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Date : 20220426


Dossier : IMM-5541-21

Référence : 2022 CF 605

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2022

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

MARIE EDITH LOURDES ROMAIN LEVEILLE

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAI a rejeté l’appel de la demanderesse d’une décision d’un agent d’immigration dans laquelle ce dernier avait conclu qu’elle ne s’était pas conformée à son obligation de résidence. Par conséquent, une mesure d’interdiction de territoire à son encontre a été émise.

[2] La demanderesse a porté cette décision en appel devant la SAI, alléguant des motifs d’ordre humanitaire pour accueillir sa demande. Elle a fait valoir qu’elle s’était absentée pour prendre soin de ses parents en Haïti, mais que son séjour s’était prolongé au-delà de la période initialement prévue en raison de la pandémie et d’autres circonstances exceptionnelles.

[3] La commissaire a conclu que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour justifier la prise de mesures spéciales et a rejeté l’appel. Bien que la SAI ait accepté que le départ du Canada fût justifié, elle a déterminé que le séjour prolongé ne l’était pas, puisque la demanderesse n’était pas revenue à la première occasion. La SAI a affirmé que la demanderesse avait quitté le Canada sans carte de résidence permanente, et qu’elle savait qu’elle devrait utiliser l’un de ces deux moyens pour y revenir : (1) en utilisant un titre de voyage pour revenir directement au Canada; ou alors (2) en passant par les États-Unis. La SAI a noté que la demanderesse avait un visa pour les États-Unis valide jusqu’en juillet 2020. La SAI a conclu que la demanderesse n’avait pas fait les démarches afin d’obtenir la documentation canadienne requise en temps opportun, notant que son visa pour les États-Unis resterait valide jusqu’en juillet 2020, mais elle ait tenté de le renouveler en avril 2020 plutôt de l’utiliser pour revenir au Canada.

[4] Il convient de souligner que la demanderesse a obtenu le statut de résidente permanente au Canada en 2014, mais c’est seulement en 2018 qu’elle a décidé de s’y installer. Entre 2014 et 2018, elle a passé de longues périodes en Haïti.

[5] Pour satisfaire à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 [LIPR], les résidents permanents doivent être présents physiquement au Canada pendant un minimum de 730 jours pour la période des cinq ans précédant. En d’autres termes, les résidents permanents doivent être au Canada pendant un minimum de deux ans par période de cinq ans.

[6] La première carte de résidence permanente de la demanderesse a expiré en septembre 2019. La demanderesse n’a pas fait sa demande de renouvellement, car elle savait qu’elle ne s’était pas acquittée de son obligation de résidence au Canada à cette époque.

[7] En décembre 2019, la demanderesse a quitté le Canada sans carte de résidence permanente avec ses enfants pour aller visiter ses parents en Haïti, ces derniers étant malades. Elle avait prévu d’y rester environ deux mois et de retourner au Canada en février 2020. Cependant, il en a été autrement. Le 8 mai 2021, la demanderesse est revenue au Canada par les États-Unis et, comme indiqué ci-dessus, une mesure d’interdiction de séjour a été émise contre elle en vertu de l’article 41 de la LIPR, en raison de son manquement à l’obligation de résidence.

[8] La demanderesse était au Canada seulement 628 jours lors des cinq années pertinentes aux fins du calcul, soit 102 jours de moins que le minimum de 730 jours requis par la loi. La SAI a trouvé que le manquement à l’obligation de résidence permanente était modéré, mais elle a aussi conclu que :

  1. L’établissement de la demanderesse au Canada était très limité et récent (facteur négatif);

  2. Le départ du Canada était justifié, mais le séjour prolongé ne l’était pas (facteur négatif);

  3. La demanderesse n’était pas revenue à la première occasion favorable (facteur négatif); et

  4. La présence des sœurs et des deux enfants adultes de la demanderesse était un facteur positif, mais avec une faible valeur.

[9] La SAI a conclu : « Le manquement à l’obligation de résidence est modéré, mais les considérations humanitaires sont si minimes qu’elles sont insuffisantes pour contrebalancer l’importance du manquement » (décision de la SAI au para 24).

[10] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[11] La seule question en l’espèce est de savoir si la décision de la SAI est raisonnable. La norme de la décision raisonnable s’applique à la révision de cette décision (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

[12] En résumé, en suivant le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov, la cour de révision qui procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit « examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et […] déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 2 [Postes Canada]). Il incombe au demandeur de convaincre la Cour que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov au para 100, cité dans Postes Canada au para 33).

[13] La demanderesse soutient que son absence était justifiée parce qu’elle était dans l’impossibilité de retourner au Canada en raison de la pandémie et des difficultés rencontrées pour essayer d’obtenir la documentation nécessaire. Elle estime que la SAI a commis une erreur en diminuant son degré d’établissement au Canada.

[14] La demanderesse constate aussi que la SAI n’a pas tenu compte du fait crucial qu’elle n’était pas en possession de son passeport pour une longue période puisqu’elle l’avait remis à l’ambassade des États-Unis en avril 2020 afin de renouveler son visa de visiteur pour ce pays. Cependant, l’ambassade a ensuite fermé pour presque un an en raison de la pandémie. Donc, la demanderesse ne pouvait retourner au Canada ni soumettre une demande d’un titre de voyage pour y revenir sans passeport. La fermeture de l’ambassade était hors de son contrôle.

[15] La demanderesse allègue que la SAI a été déraisonnable en concluant que son séjour en Haïti a été prolongé par son inaction et par son choix. Elle est retournée au Canada à la première occasion favorable qui était possible, et ce facteur milite donc en faveur de la prise de mesures spéciales. De plus, la demanderesse soutient que la présence de ses deux enfants et de ses deux sœurs au Canada est un facteur positif ayant un poids significatif dans les circonstances. Elle souhaite poursuivre sa vie auprès de ses enfants au Canada.

[16] Finalement, la demanderesse affirme que la SAI a commis une erreur en omettant de tenir compte des difficultés auxquelles elle ferait face si elle devait retourner en Haïti. Elle fait valoir que la situation actuelle dans ce pays est précaire, et que le contexte économique et social est explosif.

[17] Pour toutes ces raisons, la demanderesse soutient que la décision de la SAI est déraisonnable.

[18] Je ne suis pas convaincu par les arguments de la demanderesse.

[19] Les arguments de la demanderesse équivalent à demander à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve, ce qui n’est pas son rôle en matière de contrôle judiciaire (Vavilov au para 125). La SAI devrait bénéficier d’une déférence considérable en évaluant les éléments de preuve relatifs aux motifs d’ordre humanitaires (Wopara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 352 aux paras 20-21 et la jurisprudence qui y est citée).

[20] La SAI a appliqué le bon test en évaluant les facteurs énumérés dans la jurisprudence (Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 (QL), [1985] IABD No 4 au para 14, approuvé par la Cour suprême dans Chieu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CSC 3 au para 40) et la décision est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov au para 15).

[21] La demanderesse a deux grands problèmes en l’espèce : premièrement, elle a décidé de quitter le Canada sans carte de résidence permanente parce qu’elle n’avait pas respecté son obligation de résidence au Canada entre 2014 et 2019. Elle a passé beaucoup de temps entre 2014 et 2018 en Haïti, mais c’était son choix de le faire.

[22] Deuxièmement, la demanderesse n’a jamais expliqué sa décision de tenter de renouveler son visa pour les États-Unis en avril 2020, au lieu de le garder et de l’utiliser pour retourner au Canada, que ce soit par l’obtention d’un titre de voyage, ou bien en voyageant d’abord aux États-Unis et ensuite au Canada, ce qu’elle a d’ailleurs fait. Il s’agissait aussi de son choix, mais les choix ont des conséquences. De plus, je suis d’accord que le défendeur lui a expliqué la procédure qu’elle devrait suivre pour retourner au Canada avant qu’elle n’ait remis son passeport à l’ambassade des États-Unis en avril 2020. Toutefois, la demanderesse n’a pas fait le suivi en temps opportun.

[23] La demanderesse est responsable, par son choix, de ne pas avoir eu accès à son passeport pendant un an. La SAI a raisonnablement conclu qu’il n’était pas impossible pour la demanderesse de retourner au Canada en raison de la pandémie, même si elle a concédé que la situation était devenue plus difficile.

[24] Je dois appliquer le cadre d’analyse énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov :

[99] La cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci : Dunsmuir, par. 47 et 74 ; Catalyst, par. 13.

[25] En appliquant ce cadre d’analyse à la décision de la SAI et en tenant compte des arguments de la demanderesse, je conclus que la décision est raisonnable. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[26] Enfin, les parties conviennent que le défendeur légitime en l’espèce est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. L’intitulé de l’affaire est modifié en conséquence.

[27] Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-5541-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé de l’affaire est modifié pour remplacer le « ministre de la Sécurité Publique et de la Protection civile » par le « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5541-21

INTITULÉ :

MARIE EDITH LOURDES ROMAIN LEVEILLE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 avril 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

PENTNEY J.

DATE DES MOTIFS :

LE 26 AVRIL 2022

COMPARUTIONS :

Me Laurent Gryner

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Patricia Nobl

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laurent Gryner

Avocat

Montréal, Québec

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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