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Date : 20220426


Dossier : IMM-2752-21

Référence : 2022 CF 603

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

MARIA ESTHER RUSTRIAN FONSECA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Maria Esther Rustrian Fonseca, une citoyenne mexicaine âgée de 58 ans, demande le contrôle judiciaire d’une décision prise le 1er avril 2021 [la décision] par laquelle un agent principal d’immigration [l’agent] a refusé sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a conclu que l’établissement global de Mme Fonseca au Canada ne suffisait pas pour justifier la prise de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire et qu’elle n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer les difficultés financières qu’elle pourrait subir si elle retournait au Mexique. L’agent a également conclu que Mme Fonseca n’avait pas démontré que sa famille continue de dépendre de son emploi au Canada.

[2] J’accueille la présente demande, parce que l’agent a mal interprété la nature de l’exemption que Mme Fonseca avait sollicitée dans sa demande. Je ne peux certainement pas blâmer l’agent pour la confusion, car les documents de la demande de Mme Fonseca sont loin d’être un modèle de clarté; toutefois, dans les circonstances, je ne peux pas considérer la décision comme étant raisonnable.

II. Faits et analyse

[3] Mme Fonseca vit légalement au Canada depuis près de 22 ans. Elle a d’abord obtenu un permis de travail, puis est entrée au Canada en juillet 2000 à titre de travailleuse agricole saisonnière du Mexique. Au cours des années qui ont suivi, elle a reçu plusieurs permis de travail et prolongations de permis de travail. Elle revenait au Canada chaque année, de 2001 à 2003, dans le cadre du programme des travailleurs agricoles. En 2003, Mme Fonseca a obtenu un emploi chez Nation Wide Canning Ltd. [Nation Wide Canning] à titre d’opératrice de machinerie, puis a fini par devenir superviseure et instructrice. Au départ, Mme Fonseca venait chaque année au Canada depuis le Mexique pour travailler pour l’entreprise pendant quelques mois à la fois; toutefois, en février 2009, elle a décidé de revenir au Canada et d’y demeurer, et à l’exception de la période des Fêtes de 2013, Mme Fonseca a travaillé pour Nation Wide Canning jusqu’en 2014. Ensuite, à l’expiration de son permis de travail, elle est retournée au Mexique.

[4] Il semble y avoir une certaine confusion quant à savoir si Mme Fonseca se trouvait effectivement au Canada en 2015, mais ce qui semble clair, c’est qu’on lui a refusé un permis de travail pour 2015 et 2016. Toutefois, en février 2017, elle est revenue au Canada pour occuper de nouveau un poste chez Nation Wide Canning, et sauf pour de courtes périodes en décembre 2018 et en juin 2019, elle est restée au Canada avec un permis de travail valide, travaillant pour l’entreprise et vivant dans la résidence de l’entreprise près de son usine rurale à Cottam, en Ontario. Son permis de travail actuel expire le 3 juillet 2022.

[5] Mme Fonseca affirme que, avant de venir au Canada en 2000, elle était très pauvre, elle ne disposait d’aucun moyen de subvenir à ses besoins et que le seul emploi qu’elle pouvait trouver consistait à vendre des tortillas dans les rues de Mexico. Mme Fonseca affirme que, même si ses enfants sont maintenant adultes, son emploi au Canada lui a permis de subvenir aux besoins financiers de ses fils et de payer leurs études; l’un de ses fils réside maintenant au Canada à titre de travailleur étranger temporaire. Grâce à son emploi chez Nation Wide Canning, Mme Fonseca a également pu soutenir financièrement sa mère lorsqu’elle est tombée malade. Elle souhaite s’établir de façon permanente au Canada afin de continuer à soutenir les membres de sa famille qui dépendent d’elle financièrement.

[6] Il est important de noter qu’en septembre 2011, Mme Fonseca a demandé la résidence permanente au titre de la Catégorie de l’expérience canadienne [programme fédéral]. Toutefois, sa demande a été refusée en octobre 2011, au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences du Canada en matière de langues officielles, ses aptitudes linguistiques en anglais étant limitées. Cette décision n’a jamais fait l’objet d’un contrôle judiciaire. Il semble que les aptitudes en anglais de Mme Fonseca aient également été derrière le refus de sa demande de résidence permanente de 2017 dans le cadre du volet Compétences recherchées du Programme ontarien des candidats à l’immigration [programme ontarien].

[7] En janvier 2020, Mme Fonseca a demandé la résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire, et c’est la décision relative à cette demande qui fait l’objet du présent contrôle. Je n’ai pas besoin d’entrer dans l’analyse des facteurs que l’agent a pris en considération, car il ressort manifestement de la décision que l’agent croyait à tort que l’exemption souhaitée par Mme Fonseca visait à lui permettre de déposer la demande à partir du Canada, tandis que, en réalité, elle demandait une exemption des exigences en matière de langues officielles de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[8] Il faut se rappeler que l’éducation de Mme Fonseca et ses aptitudes en anglais sont limitées. Elle avait fait appel à un conseiller en immigration pour préparer sa demande, mais le travail du consultant laissait beaucoup à désirer.

[9] Il me semble évident, à la lecture de la décision, que l’agent croyait que Mme Fonseca demandait une exemption pour déposer sa demande au Canada, ce qui est compréhensible, compte tenu de la façon dont la demande d’exemption pour considérations humanitaires a été préparée. La lettre de présentation de son conseiller en immigration fait expressément référence à une [traduction] « demande de résidence permanente présentée au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire ». Fait encore plus important, le formulaire de renseignements supplémentaires a été rempli comme si l’exemption demandée concernait une demande présentée au Canada. La case 7, qui demande une explication des considérations d’ordre humanitaire qui empêchent un demandeur de quitter le Canada, a été entièrement remplie. Elle contient des renseignements détaillés sur la durée du séjour de Mme Fonseca au Canada, sur sa capacité de subvenir à ses besoins et sa valeur personnelle apportée à l’industrie canadienne en travaillant dans un poste que très peu de Canadiens recherchent. J’admets que ses observations ne traitent pas des raisons qui l’empêchent de quitter le Canada, mais ce qui importe, c’est la case 7 qui a été remplie, et cette case est habituellement remplie par les demandeurs qui sollicitent une exemption pour déposer une demande à partir du Canada. Il ne fait aucun doute que cette situation a influencé le point de vue de l’agent.

[10] En fait, c’est la case 8 qui aurait dû être remplie : en effet, il s’agit bien de la case où le demandeur qui ne respecte pas un critère précis de la Loi doit inscrire clairement l’exemption particulière qu’il demande (le cas échéant). Or, cette case est assez vide; Mme Fonseca y déclare seulement ceci : [TRADUCTION] « Je ne crois pas être interdite de territoire au Canada. » On ne parle pas ici des exigences de la Loi en matière de langues officielles.

[11] Enfin, à la case 13, le demandeur doit inscrire tout autre renseignement dont il ou elle souhaite que le décideur tienne compte par rapport à la demande. Il s’agit d’une case fourre-tout pour les questions accessoires qu’un demandeur souhaite soulever aux fins de l’examen; ce n’est pas l’endroit convenable pour y énoncer la raison même derrière la demande de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire. Cela dit, Mme Fonseca a entièrement rempli la case 13, en expliquant en détail qu’elle n’avait pas réussi à obtenir la résidence permanente en 2011 et en 2017 en raison de ses aptitudes limitées en anglais.

[12] Étant donné que Mme Fonseca a présenté ainsi sa demande de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire, je peux certainement comprendre pourquoi l’agent n’en a pas apprécié la véritable nature, surtout étant donné que sa demande a été déposée en 2020, soit trois ans après le refus au titre du programme ontarien et neuf ans après le refus au titre du programme fédéral. De plus, le fait que Mme Fonseca n’ait inclus aucun élément de preuve lié au programme fédéral ou au programme ontarien dans sa documentation à l’appui de sa demande de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire n’a pas aidé sa cause.

[13] Néanmoins, en plus de ses observations à la case 13 du formulaire de renseignements supplémentaires, voici un extrait de la lettre de présentation du 6 janvier 2020 :

[traduction]
Mme Rustrian Fonseca a effectivement exploré d’autres options pour demander la résidence permanente au Canada; cependant, sa maîtrise de la langue semble toujours être le problème qui l’en empêche. En fait, en 2011, Mme Rustrian Fonseca a présenté une demande au titre de la catégorie de l’expérience canadienne; toutefois, la demande a été refusée en raison de ses résultats aux [tests] d’aptitudes linguistiques. Mme Rustrian Fonseca a par la suite fait une demande dans le cadre du volet Compétences recherchées du programme ontarien en 2017; toutefois, la demande a encore une fois été refusée en raison de ses résultats aux tests d’aptitudes linguistiques. Mme Rustrian Fonseca n’est pas non plus admissible au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés fédéraux. Cela dit, même si Mme Rustrian Fonseca n’obtient pas de note élevée aux examens d’anglais (IELTS/CELPIP), elle comprend l’anglais et communique bien dans son milieu de travail et dans sa vie personnelle. Le seul problème est qu’elle n’arrive pas à obtenir les notes requises pour demander le statut de résident permanent dans le cadre des programmes offerts.

[…]

À cette fin, en raison des options limitées pour les travailleurs qui travaillent au Canada depuis de nombreuses années, Mme Rustrian Fonseca sollicite l’autorisation de demander la résidence permanente au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, afin de pouvoir s’y établir définitivement. Il serait incroyablement injuste pour Mme Rustrian Fonseca, qui a consacré 16 ans de sa vie à travailler et à vivre au Canada, de lui refuser la possibilité de demander la résidence permanente au Canada au seul motif qu’elle ne peut pas obtenir une note suffisamment élevée en anglais, l’empêchant d’être admissible à d’autres programmes d’immigration offerts aux travailleurs au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

[14] La véritable nature de l’exemption que sollicite Mme Fonseca n’était pas clairement établie; en fait, elle était enfouie dans les observations, mais elle y était. J’admets qu’il n’appartient pas à un agent, lorsque la demande elle-même n’est pas claire, d’aller fouiller dans les documents pour trouver ce qui pourrait être utile à un demandeur. Cependant, dans le présent dossier, les documents contenaient suffisamment d’indications pour amener l’agent à prendre du recul et à se demander ce que Mme Fonseca souhaitait exactement obtenir.

[15] Dans les circonstances, étant donné que l’agent a mal interprété la nature de la demande, je suis convaincu que la décision n’est pas justifiée, intelligible et transparente, et qu’elle n’est donc pas raisonnable. Je suis d’avis d’accueillir la demande et je renvoie l’affaire à un autre agent.

 


JUGEMENT dans le dossier n° IMM-2752-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2752-21

 

INTITULÉ :

MARIA ESTHER RUSTRIAN FONSECA c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Trudi-Ann Newby-Parkes

Pour la demanderesse

Nimanthika Kaneira

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Trudi-Ann Newby-Parkes

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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