Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220426


Dossier : IMM-4936-21

Référence : 2022 CF 609

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2022

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

ABDELKARIM EL AYACHI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’égard d’une décision rendue le 13 juillet 2021, par laquelle une demande de permis de travail présentée au titre du Programme des travailleurs étrangers temporaires [le PTET] a été rejetée.

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est accueillie.

II. Contexte

[3] Le demandeur, Abdelkarim El Ayachi, est un citoyen du Maroc âgé de 42 ans. Il vit actuellement en Italie où il détient un permis de résident de longue durée. Il a présenté une demande pour entrer au Canada au titre du PTET dans l’intention de travailler comme pizzaiolo chez Gusto Ferrari Cuisine Inc. [Gusto Ferrari] à Penticton, en Colombie-Britannique.

[4] À l’appui de sa demande, le demandeur a présenté des formulaires dûment remplis, son curriculum vitæ, une étude d’impact sur le marché du travail [l’EIMT] favorable, une copie de l’offre d’emploi reçue de l’employeur au Canada, ainsi qu’une lettre de recommandation de son employeur actuel en Italie, La Piazzetta Snack Bar [La Piazetta]. Dans cette lettre, il est mentionné que M. El Ayachi a travaillé pour l’entreprise durant 18 ans et qu’il était un employé apprécié.

[5] Marco Ferrari, le propriétaire de La Piazetta en Italie, a signé la lettre de recommandation. Flaminio Ferrari, le propriétaire de Gusto Ferrari au Canada, a signé l’offre d’emploi faite au demandeur. Rien dans le dossier ne donne à penser que les deux MM. Ferrari sont apparentés, mais leurs noms sont pertinents pour des raisons qui deviendront évidentes.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[6] L’agent a rejeté la demande de permis de travail du demandeur au motif que ce dernier n’avait pas démontré qu’il serait [traduction] « en mesure d’exercer adéquatement » l’emploi visé par la demande. Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] contiennent les motifs de l’agent. Deux commentaires figurant dans les notes semblent étayer le refus.

[7] Premièrement, l’agent a souligné ce qui suit : [traduction] « Le demandeur a présenté une lettre de recommandation dans laquelle il est mentionné qu’il a travaillé comme pizzaiolo au restaurant La Piazetta Snack Bar durant 18 ans. Je constate que la lettre est signée par Marco Ferrari – le même nom de famille que celui contenu dans le nom du restaurant au Canada. »

[8] L’agent a aussi souligné ce qui suit : [traduction] « [Le demandeur] n’a présenté qu’une preuve limitée pour établir qu’il a travaillé comme pizzaiolo – relevés de paye, états des revenus, autres éléments de preuve documentaire insuffisants – pour l’entreprise en Italie. »

IV. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[9] La présente affaire soulève deux questions :

  1. L’agent a-t-il manqué aux principes d’équité procédurale en n’offrant pas au demandeur la possibilité de dissiper ses doutes concernant le fait que les propriétaires des restaurants au Canada et en Italie portaient le même nom de famille?

  2. Le nouvel élément de preuve présenté par le demandeur est-il admissible?

[10] La norme qui s’applique aux questions d’équité procédurale consiste à savoir si, [traduction] « eu égard à l’ensemble des circonstances, en mettant l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne », la procédure suivie par le décideur était équitable : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 aux paras 46-47. Cette norme ne commande aucune déférence à l’égard du décideur.

[11] En ce qui concerne la deuxième question en litige, le demandeur cherche à faire verser au dossier de preuve un affidavit auquel sont joints des articles portant sur le caractère courant du nom de famille « Ferrari ». En règle générale, les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance du décideur ne sont pas admissibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Toutefois, il existe des exceptions à cette règle, comme l’a expliqué le juge Stratas aux paragraphes 14 à 28 de l’arrêt Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263. De nouveaux éléments de preuve par affidavit peuvent être admis à l’égard de questions d’équité procédurale, comme la question soulevée en l’espèce. Une autre exception s’applique lorsque les documents sont considérés comme des renseignements généraux susceptibles d’aider la Cour.

V. Analyse

A. Admissibilité du nouvel élément de preuve

[12] Le défendeur n’a pas contesté le contenu du nouvel élément de preuve.

[13] À l’audience, j’ai informé les parties que j’admettrais le nouvel élément de preuve, car j’estimais qu’il aiderait grandement la Cour. En effet, il abordait une question importante qui n’était pas autrement abordée dans le dossier. Cet élément de preuve établissait que le nom « Ferrari » est aussi courant en Italie et dans les pays d’Amérique latine que l’est « Smith » dans les pays anglophones.

[14] Puisque le refus de l’agent était largement fondé sur un doute quant à la crédibilité et à la fiabilité de la lettre de recommandation provenant d’Italie, du fait que l’auteur portait le même nom de famille que l’employeur canadien, le nouvel élément de preuve appuie l’observation formulée par le demandeur concernant l’équité procédurale. À mon avis, l’élément de preuve est admissible puisqu’il est à la fois pertinent et probant.

B. L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale?

[15] Il ressort clairement des notes consignées au SMGC que l’agent doutait de la crédibilité de la lettre de recommandation rédigée par le propriétaire de La Piazetta. L’agent a notamment souligné que les employeurs du Canada et de l’Italie portaient tous deux le nom de famille « Ferrari ». Cependant, l’agent n’a pas informé le demandeur de ses doutes quant à la crédibilité de la lettre de recommandation de façon à offrir à M. Ayachi l’occasion de les dissiper.

[16] Il semble que les doutes de l’agent quant à la crédibilité de la lettre de recommandation soient fondés sur la présomption selon laquelle la lettre de l’employeur au Canada et celle de l’employeur en Italie ont été rédigées par la même personne ou par des personnes appartenant à la même famille. Je conviens avec le demandeur que cette présomption est déraisonnable étant donné le caractère courant du nom de famille « Ferrari ».

[17] Le défendeur a raison de dire que le degré d’équité procédurale auquel le demandeur a droit est minimal. Cependant, le fait que l’agent n’ait pas offert au demandeur l’occasion de dissiper ses doutes quant à la crédibilité de la lettre constituait, en l’espèce, un manquement à l’équité procédurale. La Cour a statué à maintes reprises que, lorsqu’un agent a des doutes quant à la crédibilité des renseignements fournis par un demandeur, il est indispensable qu’il offre au demandeur l’occasion de dissiper ces doutes : voir par exemple Rani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1414 au para 20; Mursalim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 264 au para 16; Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283 aux para 24-27.

[18] Le défendeur a aussi raison de dire qu’il revenait à l’agent de rejeter la demande en raison du manque d’éléments de preuve pour corroborer son expérience en tant que pizzaiolo en Italie. Cela est vrai même si, comme en l’espèce, le demandeur avait fourni tous les documents énoncés dans la liste de vérification associée à la demande de permis de travail. Cependant, la lettre de recommandation rédigée par Marco Ferrari contient beaucoup de détails concernant l’expérience de travail acquise par le demandeur au cours des 18 années durant lesquelles il a travaillé à la pizzeria à Brescia. Compte tenu de ce qui précède, la question de savoir s’il était justifié et raisonnable que l’agent exige davantage d’éléments de preuve documentaire est inextricablement liée aux doutes de l’agent quant à la crédibilité.

VI. Conclusion

[19] En conclusion, je suis convaincu que la présente demande doit être accueillie du fait que l’agent a manqué aux principes d’équité procédurale en n’offrant pas au demandeur l’occasion de dissiper ses doutes quant à la crédibilité de la lettre de recommandation rédigée par le propriétaire de La Piazetta.

[20] Aucune question à certifier n’a été proposée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4936-21

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4936-21

INTITULÉ :

ABDELKARIM EL AYACHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

par vidéoconférence à Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 avril 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 26 avril 2022

COMPARUTIONS :

Mojan Farshchi

Pour le demandeur

Susan Gans

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maynard Kischer Stojicevic

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.