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Date : 20220426


Dossier : IMM-5991-21

Référence : 2022 CF 608

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2022

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

MAKHAN SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur sollicite, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le contrôle judiciaire de la décision du 10 août 2021 par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a rejeté son appel – qu’il avait déposé en qualité de répondant – de la décision relative à la demande de résidence permanente au Canada présentée par sa fille. La SAI a statué que la fille du demandeur n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial suivant l’alinéa 117(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR].

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II. Le contexte

[3] Le demandeur est un résident permanent du Canada. Sa demande de résidence permanente parrainée par son épouse a initialement été soumise en septembre 2012 et comprenait également sa fille, Kirandeep Kaur, alors âgée de 18 ans et 8 mois, en qualité d’enfant à charge qui l’accompagnait. À l’époque, la fille du demandeur résidait en Inde, tandis que le demandeur était un demandeur d’asile résidant au Canada avec son épouse. Kirandeep est la fille biologique du demandeur et de son ancienne épouse, décédée en 2011.

[4] Le 5 juin 2015, le demandeur a présenté une demande de dispense, pour motifs d’ordre humanitaire, de l’obligation prévue à l’alinéa 72(1)e) de la LIPR de fournir un passeport dans le cadre de sa demande de résidence permanente. Il ne détenait pas de passeport valide et n’avait pu en obtenir un nouveau auprès des autorités consulaires indiennes au Canada en raison de sa demande d’asile. Dans les formulaires relatifs à cette demande, le demandeur mentionnait sa fille comme personne à charge qui l’accompagnait.

[5] La demande de résidence permanente présentée par le demandeur au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada a été rejetée le 7 décembre 2017. L’auteur de la lettre de rejet indiquait que le statut de résident temporaire du demandeur allait expirer en juin 2019. Une dispense de l’obligation de fournir un passeport a été accordée pour des motifs d’ordre humanitaire le 26 mars 2018. Selon la feuille de suivi liée à cette décision, Kirandeep était une personne à charge qui n’accompagnait pas le demandeur et qui résidait en Inde. D’après les motifs de la décision statuant sur la demande fondée sur les motifs d’ordre humanitaire, Kirandeep était âgée de 24 ans à la date de la décision, mais elle avait 21 ans à la date de présentation de cette demande.

[6] Le 29 mars 2018, le Bureau de réduction de l’arriéré de Vancouver a envoyé une lettre au demandeur l’informant qu’il ne pouvait parrainer sa fille avant d’être un résident permanent du Canada, car elle résidait à l’étranger. L’auteur de cette lettre demandait également de plus amples renseignements sur la fille du demandeur, lesquels ont été fournis par le demandeur en mai 2018.

[7] Le dossier certifié du tribunal n’indique pas clairement la date où le demandeur est devenu résident permanent du Canada. Son ancien consultant en immigration précise dans ses observations que le demandeur a obtenu la résidence permanente le 20 février 2019. L’auteur de la décision contestée de la SAI indique à tort que le demandeur a obtenu la résidence permanente le 26 mars 2018 lorsque la demande fondée sur les motifs d’ordre humanitaire a été accueillie, mais la décision statuant sur cette demande ne concernait que la demande de dispense de l’obligation de fournir un passeport.

[8] Le 30 avril 2019, le demandeur a présenté une demande en vue de parrainer Kirandeep en qualité d’enfant à charge. À la date de la demande de parrainage, elle était âgée de 25 ans.

[9] Le 3 juillet 2019, un adjoint aux programmes du Bureau de réception centralisée de Sydney, en Nouvelle-Écosse, a envoyé une lettre au demandeur l’informant que sa demande en vue de parrainer Kirandeep avait été rejetée parce qu’elle était incomplète, et lui demandant de vérifier que sa fille répondait bien à la définition d’« enfant à charge ». L’adjoint lui renvoyait aussi dans sa lettre le dossier de demande, car le demandeur n’avait pas fourni la preuve du paiement des frais de traitement requis, il avait fourni une forme de paiement incorrecte ou le montant de frais qu’il avait fourni était insuffisant.

[10] Le 11 août 2019, ou vers cette date, le demandeur a de nouveau soumis la demande en vue de parrainer Kirandeep, ainsi qu’un affidavit dans lequel il affirmait qu’elle remplissait les conditions énoncées dans la définition d’enfant à charge.

[11] Le 5 novembre 2020, un agent d’immigration du Haut-commissariat du Canada à New Delhi [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente de Kirandeep en qualité d’enfant à charge du demandeur, car il n’était pas d’avis qu’elle satisfaisait à la définition d’« enfant à charge » visée à l’alinéa 117(1)b) et à l’article 2 du RIPR à la date de production de la demande. L’agent a souligné que Kirandeep était âgée de plus de 22 ans à la date de la demande de parrainage. Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la SAI.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[12] Dans une décision datée du 10 août 2021, la SAI a confirmé la décision de l’agent et a conclu que le rejet était valide en droit, car Kirandeep n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial.

[13] La SAI a fait remarquer que la demande en vue de parrainer Kirandeep avait été traitée le 6 mai 2019. À cette date, Kirandeep était âgée de plus de 22 ans et n’était pas en mesure de démontrer qu’elle satisfaisait aux deux critères applicables de l’article 2 du RIPR, à savoir qu’elle (i) n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de son père depuis le moment où elle a atteint l’âge de 22 ans; et (ii) qu’elle ne peut actuellement subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.

[14] La SAI a réitéré que l’affaire sur laquelle elle devait se prononcer concernait la demande de parrainage faite en 2019, et non les demandes précédemment rejetées que le demandeur et Kirandeep avaient présentées depuis 2012. Par conséquent, elle a conclu que la seule date déterminante pour Kirandeep était celle de la demande de parrainage de 2019. La SAI a souligné qu’elle n’avait pas compétence pour examiner les erreurs qui auraient pu survenir précédemment quant à la manière dont les responsables de l’immigration ont tenu compte de Kirandeep en qualité de personne à charge qui accompagnait ou non le demandeur.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[15] La seule question en litige est celle de savoir si la décision de la SAI est raisonnable.

[16] Il s’ensuit que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Aucune des situations justifiant de déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 17‑25; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 27).

[17] Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Elle doit englober les caractéristiques d’une décision raisonnable, à savoir la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, au para 99, citant Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47 et 74; Catalyst Paper Corp c North Cowichan (District), 2012 CSC 2 au para 13). La cour de révision doit adopter une approche empreinte de déférence et intervenir uniquement « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov, au para 13).

V. Analyse

[18] La présente affaire porte sur l’application de l’article 65 de la LIPR, selon lequel les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que si l’étranger faisant l’objet d’une demande de parrainage appartient à la catégorie du regroupement familial, et sur la date « déterminante » qui permet de décider si Kirandeep fait partie de cette catégorie.

[19] Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la SAI de reconnaître l’erreur des responsables de l’immigration au paragraphe 13 de ses motifs et de placer sur lui le fardeau de porter l’erreur à l’attention des responsables, plutôt que de rectifier l’erreur elle-même :

[13] Si les responsables de l’immigration avaient commis une erreur sur la question de savoir comment traiter le dossier de la demandeure, c’est-à-dire soit à titre de personne à charge n’accompagnant pas l’appelant, soit de personne à charge accompagnant l’appelant, il serait normal de s’attendre à ce que l’appelant ou son conseil ait porté l’erreur à l’attention des responsables de l’immigration, et à ce que l’erreur ait été corrigée.

[20] Le demandeur soutient en outre que la SAI n’a pas tenu compte de trois éléments du dossier de preuve qui indiquaient que le rejet de la demande de parrainage du demandeur était dû à des erreurs commises par les responsables de l’immigration, à savoir : (i) le fait qu’il avait présenté sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire dans le but d’être dispensé de l’obligation de fournir un passeport, et non pour obtenir la résidence permanente; (ii) la divergence entre la feuille de suivi concernant la demande de résidence utilisée relativement à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sur laquelle il était indiqué que Kirandeep était une personne à charge qui n’accompagnait pas le demandeur, et les formulaires fournis au ministère de l’Immigration pour la même demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire indiquant que Kirandeep était une personne à charge qui accompagnait le demandeur; et (iii) le fait que l’agent responsable de statuer sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire la considérait comme une enfant à charge qui n’accompagnait pas le demandeur, bien qu’il eut reconnu qu’elle était pour le demandeur une personne à charge en Inde.

[21] Le demandeur soutient que la date déterminante appropriée quant à l’âge de Kirandeep était celle de 2012 alors qu’elle avait moins de 22 ans, car ce n’est qu’en raison de l’erreur des responsables de l’immigration que cette date déterminante a été modifiée. Selon le demandeur, il était déraisonnable de la part de la SAI de ne pas tenir compte de l’âge qu’avait Kirandeep lors de la demande initiale en 2012 et de ne pas motiver cette conclusion.

[22] Enfin, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la SAI de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de tenir compte des motifs d’ordre humanitaire, y compris l’intérêt supérieur de l’enfant. De l’avis du demandeur, la SAI n’a pas bien interprété la preuve selon laquelle une erreur avait été commise par les responsables de l’immigration précédents, ce qui a entraîné le traitement incorrect de la demande de Kirandeep. Par conséquent, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la SAI de conclure que le fait pour Kirandeep de ne pas appartenir à la catégorie du regroupement familial empêchait la prise en considération des motifs d’ordre humanitaire prévue à l’article 65 de la LIPR, étant donné que la conclusion selon laquelle elle n’appartenait pas à cette catégorie découlait uniquement des erreurs commises par les responsables de l’immigration. Le demandeur soutient plutôt que Kirandeep appartient à cette catégorie et que la SAI aurait dû exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 67(1)c) de la LIPR de prendre en considération les motifs d’ordre humanitaires. Le demandeur soutient qu’une dispense justifiée par des motifs d’ordre humanitaire est appropriée, car le demandeur et Kirandeep ont subi des difficultés qui auraient pu être évitées si la demande avait été traitée correctement.

[23] Le défendeur reconnaît que l’issue de la procédure engagée devant la SAI est malheureuse pour le demandeur, mais il ne concède pas que les responsables de l’immigration ont commis une erreur dans le traitement de la demande initiale fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ou que la qualité de Kirandeep a été modifiée de personne à charge qui accompagne le demandeur à celle de personne à charge qui n’accompagne pas le demandeur. Le défendeur soutient plutôt qu’elle ne répondait pas aux critères d’admissibilité qui auraient permis la prise en considération de motifs d’ordre humanitaire dans l’examen de sa demande parce qu’elle se trouvait à l’étranger. Le demandeur est tenu de présenter une demande de parrainage distincte après avoir obtenu la résidence permanente. En l’espèce, cette demande n’a été produite qu’en 2019, date à laquelle elle avait dépassé l’âge limite pour les personnes à charge, sauf pour celles faisant partie des exceptions.

[24] La question de savoir si Kirandeep a été déclarée erronément avoir la qualité de personne à charge qui accompagne ou non le demandeur dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est sans importance pour le traitement de la demande de parrainage du demandeur. Quelle que soit la qualité qu’on lui reconnaisse ‑ celle de personne à charge qui accompagne le demandeur ou qui ne l’accompagne pas ‑ à la date de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la date déterminante de 2012 pertinente pour évaluer son âge devait effectivement être modifiée, car la demande de résidence permanente que le demandeur a présentée en 2012 au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada – qui comprenait Kirandeep comme enfant à charge qui accompagne le demandeur – avait été rejetée en 2017. Par conséquent, la seule date déterminante pertinente pour évaluer l’âge qu’avait Kirandeep à la date de la demande de parrainage subséquente présentée par son père en 2019 aurait pu être cette année-là.

[25] Pour qu’une décision soit annulée au motif qu’elle est déraisonnable, ses lacunes ou insuffisances doivent se rapporter à des « point[s] centra[ux] » qui sont « suffisamment capita[ux] ou important[s] pour [la] rendre [...] déraisonnable » (Vavilov, aux para 100, 103). En l’espèce, le fait pour la SAI de ne pas avoir reconnu l’existence d’une lacune dans la décision de 2018 statuant sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’était pas « simplement superficie[l] ou accessoire par rapport au fond de la décision », car il n’avait aucune incidence sur le résultat de sa décision (Vavilov, au para 100).

[26] Compte tenu du rejet, en 2017, de la demande de résidence permanente présentée par le demandeur au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, les seuls événements pertinents aux fins de l’examen du caractère raisonnable de la décision contestée de la SAI sont ceux qui se sont produits à partir de 2019, lorsque le demandeur a cherché à parrainer sa fille après avoir lui-même obtenu le statut de résident permanent. À l’époque, Kirandeep était âgée de plus de 22 ans. Par conséquent, il était raisonnable pour la SAI de conclure que Kirandeep ne répondait pas à la définition d’enfant à charge énoncée à l’article 2 du RIPR et de conclure qu’elle ne faisait pas partie de la catégorie du regroupement familial visée à l’alinéa 117(1)b) du RIPR.

[27] Il était raisonnable que la SAI n’ait pas évalué la possibilité pour Kirandeep que des motifs d’ordre humanitaire soient pris en considération lorsqu’elle a statué sur la demande de parrainage la concernant, puisque l’article 65 de la LIPR interdit à la SAI de le faire.

VI. Conclusion

[28] Le processus qui s’est déroulé depuis que le demandeur a cherché pour la première fois à inclure sa fille dans sa demande parrainée de résidence permanente au Canada s’est soldé par une issue malheureuse pour le demandeur et Kirandeep. Toutefois, la Cour convient avec le défendeur que la présente demande de contrôle judiciaire n’est pas le moyen le plus approprié pour régler le problème. La mesure sollicitée par le demandeur ne relève pas de la compétence conférée à la SAI pour la prise en considération des motifs d’ordre humanitaire, et rien ne justifie que la Cour modifie la décision de la SAI.

[29] Comme l’a fait observer l’avocat du défendeur lors de l’audience, le demandeur et Kirandeep peuvent exercer d’autres voies de recours, y compris une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée depuis l’étranger. Dans les circonstances, la Cour croit que les responsables de l’immigration ne placeraient pas une telle demande au bas de la pile aux fins de traitement.

[30] Les faits de la présente affaire lui sont propres. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5991-21

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5991-21

INTITULÉ :

MAKHAN SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 AVRIL 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 26 avril 2022

COMPARUTIONS

Puneet Khaira

POUR LE DEMANDEUR

Jocelyne Mui

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Citylaw Group LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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