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Date : 20220419


Dossier : IMM-2342-20

Référence : 2022 CF 550

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

PUNEET GAUTAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent des visas du haut-commissariat du Canada à New Delhi, en Inde (l’agent), en date du 16 avril 2020. L’agent a rejeté la demande de permis de travail dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires et a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour le motif énoncé à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), (collectivement, la décision).

II. Contexte

[2] Le demandeur, Puneet Gautam, est un homme de 27 ans, citoyen de l’Inde. Le 5 décembre 2019, il a présenté une demande de permis de travail ouvert, invoquant le statut de résidente temporaire de son épouse en tant qu’étudiante étrangère au Canada.

[3] Dans sa demande, à la question de savoir si on lui avait déjà refusé un visa ou un permis, refusé l’entrée ou ordonné de quitter le Canada ou tout autre pays, le demandeur a répondu par l’affirmative. Cependant, il n’a mentionné qu’une demande canadienne précédemment refusée, et n’a pas révélé qu’il s’était vu refuser un visa d’entrée aux États-Unis.

[4] Le 16 décembre 2019, une lettre d’équité procédurale a été envoyée au demandeur, lui demandant de fournir une explication à la fausse déclaration par omission dans sa demande. Le demandeur a répondu que l’omission avait été faite par accident et qu’il n’avait pas eu l’intention d’induire en erreur Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Il a également déclaré qu’il avait déjà divulgué le refus des États-Unis à IRCC dans une demande antérieure de permis de travail.

[5] Aucune entrevue n’a été menée.

[6] L’agent a rejeté la demande par une décision datée du 16 avril 2020, au motif qu’il n’était pas convaincu que le demandeur avait répondu sincèrement à toutes les questions qui lui étaient posées, une infraction visée par l’article 40 de la Loi.

[7] Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance renvoyant sa demande de permis de travail à un autre agent pour qu’il la réexamine ou, à défaut, une ordonnance renvoyant l’affaire à un agent pour qu’il statue à nouveau sur sa demande, conformément aux instructions que la Cour jugera appropriées.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[8] Dans les notes versées au Système mondial de gestion des cas (SMGC), l’agent a mis en évidence plusieurs problèmes liés à la demande :

  1. Le fait que le demandeur n’ait pas divulgué le refus de visa américain antérieur et qu’il ait répondu qu’il s’agissait d’une erreur accidentelle, bien que le demandeur ait indiqué et prouvé qu’il avait divulgué le refus de visa américain dans sa demande de permis de travail antérieure.

Les notes de l’agent dans le SMGC précisent : [traduction] « Compte tenu de toutes les informations figurant dans le dossier, je ne trouve pas sa réponse crédible ».

  1. Des problèmes de crédibilité en ce qui concerne le demandeur et l’authenticité de son mariage.

L’agent a relevé plusieurs erreurs et omissions dans la demande de permis d’études de l’épouse, notamment en ce qui concerne l’université fréquentée, son changement de statut relationnel, la preuve limitée quant à un mariage traditionnel, la preuve insuffisante que le couple a cohabité dans une relation conjugale et la preuve insuffisante de visites ou de communications continues depuis le mariage.

Le demandeur a également commis une erreur dans sa demande concernant l’université fréquentée par son épouse.

  1. Le couple a fourni des relevés bancaires, qui ont révélé un solde bancaire de moins de 100 dollars, puis de multiples dépôts de plus de 2 000 dollars de sources inconnues.

[9] Après avoir examiné tous les éléments de preuve, l’agent a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’avait pas été honnête sur son formulaire de demande et qu’il avait omis de divulguer des antécédents dérogatoires en matière d’immigration aux États-Unis. L’agent a rejeté la demande du demandeur pour cause de fausse déclaration au sens de l’article 40 de la Loi, et a déclaré le demandeur interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

IV. Les questions en litige

[10] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  • a) La décision était-elle raisonnable?

  • b) La décision était-elle équitable sur le plan procédural?

V. La norme de contrôle

[11] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23).

[12] Les questions relatives à une violation de l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte ou une norme ayant la même portée (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 34-35 et 54-55, citant Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79).

VI. Analyse

[13] Un visa peut être délivré à un étranger si, à la suite d’un contrôle, l’agent des visas est convaincu que l’étranger n’est pas interdit de territoire et qu’il satisfait aux exigences de la Loi (paragraphe 11(1) de la Loi).

[14] L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis (paragraphe 16(1) de la Loi).

[15] Pour un étranger, emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants : a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi (alinéa 40(1)a) de la Loi).

[16] Il convient d’interpréter l’alinéa 40(1)a) de manière large afin de faire ressortir l’objet qui le sous-tend. Cette disposition a pour objectif de dissuader de faire une fausse déclaration et de préserver l’intégrité du processus d’immigration – pour atteindre cet objectif, il incombe au demandeur de vérifier l’intégralité et l’exactitude de sa demande (Masoud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 422 au para 24).

[17] Cependant, les conclusions quant à l’existence de fausses déclarations ne doivent pas être tirées à la légère, car ces conclusions ont des conséquences graves et durables (Seraj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 38 au para 1).

[18] L’étranger qui souhaite être admis au Canada assume une « obligation de franchise » lui imposant de divulguer les faits importants. Les tribunaux ont reconnu qu’il était primordial, pour assurer l’application juste et équitable du régime d’immigration, que les demandeurs procèdent à une divulgation complète (He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 33 au para 17).

[19] Pour que l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 40(1)a) s’applique, deux critères doivent être remplis : 1) il doit y avoir une fausse déclaration ; et 2) la fausse déclaration doit être importante, en ce sens qu’elle entraîne ou pourrait entraîner une erreur dans l’application de la Loi (Gill v Canada (Citizenship and Immigration), 2021 FC 1441 [Gill] au para 14).

A. La décision était-elle raisonnable?

[20] Le demandeur fait valoir que la décision est déraisonnable parce que son erreur était de bonne foi.

[21] L’exception relative à l’erreur de bonne foi, concernant l’article 40 de la Loi, est appuyée par la jurisprudence (voir, par exemple Appiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1043 au para 18).

[22] Il semble y avoir deux courants jurisprudentiels de la Cour concernant les fausses déclarations de bonne foi comme exception à l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 40(1)a). Dans l’un d’eux, la Cour a conclu qu’il y a effectivement deux exigences pour une fausse déclaration de bonne foi : i) que, subjectivement, la personne croit honnêtement qu’elle ne fait pas de fausse déclaration; ii) qu’objectivement, il était raisonnable, compte tenu des faits, que la personne croie qu’elle ne faisait pas de fausse déclaration. Dans l’autre courant, une condition supplémentaire a été adoptée qui restreint considérablement la portée de l’exception, à savoir que [TRADUCTION] « la connaissance de la fausse déclaration était indépendante de la volonté du demandeur » (Gill aux para 18 et 19).

[23] Je conclus que la décision était raisonnable. Dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, le demandeur a admis qu’il avait fait une fausse déclaration sur un fait important et qu’il s’agissait d’une erreur grave. Il n’y a aucun doute sur le fait que le demandeur était au courant du refus de visa américain, et qu’il avait le contrôle de cette information à tout moment.

[24] La reconnaissance par le demandeur qu’il a fait une fausse déclaration dans sa demande différencie la présente affaire des affaires citées à l’appui de l’allégation de fausse déclaration de bonne foi. En outre, l’agent a fourni plus que ses conclusions dans la décision; il a également souligné que le demandeur avait déjà divulgué le refus de visa américain dans une demande antérieure, et a reconnu que le demandeur a fourni des éléments de preuve à l’appui de sa précédente demande (Gill, au para 23, citant Alalami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 32 [Alalami] aux para 8, 15 et 16). L’agent n’a pas fait fi de la preuve.

[25] L’agent n’a pas accepté l’explication du demandeur selon laquelle l’omission du refus de visa américain était un oubli involontaire. Par conséquent, l’exception de l’erreur de bonne foi ne s’applique pas en l’espèce (Alalami, au para 16).

[26] Même si la décision fait état de problèmes concernant l’authenticité du mariage entre le demandeur et son épouse, ainsi que de problèmes concernant les renseignements fournis à l’appui du permis d’études de l’épouse, il est clair que la décision est fondée sur le fait que le demandeur est interdit de territoire pour fausses déclarations en vertu de l’article 40 de la Loi.

B. La décision était-elle équitable sur le plan procédural?

[27] Selon le principe de l’équité procédurale, l’agent des visas doit s’assurer que le demandeur a la possibilité de participer utilement au processus de demande. Il s’agit notamment d’être informé des incohérences importantes perçues, des préoccupations quant à la crédibilité, des préoccupations quant à l’exactitude ou à l’authenticité, ou du fait qu’un agent des visas s’appuie sur une preuve extrinsèque, et de se voir donner la possibilité d’y répondre (Bui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 440 au para 27).

[28] Alors que la décision de délivrer un visa temporaire suppose habituellement un degré faible ou négligeable d’équité procédurale, les conclusions connexes tirées au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi font l’objet d’un degré plus élevé (c.-à-d. plus que le minimum) d’équité procédurale parce qu’une conclusion de fausse déclaration empêche un demandeur de présenter une nouvelle demande pendant une période de cinq ans et peut également nuire à sa réputation (He v. The Minister of Citizenship and Immigration), 2022 FC 112 au para 20).

[29] Le demandeur fait valoir que l’agent a enfreint les principes de justice naturelle en ne lui offrant pas une possibilité réelle et équitable de répondre aux problèmes de crédibilité, notamment ceux concernant l’authenticité de son mariage.

[30] Comme il a été dit plus haut, bien que la décision soit fondée sur le fait que le demandeur n’a pas répondu honnêtement aux questions qui lui ont été posées (en particulier concernant ses antécédents de refus de visa), les notes du SMGC de l’agent soulèvent des questions de crédibilité concernant i) la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale et ii) l’authenticité de son mariage.

[31] Étant donné les conséquences graves et durables d’une conclusion de fausse déclaration, le demandeur avait droit à une chance plus complète et équitable de répondre aux questions touchant la crédibilité, par exemple dans le cadre d’une entrevue.

[32] De plus, le demandeur n’a pas été informé des doutes sur l’authenticité de son mariage. Bien que ce ne soit pas sur ce point que la décision a été rendue, il est clair que l’authenticité du mariage a constitué une base pour les préoccupations en matière de crédibilité et le rejet ultérieur de l’agent. Les notes versées par l’agent dans le SMGC indiquent ce qui suit :

[traduction]

Il est également noté que j’ai examiné la demande [de permis de travail] et que j’ai des doutes quant à la crédibilité du demandeur et à l’authenticité de la relation conjugale. Il est noté que l’agent précédent a rejeté la demande [de permis de travail] en indiquant qu’il avait des doutes sur l’authenticité de la relation; toutefois, la lettre de rejet n’a pas divulgué cette information; la demande a été rejetée pour un motif lié à la visite, et aucune [lettre d’équité procédurale] n’a été envoyée à ce sujet pour cette demande ni pour la présente.

Il semble que le demandeur se soit vu refuser deux permis de travail (du moins en partie) en raison de doutes quant à l’authenticité de son mariage, sans avoir jamais été informé du problème ni avoir eu la possibilité de répondre. Par conséquent, je conclus que la décision n’est pas équitable sur le plan procédural.

[33] Ma conclusion selon laquelle la décision n’est pas équitable sur le plan procédural ne porte pas atteinte à l’importance de la finalité de l’article 40 de la Loi, qui est de dissuader les fausses déclarations, ni à l’importance de la sincérité en tant qu’exigence légale et principe fondamental, ce qui a été souligné à plusieurs reprises dans la jurisprudence (Kaur v. The Minister of Citizenship and Immigration), 2022 FC 270 au para 41).


JUGEMENT dans le dossier IMM-2342-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-France Blais, L.L. B., traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM-2342-20

INTITULÉ :

PUNEET GAUTAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 AVRIL 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 AVRIL 2022

 

COMPARUTIONS :

ANU KUMAR

 

POUR LE DEMANDEUR

 

GALINA BINING

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

STEWARD SHARMA HARSANYI

CALGARY (ALBERTA)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA

EDMONTON (ALBERTA)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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