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Date : 20220425


Dossier : IMM-5138-21

Référence : 2022 CF 596

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2022

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

ADAN EDUARDO DAVILA VALDEZ

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR), qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) à l’effet qu’il n’a pas la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni de « personne à protéger » selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR]. La SAR a confirmé la détermination de la SPR selon laquelle le demandeur possède une possibilité de refuge interne (PRI) viable au Mexique et que certaines de ses allégations n’étaient pas crédible.

I. Le contexte

[2] Le demandeur est un citoyen du Mexique. Il allège que le 26 octobre 2018, il aurait fait une plainte de bruit à l’encontre de ses voisins. Il prétend que les voisins auraient répondu à cette plainte an l’attaquant et en menaçant de le tuer s’il ne quittait pas sa résidence. Le demandeur a témoigné à l’audience devant la SPR que ses voisins seraient des membres du cartel Jalisco Nueva Generacion (le cartel).

[3] Le 4 novembre 2018, le demandeur est arrivé au Canada et a fait une demande d’asile sur la base d’une crainte de représailles de ses voisins.

[4] La SPR a jugé que l’allégation du demandeur selon laquelle ses voisins seraient des membres du cartel n’est pas crédible. Elle a noté que le formulaire de la demande d’asile (FDA) du demandeur était muet sur ce point, et elle a rejeté l’explication du demandeur que cette omission était attribuable à son représentant. La SPR a aussi noté que, huit jours avant l’incident allégué avec ses voisins, le demandeur a soumis une demande pour une autorisation électronique de voyage au Canada à des fins touristiques.

[5] La SPR a déterminé que la crédibilité du demandeur est entachée par d’autres divergences entre son témoignage et le contenu de son FDA. En particulier, la SPR a jugé non crédible l’allégation du demandeur selon laquelle des membres du cartel auraient volé de l’argent du magasin de son frère et lui auraient dit que si le demandeur ne quittait pas sa résidence, ils allaient le tuer. Encore une fois, le FDA du demandeur était muet sur cet incident.

[6] Par ailleurs, la SPR a déterminé que le demandeur n’a pas démontré que ses voisins pourraient ou voudraient le retracer dans les PRI proposées. De plus, la SPR a conclu que le demandeur n’a pas établi en quoi il serait déraisonnable pour lui de s’y relocaliser.

[7] La SAR a confirmé la décision de la SPR, jugeant que le demandeur a une PRI viable au Mexique et que certaines de ses allégations ne sont pas crédibles.

[8] Le demandeur a demandé à la SAR d’admettre de la nouvelle preuve en appel, à savoir : un article non daté portant sur les PRI, et un Guide publié en 2003 par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (le Guide). La SAR n’a pas admis cette nouvelle preuve puisque le demandeur a fait défaut d’expliquer en quoi elle satisfaisait les critères prévus au paragraphe 110(4) de la LIPR.

[9] La SAR a conclu que la SPR a correctement déterminé que l’allégation du demandeur selon laquelle ses voisins seraient des membres du cartel n’est pas crédible et que l’explication du demandeur que l’omission de ce fait est attribuable à son représentant n’est pas raisonnable. Elle est d’avis que la question de savoir si les voisins sont membres du cartel est primordiale pour la plainte du demandeur, et en conséquence l’absence de référence à ce fait dans le FDA diminue sa crédibilité de manière significative. La SAR a noté que le demandeur aurait eu amplement le temps d’ajouter ce détail important à son FDA. La SAR a aussi conclu que la crédibilité du demandeur est affectée par l’absence des autres détails dans son FDA, incluant l’incident allégué avec son frère, notant qu’il a eu le temps de les ajouter avant l’audience.

[10] La SAR a également tiré une inférence négative du fait que le demandeur ait soumis une demande d’autorisation de voyage au Canada huit jours avant l’incident allégué avec ses voisins. Elle a déterminé que cela ne concorde pas avec son allégation que son départ du Mexique était basé uniquement sur une crainte de représailles.

[11] La SAR a confirmé la conclusion de la SPR que le demandeur possède une PRI viable au Mexique dans les villes de Merida et Campeche, car ni le risque général de la violence au Mexique, ni la présence du cartel dans les PRI proposée, ne rendrait le déménagement dangereux ou déraisonnable pour un individu dans la situation du demandeur.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[12] Le demandeur soulève des questions suivantes :

  1. La SAR a-t-elle erré en refusant d’accepter de la doctrine et un Guide de législation internationale en appel?

  2. Par sa décision, la SAR a-t-elle bafoué les dispositions des articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés : Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte], ainsi que les obligations du Canada au niveau international?

  3. La décision de la SAR de considérer que Campeche constitue une PRI est-elle une décision raisonnable?

[13] La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

[14] Pour que la Cour soit satisfaite qu’une décision est déraisonnable, la partie attaquant la décision doit démontrer que celle-ci n’est pas « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » ou encore « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La Cour doit être convaincue que la décision comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes, car des lacunes superficielles ou périphériques ne sauraient être suffisantes pour infirmer la décision (Vavilov au para 100). De plus, la Cour doit considérer la décision dans son ensemble, et éviter de conduire une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov at para 102).

III. Analyse

A. La décision de la SAR de ne pas admettre de nouvelle preuve en appel est raisonnable

[15] Le demandeur affirme que la SAR a erré en traitant le Guide comme de la nouvelle preuve selon l’article 110(4) de la LIPR. Il prétend que l’article et le Guide constituent simplement des instruments juridiques à l’appui de son argumentation devant la SAR. Le demandeur prétend que le Guide est un instrument juridique international, et qu’à ce titre, il ne peut être ignoré par la SAR.

[16] Je n’en suis pas persuadé, car j’identifie deux problèmes majeurs dans le raisonnement du demandeur.

[17] Premièrement, dans son dossier d’appel devant la SAR, le demandeur a clairement caractérisé l’article et le Guide comme de la nouvelle preuve. Il a demandé qu’une audience soit tenue sur la base de l’admission de cette nouvelle preuve, conformément au paragraphe 110(6) de la LIPR. Il était donc raisonnable pour la SAR de considérer l’article et le Guide comme de la nouvelle preuve, telle qu’ils lui ont été présentés. La SAR n’a pas commis une erreur, considérant que le demandeur n’a pas expliqué comment la nouvelle preuve respectait les critères prévus au paragraphe 110(4) de la LIPR.

[18] Deuxièmement, même si j’accepte que le Guide ne soit pas de la nouvelle preuve, mais qu'il doit être traité comme la doctrine juridique (comme l’a fait le juge Pamel dans Osemwenkhae v Canada (Citizenship and Immigration), 2022 FC 503), la jurisprudence affirme que le Guide ne fait pas autorité en droit canadien puisqu’il n’a pas force de loi (Fernandopulle c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91 au para 17; Tapambwa c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 522 au para 35).

[19] Le demandeur fait référence à quelques articles du Guide et soumet qu’ils doivent être considérés par la SAR, mais je ne suis pas convaincu par son argument. Au niveau juridique, c’est évident que « le droit international représentera une contrainte importante pour un décideur administratif dans certains domaines… » et que « la législation est réputée s’appliquer conformément aux obligations internationales du Canada … » (Vavilov au para 114). Toutefois, il faut tenir compte du fait que le Guide, comme tel, ne représente qu’une aide à l’interprétation de la Convention relative au statut des réfugiés, 1951, [1969] RTC 6 ; 189 RTNU 150 [Convention]. C’est la Convention qui déclare les obligations internationales du Canada en ce qui concerne des réfugiés. Malgré les références générales que fait le demandeur en l’instance, il n’a pas démontré en quoi la jurisprudence canadienne sur la PRI ni la décision de la SAR ne sont pas conformes à la Convention.

[20] Force est de rejeter l’argument du demandeur sur ce point.

B. La décision de la SAR n’entraînera pas le renvoi du demandeur, et donc l’argument du demandeur et prématuré

[21] L’argument du demandeur sur cette question est la suivante :

La décision… de la SAR entraînera, en fin de compte, le renvoi du demandeur à son pays d’origine, le Mexique, où il fera face au risque bien documenté d’être victime de représailles et de persécution par un groupe de cartel bien organisé et responsable de violations graves, massives et systématiques des droits humains, et cela en violation des dispositions des articles 7 et 12 de la Charte… et des obligations du Canada au niveau international…

(Mémoire du Demandeur au para 23)

[22] Je n’accepte pas cet argument, compte tenu de la jurisprudence constante rejetant les arguments de même nature : voir, par exemple, Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 164 au para 11 et la jurisprudence qui y est citée. Le demandeur n’est pas actuellement menacé d’expulsion. Son argument est prématuré.

C. La décision de la SAR selon laquelle le demandeur possède une PRI viable au Mexique est raisonnable.

[23] Le demandeur soutient que la SAR a erré dans son analyse de la PRI. Il plaide que la preuve documentaire indique que le cartel a une grande influence au Mexique et que sa vie est donc à risque partout au pays.

[24] Pour deux raisons principales, je ne suis pas persuadé par cet argument.

[25] Premièrement, l’argument du demandeur est simplement une invitation à la Cour de réévaluer la preuve qui était devant la SAR et de tirer une conclusion différente à la lumière de celle-ci. Il est bien établi qu’une cour de révision doit s’abstenir d’agir ainsi (Vavilov au para 125).

[26] Deuxièmement, même si j’accepte que le cartel soit puissant et que l’organisation a une présence presque partout au Mexique, il faut considérer que la SAR n’a pas accepté la prétention du demandeur que ses voisins sont des membres du cartel, la jugeant non crédible. Le demandeur n’a pas contesté cette détermination en contrôle judiciaire. Il est bien établi qu’un demandeur d’asile doit démontrer en quoi sa situation personnelle le place à risque dans son pays d’origine (Henry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 24 au para 46). En l’espèce, le demandeur ne l’a pas fait.

[27] Je conviens que, dans son analyse sur la question de PRI, la SAR a appliqué le test juridique approprié et a compte tenu de la preuve devant elle. C’est exactement ce qu’exige la norme de contrôle de la décision raisonnable. La décision de la SAR « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99).

[28] En résumé, je ne suis pas convaincu par l’argument du demandeur sur cette question. Je conviens que la décision de la SAR est raisonnable.

IV. Conclusion

[29] Pour l’ensemble de ces raisons, la décision de la SAR constitue un raisonnement et une issue raisonnables, fondés sur le droit et la preuve. La décision est transparente et intelligible. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[30] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier. Je conviens qu’il n’y en a pas.

 


JUGEMENT au dossier IMM-5138-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5138-21

INTITULÉ :

ADAN EDUARDO DAVILA VALDEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 avril 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

PENTNEY J.

DATE DES MOTIFS :

LE 25 avril 2022

COMPARUTIONS :

Me Miguel Mendez

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Evan Liosis

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale Stewart Istvanffy

Montréal, Québec

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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