertinentes ou outrageuses » dans le cadre d’une demande en application de l’article 30 de la LEPN (Good c Canada (Procureur général), 2018 CF 1199 aux para 60, 63, 223 et 226 [Good]). Je n’accorderai aucun poids aux parties suivantes des affidavits contenus dans le dossier de Mme Johnstone.

[26] Aux paragraphes 3‑4 de son affidavit, Mme Johnstone‑Ledoux répète ce que d’autres lui ont dit, à savoir que des [traduction] « membres de Mistawasis ont demandé des bulletins de vote postaux et ne les ont pas reçus » et que les électeurs [traduction] « envoyaient des courriels à l’adresse indiquée sur les formulaires d’annonce (firstnationsgov@hotmail.com) ». Ces parties des paragraphes constituent un ouï‑dire.

[27] Le paragraphe 2 de l’affidavit de Mme A. Johnstone indique que plusieurs membres attendaient leur bulletin de vote, avaient reçu leur bulletin de vote après l’élection ou n’avaient jamais reçu leur bulletin de vote. La déclarante ne précise pas à quels membres se rapportent ces déclarations, mais elle affirme qu’elle a entendu [traduction] « de nombreuses histoires comme celle‑ci de membres de Mistawasis ». Elle affirme également qu’un membre, à savoir Joshua Johnstone, a reçu son bulletin de vote le 2 mai 2021, bien après l’élection. Il s’agit également d’une preuve par ouï‑dire.

[28] Les paragraphes 5‑6 de l’affidavit de Mme Johnstone constituent un ouï‑dire. Ils portent sur des problèmes liés aux bulletins de vote postaux dont [traduction] « un certain nombre de membres » ont parlé à Mme Johnstone. La première phrase du paragraphe 8 constitue également un ouï‑dire. Mme Johnstone y précise que [traduction] « [s]on fils voulait voter et voulait aider à faciliter la capacité des autres électeurs incarcérés de voter ». Les paragraphes 11 et 13 contiennent des déclarations selon lesquelles on a dit à Mme Johnstone que les membres incarcérés n’avaient jamais reçu leur bulletin de vote. Enfin, le début du paragraphe 28 résume certains des problèmes survenus dans le cadre de l’élection, y compris le fait que [traduction] « les électeurs hors réserve n’ont pas reçu de bulletins de vote postaux [et que] les électeurs incarcérés n’ont pas été autorisés à voter ». Je conclus que tous ces aspects de l’affidavit de Mme Johnstone constituent un ouï‑dire.

[29] La preuve par ouï‑dire est admissible si elle est à la fois nécessaire et suffisamment fiable (R c Bradshaw, 2017 CSC 35 au para 23). Mme Johnstone n’a pas fourni d’éléments de preuve directs des personnes qui étaient nommées dans les affidavits et qui alléguaient l’existence de contraventions au régime législatif, comme M. P. Pechawis, Cree Duquette, Joshua Johnstone et d’autres membres non nommés de Mistawasis. De plus, Mme Johnstone n’a pas expliqué pourquoi elle n’a pas fourni d’éléments de preuve directs de ces parties. Par conséquent, ces éléments de preuve ne peuvent pas être jugés nécessaires ou suffisamment fiables et sont inadmissibles (Potts c Nation Sioux Alexis Nakota, 2019 CF 1121 au para 28).

V. Les questions en litige

[30] Sur le fondement des observations présentées par les parties, les questions en litige sont les suivantes :

  1. Quel est le critère approprié pour déterminer si une contravention « a vraisemblablement influé sur le résultat » de l’élection?

  2. Quel est le « nombre magique »?

  3. Y a‑t‑il eu une contravention au régime législatif pour l’un des motifs suivants, laquelle « a vraisemblablement influé sur le résultat » de l’élection :

  1. défaut d’envoyer par courrier électronique des trousses de vote postales;

  2. défaut d’envoyer un bulletin de vote postal à Mme Struck en temps opportun;

  3. application erronée des exigences d’identification;

  4. défaut de prendre des mesures d’adaptation pour les électeurs en quarantaine;

  5. violations de la procédure de recomptage;

  6. bulletins de vote manquants ou égarés?

  1. Dans l’affirmative, la Cour devrait‑elle exercer son pouvoir discrétionnaire et annuler l’élection?

VI. Les positions des parties

A. Quel est le critère approprié pour déterminer si une contravention « a vraisemblablement influé sur le résultat » de l’élection?

[31] Pour que la Cour annule l’élection, Mme Johnstone doit satisfaire au critère à deux volets qui est énoncé à l’article 31 de la LEPN :

31 Tout électeur d’une première nation participante peut, par requête, contester devant le tribunal compétent l’élection du chef ou d’un conseiller de cette première nation pour le motif qu’une contravention à l’une des dispositions de la présente loi ou des règlements a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.

[32] Suivant l’article 31 de la LEPN, le demandeur doit démontrer à première vue, selon la prépondérance des probabilités, (1) qu’une « contravention à l’une des dispositions de la […] loi ou des règlements » a eu lieu et (2) que cette contravention « a vraisemblablement influé sur le résultat » de l’élection. Si le demandeur s’acquitte de cette obligation, le défendeur [traduction] « risque de voir [ses] votes […] annulés, sauf s’il est à même de présenter un élément de preuve permettant raisonnablement de conclure soit à l’absence [de contravention], soit à la validité des votes en cause malgré [la contravention] » (McNabb v Cyr, 2017 SKCA 27 au para 23 [McNabb], citant Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55 [Opitz]; voir aussi O’Soup v Montana, 2019 SKQB 185 aux para 29‑30 [O’Soup]; Good, au para 52).

[33] Dans la décision McNabb, la Cour d’appel de la Saskatchewan a également déclaré que [traduction] « la présomption de régularité se reflète dans le fardeau de la preuve et la charge de présentation qui incombent au demandeur de démontrer qu’une contravention ayant vraisemblablement influé sur le résultat d’une élection a été commise » (au para 26).

(1) Première étape : établir qu’il y a eu une contravention au régime législatif

[34] Les parties conviennent que le seuil à atteindre à l’égard du premier aspect du critère à deux volets est inférieur à celui prévu dans la Loi électorale du Canada, LC 2000, c 9 [la LEC]. Comme l’a déclaré la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, [traduction] « [s]’agissant d’une requête sous le régime de la LEPN, le demandeur n’a pas à prouver quoi que ce soit ressemblant à une fraude, à une corruption ou à un acte illégal, mais seulement une contravention à la LEPN, qu’elle ait été involontaire ou faite par inadvertance, sans avoir à établir l’existence d’une fraude, d’une corruption ou d’un acte illégal » (Paquachan v Louison, 2017 SKQB 239 au para 18 [Paquachan]). De plus, [traduction] « [i]l n’est pas nécessaire de démontrer que la contravention était délibérée ou motivée par une quelconque intention malveillante. Elle peut avoir été faite par négligence ou par inadvertance » (O’Soup, au para 27). Les défendeurs font également remarquer que cet aspect du critère [traduction] « vise à déterminer s’il y avait une “non‑conformité liée à une sauvegarde électorale” » au sein du régime législatif (O’Soup, au para 104).

(2) Deuxième étape : établir qu’une contravention a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection

[35] Les parties ne s’entendent pas sur les principes applicables qui régissent cet aspect du critère à deux volets. Mme Johnstone soutient que c’est le « critère du “nombre magique” » énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Opitz qui s’applique. Comme l’a expliqué le juge Rothstein, « [l]’élection doit être annulée si le nombre de votes rejetés est égal ou supérieur à la majorité du candidat élu » (Opitz, au para 73).

[36] Les défendeurs soutiennent que le critère du nombre magique est le mauvais critère. Ils affirment que le critère du nombre magique repose sur l’hypothèse très improbable que tous les votes rejetés étaient en faveur du candidat non élu. Dans l’arrêt McNabb, la Cour d’appel de la Saskatchewan restait explicitement ouverte à la possibilité d’une méthode plus réaliste pour évaluer les élections contestées (aux para 47‑48). De même, dans la décision Paquachan, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a remis en question l’hypothèse erronée inhérente au critère du nombre magique. La Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a souligné que, [traduction] « [d]ans une situation où le bulletin de vote sert à voter pour plus d’un candidat, contrairement à une élection fédérale, annuler l’élection d’une Première Nation pour plusieurs sièges au conseil en se fondant sur le critère du nombre magique a des conséquences désastreuses pour ceux qui sont élus par un grand nombre de voix » (Paquachan, au para 26).

[37] En fait, les défendeurs soutiennent que la Cour devrait suivre l’approche adoptée par la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick dans Ogden c Lowe, 2019 NBBR 184 [Ogden]. Dans l’affaire Odgen, aux paragraphes 149‑153, la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick rejette le critère du nombre magique. La Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick applique plutôt le « critère de […] [l’]effet prononcé », qui vise à déterminer si le nombre de votes rejetés serait « […] de nature à nous faire dire raisonnablement qu’elles ont tendance à avoir un effet prononcé sur l’élection » (au para 150).

[38] Les défendeurs citent également Bird c Première Nation de Paul, 2020 CF 475 [Bird], où la juge McVeigh a déclaré ce qui suit au paragraphe 30 :

Ensuite, en plus de prouver qu’il y a eu contravention, les requérants doivent démontrer que cette contravention a « vraisemblablement influé sur le résultat » de l’élection. Comme le juge Layh l’a fait remarquer dans le jugement Paquachan […], il faut tenir compte dans une certaine mesure des erreurs administratives lors de toute élection, et les contraventions qui ne sont pas susceptibles d’en avoir influencé le résultat n’entraînent pas son annulation. Pour démontrer qu’une irrégularité a « vraisemblablement » influé sur le résultat, il [traduction] « est nécessaire de présenter une preuve convaincante », puisque la décision d’ordonner la tenue d’un nouveau scrutin a de graves répercussions (O’Soup, par. 117).

[Caractères gras dans l’original.]

B. Quel est le « nombre magique »?

(1) La position de la demanderesse

[39] Le nombre magique représente la différence dans le nombre de voix en faveur de Leslie Pechawis et le nombre de voix en faveur de William Badger. Une voix est également la différence entre le nombre de voix en faveur de Mme Johnstone lors du deuxième recomptage (171 voix) et le nombre de voix en faveur du candidat élu, Leslie Pechawis, lors du premier recomptage (172 voix). Étant donné que le nombre magique n’est qu’une voix, toute contravention mentionnée plus loin satisfait aux exigences de l’article 31 de la LEPN et commande la tenue d’une nouvelle élection.

(2) La position des défendeurs

[40] Mme Johnstone a probablement perdu par trois voix. Lors du cinquième recomptage, le cabinet comptable indépendant n’aurait pas dû exclure trois des quatre bulletins de vote rejetés. L’alinéa 21(4)b) du REPN n’exige pas le rejet d’un bulletin de vote si un électeur inscrit cinq marques ou plus sur un bulletin de vote. Selon cette disposition, l’électeur est seulement tenu d’inscrire sur le bulletin de vote une marque qui indique clairement son choix. Les trois bulletins de vote en question indiquaient clairement le choix de l’électeur avec un « X » ou un crochet. Si le cabinet comptable indépendant n’avait pas rejeté ces trois bulletins, le cinquième recomptage aurait confirmé les résultats des premier, troisième et quatrième recomptages :

Leslie Pechawis

172

William Badger

170

Norma Johnstone

169

[41] Ainsi, le résultat le plus cohérent veut que Leslie Pechawis ait été élu par deux voix et que Mme Johnstone a perdu par trois voix.

C. Y a‑t‑il eu une contravention au régime législatif pour l’un des motifs suivants, laquelle « a vraisemblablement influé le résultat » de l’élection?

(1) Le défaut d’envoyer par courrier électronique des trousses de vote postales

a) La position de la demanderesse

[42] Mistawasis et le PE ont contrevenu au paragraphe 4(1) et à l’alinéa 5(1)b) du REPN. Aux termes du paragraphe 4(1), « [a]u moins soixante‑cinq jours avant l’élection, la première nation fournit au président d’élection les dernières adresses postale et électronique connues de chacun des électeurs qui ne résident pas dans la réserve ». Mistawasis était donc tenue de fournir au PE les adresses électroniques et postales des électeurs hors réserve. Mistawasis n’a pas fourni les adresses électroniques des électeurs au PE et ce dernier ne les a pas demandées.

[43] Suivant l’alinéa 5(1)b), « [a]u moins vingt‑cinq jours avant l’assemblée de mise en candidature, le président d’élection […] envoie par la poste et par courrier électronique, aux adresses fournies au titre du paragraphe 4(1), un avis de la tenue de l’assemblée de mise en candidature, le formulaire de déclaration d’identité et le formulaire de demande de bulletin de vote postal ». Étant donné que Mistawasis n’a fourni aucune adresse électronique au PE, les trousses de vote postales n’ont été envoyées que par la poste, en contravention de l’alinéa 5(1)b).

[44] Si elles avaient été envoyées par courrier électronique, divers problèmes liés à la poste auraient pu être évités, notamment : le non‑acheminement de trousses de vote envoyées par la poste aux électeurs (elles ont été retournées à l’expéditeur); l’arrivée tardive de trousses de vote envoyées par la poste, même si elles ont été envoyées en temps opportun; et la réception des bulletins de vote après l’élection. Le REPN exige vraisemblablement que les PE utilisent le courrier électronique en raison de ces problèmes liés à la poste. Il est difficile de savoir combien d’électeurs auraient reçu leur trousse si le PE la leur avait également envoyée par courrier électronique. Toutefois, étant donné le nombre de difficultés auxquelles ont fait face les électeurs relativement à la poste et à la communication avec le PE, il est probable qu’un plus grand nombre d’électeurs auraient voté si le PE avait utilisé le courrier électronique. Par conséquent, ces contraventions ont vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.

[45] À l’audience, l’avocat de Mme Johnstone a reconnu qu’aucun électeur n’avait fourni d’éléments de preuve au sujet de cette contravention. Néanmoins, l’avocat a soutenu que la Cour devrait tirer une inférence selon laquelle le PE n’a pas envoyé de courriels aux électeurs.

b) La position des défendeurs

[46] L’argument de Mme Johnstone au sujet du courrier électronique est un nouveau motif d’appel qui n’a pas été inclus dans son avis de demande. L’alinéa 301e) des Règles prévoit qu’un avis de demande doit comprendre un énoncé complet et concis des motifs invoqués, et ce, même si les défendeurs n’ont pas subi de préjudice (Tl’azt’en Nation c Sam, 2013 CF 226 au para 6 [Tl’azt’en]). Bien que la Cour puisse exercer son pouvoir discrétionnaire et choisir d’entendre de nouveaux motifs d’appel, elle ne peut le faire que dans des circonstances particulières, lorsque le motif d’appel est soulevé après le dépôt de l’avis de demande; que la nouvelle question est bien fondée, est apparentée à celle énoncée dans l’avis et est étayée par le dossier de la preuve; que le défendeur ne subirait pas de préjudice; et qu’il n’en résulterait pas de retard indu (Tl’azt’en, au para 7). Aucune de ces circonstances n’est présente en l’espèce.

[47] Par ailleurs, rien n’indique l’existence d’une contravention au paragraphe 4(1) ou à l’alinéa 5(1)b) du REPN. Le PE n’a pas reçu de courriels de Mistawasis. Le paragraphe 4(1) exige seulement qu’une Première Nation fournisse au PE les « dernières adresses postal[es] et électroniqu[es] connues » des électeurs hors réserve. La connaissance de ces courriels par la Première Nation est une condition préalable à toute obligation présumée. Rien n’indique que Mistawasis détenait les adresses électroniques des électeurs ou que les électeurs avaient fourni leurs adresses électroniques à la Première Nation.

[48] L’alinéa 5(1)b) exige que le PE envoie les formulaires aux adresses fournies au titre du paragraphe 4(1). Ces dispositions doivent être lues en corrélation. Étant donné que rien n’indique que Mistawasis détenait les adresses électroniques des membres, le PE n’a pas contrevenu à l’alinéa 5(1)b).

[49] Enfin, même s’il y avait eu des contraventions au paragraphe 4(1) et à l’alinéa 5(1)b), Mme Johnstone n’a présenté aucun élément de preuve qui établisse l’existence d’un effet sur les résultats de l’élection. En l’absence d’éléments de preuve convaincants, ce motif d’appel ne repose que sur des hypothèses.

(2) Le défaut d’envoyer un bulletin de vote postal à Mme Struck en temps opportun

a) La position de la demanderesse

[50] Aux termes du paragraphe 16(1) du REPN, « [a]u plus tard le trentième jour avant l’élection, le président d’élection envoie par la poste à l’électeur qui en a fait la demande écrite une trousse […] ». L’élection a eu lieu le 7 avril 2021. Mme Struck affirme qu’elle a présenté sa demande le 3 mars 2021, soit 34 jours avant l’élection. Lorsqu’elle n’a pas reçu sa trousse, elle s’est informée auprès du PE et ce dernier lui a dit de présenter de nouveau sa demande. Elle l’a fait le 10 mars 2021.

[51] Bien que la demande par courrier électronique du 3 mars 2021 ne figure pas au dossier, le paragraphe 16(2) s’applique toujours. Suivant cette disposition, « [s]i l’électeur soumet une demande écrite de bulletin de vote postal six jours ou plus avant la date de l’élection, le président d’élection lui envoie la trousse par la poste ou la lui remet à l’heure et au lieu convenus, et ce, dans les plus brefs délais après la réception de la demande ». Mme Struck affirme que sa demande soumise le 10 mars 2021 a été déposée dans le dossier de courrier indésirable du PE. Le PE a ensuite demandé à Mme Struck d’envoyer la demande à l’adresse électronique des APE. Le PE n’a pas envoyé à Mme Struck sa trousse de vote postale avant le 29 mars 2021. Cela n’est pas « dans les plus brefs délais ». Mme Struck n’a pas été en mesure de voter à temps. Dans ces circonstances, il y a eu contravention aux paragraphes 16(1) et 16(2). Le vote de Mme Struck suffit à lui seul à influer sur les résultats de l’élection.

b) La position des défendeurs

[52] La pièce 1 jointe à l’affidavit de Margaret Struck établit clairement que Mme Struck a envoyé sa demande de bulletin de vote postal le 10 mars 2021 (28 jours avant l’élection), et non le 3 mars 2021. Par conséquent, c’est le paragraphe 16(2) du REPN qui s’applique à ce motif d’appel, et non le paragraphe 16(1).

[53] Le fait que le courriel du 10 mars 2021 de Mme Struck ait été déposé dans le dossier du courrier indésirable du PE est un exemple du type d’imperfection qui est inévitable dans le contexte d’une élection (Opitz, au para 46). Le PE n’a découvert le courriel de Mme Struck que le 29 mars 2021. Par conséquent, puisque l’article 15 et le paragraphe 16(1) exigent que les demandes de trousse de vote postale soient faites par écrit, il n’était pas possible pour le PE d’envoyer une trousse à Mme Struck plus tôt. Le PE n’a pas contrevenu au paragraphe 16(2) parce que, dès qu’il a découvert l’existence du courriel dans son dossier de courrier indésirable, il a envoyé une trousse de vote postale à Mme Struck.

[54] Par ailleurs, s’il y avait eu contravention au paragraphe 16(2), il est peu probable qu’elle ait influé sur les résultats de l’élection. Étant donné que la marge de victoire de Leslie Pechawis sur William Badger était de deux voix, même si Mme Struck avait voté pour William Badger, Leslie Pechawis aurait tout de même remporté le dernier siège par une voix.

(3) L’application erronée des exigences d’identification

a) La position de la demanderesse

[55] L’article 15 du REPN prévoit que l’électeur qui demande une trousse de vote postale doit présenter une demande écrite accompagnée d’une « preuve d’identité ». Le régime législatif ne prévoit aucune exigence particulière pour prouver l’identité. Pourtant, même si les bulletins de vote étaient envoyés par la poste et qu’il n’était pas possible de confirmer visuellement l’identité de l’électeur, le PE exigeait une pièce d’identité avec photo de M. P. Pechawis et d’autres personnes. Par conséquent, le PE a contrevenu au paragraphe 16(1) du REPN, qui prévoit qu’il envoie une trousse de vote postale à l’électeur qui présente une demande écrite au titre de l’article 15.

[56] L’exigence du PE concernant la pièce d’identité avec photo a privé de leurs droits M. P. Pechawis, cinq autres électeurs incarcérés au pénitencier de Prince Albert et, peut‑être, d’autres personnes qui n’ont pas accès à une pièce d’identité avec photo pour diverses raisons. Des exigences strictes d’identification des électeurs peuvent entraîner la suppression du droit de vote des groupes marginalisés (Sauvé c Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68 au para 60). En effet, M. P. Pechawis n’a pas de pièce d’identité avec photo, car les prisonniers ne peuvent pas conserver de pièce d’identité avec photo. Mme Johnstone a également mentionné le processus électoral de l’Alberta, dans le cadre duquel les détenus peuvent utiliser des lettres d’attestation pour prouver leur identité.

[57] Les principes d’interprétation législative appuient également la position selon laquelle exiger une pièce d’identité avec photo en application de l’article 15 du REPN est une norme trop élevée. Le droit de vote d’un membre d’une bande lors d’une élection est un « droit fondamental » (Corbiere c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203 au para 90, [1999] ACS no 24 [Corbiere]). On doit prêter aux dispositions comme l’article 15 « une interprétation conforme à leurs objets, qui consistent à offrir à tous les électeurs en droit de voter l’occasion d’exercer leur droit démocratique fondamental, soit celui de voter » (Boucher c Fitzpatrick, 2012 CAF 212 au para 27). Le législateur s’est abstenu de préciser « la façon d’identifier les électeurs d’une première nation participante » dans le REPN, alors que la LEPN a conféré ce pouvoir au gouverneur en conseil (LEPN, art 41). Par conséquent, le PE ne peut pas exiger unilatéralement une pièce d’identité avec photo. En outre, contrairement à la LEC, le législateur a choisi de ne pas exiger une pièce d’identité avec photo délivrée par le gouvernement au titre du régime législatif. Il faut donc considérer que le législateur voulait qu’une norme différente s’applique (Nova Tube Inc/Nova Steel Inc c Conares Metal Supply Ltd, 2019 CAF 52 au para 40).

[58] Enfin, les tribunaux ont conclu que le régime législatif n’impose pas au PE une obligation positive d’insister sur la pièce d’identité avec photo dans le contexte du vote en personne (Paquachan, au para 46). Les exigences d’identification dans le cadre du vote par la poste doivent être interprétées à la lumière de cette conclusion.

[59] À tout le moins, le PE aurait dû accepter la lettre certifiée du commis à l’appartenance qui confirmait l’identité de M. P. Pechawis. Le fait que M. P. Pechawis n’ait pas voté suffit à influer sur le résultat de l’élection.

b) La position des défendeurs

[60] La seule question se rapportant à ce motif d’appel est celle de savoir si le PE a contrevenu au REPN en concluant que la lettre soumise par M. P. Pechawis ne constituait pas une preuve d’identité. Le régime législatif ne précise pas quel type de pièce d’identité constitue une preuve d’identité, et la jurisprudence n’offre pas d’éclairage à cet égard. Dans les circonstances, le régime législatif accorde au PE le pouvoir discrétionnaire inhérent de déterminer ce qui est considéré comme une preuve d’identité. La décision du PE d’appliquer la même norme énoncée dans la LEC (voir le paragraphe 143(2)) était raisonnable et plus appropriée que d’appliquer une norme arbitraire.

[61] Compte tenu de cette norme, la lettre de M. P. Pechawis ne constitue pas une preuve d’identité. La lettre avait pour seul objet d’indiquer que M. P. Pechawis est membre de Mistawasis. La lettre n’établit pas qu’il était la personne qui demandait un bulletin de vote postal au PE.

[62] Rien n’indique que les cinq autres membres incarcérés de Mistawasis ont été privés de leurs droits en raison de la règle relative à la pièce d’identité avec photo. En fait, rien n’indique que d’autres personnes incarcérées ont demandé à voter ou ont fourni une pièce d’identité que le PE a rejetée. Tout élément de preuve présenté par Mme Johnstone à cet égard constitue un ouï‑dire.

(4) Le défaut de prendre des mesures d’adaptation pour les électeurs en quarantaine

a) La position de la demanderesse

[63] Certains électeurs qui prévoyaient voter en personne n’ont pas pu le faire parce qu’ils ont dû se mettre en quarantaine. Le paragraphe 16(2) du REPN prévoit que les électeurs doivent soumettre une demande de bulletin de vote postal six jours ou plus avant l’élection. Au moins un électeur qui avait l’intention de voter en personne a dû se mettre en quarantaine dans les six jours précédant l’élection. Le PE a refusé de fournir à cet électeur un bulletin de vote postal.

[64] Bien que le régime législatif ne prévoie pas de mesures en cas de pandémie, les paragraphes 17(2) et 21(7) du REPN prévoient tous deux qu’une autre personne peut aider l’électeur si ce dernier est incapable de voter de la manière prévue dans le REPN. Ces dispositions doivent être interprétées de manière à permettre à un électeur en quarantaine de recevoir un bulletin de vote. Le PE ne l’a pas fait, ce qui a entraîné une contravention aux paragraphes 17(2) et 21(7), ainsi que la privation du droit de vote d’au moins un électeur. Une seule voix suffit pour influer sur les résultats de l’élection.

b) La position des défendeurs

[65] Les paragraphes 17(2) et 21(7) ne s’appliquent pas aux électeurs en quarantaine et n’imposent pas l’obligation alléguée par Mme Johnstone. Mme Johnstone invite la Cour à procéder à une [traduction] « reformulation judiciaire inadmissible » (Beattie v National Frontier Insurance Co (2003), 233 DLR (4th) 329, 68 OR (3d) 60 (CA) au para 16 [Beattie]). Les tribunaux canadiens ne peuvent combler les lacunes dans les régimes législatifs que lorsqu’une lacune peut être qualifiée d’erreur de rédaction mineure (R v Vinepal, 2015 BCCA 349 aux para 17‑19; Stone c Woodstock (Ville), [2006] ANB no 277 (CA), 302 RNB (2d) 165). L’absence d’une disposition exigeant que le PE apporte un bulletin de vote à un électeur en quarantaine n’est pas une erreur de rédaction mineure.

[66] Dans la décision Paquachan, le juge Layh a conclu que le régime législatif n’impose pas au PE une obligation positive de vérifier l’identité des électeurs. Par conséquent, il a conclu qu’il n’y avait eu aucune contravention et que l’élection ne devrait pas être annulée sur le fondement d’une disposition implicite présumée de la LEPN (au para 47). De même, l’argument de Mme Johnstone doit être rejeté parce qu’il n’y a aucune disposition pouvant faire l’objet d’une violation.

(5) Les violations de la procédure de recomptage

a) La position de la demanderesse

[67] Le paragraphe 24(2) du REPN exige un recomptage automatique des voix en faveur de tous les candidats lorsqu’une élection est déterminée par moins de cinq voix. Selon le paragraphe 24(3), un « recomptage a lieu au plus tard dans les vingt‑quatre heures qui suivent l’annonce du président d’élection ».

[68] Le premier recomptage n’a pas porté sur les voix en faveur de Mme Johnstone, ce qui contrevient au paragraphe 24(2) du REPN.

[69] Le PE a également contrevenu au REPN en certifiant les résultats de l’élection auprès d’AANC un jour avant d’effectuer les deuxième et troisième recomptages le 11 avril 2021. Par conséquent, les deuxième et troisième recomptages n’auraient pas pu modifier les résultats certifiés. Le PE n’a donc jamais effectué un recomptage approprié, comme l’exigent les paragraphes 24(2) et 24(3) du REPN.

[70] Le cinquième recomptage faisait état de deux bulletins de vote de moins que les autres recomptages, ce qui n’est pas concluant. Lors de tous les recomptages, le nombre de voix se situait dans les fourchettes suivantes :

Leslie Pechawis

171‑172

William Badger

170‑171

Norma Johnstone

167‑171

 

 

Total des voix

818‑820

 

[71] Compte tenu des contraventions aux paragraphes 24(2) et 24(3), on a empêché les parties de savoir avec certitude qui a réellement remporté l’élection. Par conséquent, une nouvelle élection est nécessaire.

b) La position des défendeurs

[72] Les défendeurs reconnaissent que le PE a contrevenu au paragraphe 24(2) du REPN. Toutefois, les défendeurs soutiennent que la contravention n’a vraisemblablement pas influé sur les résultats de l’élection et qu’elle n’a pas entraîné une incertitude. Le PE a recompté trois fois les voix en faveur de Mme Johnstone. Le cinquième recomptage, qui était indépendant, fournissait une certitude à tous les partis et aurait confirmé les résultats des premier, troisième et quatrième recomptages si le cabinet avait compté trois des bulletins de vote qu’il avait rejetés à tort.

[73] Le fait que le cinquième recomptage indépendant ait confirmé les résultats devrait fournir une certitude supplémentaire que Leslie Pechawis a remporté le dernier siège au conseil par deux voix et que Mme Johnstone a perdu par trois voix. Il n’y a aucun élément de preuve convaincant indiquant que la contravention aux procédures de recomptage a vraisemblablement influé sur les résultats de l’élection.

(6) Les bulletins de vote manquants ou égarés

a) La position de la demanderesse

[74] Le REPN exige que les boîtes de scrutin soient scellées, que le PE et les autres personnes présentes apposent leurs initiales sur le sceau, que le PE veille à ce que la boîte de scrutin scellée soit gardée en lieu sûr, et, après un recomptage, que le PE insère les bulletins de vote dans des enveloppes scellées et veille à ce que celles‑ci soient gardées en lieu sûr (art 24(4)a) à d), et 25(1)). Le PE n’a pas dû suivre ces dispositions puisque deux bulletins de vote n’avaient pas été comptabilisés lors du cinquième recomptage, ce qui aurait pu facilement modifier le résultat de l’élection. La Cour d’appel de la Saskatchewan a confirmé la conclusion selon laquelle les bulletins de vote [traduction] « non comptabilisés » constituaient une contravention au REPN qui a vraisemblablement influé sur les résultats de l’élection (McNabb, aux para 42‑43).

b) La position des défendeurs

[75] Il y avait un écart entre le nombre total de bulletins de vote indiqué dans le rapport du PE et le nombre total de bulletins de vote indiqué dans le rapport du cabinet comptable indépendant. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il y avait deux bulletins de vote manquants qui n’ont pas été comptés. Les résultats du cinquième recomptage auraient été les mêmes que ceux du PE si le cabinet n’avait pas rejeté trois bulletins de vote. Cela donne à penser qu’au lieu de deux bulletins de vote manquants, l’écart découle plus probable de l’enregistrement erroné du nombre total de bulletins de vote par le PE. Cette erreur est un autre exemple d’imperfection à laquelle on devrait s’attendre lors d’une élection.

[76] Selon la présomption de régularité, les tribunaux devraient [traduction] « commencer par la position selon laquelle l’élection […] a été menée conformément à toutes les exigences juridiques applicables » (O’Soup, au para 33). La Cour doit présumer que le PE s’est conformé aux dispositions de conservation en lieu sûr du REPN. Mme Johnstone n’a pas fourni d’éléments de preuve indiquant le contraire. Or, le rapport du cabinet comptable indépendant indique que la boîte de scrutin a été scellée. La présente affaire se distingue de l’affaire McNabb, où il y avait une preuve concrète de conservation incorrecte. En l’espèce, il n’y a aucune preuve semblable.

[77] Par ailleurs, si deux bulletins de vote ont effectivement disparu, ces bulletins n’auraient vraisemblablement pas influé sur les résultats de l’élection. Les résultats du cinquième recomptage indépendant étaient les mêmes que ceux indiqués dans le rapport du PE. Si deux bulletins de vote étaient manquants et que les résultats du cinquième recomptage n’étaient pas différents, ces bulletins n’ont vraisemblablement pas influé sur les résultats de l’élection.

(7) La Cour devrait‑elle exercer son pouvoir discrétionnaire et annuler l’élection?

a) La position de la demanderesse

[78] Le nombre magique en l’espèce est un vote. Toutes les contraventions susmentionnées atteignent ce seuil. Le résultat de l’élection aurait été différent si Mme Struck, M. P. Pechawis, les autres membres incarcérés de Mistawasis, les électeurs en quarantaine ou les électeurs dont les bulletins de vote ont disparu avaient pu faire entendre leurs voix. Par conséquent, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et annuler l’élection.

[79] Mme Johnstone a interjeté appel de l’élection du chef et du conseil. Toutefois, si la Cour conclut que la marge de victoire du chef (51 voix) est suffisamment grande pour que les contraventions susmentionnées n’influent pas sur les résultats de l’élection du chef, cette dernière ne devrait pas être annulée. En l’espèce, la solution ne peut pas être une élection partielle pour le dernier siège au conseil. L’élection du conseil doit donc être annulée dans son intégralité (Yukon (Chief Electoral Officer) v Nelson, 2014 YKSC 26 aux para 17‑18).

b) La position des défendeurs

[80] La Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire et annuler l’élection. Mme Johnstone n’a pas établi que des erreurs avaient influé sur les résultats de l’élection. Le cinquième recomptage indiquait que Leslie Pechawis avait remporté l’élection par deux voix.

[81] Par ailleurs, même s’il y avait des contraventions qui ont vraisemblablement influé sur les résultats de l’élection, la Cour ne devrait pas annuler l’élection (voir Opitz, aux para 48‑49; O’Soup, aux para 122‑125). Toute erreur était de nature administrative et il s’agit là d’un facteur dont il faut tenir compte (Opitz, au para 46). Une cour de révision devrait [traduction] « tenir compte largement de la nature de la contravention, de son importance et de sa pertinence » lorsqu’elle détermine si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire (O’Soup, au para 31). L’« accumulation » d’erreurs administratives ne peut pas justifier une nouvelle élection; une seule contravention doit avoir vraisemblablement influé sur les résultats (Bird, au para 118).

[82] De plus, annuler l’élection porterait atteinte aux droits des électeurs, entraînerait la révocation des conseillers qui avaient remporté un grand nombre de voix, augmenterait le risque de litiges futurs, ébranlerait la certitude des résultats démocratiques, provoquerait une désillusion chez les électeurs et établirait un dangereux précédent en matière d’élections au sein des Premières Nations (Bird, au para 31). Si des erreurs administratives mineures suffisent pour annuler une élection au sein d’une Première Nation, il y aura une augmentation des appels par des candidats non élus. De plus, les candidats non élus verront un avantage à soulever plusieurs allégations en appel qui révéleront inévitablement certaines imperfections dans l’élection.

VII. Analyse

A. Quel est le critère approprié pour déterminer si une contravention « a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection »?

[83] Le critère du nombre magique est le critère approprié pour déterminer si une contravention a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection. L’arrêt Opitz portait sur une élection fédérale. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

[71] Jusqu’à maintenant, les tribunaux ont utilisé exclusivement le critère du « nombre magique » énoncé dans O’Brien (p. 93) pour trancher les requêtes en contestation d’élection. Selon ce critère, il faut annuler l’élection si le nombre de votes rejetés égale ou dépasse la majorité du vainqueur (Blanchard, p. 320).

[72] Le critère du « nombre magique » est simple. Toutefois, par sa nature, il favorise le requérant. Il suppose que tous les votes rejetés étaient pour le candidat élu, ce qui est en fait très peu probable. Aucun autre critère n’a cependant été élaboré. En l’espèce, on n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui d’une quelconque formule statistique qui serait fiable et qui ne compromettrait pas le caractère confidentiel du scrutin.

[73] Nous aurons donc recours au critère du nombre magique pour les besoins de la présente requête. L’élection doit être annulée si le nombre de votes rejetés est égal ou supérieur à la majorité du candidat élu. Par contre, nous n’écartons pas la possibilité qu’un tribunal adopte à l’avenir une méthode plus réaliste pour trancher les requêtes en contestation d’élection.

[Non souligné dans l’original.]

[84] Comme le soulignent les défendeurs, dans les affaires McNabb et Paquachan, les cours de la Saskatchewan ont également remis en question le critère du nombre magique dans le contexte d’élections où les bulletins de vote ont servi à voter pour plus d’un candidat en vertu du régime législatif. Les défendeurs ont également invoqué l’affaire Ogden pour alléguer que le critère du nombre magique ne devrait pas être appliqué. Dans la décision Ogden, la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick a refusé d’appliquer le critère du nombre magique, faisant remarquer ce qui suit :

[149] À ma connaissance, le critère du nombre magique n’a jamais été appliqué au Nouveau‑Brunswick. L’utilisation d’un tel critère serait incompatible avec le critère de l’[traduction] « effet prononcé » formulé par le juge en chef Hazen dans l’arrêt Anderson. Le voici :

[traduction]

[…] avant que l’élection ne puisse être annulée et qu’une nouvelle élection ne puisse être ordonnée, il faut démontrer que les irrégularités sont importantes, et non pas de simples banalités, et qu’elles sont de nature à nous faire dire raisonnablement qu’elles ont tendance à avoir un effet prononcé sur l’élection.

[Non souligné dans l’original.]

[85] À titre de comparaison, la Cour a toujours appliqué le critère du nombre magique à l’examen des élections menées en vertu du régime législatif. Bien que les affaires McNabb et Paquachan aient toutes deux remis en question le critère du nombre magique, les défendeurs n’ont formulé aucun autre critère, à l’exception de leur invocation de l’affaire Odgen la veille de l’audition de la présente affaire. Au regard des observations des parties, il n’y a aucun fondement suffisant permettant à la Cour de déterminer un critère autre que le critère du nombre magique.

[86] De plus, tant dans la décision Paquachan que dans l’arrêt McNabb, les cours ont finalement appliqué le critère du nombre magique ou confirmé l’application de ce critère (Paquachan, au para 98; McNabb, aux para 48, 50 et 53).

[87] La Cour a reconnu que le critère du nombre magique n’est pas approprié dans les affaires portant sur des allégations de fraude ou de corruption. À titre de comparaison, la Cour a fait remarquer qu’il était approprié dans les appels concernant des « irrégularités de forme », comme en l’espèce (Papequash c Brass, 2018 CF 325 au para 34; Good, au para 54).

[88] Pour ces motifs, bien que le critère du nombre magique soit imparfait et pose problème dans le contexte de bulletins de vote servant à voter pour plus d’un candidat, il demeure le seul critère statistique qui ne « compromettrait pas le caractère confidentiel du scrutin » (Opitz, au para 72).

B. Quel est le « nombre magique »?

[89] Je suis d’avis que le nombre magique est très vraisemblablement deux. Les voix en faveur de Mme Johnstone ont été recomptées quatre fois. Voici les résultats :

Deuxième recomptage

 

Norma Johnstone

171

 

 

Troisième recomptage

 

Norma Johnstone

169

 

 

Quatrième recomptage

 

Norma Johnstone

169

 

 

Cinquième recomptage

 

Leslie Pechawis

171

William Badger

170

Norma Johnstone

167

[90] Le cabinet comptable indépendant qui a procédé au cinquième recomptage a rejeté trois bulletins de vote parce que ceux‑ci comportaient une marque additionnelle. Toutefois, à mon avis, il est clair que la marque additionnelle constituait une correction. Dans chaque cas, l’intention des électeurs était claire. Si le cabinet avait compté ces bulletins de vote, Mme Johnstone aurait obtenu deux voix de plus et Leslie Pechawis aurait obtenu une voix de plus. En d’autres termes, les totaux de tous les recomptages, à l’exception du deuxième recomptage, auraient été cohérents :

Premier recomptage

 

Leslie Pechawis

172

William Badger

170

 

 

Deuxième recomptage

 

Norma Johnstone

171

 

 

Troisième recomptage

 

Norma Johnstone

169

 

 

Quatrième recomptage

 

Norma Johnstone

169

 

 

Cinquième recomptage

 

Leslie Pechawis

172

William Badger

170

Norma Johnstone

169

[91] Les défendeurs affirment que le deuxième recomptage était lacunaire parce que Mme Johnstone avait interrompu le PE pendant le recomptage pour lui poser des questions. Lors du contre‑interrogatoire, le PE a affirmé que les questions de Mme Johnstone portaient sur les raisons pour lesquelles il comptait un certain bulletin de vote ou non et qu’elles interrompaient son décompte. Il devait répondre à chacune de ces questions et recommencer le décompte. Dans son affidavit, une APE a déclaré qu’elle pensait que le PE avait compté deux fois un bulletin de vote en faveur de Mme Johnstone à la suite de l’une de ces interruptions. Lors du contre‑interrogatoire du PE, l’avocat de Mme Johnstone a tenté de contester ces éléments de preuve en soulignant qu’au paragraphe 73 de son affidavit, le PE a affirmé que, lors des recomptages du 11 avril, Mme Johnstone n’avait soulevé aucune question concernant des bulletins de vote inutilisables. À mon avis, le PE ne fait pas de déclarations incohérentes. Le REPN prévoit qu’un « bulletin de vote inutilisable » est un bulletin de vote qu’un électeur a rendu inutilisable par inadvertance (REPN, art 21(9)), tandis que les « bulletins de vote rejetés » sont des bulletins de vote qui n’ont pas été comptés (REPN, art 23a) et e)). Lors de son contre‑interrogatoire, Mme Johnstone a admis qu’elle n’avait pas remarqué de bulletins de vote inutilisables. Elle a plutôt vu des bulletins de vote qui, à son avis, auraient dû être rejetés par le PE.

[92] Je conclus que les interruptions de Mme Johnstone pendant le deuxième recomptage auraient raisonnablement pu nuire à l’intégrité du processus de recomptage et expliquer pourquoi elle a obtenu deux voix supplémentaires. Après les recomptages ininterrompus par le PE et le cabinet comptable indépendant, Mme Johnstone avait obtenu 169 voix et Leslie Pechawis 172 voix, soit deux de plus que William Badger. Par conséquent, Mme Johnstone doit démontrer qu’il y a eu au moins une contravention au régime législatif qui a entraîné la privation du droit de vote d’au moins deux électeurs.

C. Y a‑t‑il eu une contravention au régime législatif pour l’un des motifs suivants, laquelle « a vraisemblablement influé le résultat » de l’élection?

(1) Le défaut d’envoyer par courrier électronique des trousses de vote postales

[93] Bien que l’avis de demande de Mme Johnstone définisse les exigences prévues par les articles 4 et 5 du REPN, il n’est indiqué nulle part que le PE n’a pas envoyé de trousses de vote postales par courrier électronique. Je conviens avec les défendeurs que ce motif d’appel est nouveau et qu’il ne relève d’aucune des exceptions à l’alinéa 301e) des Règles qui sont énoncées dans la décision Tl’azt’en.

[94] Toutefois, je conclus que le PE a clairement indiqué lors de son contre‑interrogatoire qu’il n’a reçu aucune adresse électronique de Mistawasis :

[traduction]

Q : D’accord. Alors je veux, en quelque sorte, commencer par le début et juste poser quelques questions sur les envois par la poste que vous avez effectués au début du processus électoral. Au paragraphe 6 de votre affidavit, vous indiquez qu’AANC vous a fourni la liste des électeurs; est‑ce exact?

R : Oui.

Q : D’accord. Et ensuite, au paragraphe 8, vous indiquez également que la bande vous a donné une liste des électeurs avec des étiquettes d’envoi; est‑ce exact?

R : Ils nous ont donné une liste d’adresses avec les étiquettes. C’est exact.

Q : C’est exact. Vous ont‑ils aussi donné les adresses électroniques de… des électeurs?

R : Non.

Q : Est‑ce que c’était un « non »?

R : Non. Qu’est‑ce que je… ils ne l’ont pas fait.

Q : Ils ne l’ont pas fait. D’accord. Et avez‑vous demandé des adresses électroniques de l’agent [transcription phonétique] des électeurs?

R : Non.

Q : D’accord. Et pour être clair, au paragraphe 9 de votre affidavit, vous déclarez que vous avez envoyé les trousses de mise en candidature par la poste. Et pour être tout à fait clair, vous ne les avez pas aussi envoyées par courrier électronique, n’est‑ce pas?

R : Juste par la poste.

[Non souligné dans l’original.]

[95] En vertu de l’article 4 du REPN, la Première Nation est responsable de fournir au PE les « dernières adresses postale et électronique connues » des électeurs. En l’espèce, Mistawasis n’a fourni aucune adresse électronique au PE. Si une Première Nation ne fournit aucune adresse électronique, le PE ne peut rien d’autre. Une fois que Mistawasis a fourni les renseignements qu’elle détenait, le PE n’était pas tenu de demander des renseignements supplémentaires concernant les électeurs hors réserve. Je conviens avec les défendeurs qu’il n’y a aucun élément de preuve au dossier indiquant que Mistawasis détenait les adresses électroniques des électeurs. Je conclus qu’il n’y a eu aucune contravention à première vue en ce qui concerne ce motif. Par conséquent, je n’ai pas à déterminer si le défaut d’envoyer par courrier électronique des trousses de vote postales a vraisemblablement influé sur les résultats de l’élection.

(2) Le défaut d’envoyer un bulletin de vote postal à Mme Struck en temps opportun

[96] Dans son affidavit, Mme Struck indique qu’elle a demandé par écrit une trousse de vote postale le 3 mars 2021. Toutefois, selon la pièce 1 de cet affidavit, elle a communiqué avec le PE et fourni son formulaire et sa pièce d’identité le 10 mars 2021. Mme Johnstone suggère que le courriel du 10 mars 2021 faisait suite au courriel du 3 mars 2021. Les parties conviennent que le courriel du 10 mars 2021 a été déposé dans le dossier de courrier indésirable du PE et que ce dernier ne l’a découvert que le 29 mars 2021.

[97] La Cour doit déterminer la date à laquelle Mme Struck a envoyé sa demande écrite au PE pour décider de l’application des paragraphes 16(1) ou 16(2) du REPN. Tout simplement, la Cour ne dispose que d’un élément de preuve documentaire qui corrobore la demande du 10 mars 2021 par courrier électronique. Par conséquent, je conclus que la première demande de Mme Struck a été envoyée le 10 mars 2021. À ce titre, le paragraphe 16(2) s’applique, ce qui signifie que le PE n’aurait pas pu contrevenir au paragraphe 16(1).

[98] Je conclus que Mme Johnstone a établi qu’il y a eu une contravention au paragraphe 16(2) du REPN. Une contravention au régime législatif peut être [traduction] « involontaire » et avoir été commise par [traduction] « négligence » ou par [traduction] « inadvertance » (O’Soup, au para 27). À mon avis, le défaut du PE de vérifier son dossier de courrier indésirable équivaut à une négligence ou, à tout le moins, à un acte commis par inadvertance. Le paragraphe 16(2) du REPN exige simplement qu’un électeur présente une « demande écrite ». Le régime législatif ne définit pas la « demande écrite » et ne précise pas non plus la façon dont les membres doivent soumettre cette demande. L’avis de mise en candidature et les autres documents électoraux comprennent l’adresse postale, le numéro de téléphone et l’adresse électronique du PE. Par conséquent, il incombait au PE de vérifier tous ces modes de communication. En ce qui concerne le courrier électronique, il devait vérifier son dossier de courrier indésirable. C’est particulièrement vrai compte tenu de l’importance fondamentale du droit de vote.

[99] De plus, le paragraphe 16(2) prévoit que l’obligation du PE d’envoyer un bulletin de vote postal « dans les plus brefs délais » est déclenchée « après la réception » (non souligné dans l’original) de la demande écrite d’un électeur. Le fait que des lois provinciales sur le commerce électronique prévoient qu’un courriel est réputé avoir été reçu par un destinataire [traduction] « lorsqu’il entre dans un système d’information désigné ou utilisé par le destinataire pour recevoir des renseignements ou des documents sous le format électronique envoyé, et qu’il peut être récupéré et traité par le destinataire » est révélateur (The Electronic Information and Documents Act, 2000, SS 2000, c E‑7.22, art 21(3)(a); voir aussi la Loi de 2000 sur le commerce électronique, LO 2000, chap 17, art 22).

[100] À mon avis, ces lois confèrent une légitimité à la position selon laquelle le PE a reçu la demande écrite de Mme Struck lorsque le courriel a été déposé dans son dossier de courrier indésirable. Le PE contrôle son dossier de courrier indésirable et il peut le vérifier. Par conséquent, son obligation d’envoyer à Mme Struck un bulletin de vote postal « dans les plus brefs délais » a été déclenchée le 10 mars 2021 ou très peu de temps après. Le PE a envoyé une trousse de vote postale à Mme Struck par Xpresspost le jour même où sa demande a été découverte. Si le PE avait vérifié régulièrement son dossier de courrier indésirable, il aurait pu prendre les mêmes mesures 19 jours plus tôt. Dans les circonstances, je conclus que le PE n’a pas envoyé à Mme Struck sa trousse de vote postale « dans les plus brefs délais ».

[101] Toutefois, seul un électeur a été privé de son droit de vote en raison de cette contravention. Par conséquent, je conclus que cette contravention n’a pas vraisemblablement influé sur les résultats de l’élection.

(3) L’application erronée des exigences d’identification

[102] Mme Johnstone invite la Cour à présumer l’existence de ce qui constitue implicitement une « preuve d’identité ». Pour les motifs suivants, je refuse de le faire.

[103] Dans l’affaire Paquachan, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a refusé de conclure à l’existence d’une disposition implicite concernant la preuve d’identité. Dans cette affaire, le demandeur soutenait que le PE avait l’obligation positive de vérifier l’identité des personnes votant en personne. La Cour a conclu que le régime législatif n’indiquait pas si le PE devait insister sur la preuve d’identité (au para 46). À ce titre, le juge Layh a affirmé qu’il n’était pas [traduction] « disposé à annuler un résultat d’élection au motif qu’il est présumé exister une exigence implicite dans la LEPN » (au para 47).

[104] Comme l’a souligné Mme Johnstone, l’article 41 de la LEPN confère au gouverneur en conseil le pouvoir de préciser « la façon d’identifier les électeurs d’une première nation participante » dans le REPN. Pourtant, le législateur a choisi de ne pas exercer ce pouvoir et n’a pas défini ce qui constitue une « preuve d’identité » acceptable. J’accepte la position de Mme Johnstone selon laquelle ce choix était intentionnel. Toutefois, à mon avis, il ne s’ensuit pas pour autant que le législateur a voulu que les exigences d’identification soient moins strictes que celles prévues dans la LEC. Selon cette logique, le législateur aurait pu s’attendre à ce que des exigences plus strictes soient appliquées.

[105] En fait, je conviens avec les défendeurs qu’il n’est pas approprié que la Cour définisse la « preuve d’identité ». Dans son ouvrage, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Markham, Butterworths, 2002), la professeure Sullivan explique pourquoi les tribunaux n’ont pas compétence pour combler les lacunes législatives :

[traduction]

Les tribunaux sont prêts à corriger les erreurs de rédaction, mais ils hésitent à combler les lacunes de la législation, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, contrairement aux erreurs, qui sont toujours commises par inadvertance, les lacunes dans la législation peuvent être délibérées. Les lacunes peuvent résulter d’une mauvaise rédaction, mais elles peuvent également résulter de fausses idées, d’une mauvaise planification, voire d’un choix de politique réfléchi. Pour cette raison, les lacunes sont considérées comme représentant l’intention réelle du législateur, que les tribunaux sont tenus de respecter. Il incombe au législateur plutôt qu’aux tribunaux d’effectuer toute modification souhaitée. En second lieu, que ce soit par inadvertance ou non, les lacunes résultent de dispositions ou de régimes dont l’application est restreinte, et toute correction effectuée à cet égard obligerait les tribunaux à légiférer [à la p 136].

[Non souligné dans l’original.]

[106] Les tribunaux doivent présumer que le législateur ne commet pas d’erreurs. Si le législateur voulait que des exigences d’identification spécifiques s’appliquent, il aurait inclus le libellé nécessaire pour le préciser (Beattie, au para 19). À mon avis, le silence du législateur sur cette question est vraisemblablement un [traduction] « choix de politique réfléchi » pour s’en remettre aux Premières Nations participantes. Dans l’affaire Paquachan, le juge Layh a reconnu que le PE avait mis en œuvre ses propres [traduction] « garanties procédurales » en demandant aux électeurs de présenter une pièce d’identité avec photo ou en leur demandant leur nom, leur date de naissance et le numéro du traité par lequel ils sont visés (au para 44). Le juge Layh n’a pas modifié l’approche de la Première Nation.

[107] Le renvoi aux Premières Nations est conforme au contexte et à l’objet uniques du régime législatif, consistant généralement à renforcer le processus électoral des Premières Nations. Les élections sont intrinsèquement liées à l’autonomie gouvernementale et le régime législatif était censé s’écarter du paternalisme de la Loi sur les Indiens (voir le résumé de l’étude d’impact de la réglementation concernant le REPN dans la Gazette du Canada, partie II, vol 149, no 8, aux p 1177‑1187; voir aussi Hansard, Débats de la Chambre des communes, vol 144, no 34, 2e sess, 41e lég (le 10 décembre 2013)). Par conséquent, il est raisonnable de conclure que le législateur voulait que les Premières Nations mettent en œuvre leurs propres garanties procédurales lorsque le régime législatif est muet.

[108] Par conséquent, je conclus qu’une Première Nation, par l’entremise de son PE, a le pouvoir discrétionnaire de déterminer ce qui constitue une « preuve d’identité ». Le PE n’a pas contrevenu au paragraphe 16(1) en exigeant une pièce d’identité avec photo ou en rejetant la lettre de M. P. Pechawis. De plus, rien n’indique qu’une autre personne incarcérée ait soumis une demande écrite de bulletin de vote postal. En l’absence de preuve d’une demande écrite conforme à l’article 15 du REPN, la Cour ne peut pas conclure que le PE a contrevenu au paragraphe 16(1).

[109] Je reconnais et prends très au sérieux l’argument de Mme Johnstone selon lequel des exigences strictes d’identification des électeurs peuvent entraîner la suppression d’électeurs appartenant à des groupes marginalisés. C’est particulièrement vrai dans le contexte des communautés autochtones où, pour diverses raisons, certains membres de la communauté peuvent ne pas avoir reçu de pièce d’identité avec photo du gouvernement. Les Premières Nations qui exercent leur pouvoir discrétionnaire pour mettre en œuvre des garanties procédurales lorsque le régime législatif est muet doivent être attentives aux défis potentiels à cet égard. Compte tenu de l’importance fondamentale du droit de vote des membres hors réserve (Corbiere, au para 90), les Premières Nations pourraient juger utile d’adopter des garanties procédurales plus inclusives.

(4) Le défaut de prendre des mesures d’adaptation pour les électeurs en quarantaine

[110] Comme pour le dernier motif d’appel, Mme Johnstone demande une fois de plus à la Cour de présumer l’existence d’une disposition implicite qui n’existe pas dans le régime législatif. Pour les motifs susmentionnés, je n’entends pas accéder à cette demande.

[111] Comme je l’ai mentionné plus haut, l’absence dans le régime législatif de disposition concernant les électeurs en quarantaine constitue une lacune. Le dernier motif d’appel concernait une lacune liée à un choix de politique, mais il s’agit vraisemblablement du résultat d’une [traduction] « mauvaise planification ». Naturellement, le législateur n’a pas été en mesure de prévoir que les élections des Premières Nations seraient touchées par une pandémie mondiale exigeant la mise en quarantaine soudaine de certaines personnes. Toutefois, l’exclusion d’une disposition exigeant que le PE apporte un bulletin de vote postal aux électeurs en quarantaine n’est pas une simple « erreur » ou une simple « erreur de rédaction mineure ». Je conviens avec les défendeurs que les paragraphes 17(2) et 21(7) n’imposent pas cette obligation.

(5) Les violations de la procédure de recomptage

[112] Je suis d’accord avec les parties pour dire que les paragraphes 24(2) et 24(3) du REPN n’ont pas été respectés. Il n’y a jamais eu de recomptage adéquat des trois candidats dont la différence entre le nombre de voix en leur faveur était de moins de cinq voix dans les 24 heures suivant l’annonce du PE, comme l’exigeait le REPN. Le PE a également contrevenu au paragraphe 24(2) en envoyant prématurément les résultats à AANC avant de procéder à un recomptage approprié selon la REPN.

[113] Toutefois, à mon avis, ces contraventions n’ont vraisemblablement pas influé sur les résultats de l’élection. Les voix en faveur de Mme Johnstone ont été recomptées quatre fois. Je conviens avec les défendeurs que, si le cabinet comptable indépendant n’avait pas rejeté trois des bulletins de vote, les résultats auraient toujours été les mêmes.

(6) Les bulletins de vote manquants ou égarés

[114] L’aperçu fourni aux paragraphes 75 à 77 montre que l’écart dans le nombre total de bulletins de vote est probablement attribuable à une erreur d’enregistrement. Je peux comprendre que les électeurs voudraient une élection sans erreur afin qu’ils puissent avoir confiance dans tous les aspects du processus électoral. Toutefois, le régime législatif reconnaît que des erreurs ou des irrégularités peuvent se produire. C’est pourquoi le législateur a ajouté l’exigence voulant que ces erreurs ou irrégularités aient vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.

[115] Je reconnais également que les deuxième, troisième, quatrième et cinquième recomptages n’étaient pas conventionnels puisqu’ils ne relevaient pas du régime législatif. Comme je l’ai mentionné plus haut, aucune partie n’a cherché à invalider ou à discréditer ces recomptages supplémentaires. Je vais donc formuler brièvement quelques remarques à ce sujet. Le cinquième recomptage correspond aux résultats des premier, troisième et quatrième recomptages. Si deux bulletins de vote n’avaient pas été comptabilisés dans le cinquième recomptage, le résultat aurait dû être différent de celui des autres recomptages, mais il ne l’est pas.

[116] Mme Johnstone n’a présenté aucun élément de preuve établissant le non‑respect de l’une ou l’autre des mesures de conservation prévues dans le REPN (art 24(4)a) à d), et 25(1)). Au contraire, les éléments de preuve montrent que les dispositions de conservation en lieu sûr ont été respectées. Le rapport du cabinet comptable indique que, immédiatement avant le cinquième recomptage, la boîte de scrutin était scellée. De même, dans son affidavit, le PE indique qu’il a gardé dans une mallette verrouillée tous les bulletins de vote postaux qu’il avait reçus. Le jour de l’élection, les témoins ont vérifié que les boîtes étaient vides, et les boîtes ont ensuite été scellées. Ces témoins ont signé un document intitulé [traduction] « Déclaration du témoin à l’ouverture du scrutin », qui a confirmé ce point. Lors de son contre‑interrogatoire, le PE a également affirmé qu’après le premier recomptage et les recomptages du 11 avril 2021, lui et les APE ont scellé et signé les boîtes de scrutin. La présomption de régularité s’applique à la conservation des bulletins de vote en lieu sûr. À ce titre, Mme Johnstone n’a pas établi qu’il y avait eu une contravention en ce qui concerne ce motif d’appel.

D. La Cour devrait‑elle exercer son pouvoir discrétionnaire et annuler l’élection?

[117] S’il y a eu une violation du régime législatif, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’annuler une élection. L’article 31 et le paragraphe 35(1) de la LEPN prévoient ce qui suit :

31 Tout électeur d’une première nation participante peut, par requête, contester devant le tribunal compétent l’élection du chef ou d’un conseiller de cette première nation pour le motif qu’une contravention à l’une des dispositions de la présente loi ou des règlements a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.

[…]

35 (1) Au terme de l’audition, le tribunal peut, si le motif visé à l’article 31 est établi, invalider l’élection contestée.

[Non souligné dans l’original.]

[118] Le pouvoir discrétionnaire de la Cour découle de l’emploi du mot permissif « peut » (McNabb, au para 45; Paquachan, au para 25). Toutefois, le pouvoir discrétionnaire de la Cour est limité par l’application du critère du nombre magique parce que cette application [traduction] « est purement arithmétique et n’admet qu’une seule réponse correcte. Selon la preuve et les calculs, l’identité du gagnant fait ou ne fait pas de doute » (McNabb, au para 48). En l’espèce, bien que l’élection du dernier conseiller ait été très serrée, l’identité du gagnant ne fait pas de doute et la Cour ne peut pas exercer son pouvoir discrétionnaire et annuler l’élection. Mme Johnstone a établi que deux contraventions au régime législatif ont été commises, mais elle n’a pas établi qu’elles auraient vraisemblablement influé sur les résultats de l’élection.

VIII. Conclusion

[119] La demande par laquelle Mme Johnstone conteste les résultats de l’élection de Mistawasis est rejetée. Seule Mme Johnstone a présenté des observations exhaustives sur les dépens. Il est préférable de donner aux défendeurs une autre occasion de présenter leurs observations en tenant compte de l’issue de la demande (Bertrand c Première Nation Acho Dene Koe, 2021 CF 287 au para 104).


JUGEMENT dans le dossier T‑749‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande contestant l’élection de Mistawasis, sous le régime des articles 31 à 35 de la LEPN, est rejetée;

  2. Les parties, y compris Mme Johnstone, peuvent présenter leurs observations sur les dépens de la manière suivante :

    1. Mme Johnstone présentera, si elle le désire, des observations supplémentaires au plus tard le 16 mai 2022;

    2. les défendeurs déposeront leurs observations au plus tard le 6 juin 2022.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T‑749‑21

INTITULÉ :

NORMA JOHNSTONE c MISTAWASIS NÊHIYAWAK, DARYL WATSON, COLBY DANIELS, ROBIN DANIELS, STEVEN JOHNSTON, LESLIE PECHAWIS ET DEREK SANDERSON

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 octobre 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

Le 25 avril 2022

COMPARUTIONS :

Evan Duffy

Pour la demanderesse

 

Adam Touet

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Parlee McLaws LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

Pour la demanderesse

 

W Law LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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