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Date : 20220407


Dossier : T-1244-19

Référence : 2022 CF 338

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2022

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

LUCIEN RÉMILLARD

demandeur

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(caviardés pour tenir compte des ordonnances de la

Cour d’appel fédérale dans les dossiers A-292-20 et A186-21)

(Jugement et Motifs confidentiels émis le 16 mars 2022)

I. Survol 2

II. Contexte 3

A. Confidentialité et huis clos 3

B. Les conventions fiscales en cause 5

C. La Vérification fiscale 8

III. Décisions contestées – les demandes d’EDR 16

A. La demande d’EDR américaine 17

(1) Information transmise 17

(2) Information requise 20

B. La demande d’EDR suisse 21

(1) Information transmise 22

(2) Information requise 23

C. La demande d’EDR barbadienne 23

(1) Information fournie 24

(2) Information requise 25

IV. Questions en litige et norme d’intervention 27

V. Analyse 29

A. L’Agence a-t-elle fait preuve de transparence et de bonne foi dans ses demandes d’EDR? 29

(1) Dans son affidavit et en contre-interrogatoire 30

(2) À l’égard de LR et de ses représentants 35

(3) Dans les demandes étrangères 38

(4) En conclusion sur cette question 40

B. Les renseignements et documents requis des autorités étrangères sont-ils « vraisemblablement pertinents » pour la vérification de l’Agence? 41

C. Le défendeur a-t-il épuisé les moyens raisonnables sur son territoire afin d’obtenir les renseignements et documents requis avant de s’adresser aux autorités étrangères? 53

VI. Conclusion 58

I. Survol

[1] M. Lucien Rémillard est un homme d’affaires qui a fait fortune dans le domaine de la gestion des matières résiduelles au Québec. Il a fondé et dirigé la société RCI Environnement Inc. jusqu’à sa retraite de celle-ci en 2013. Il informe alors les autorités fiscales canadiennes de son intention d’émigrer vers la Barbade en novembre 2013, et de devenir un non-résident canadien à des fins fiscales.

[2] En novembre 2015, l’Agence du revenu du Canada [l’Agence] l’avise qu’il est sélectionné pour une vérification fiscale sous l’Initiative relative aux entités apparentées, dans le principal but de déterminer sa résidence fiscale.

[3] Cette vérification débute en avril 2016 et se poursuit jusqu’à la fin 2018. Elle couvre initialement les années d’imposition 2013-2014 mais elle est éventuellement élargie pour couvrir également les années 2015, 2016 et 2017.

[4] Insatisfaite des informations reçues de M. Rémillard dans le cadre de sa vérification interne, l’Agence décide de s’adresser aux autorités fiscales américaines (janvier 2019), suisses (mai 2019) et barbadiennes (juin 2019) afin d’obtenir les renseignements convoités, en application des diverses conventions fiscales bilatérales qui lient le Canada à ces pays.

[5] M. Rémillard demande maintenant à la Cour d’intervenir et de casser ces trois demandes d’échange de renseignements [demandes d’EDR], ou autrement ordonner à l’Agence de les retirer. Il fait plusieurs reproches à l’Agence, dont le fait de ne pas avoir épuisé ses recours internes, d’avoir fourni des informations fausses ou incomplètes aux autorités étrangères et de s’adonner essentiellement à une « partie de pêche » dans le but d’obtenir des renseignements sur l’ensemble de ses revenus plutôt que sur sa résidence; en d’autres termes, le demandeur plaide que les informations demandées ne sont pas vraisemblablement pertinentes.

II. Contexte

A. Confidentialité et huis clos

[6] Les parties ont déposé un dossier commun de la preuve en 19 volumes qui contiennent 3674 pages. Au moment du dépôt, le demandeur a requis une ordonnance de confidentialité visant certains des documents et renseignements contenus dans la preuve commune. Lors de l’audience de cette requête, le juge Peter Pamel, responsable de la gestion de l’instance, confirme que la Ministre consent à la confidentialité de plusieurs de ces renseignements (par exemple, numéro d’assurance sociale, identité d’enfants mineurs, numéros de comptes bancaires, renseignements médicaux, etc.) et qu’il doit se prononcer uniquement sur la confidentialité des informations financières du demandeur et des informations concernant des tiers non-concernés par le litige. Dans une ordonnance rendue le 21 juin 2021 (Rémillard c Canada (Revenu national), 2021 CF 644), le juge Pamel rejette cette requête tout en suspendant l’effet de son ordonnance pour 30 jours, afin de permettre au demandeur de se pourvoir en appel.

[7] À noter que le demandeur avait préalablement tenté d’obtenir la confidentialité du dossier certifié de l’Agence, demande également rejetée par le juge Pamel par ordonnance en date du 17 novembre 2020 (Rémillard c Canada (Revenu National), 2020 CF 1061). Cette décision fait l’objet d’un premier appel dans le dossier A-292-20, lequel a été entendu par la Cour d’appel fédérale le 13 décembre 2021 et est présentement en délibéré.

[8] Le demandeur en appelle également de la décision concernant le dossier commun de la preuve dans le dossier A-186-21. Le 14 juillet 2021, le juge Denis Pelletier de la Cour d’appel fédérale ordonne le sursis d’exécution de la décision du juge Pamel, et il ordonne que le dossier commun de la preuve demeure confidentiel jusqu’à l’expiration d’un délai de 30 jours du jugement à être rendu sur l’appel. Ce dossier n’est toujours pas en état et aucune date d’audience n’a encore été fixée.

[9] C’est donc l’entièreté du dossier commun de la preuve qui est frappé de cette ordonnance de confidentialité. Dans ces circonstances, la Cour n’a eu d’autre choix que de conduire l’audience de la demande à huis clos, afin d’éviter le silence radio. Elle n’a également d’autre choix que d’émettre d’abord une version confidentielle des présents motifs, afin de permettre aux parties de lui faire part de leurs observations à l’égard des extraits qui devraient, selon elles, être caviardés dans une version publique.

B. Les conventions fiscales en cause

[10] Le Canada est un pays membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE] et est partie à de nombreux accords internationaux prévoyant l’échange de renseignements fiscaux avec plusieurs pays, dont les États-Unis, la Suisse et la Barbade. Ces trois conventions bilatérales sont calquées sur le Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l’OCDE, 2017 : Éditions OCDE, 2019 [le Modèle de Convention], qui prévoit ce qui suit à son article 26 :

  1. Les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la présente Convention ou pour l’administration ou l’application de la législation interne relative aux impôts de toute nature ou dénomination perçus pour le compte des États contractants, de leurs subdivisions politiques ou de leurs collectivités locales dans la mesure où l’imposition qu’elle prévoit n’est pas contraire à la Convention. L’échange de renseignements n’est pas restreint par les articles 1 et 2.

  2. Les renseignements reçus en vertu du paragraphe 1 par un État contractant sont tenus secrets de la même manière que les renseignements obtenus en application de la législation interne de cet État et ne sont communiqués qu’aux personnes ou autorités (y compris les tribunaux et organes administratifs) concernées par l’établissement ou le recouvrement des impôts mentionnés au paragraphe 1, par les procédures ou poursuites concernant ces impôts, par les décisions sur les recours relatifs à ces impôts, ou par le contrôle de ce qui précède. Ces personnes ou autorités n’utilisent ces renseignements qu’à ces fins. Elles peuvent révéler ces renseignements au cours d’audiences publiques de tribunaux ou dans des jugements. Nonobstant ce qui précède, les renseignements reçus par un État contractant peuvent être utilisés à d’autres fins si la législation des deux États l’autorise et si l’autorité compétente de l’État qui fournit ces renseignements autorise cette utilisation.

  3. Les dispositions des paragraphes 1 et 2 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un État contractant l’obligation :

    • a) de prendre des mesures administratives dérogeant à sa législation et à sa pratique administrative ou à celles de l’autre État contractant ;

    • b) de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l’autre État contractant ;

    • c) de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l’ordre public.

  4. Si des renseignements sont demandés par un État contractant conformément à cet article, l’autre État contractant utilise les pouvoirs dont il dispose pour obtenir les renseignements demandés, même s’il n’en a pas besoin à ses propres fins fiscales. L’obligation qui figure dans la phrase précédente est soumise aux limitations prévues au paragraphe 3 sauf si ces limitations sont susceptibles d’empêcher un État contractant de communiquer des renseignements uniquement parce que ceux-ci ne présentent pas d’intérêt pour lui dans le cadre national.

  5. En aucun cas les dispositions du paragraphe 3 ne peuvent être interprétées comme permettant à un État contractant de refuser de communiquer des renseignements uniquement parce que ceux-ci sont détenus par une banque, un autre établissement financier, un mandataire ou une personne agissant en tant qu’agent ou fiduciaire ou parce que ces renseignements se rattachent aux droits de propriété d’une personne.

[11] Les conventions en cause devant moi sont donc la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 26 septembre 1980, et modifiée par les Protocoles signés le 14 juin 1983, le 28 mars 1984, le 17 mars 1995 et le 29 juillet 1997 [la Convention Américaine], la Convention entre le Canada et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 5 mai 1997, et modifiée par le Protocole signé le 22 octobre 2010 [la Convention Suisse] et l’Accord entre le Canada et la Barbade tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signé le 22 janvier 1980, et modifié par le Protocole signé le 8 novembre 2011 [la Convention Barbadienne] [ensembles, les Conventions applicables]. Elles contiennent toutes la clause 26 du Modèle de Convention.

[12] Au Canada, la Ministre (ou son représentant autorisé) est désigné à titre « d’autorité compétente » pour l’application des conventions. Les diverses fonctions de lautorité compétente sont exercées par des fonctionnaires de l’Agence œuvrant au sein des services d’échanges de renseignements [Autorité compétente].

C. La Vérification fiscale

[13] Cette vérification est confiée à une équipe du Bureau des services fiscaux du Nouveau-Brunswick, dirigée par le vérificateur Denis Robichaud. Elle s’amorce en avril 2016 par l’envoi d’un questionnaire initial. Aucune réponse n’est donnée à ce questionnaire puisque le demandeur indique ne pas l’avoir reçu.

[14] Le Plan de vérification générale complété en juin 2016, et intitulé Le groupe de Lucien Rémillard 2013-2017, débute par ce qui suit :

Portée de la vérification :

La vérification sera portée sur les entités principalement liées à Lucien Rémillard. Le statut de résidence de Lucien Rémillard est l’enjeu principale [sic] de la vérification ainsi que la planification fiscale mise en place pour son émigration à la Barbade.

[15] Ce plan contient plusieurs pages et, outre l’énumération des étapes préliminaires à la vérification, il détaille les éléments de risques relevés par l’équipe d’élaboration de la charge de travail. On y décrit notamment les liens connus entre le demandeur et diverses sociétés et fiducies, le fait qu’il ait fait don de sa résidence à l’un de ses fils et qu’il utilise l’adresse de son conseiller financier ou celle d’une résidence luxueuse en location court terme à la Barbade, ainsi que ses diverses entrées au Canada depuis la date de son émigration.

[16] Suite à un premier contact avec Me Charles C. Gagnon, représentant autorisé du demandeur, l’Agence transmet, en août 2016, une première feuille de demande de renseignements [demande T-997-1] au titre du paragraphe 231.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) [LIR]. De façon générale, on y interroge le demandeur sur certains actifs ayant fait l’objet d’une disposition lors de son émigration, sur d’autres actifs ayant été transférés, sur des comptes bancaires détenus à l’étranger, sur la description de sa résidence principale et sur ses visites au Canada en 2013 et 2014. On lui demande un organigramme des entités qui lui sont liées pour les années 2013 et 2014 et la documentation relative à sa planification fiscale.

[17] Me Gagnon répond à la demande T-997-1 au début du mois d’octobre 2016 et transmet au vérificateur Robichaud les documents demandés sur une clé USB. Le demandeur soumet avoir fourni des réponses à toutes les questions posées sauf en ce qui concerne une police d’assurance sur des œuvres d’art; le vérificateur Robichaud, quant à lui, évalue à 90% le taux de réponses satisfaisantes. À noter que le dossier commun de la preuve ne contient pas les documents qui se trouvaient sur la clé USB mais uniquement une liste de ces documents confectionnée par le vérificateur Robichaud en réponse à un engagement souscrit lors de son contre-interrogatoire (vol. 17, p. 3221).

[18] Quoiqu’il en soit, une deuxième feuille de demande de renseignements [demande T-997-2] est transmise au demandeur en novembre 2016. On lui demande si les trois fiducies et la société qui y sont mentionnées ont été dissoutes et, le cas échéant, de fournir une réconciliation des distributions de fonds, ou dividende de liquidation dans le cas de la société.

[19] Me Gagnon répond à la demande T-997-2 par lettre du 25 novembre 2016. Il semble que certaines informations étaient manquantes mais qu’elles aient à nouveau été visées par une(des) demande(s) subséquente(s).

[20] En mars 2017, l’Agence transmet sa troisième feuille de demande de renseignements [demande T-997-3]. On demande au demandeur de fournir un certain nombre de preuves concernant son statut de résident de la Barbade et sur le fait qu’il soit imposé dans ce pays sur son revenu mondial. On lui demande également de faire état du coût de ses investissements/placements pour les années 2013 et 2014; des endroits où il a séjourné lors de ses visites au Canada en 2014; de la date et de la durée de ses séjours à sa résidence de |||| |||| en Floride, à la Barbade ou dans d’autres pays au cours de l’année 2014; d’un certain nombre d’informations concernant la fiducie qui détient la résidence de ||||||||||||||; de l’identité de toute autre entité étrangère à laquelle il serait lié, et finalement; de sa relation avec une dame qui réside au Canada et qui pourrait être sa conjointe.

[21] Par lettre du 13 avril 2017, Me Gagnon répond à la demande T-997-3. On y apprend notamment que le demandeur est un résident non-domicilié de la Barbade, que lors de ses séjours au Canada, il réside aux résidences principales ou secondaires de ses fils et qu’il |||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||| dans la demande T-997-3, mais ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. À nouveau, cette lettre est accompagnée d’une clé USB qui n’est pas à la disposition de la Cour. Une liste des documents qui y sont contenus se trouve dans le dossier commun de la preuve (vol. 17, p. 3232).

[22] C’est à partir de ce moment que la position des parties diverge quant à la pertinence des informations demandées. Le demandeur refuse de fournir quelque information que ce soit sur le coût de ses placements, sans mention d’un lien géographique ni du lieu où ils auraient été faits. Cette information, selon lui, ne vise qu’à déterminer sa valeur nette et n’a aucun lien avec sa résidence fiscale. Elle ne serait donc pertinente que si son statut de non-résident était contesté.

[23] En mai 2017, l’Agence transmet sa quatrième feuille de demande de renseignements [demande T-997-4]. On y réitère la demande pour fournir les déplacements du demandeur pour l’année 2013 (janvier à novembre). L’Agence s’enquiert sur la société apparentée au demandeur qui s’est portée garante des obligations du vendeur auprès de l’acheteur de RCI, elle élabore davantage sur le financement de la fiducie propriétaire de la résidence de ||||||||||||||, sur le lien entre une société de placement du demandeur et une fiducie préalablement identifiée, sur la relation entre le demandeur et six autres entités, ainsi que sur les détails relatifs au remboursement d’un billet à ordre entre lui et un de ses fils. On lui demande également d’expliquer ce qu’est un résident non-domicilié de la Barbade et de fournir les détails de certains remboursements d’avances faits par ses fils après novembre 2013 à des sociétés qu’il contrôlait avant novembre 2013.

[24] Par lettre de juin 2017, Me Gagnon fournit une réponse complète aux informations demandées dans la demande T-997-4.

[25] Entre juin 2017 et juin 2018, l’Agence fait un certain nombre de vérifications auprès de sources internes et auprès du Knowledge Research Centre de l’Agence. Il n’y a pour ainsi dire aucune preuve sur les informations demandées et obtenues de ces sources, mais voici la façon dont le vérificateur Robichaud explique les démarches de l’Agence :

Il y avait aussi plusieurs demandes qu’on a acheminées pour obtenir des informations auprès des registres publics, parce qu’entre mai... juin deux mille dix-sept (2017) puis, disons, l’année d’après, là, juin/juillet deux mille dix-huit (2018), on était vraiment en mode à obtenir l’information le plus qu’on pouvait des sources canadiennes publiques pour voir si qu’on pourrait faire une demande d’échange… bien, pas d’échange, mais une demande aux autorités étrangères. (Dossier commun de la preuve, vol. 12 à la p. 2316, ligne 17 à la p. 2317, ligne 2).

[26] Et, plus loin :

Bien, c’est ça, ma compréhension était qu’on pense que de l’information est détenue à l’extérieur du Canada, dans un pays où est-ce qu’on a un échange d’informations soit en vertu d’un traité ou un TIA ou je sais pas le mot en français, là, mais une entente d’échange d’informations ou que c’est avec un pays où est-ce qu’on a une convention fiscale en vigueur.

Donc, lorsque certaines informations se trouvent dans ces pays-là, on est en mesure de considérer d’aller chercher des documents ou des informations, poser des questions, si on rencontre un certain niveau d’étape avant de se rendre là.

De notre côté, ce qui a été expliqué, puis c’est un long processus, c’était de... si qu’on peut faire le maximum qu’on peut pour obtenir l’information sans le demander aux autorités étrangères, on va le faire, mais dans ce contexte ici, les... sachant que, à maintes reprises, les réponses continuaient d’être semblables, c’est-à-dire qu’on pose des questions sur la détermination de résidence, on veut des faits, on veut des explications, puis les réponses qui sont données, c’est « qu’on veut pas vous donner la réponse à votre question avant que vous dites qu’il est résident ». Puis, donc, on convient à plusieurs reprises qu’on pense pas qu’on va avoir les réponses qu’on cherche, et que ces informations-là, pour la plupart, se trouvent peut-être à l’extérieur du Canada.

(Dossier commun de la preuve, vol. 12, p. 2354, ligne 8 à p. 2354, ligne 14).

[27] En août 2017, le vérificateur Robichaud contacte un représentant du programme Initiative relative aux entités apparentées. On l’informe alors d’un projet en cours avec le groupe de travail JITSIC (Joint International Taskforce on Shared Intelligence and Collaboration [Traduction] « Groupe de travail international conjoint sur l’échange de renseignements et la collaboration ») de l’OCDE, dont le but est d’identifier des payeurs de taxes qui prétendent émigrer afin d’éviter de payer des impôts au Canada. Il est informé qu’il y a d’autres vérifications en cours qui soulèvent de tels enjeux et demande d’être tenu au courant de l’évolution de telles vérifications.

[28] C’est en novembre 2017 qu’on commence à discuter sérieusement de demandes étrangères au sein de l’Agence. On considère que le dossier du demandeur représente un intérêt particulier puisque ce dernier a des liens avec trois pays différents. On identifie également un avantage à procéder par le biais du JITSIC puisque les pays sont plus enclins à collaborer lorsqu’il s’agit d’un échange d’information plutôt que d’une démarche unilatérale. On collige donc suffisamment d’information pour procéder par le biais du JITSIC.

[29] En décembre 2017, le vérificateur Robichaud, une de ses collègues et un représentant de KPMG discutent avec Me Gagnon. Le vérificateur Robichaud avise Me Gagnon de son intention de faire une demande américaine, ce qui lui vaut certaines critiques. Me Gagnon trouve que les choses trainent en longueur et que l’Agence a suffisamment d’information pour conclure sur la question de la résidence; il s’interroge également sur le fait que cette option surgisse plus de quinze mois après le début de la vérification. Me Gagnon réitère que l’Agence devra conclure que le demandeur est résident canadien avant qu’il ne lui communique l’information demandée sur les placements du demandeur.

[30] À la mi-mars 2018, l’équipe de vérification transmet une première ébauche de demande d’EDR américaine à l’Autorité compétente. La demande est alors considérée faite par l’intermédiaire du JITSIC. Dans le cadre de discussions qui ont lieu au cours des mois suivants entre l’équipe de vérifications et l’Autorité compétente, on conclut que les informations demandées dans le cadre de la demande d’EDR américaine ne peuvent excéder la période de vérification. C’est alors que la période est élargie pour couvrir les années 2015, 2016 et 2017.

[31] On retire alors certaines questions de l’ébauche de demande d’EDR afin de les inclure dans une cinquième feuille de demande de renseignements [demande T-997-5] à transmettre au demandeur, qui est alors informé de la nouvelle période de vérification. Voici comment le vérificateur Robichaud explique la décision de transmettre cette demande :

On a demandé plusieurs fois, à travers les T997 numéros 1 à 4, plusieurs questions, on a obtenu des informations qui sont du domaine public, de source canadienne, qui pourraient nous aider à établir le... pour compléter notre vérification sur le statut de résidence.

Il y a des sources d’information de tiers qui sont utilisées au Canada pour obtenir de l’information. On a fait ça. Sachant qu’on a déjà une réponse à la négative sur certaines questions qu’on jugeait, nous autres, pertinentes, qu’on n’allait pas avoir de réponses, on a quand même jugé bon d’envoyer une dernière demande, T997 numéro 5 adressée à Lucien Rémillard, juillet deux mille dix-huit (2018), qui, selon nous, établissait les questions que si elles n’étaient pas répondues, allaient faire objet d’une demande auprès des autorités étrangères.

Puis ça, c’était leur... on pourrait dire, notre version de dire c’est la dernière chance de répondre à la question avant qu’on enclenche le processus avec... puis envoyer des demandes aux autorités étrangères (Dossier commun de la preuve, vol. 12, p. 2355, ligne 15 à p. 2356, ligne 13).

[32] La demande T-997-5, transmise en juillet 2018, couvre 27 sujets différents. Un certain nombre d’entre eux visent à obtenir de l’information déjà couverte par les demandes précédentes mais pour les nouvelles années de vérification, ou encore à obtenir de plus amples détails sur des renseignements déjà fournis. Il semble que le demandeur ait répondu à ces questions de façon satisfaisante. Toutefois il a refusé, pour les mêmes motifs que ceux exprimés par Me Gagnon à quelques reprises, de répondre aux questions relatives aux investissements et placements postérieurs à 2013 (points 12, 15, 21, 22, 23, 25 et 26 de la demande T-997-5), à savoir :

12. Transactions qui semblent liées à l’achat d’immeubles résidentiels et/ou commerciaux  | ; transferts | | d’une | vers une ||;

15. Organigramme des entités liées au demandeur au 31 décembre de chacune des années additionnelles visées par la vérification (incluant les fiducies dont il est bénéficiaire ou dont une entité qu’il contrôle est bénéficiaire);

21. Informations financières relatives à la société | | | pour toute la période visée (l’Agence note qu’elle a déjà en sa possession les états financiers pour les années 2013 et 2014);

22. Informations financières relatives à la société |  |  pour toute la période visée (l’Agence note qu’elle a déjà en sa possession les relevés de comptes bancaires de janvier 2013 à avril 2017);

23. Informations financières relatives à la société | | | pour toute la période visée (l’Agence note qu’elle a déjà en sa possession les relevés de comptes bancaires de janvier 2013 à avril 2017);

25. Informations financières et autres relatives à la fiducie | pour la période janvier 2013 à décembre 2014;

26. Informations financières et autres relatives à la fiducie | |.

[33] Trois jours après avoir reçu la réponse du demandeur à la demande T-997-5, le vérificateur Robichaud transmet à l’Autorité compétente une nouvelle version de la demande d’EDR américaine, inchangée quant aux informations demandées du partenaire américain mais avec quelques ajouts quant aux informations fournies.

[34] Le 10 octobre 2018, lors d’un entretien téléphonique entre le vérificateur Robichaud et Me Gagnon, le vérificateur Robichaud indique qu’il est d’accord pour compléter l’analyse de la résidence du demandeur avant d’obtenir les informations financières énumérées aux paragraphes 12(c) à (g), 15, 21, 22, 23, 25 et 25 de la demande T-997-5. Il est informé que dans l’intervalle, le demandeur continuera à colliger l’information additionnelle qui sera transmise uniquement si l’Agence conclut qu’il est résident canadien à des fins fiscales. Alors que le demandeur plaide abondamment qu’il a toujours refusé de fournir cette information en raison même de cette entente, le défendeur a longtemps nié qu’il y ait même eu entente. Ce n’est qu’à l’issue d’un contre-interrogatoire serré que le défendeur a dû se rendre à l’évidence et admettre cette entente. Cela dit, s’il est vrai que le vérificateur Robichaud a accepté la position de Me Gagnon, il ne l’a pas fait avant cet entretien du 10 octobre 2018. Ce n’est donc pas la raison pour laquelle Me Gagnon refuse de fournir cette information depuis avril 2017 (réponse à la demande T-997-3).

[35] Par ailleurs, la question relative à la portée de cette entente et de son impact sur la légalité des demandes d’EDR demeure entière et sera traitée plus loin.

[36] En décembre 2018, l’équipe de vérification demande l’assistance de l’Autorité compétente pour la préparation de la demande d’EDR barbadienne et la demande d’EDR américaine est transmise à l’autorité compétente américaine le 3 janvier 2019. En avril 2018, l’équipe de vérification demande l’assistance de l’Autorité compétente pour la préparation de la demande d’EDR suisse et celle-ci est transmise à l’autorité compétente suisse le 29 mai 2019. Finalement, la demande d’EDR barbadienne est transmise à l’autorité compétente barbadienne le 21 juin 2019.

III. Décisions contestées – les demandes d’EDR

A. La demande d’EDR américaine

[37] La lettre de transmission de cette demande a pour objet JITSIC Specific Request for Information Canada – United Stated (sic) Tax Convention et elle identifie le demandeur comme sujet d’une vérification fiscale pour les années 2013 à 2017. Elle confirme que la demande est conforme au droit domestique et que les informations requises pourraient être obtenues si elles se trouvaient au Canada. Elle confirme finalement que l’agence a épuisé toutes les avenues viables pour obtenir cette information elle-même.

(1) Information transmise

[38] La demande d’EDR américaine est un document de douze pages, auquel sont jointes une vingtaine de pièces qui ne font pas partie du dossier commun de la preuve. On y mentionne l’adresse de la résidence située au Québec, dont le demandeur a fait don à son fils, des résidences connues aux États-Unis et à la Barbade, ainsi que l’adresse postale utilisée par le demandeur  |  ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[39] En ce qui concerne les parties liées au demandeur, on y mentionne d’abord |||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Outre l’adresse de cette dernière au Québec, on indique que selon la pièce A, cette dame habiterait également la résidence de ||||||||||||||.

[40] On y énumère ensuite plusieurs ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||  |  ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, en y décrivant brièvement les liens connus avec le demandeur.

[41] Dans la section sur les entités susceptibles de détenir l’information recherchée, on y retrouve l’Internal Revenue Service [IRS], deux institutions financières, un évaluateur maritime et un assureur.

[42] Dans la section Nexus (raison de la demande), on indique que la LIR requiert que les résidents canadiens déclarent leurs revenus mondiaux et l’ensemble de leurs actifs, où qu’ils se trouvent. L’Agence confirme avoir été avisée en novembre 2013 de la décision du demandeur d’émigrer à la Barbade, mais qu’elle a des raisons de croire qu’il serait en fait un résident canadien ou américain. L’information est donc requise afin de déterminer la résidence et la responsabilité fiscale du demandeur pour la période visée.

[43] Enfin, dans la section Contexte (« Background ») on explique que cette vérification s’inscrit dans le cadre de l’Initiative relative entités apparentées et qu’elle fait maintenant partie du projet Résidence du JITSIC. On y décrit sommairement le programme qui vise à identifier les entités liées, à analyser les transactions entre elles et le particulier, et à déterminer la résidence des fiducies étrangères.

[44] L’Agence donne ensuite une liste de divers liens que le demandeur entretient avec le Canada, les États-Unis et la Barbade et conclut qu’il pourrait être résident de n’importe lequel de ces pays, puisqu’il y partage son temps à peu près à parts égales. Selon l’Agence, l’utilisation de la plateforme offerte par le JITSIC permet donc le partage d’information nécessaire à la détermination de sa réelle résidence fiscale.

[45] En ce qui concerne les liens du demandeur avec le Canada, on indique qu’il est né au Canada et qu’il y a poursuivi toute sa carrière jusqu’à sa retraite de son entreprise en 2013. Ses enfants, petits-enfants, sœurs, neveux et nièces y résident. Il est |||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||, bien qu’il nie ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[46] Avant son départ du Canada, il a fait don de sa résidence valant plus de |||| à l’un de ses fils et lorsqu’il est au Canada, il réside aux résidences principales et secondaires de ses fils. Il est bénéficiaire d’une fiducie canadienne qui détient les actions ordinaires d’une société de placement canadienne. Le demandeur aurait reçu |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| depuis 2013.

[47] Pour ce qui est des liens que le demandeur entretient avec les États-Unis, il y a évidemment la résidence |||||||||||||||||||| dont il est bénéficiaire depuis 2012 par l’intermédiaire d’une fiducie barbadienne. D’après le LexisNexis, il y résiderait |||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||.

[48] L’Agence fournit l’adresse de |||||||||||||||||||||||||||||||| situés à ||||||||||||||||||||||, que le demandeur aurait acquis en 2017, et indique qu’il a fait inspecter, par une société ayant son siège en Floride, ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. En 2012, il aurait vendu |||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||| de la fiducie barbadienne propriétaire de la résidence de |||||||||||||| et dont le demandeur est bénéficiaire. Ce prêt a servi de sureté pour un prêt |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||.

[49] Finalement, l’Agence informe son vis-à-vis que depuis 2014, le demandeur passe à peu près le tiers de son temps aux États-Unis.

[50] En ce qui concerne les liens du demandeur avec la Barbade, on fait d’abord référence à la déclaration qu’il a faite dans son rapport d’impôt 2013 à l’effet qu’il y émigrait. On fait référence à la Villa propriété d’une fiducie dont il est bénéficiaire et on indique qu’au cours de la période de vérification, il y a passé à peu près le tiers de son temps. Pour ce qui est des informations financières concernant les entités liées, on informe les Américains que le demandeur a refusé de fournir celles qui ont trait à la période post 2013.

(2) Information requise

[51] La première série de questions s’adresse à l’IRS. On veut savoir si le demandeur est connu des services, s’il est considéré comme un résident américain et s’il y a déclaré ses revenus au cours de la période de vérification. S’il n’est pas considéré comme un résident, on demande de fournir un rapport de crédit pour les États-Unis, d’indiquer si le demandeur apparaît comme administrateur de sociétés américaines, ou encore s’il détient des intérêts dans des immeubles ou entreprises américaines (autres qu’identifiés dans la demande).

[52] En ce qui concerne les immeubles identifiés dans la demande, l’Agence veut connaitre les liens du demandeur avec les sociétés par l’intermédiaire desquelles ils ont été acquis. Elle veut également connaitre la liste des biens réels ou personnels enregistrés à l’adresse de la résidence de ||||||||||||||.

[53] Ensuite, l’Agence demande aux autorités américaines de lui fournir l’information détenue par |||||||||||||||||||||||||||||||||||||| identifiées dans le cadre de sa vérification; profil du client, numéros de compte dont le demandeur est bénéficiaire ou signataire autorisé, relevés de compte, détails de toutes transactions excédant 10 000$, etc. Finalement, on demande de fournir copie de toutes polices d’assurance émises par un assureur américain au nom du demandeur ou d’une entité liée.

[54] Cette demande d’EDR se termine par une liste énumérant les pièces A à T qui y sont jointes et qui, bien qu’elles se trouvent au dossier certifié de l’Agence, ne se trouvent pas au dossier commun de la preuve.

B. La demande d’EDR suisse

[55] La lettre de transmission de cette demande a pour objet JITSIC Specific Request for Information Canada – Switzerland Income Tax Convention et elle identifie le demandeur comme sujet d’une vérification fiscale pour les années 2013 à 2017. Elle confirme que la demande est conforme au droit domestique et que les informations requises pourraient être obtenues si elles se trouvaient au Canada. Elle confirme finalement que l’Agence a épuisé toutes les avenues viables pour obtenir cette information elle-même.

(1) Information transmise

[56] La demande d’EDR suisse contient trois pages et une seule pièce jointe, identifiée comme étant un document de transfert de fonds électronique. Cette pièce ne fait pas partie du dossier commun de la preuve bien qu’elle se trouve au dossier certifié de l’Agence.

[57] Elle identifie le demandeur et fournit ses adresses connues au Canada (contrairement aux deux autres demandes, elle n’est pas identifiée comme étant la dernière adresse connue du demandeur au Canada), aux États-Unis et à la Barbade, ainsi que son adresse postale ||||||||||||  |  ||||||||||||||. Elle énumère les entités liées au demandeur et identifie la |||||||||||||||||| qui serait en possession des renseignements recherchés.

[58] La section Nexus (raison de la demande) mentionne que la demande est faite en marge d’une vérification fiscale pour les années 2013-2017 et vise à déterminer la responsabilité fiscale du demandeur envers le Canada.

[59] Dans la section Contexte, on explique que cette vérification s’inscrit dans le cadre de l’Initiative relative aux particuliers fortunés et entités apparentées, un programme visant à analyser les transactions avec des entités liées étrangères et à déterminer la résidence fiscale des fiducies étrangères. On précise que les données de l’Agence relatives aux transferts électroniques de fonds contiennent certains transferts de fonds ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, via ||| |||||||||||||||||| identifiée dans la demande. L’Agence indique que le demandeur a refusé de fournir cette information pour la période visée au motif qu’il n’était plus résident canadien. Elle précise toutefois que compte tenu des liens familiaux du demandeur au Canada et du nombre et de la durée de ses visites depuis 2013, elle a des raisons de croire qu’il pourrait toujours être un résident canadien. L’information bancaire requise vise à déterminer la responsabilité fiscale du demandeur envers le Canada et à identifier d’autres entités liées ou actifs étrangers.

(2) Information requise

[60] L’Agence demande aux autorités fiscales suisses de requérir de la |||||||||||||||||| identifiée la documentation relative au profil du client, aux numéros de comptes dont le demandeur est bénéficiaire ou signataire autorisé, les relevés de compte du demandeur ou de toute entité affiliée et le détail de toutes transactions excédant 10 000$.

C. La demande d’EDR barbadienne

[61] La lettre de transmission de cette demande a pour objet Specific Request for Information Canada – Barbados Tax Convention et elle identifie le demandeur comme sujet d’une vérification fiscale pour les années 2013 à 2017. Elle confirme que la demande est conforme au droit domestique et que les informations requises pourraient être obtenues si elles se trouvaient au Canada. Elle confirme finalement que l’Agence a épuisé toutes les avenues viables pour obtenir cette information elle-même.

(1) Information fournie

[62] La demande d’EDR barbadienne contient dix-sept pages ainsi qu’une liste de 27 pièces (A à AA) qui y sont jointes. Les pièces elles-mêmes ne font pas partie du dossier commun de la preuve bien qu’elles se trouvent au dossier certifié de l’Agence.

[63] Elle identifie le demandeur et fournit ses adresses connues au Canada (dernière adresse connue), aux États-Unis et à la Barbade, ainsi que son adresse postale ||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Elle indique que |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| qui, selon le document produit comme pièce A, ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Finalement, elle énumère les entités connues liées au demandeur.

[64] La section Nexus (raison de la demande) mentionne que la LIR requiert que les résidents canadiens déclarent leurs revenus mondiaux, l’existence d’actifs détenus à l’étranger et les revenus générés par ces actifs. Elle mentionne que le demandeur a déclaré, à même sa déclaration fiscale de 2013, qu’il émigrait à la Barbade à compter du 15 novembre 2013 et que l’information est requise afin de déterminer sa responsabilité fiscale envers le Canada pour la période visée.

[65] Dans la section Contexte, on explique que cette vérification s’inscrit dans le cadre de l’Initiative relative aux particuliers fortunés et entités apparentées et on y énumère les différents liens que le demandeur entretien avec le Canada, les États-Unis et la Barbade, soit essentiellement la même information que l’on retrouve dans la demande américaine.

[66] On fait référence à des échanges d’informations antérieurs entre le Canada et la Barbade, concernant |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. On fait également référence à |||||||||||||||||||| |||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

(2) Information requise

[67] L’Agence indique que l’information demandée servira à déterminer la résidence du demandeur et sa responsabilité fiscale envers le Canada au cours de la période visée.

[68] La première section s’adresse à la Barbados Revenue Authority [BRA]. On veut savoir si le demandeur est connu de la BRA, s’il est considéré comme un résident fiscal de la Barbade, s’il y a déclaré ses revenus au cours de la période de vérification et s’il y a fait l’objet d’une vérification fiscale. S’il n’est pas considéré comme un résident et dans la mesure où l’information est disponible, on demande de fournir un rapport de crédit concernant le demandeur pour la Barbade.

[69] On indique que selon l’information reçue de la firme KPMG, le demandeur serait résident mais non-domicilié de la Barbade pour les années 2013-2017. On demande donc à la BRA de i) fournir toute information reçue du demandeur ou de ses représentants concernant sa résidence fiscale pour cette même période, ii) confirmer si le demandeur a obtenu un visa ou permis de résidence, iii) confirmer l’information reçue par l’Agence à l’effet que la somme de |||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||, et iv) confirmer si le revenu que le demandeur perçoit à titre de président d’une société réputée résidente canadienne est imposable à la Barbade, si le demandeur y déclare d’autres revenus d’emploi et s’il y détient un permis de travail.

[70] Sous la rubrique Biens immobiliers et informations corporatives, on indique que cette information est requise afin d’établir les liens du demandeur avec la Barbade. On demande s’il détient d’autres biens que ceux identifiés, s’il est lié à d’autres entités que celles identifiées, ou encore s’il agit en tant qu’administrateur de telles entités. On demande finalement une série d’informations concernant la résidence dont le demandeur est bénéficiaire à la Barbade, notamment les périodes de location à des tiers (et la documentation faisant état des revenus de location), tous biens ou entités enregistrés à cette adresse, la liste des numéros de téléphone qui y sont facturés et l’ensemble des dépenses afférentes à cette propriété.

[71] La dernière section de cette demande d’EDR s’intitule Autre (« Other ») et elle couvre des demandes variées :

  • Toutes informations concernant les entrées et sorties du demandeur, incluant sa provenance, la raison de sa visite et sa durée;

  • Toutes informations bancaires provenant | | |, concernant le demandeur et | qui lui sont liées; cela inclut le profil du client, les numéros de compte dont le demandeur ou une entité liée est bénéficiaire ou signataire autorisé, relevés de compte, détails de toutes transactions excédant 10 000$, etc.;

  • Toutes informations provenant d’un fournisseur de services de câblodistribution et de portable enregistrés au nom du demandeur au cours de la période de vérification, incluant la facturation mensuelle, le nom des utilisateurs, les appels et messages texte entrants et sortants, etc.;

  • Puisqu’une fiducie peut être considérée résidente canadienne en fonction de contributions passées, on demande une série de renseignements et documents concernant |||||||||||||||| |, pour les années 2009 à 2016;

  • Finalement, on demande à la BRA de fournir un certain nombre de documents liés à la planification fiscale du demandeur en vue de sa migration vers la Barbade.

IV. Questions en litige et norme d’intervention

[72] Cette demande de contrôle judiciaire soulève la question à savoir si les demandes d’EDR s’inscrivent dans le cadre de la LIR et des conventions bilatérales signées par le Canada. Partant, la Cour doit répondre à trois sous-questions :

  1. L’Agence a-t-elle fait preuve de transparence et de bonne foi dans ses demandes d’EDR?

  2. Les renseignements et documents requis des autorités étrangères sont-ils « vraisemblablement pertinents » pour la vérification de l’Agence?

  3. Le défendeur a-t-il épuisé les moyens raisonnables sur son territoire afin d’obtenir les renseignements et documents requis avant de s’adresser aux autorités étrangères?

[73] Le demandeur soumet que la norme de la décision correcte s’applique en l’instance puisque la question en est une d’interprétation d’une convention internationale (Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982). Subsidiairement, il soumet que même si la Cour concluait autrement, les demandes d’EDR ne passeraient pas le test de la norme de la décision raisonnable non plus.

[74] Pour le défendeur, l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 nous enseigne plutôt que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à l’évaluation des demandes d’EDR. Ces demandes résultent de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de vérification de l’Agence et elles visent le maintien de l’intégrité du système fiscal canadien. Dans ce contexte, la Cour doit faire preuve d’une grande réserve.

[75] Dans une décision récente rendue par la juge Martine St-Louis dans l’affaire Levett c Canada (Procureur général), 2021 CF 295, elle conclut, de concert avec les parties, que la norme de la décision raisonnable s’applique à toutes les questions dont elle est saisie, sauf celles relatives au respect du secret professionnel de l’avocat qu’elle n’a pas réellement eu à trancher.

[76] Cela dit, je suis également d’avis que la norme de la décision raisonnable s’applique, d’abord parce que la question soumise ne tombe pas sous le coup d’une des exceptions identifiées par la Cour suprême dans Vavilov, mais également puisqu’il s’agit d’une matière où cette Cour se doit de faire preuve d’une grande déférence.

[77] Tel qu’il sera discuté plus loin, les questions sous-jacentes aux demandes d’EDR – soit celles de la résidence fiscale du demandeur et de sa responsabilité fiscale envers le Canada – relèvent ultimement de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt. L’analyse ultime de la pertinence réelle des renseignements et documents demandés relève donc de cette Cour.

[78] Dans ce contexte, un examen de la légalité des demandes d’EDR, qui tiendrait compte des contraintes légales et factuelles auxquelles l’Agence est assujettie, ne peut qu’être sommaire : cette Cour ne disposant pas de l’ensemble du dossier de vérification du demandeur.

[79] La question du respect des conventions et de la LIR par l’Agence doit donc être analysée globalement et la Cour ne devrait intervenir qu’en cas d’irrégularité ou de lacune capitale (Vavilov, para 100).

V. Analyse

A. L’Agence a-t-elle fait preuve de transparence et de bonne foi dans ses demandes d’EDR?

[80] Dans son mémoire des faits et du droit, tout comme au cours des observations de ses procureurs lors de l’audience, le demandeur a fait grand état d’un comportement « sans gouverne et trop ambitieux » de la part du vérificateur Robichaud, et du fait qu’il ait été un témoin réticent et non crédible, ayant même fait des affirmations fausses et trompeuses devant la Cour. Le demandeur ajoute que c’est sur la base de ces fausses affirmations que l’Agence aurait transmis aux autorités compétentes étrangères des demandes « riches de renseignements faux et trompeurs et d’omissions importantes ». Le demandeur soumet que les demandes d’EDR devraient être cassées pour ce seul motif.

[81] En plus de son mémoire des faits et du droit, le demandeur a soumis à la Cour six tableaux contenant plus de cent pages récapitulant la preuve versée au dossier et offrant des liens au Dossier commun de la preuve. Voici comment il réfère à la preuve, dans une note de bas de page, pour supporter sa position quant au comportement du vérificateur Robichaud :

41. Voir notamment le tableau faisant état des contradictions, faussetés et réticences du Vérificateur Robichaud (avec références à la preuve) les plus flagrants qui ressortent de la preuve : Réticences et tromperies du Vérificateur Robichaud, DAD, Onglet 4, de même que l’analyse des renseignements demandés dans les demandes étrangères, qui inclue une corrélation avec les informations demandées dans les demandes T-997 : Analyse des renseignements demandés, DAD, Onglet 5. Voir également la Chronologie, DAD, Onglet 2, et EDR-10 commenté, DAD, Onglet 3.

[82] Si l’on examine ce tableau 4 (intitulé Réticences et Tromperies du vérificateur Robichaud), qui serait le plus flagrant selon le demandeur, on y retrouve principalement la liste des points marqués en contre-interrogatoire par les procureurs du demandeur. Cela nécessite cependant de distinguer entre ce qui a une incidence négative sur la validité des demandes d’EDR et ce qui n’en a aucune. Ce tableau est divisé en trois sections :

  1. Dans son affidavit et en contre-interrogatoire;

  2. À l’égard de LR et de ses représentants; et

  3. Dans les Demandes Étrangères.

[83] Comme je suis d’avis que la majorité de ces points n’ont aucune incidence sur la validité des demandes d’EDR, je ne traiterai que de quelques exemples de reproches qui sont faits au vérificateur Robichaud dans chacune de ces sections (dans l’ordre dans lequel ils apparaissent dans le tableau pour ne pas être taxée d’être sélective).

(1) Dans son affidavit et en contre-interrogatoire

[84] On reproche d’abord au vérificateur d’avoir énuméré dans son affidavit un certain nombre d’entités et fiducies faisant l’objet de la vérification alors que, selon le demandeur, ces entités et fiducies n’ont aucun lien avec sa résidence. Le demandeur réfère à un extrait des notes sténographiques du contre-interrogatoire du vérificateur Robichaud (Vol 10, p. 1963, l. 13 à vol 11, p. 1968, l. 9) où le témoin confirme que le demandeur a effectivement vendu en 2013 les actions qu’il détenait dans l’une des sociétés énumérées à son affidavit. Cependant, le témoin explique plus loin le lien qu’il fait entre cette société et le demandeur :

Q- Je ne veux pas vous reprocher l’affidavit, je veux simplement que vous m’expliquiez s’il y a une pertinence à la résidence de Lucien Rémillard, parce que, moi, je n’en vois pas. Alors, c’est tout, c’est ça, c’est ça ma question.

R- OK. C’est votre opinion. Moi, je dis ici qu’il y a des transferts de fonds ou des transactions |||||||||||||||||||||||||||||| |, ça peut être pertinent.

(vol. 11, p 1969, l. 19 à p 1970, l. 3)

[85] Le demandeur réfère également à l’extrait suivant des notes du contre-interrogatoire :

Q- Monsieur Robichaud, est-ce qu’on peut... on va accélérer un peu la cadence. Est-ce qu’on est d’accord pour dire que monsieur Lucien Rémillard n’a rien à voir avec ||||||?

R- Um... (inaudible).

Q- Et je suis dans votre affidavit, le paragraphe 6 trois (3) petits «I» sous «Personnes morales canadiennes».

R- Je pense pas... je pense pas que j’avais noté quelque chose de particulier, là, j’y vais juste de mémoire.

Q- Alors, je répète, au moment où on se parle ou à l’époque de votre affidavit ou en deux mille dix-neuf (2019), et on est d’accord pour dire que Lucien Rémillard n’avait rien à voir avec ||||||||||||?

R- Oui, mais je peux-tu juste préciser que la liste qui est là, ça veut pas dire que c’est juste des entités qui sont liées à Lucien Rémillard, parce qu’il y a (inaudible).

Q- Non non, je n’ai pas de problème

R- OK.

Q- Non non, je ne vous reproche rien, mais moi, je veux cerner mon problème et c’est pour ça que je suis content qu’on s’entende que monsieur Lucien Rémillard n’a aucun lien avec | |, pour le... qu’il n’y ait aucun lien quel qu’il soit, que ça soit en deux mille treize (2013), en deux mille quatorze (2014) ou même aujourd’hui. On est d’accord?

R- Pas à ma connaissance, non.

(vol.11, p.1977, l. 21 à p. 1979, l. 1)

[86] Le demandeur omet toutefois la prochaine réponse donnée par le témoin :

R- J’ai... il y a une série de prêts avec différentes entités. Je me souviens pas toutes les entités avec tous les... ces prêts. C’est difficile, pour moi, de juste vous répondre à l’affirmative ou à la négative sans avoir...

(vol. 11, p. 1979, l. 5 à 9)

[87] Le témoin précise qu’à sa connaissance le demandeur n’a aucun lien avec une des entités énumérées à son affidavit; il ne semble pas en mesure de répondre, de mémoire, pour les autres. Toutefois, en réponse aux engagements 4 à 8 qu’il a souscrits, il précise que les sociétés énumérées dans son affidavit sont visées par la vérification des entités liées au demandeur et à ses fils, et il précise la participation du demandeur dans un certain nombre de fiducies (vol 17, p 3147-3149).

[88] Dans le contexte où la vérification s’inscrit dans le cadre de l’Initiative relative aux particuliers fortunés et entités apparentées, et dans le contexte où le demandeur a lui-même mis en place une structure corporative (et fiduciaire) complexe pour l’exploitation de ses entreprises, et dans le cadre de sa planification fiscale, il me semble que la position du vérificateur est légitime et qu’il n’a aucunement fait de fausses représentations lorsqu’il énumère les entités en question dans son affidavit. Je ne vois ici aucune fausseté ou tromperie.

[89] Ensuite, on reproche au vérificateur Robichaud d’avoir affirmé dans son affidavit que le demandeur n’aurait pas démontré, preuve à l’appui, qu’il n’était plus résident canadien et qu’il n’aurait pas offert sa pleine collaboration à l’Agence lors de la vérification. Or, le vérificateur Robichaud aurait plutôt admis en contre-interrogatoire que toutes les demandes T-997 ont fait l’objet de réponses fournies volontairement.

[90] Dans le premier passage auquel le demandeur réfère la Cour (vol. 11, p. 2121, l. 21 à p. 2124, l.15), le procureur et le témoin échangent sur ce qu’on entend par « de plein gré », pour conclure que ce que le témoin voulait dire, c’est que le demandeur avait refusé de transmettre certains renseignements demandés, bien qu’il en ait fourni plusieurs.

[91] Dans le second extrait auquel le demandeur réfère la Cour (vol.12, p. 2192 l. 7 à p. 2193, l. 8), il est question de la réponse fournie par Me Gagnon à la demande T-997-1. Le témoin confirme avoir reçu 90% des informations demandées et ne pas avoir réitéré sa demande quant au 10% manquant dans la demande T-997-2. Il en fournit par ailleurs l’explication un peu plus loin (vol. 12, p. 2194, l. 18 à p. 2195, l. 8, extrait auquel le demandeur ne réfère pas) :

R- Bien, il y a quelquefois que ça arrive, lorsqu'on est sûr que c'est pas nous autres qui manque de quoi ou que, des fois, on doit valider certaines informations avant de prendre une décision, dire «non, c'est pas répondu» ou «c'est répondu», puis des fois, ça reste en suspens, puis on juge, avant la fermeture de la vérification, si c'était essentiel qu'on ait la réponse ou non.

Q- Est-ce que vous savez si en date d'aujourd'hui, et ayant l'information qui vous manquait dans la demande du... dans le T997 du mois d'août deux mille seize (2016), c'est de l'information essentielle ou pas?

R- Bien, oui, j'aurais aimé que les T1161 puis les T1135 auraient été peut-être plus complètes.

[92] Le témoin confirme qu’il n’a aucune note à son dossier indiquant qu’il ait redemandé cette information ou avisé le demandeur que sa réponse à la demande T-997-1 était incomplète. Il confirme finalement que la réponse à la demande T-997-1 a été transmise volontairement sans nécessiter de demande péremptoire.

[93] Dans le troisième extrait auquel le demandeur réfère la Cour (vol. 12, p. 2221, l. 13 à p. 2227, l. 6), il est question de la réponse à la demande T-997-2 qui, confirme le témoin, a été fournie de plein gré. Le témoin précise que généralement, dans le cadre d’une vérification, l’Agence pose des questions auxquelles elle est en droit d’obtenir des réponses (pouvoir prévu à l’article 231.1 de la LIR). Et quant à lui, le contribuable est tenu de répondre. Ce n’est pas nécessairement ce qu’il entend par « de plein gré ». Il convient toutefois que l’Agence n’a pas émis de demande péremptoire, ni obtenu d’ordonnance au titre de l’article 231.7 de la LIR; il indique que dans le contexte où l’information est à l’extérieure du pays, ces démarches pourraient être plus compliquées quoique possibles.

[94] Finalement dans le quatrième passage auquel le demandeur fait référence (vol. 12, p. 2275, l. 22 à p. 2276, l. 5), il est question de la demande T-997-3 à laquelle le demandeur aurait répondu volontairement (il faut d’ailleurs lire plusieurs pages précédant cet extrait pour savoir ce dont on parle).

[95] Or, et tel qu’indiqué au paragraphe 22 des présents motifs, c’est suite à la demande T-997-3 que la position des parties a commencé à diverger quant aux informations auxquelles l’Agence a droit dans le cadre de sa vérification. Ce sont les demandes T-997-4 et surtout T-997-5 qui posent problème et auxquelles le demandeur n’aurait pas répondu volontairement.

[96] Je ne peux donc pas conclure, comme le demandeur me demande de le faire, que le vérificateur Robichaud aurait faussement déclaré que le demandeur n’a pas pleinement collaboré. La question à savoir si les informations requises et refusées sont vraisemblablement pertinentes sera analysée plus loin mais ce qui importe ici, c’est que le vérificateur Robichaud était d’opinion qu’elles l’étaient et que le refus du demandeur était non-fondé.

(2) À l’égard de LR et de ses représentants

[97] Le premier reproche qui est fait sous cette catégorie est celui d’avoir vérifié les années d’imposition postérieure à la période initiale, avant d’avoir officiellement prolongé la période de vérification, et sans en informer le demandeur. Et même une fois la période prolongée, les demandes d’EDR suisse et barbadienne excèdent la nouvelle période de vérification et requièrent des renseignements pour les années 2009-2012 et 2018. Selon le demandeur, cela laisse planer un doute sérieux sur les intentions du vérificateur Robichaud et sur l’étendue réelle de la vérification.

[98] La demande réfère à une série de courts extraits du contre-interrogatoire du vérificateur Robichaud; il faut évidemment lire davantage pour comprendre le contexte. Le témoin explique que d’après l’information reçue de banques canadiennes, l’Agence note plusieurs transferts de sommes importantes au cours de la période 2015-2017, qui peuvent avoir un lien avec des transactions exécutées au cours de la période initiale. Le témoin explique également la nécessité de prolonger la période de vérification par le fait qu’en 2018, l’Agence avait un portrait un peu plus complet de la situation et qu’elle a constaté que les séjours du demandeur au Canada ont augmenté après 2013.

[99] En ce qui concerne la demande d’EDR suisse, le demandeur réfère à une annexe où l’on retrouve une liste de transferts électroniques de fonds |||||||||||||||||||||||||||| vers |||||||||||||| |||||||||||||| et ||||||||||||||||||||||||||||||||, dont un des transferts aurait été fait en 2018. J’ignore qui a confectionné cette liste ou si l’Agence y a sciemment inclus un transfert hors période de vérification. Quoi qu’il en soit, tant la lettre de transmission qui l’accompagne que la demande d’EDR suisse elle-même indiquent clairement la période couverte par cette vérification (2013-2017).

[100] Quant à la demande d’EDR barbadienne, le demandeur réfère aux informations demandées concernant |||||||||||||||||| dont on tente de déterminer la résidence. Les informations demandées couvrent la période de 2009 à 2016 et la demande contient une note qui explique que les contributions passées faites à une fiducie peuvent faire en sorte qu’elle soit réputée canadienne. Je ne suis évidemment pas en mesure de déterminer si cela justifie la demande. Toutefois le même commentaire s’applique: la lettre de transmission et la demande d’EDR elle-même indiquent clairement la période visée par la vérification et elles ne sont aucunement de nature à induire quiconque en erreur.

[101] Le second reproche fait à l’Agence dans cette catégorie concerne le fait que le vérificateur Robichaud n’ait pas informé le demandeur et Me Gagnon qu’il n’était pas satisfait des réponses reçues aux demandes T-997-1 à 4. Le demandeur réfère la Cour aux passages suivants du contre-interrogatoire du vérificateur :

Si vous posez la question « pourquoi est-ce que c’est... pourquoi est-ce que j’ai pas mes réponses ou quoi que ce soit ? », ben, là, j’essaie d’expliquer que c’est délicat, pour nous, dans une vérification, de mettre notre opinion, ou l’appréciation des réponses des contribuables à savoir si elles sont acceptables, pas acceptables, insuffisantes pour certains points où est-ce que on... on puisse évaluer si qu’on... il doit reposer une question ou que la question a juste pas été répondue puis on va la laisser là puis on y reviendra peut-être à la fin ou il faut absolument faire d’autre chose avec ça. Ça fait que c’est dans ce cadre-là...

(vol. 11, p. 2056, l. 22 à p. 2057, l. 11)

… C'est une façon de fonctionner que... à l'époque, si on juge que c'est des nouvelles questions, puis qu'on n’est pas prêts à reposer la même question de la même façon, on va attendre…

(vol. 12, p. 2264, l. 6-10)

[102] À nouveau, c’est dans les passages qui ne sont pas cités par le demandeur que l’on trouve les justifications complètes du vérificateur :

R- Je vais vous donner un exemple au meilleur de mes connaissances. Bon, justement, sur ce sujet- là, on pose la question: OK, vous nous avez donné une T1161, mais avec deux (2) biens, vous n’avez pas fourni un autre formulaire, veuillez le fournir. OK, ça, c’est facilement identifiable s’il a fourni oui ou non.

Maintenant, est-ce que le contenu du formulaire ou de la réponse est adéquat? Justement, sur le T1161, aujourd’hui, moi, je suis d’avis que il a pas répondu toutes les... il a pas indiqué toutes les... les biens qui... qui devaient être inclus sur le formulaire, mais à l’époque, j’ai pas de connaissance que la réponse est fausse ou incomplète. Fait que si moi je mets...

J’ai reçu le... le formulaire, tout est en ordre puis on passe à d’autre chose, je manque à... à côté de quoi si je... par après j’ai une autre information qui est contradictoire? C’est pour ça que c’est de la... des... des notes du vérificateur pour justifier «oui, j’ai reçu une réponse, mais je la juge incomplète.» Puis des fois, ça peut arriver après, quelques mois, même des années si que l’information qu’on apprend par la suite est... prouve que la réponse est incomplète.

(vol. 11, p. 2058, l. 7 à p. 2059, l. 8)

R- ... on peut passer point par point puis je vais vous répondre les... les items en suspens. Je... je m’invite à le faire.

Q- Est-ce qu’il y a eu une demande péremptoire qui a été envoyée, suite à ce formulaire-ci?

R- Non.

Q- Avez-vous demandé une ordonnance de la Cour pour forcer le contribuable à répondre à vos questions, en tout temps?

R- Sur ces conseils-là, je m’en tiens à des avis juridiques puis j’ai demandé l’intervention, si nécessaire, des (inaudible) conseillers si je peux répondre ou pas.

(vol. 11, p. 2060, l. 6 – 18)

[103] S’ensuit une discussion entre procureurs et on passe à un autre sujet.

[104] Je ne peux donc pas conclure, comme le fait le demandeur, qu’il s’agit là de réticences ou tromperies de la part du vérificateur Robichaud. Évidemment, la question à savoir si l’Agence aurait dû transmettre une demande péremptoire ou obtenir une ordonnance de la Cour sera examinée plus loin lorsque je traiterai de la question de l’épuisement des recours.

(3) Dans les demandes étrangères

[105] Sous cette rubrique, on reproche d’abord à l’Agence d’avoir faussement divulgué dans ses demandes d’EDR avoir épuisé tous ses recours internes pour obtenir l’information convoitée, en vain. Plus particulièrement :

  1. Les demandes d’EDR ne font aucune référence à « l’entente » survenue entre le vérificateur Robichaud et Me Gagnon le 10 octobre 2018;

  2. L’Agence n’a jamais transmis de demande péremptoire ni obtenu d’ordonnance de la Cour afin de forcer la production de documents;

  3. Plusieurs informations demandées aux autorités étrangères n’ont jamais été demandées au demandeur;

  4. D’autres ont été fournies par le demandeur et étaient donc déjà en la possession de l’Agence.

[106] À mon avis, tous ces éléments concernent la question de l’épuisement des recours qui sera traitée plus loin; je n’y vois pas nécessairement de fausses déclarations de la part de l’Agence, mais bien une interprétation différente de celle du demandeur de l’entente du 10 octobre 2018 et des Conventions applicables. J’y reviendrai.

[107] Le deuxième reproche fait à l’Agence sous cette catégorie concerne l’information donnée aux autorités compétentes américaine et barbadienne sur la résidence canadienne – ou dernière résidence canadienne connue – du demandeur. On indique que le demandeur a fait don de sa résidence luxueuse à son fils avant son départ du Canada et que lors de ses séjours postérieurs au Canada, le demandeur réside à la résidence secondaire de son fils dont l’adresse n’a pas été fournie. Le demandeur plaide que l’Agence laissait ainsi entendre que dans les faits, il habitait son ancienne résidence et que partant, il y maintenait « un foyer d’habitation permanent ».

[108] D’abord, le demandeur précise qu’il a plutôt indiqué à l’Agence que lors de ses séjours au Canada, il habitait dans les résidences principales et secondaires de ses deux fils. Par ailleurs, le vérificateur Robichaud a admis suite à son contre-interrogatoire qu’il n’avait demandé l’adresse de la résidence secondaire du fils donataire de la résidence du demandeur qu’une seule fois, soit dans le d’amende T-997-5, et que la réponse lui a été fournie.

[109] Il est vrai que les adresses principales et secondaires du fils en question ont été fournies à l’Agence en septembre 2018, en réponse à la demande T-997-5 (vol. 2, p. 303). Cependant, ce n’était pas la première fois que l’agence demandait au demandeur où il habitait lors de ses séjours au Canada et les réponses précédentes fournies par Me Gagnon demeuraient vagues à ce sujet : aux résidences principales et secondaires de ses deux fils (voir vol. 2, p. 269). Bien que les demandes d’EDR américaine et barbadienne soient postérieures à septembre 2018, la première ébauche de demande d’EDR américaine a été transmise à l’Autorité compétente à la mi-mars 2018. À ce moment, il était vrai que l’adresse de la résidence secondaire du fils du demandeur n’avait toujours pas été fournie.

[110] Il y a lieu ici, à mon sens, de donner le bénéfice du doute à l’Agence. Il est fort possible que cette information n’ait pas été rectifiée lorsque la demande d’EDR américaine a été finalisée et lorsque la demande d’EDR barbadienne, dont la section en question est calquée sur la précédente, a été préparée.

(4) En conclusion sur cette question

[111] À mon sens, les divers éléments soulevés par le demandeur et qui composent la presque entièreté de son mémoire des faits et du droit sont périphériques aux réelles questions soulevées par cette demande de contrôle judiciaire et ne servent que de diversion. Ces éléments, pris isolément ou globalement, ne me permettent pas de conclure que le vérificateur Robichaud aurait eu un comportement « sans gouverne et trop ambitieux » ou que l’Agence aurait transmis des demandes d’EDR « riches de renseignements faux et trompeurs et d’omissions importantes ».

[112] Je suis donc d’avis de rejeter ce premier moyen soulevé par le demandeur.

B. Les renseignements et documents requis des autorités étrangères sont-ils « vraisemblablement pertinents » pour la vérification de l’Agence?

[113] Le demandeur soulève, à juste titre, qu’en vertu des conventions fiscales qui lient le Canada, il y a une distinction à faire entre les obligations de l’État qui demande les renseignements (l’État requérant) et celles de l’État qui reçoit cette demande de renseignements (l’État requis). L’appréciation de la pertinence vraisemblable des informations demandées relève en premier lieu de l’État requérant, lequel est présumé agir de bonne foi (Convention de Vienne sur le droit des traités, signée le 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1155, à la page 331, art. 31 (entrée en vigueur le 27 janvier 1980)).

[114] Cette distinction est mise en évidence dans la décision de cette Cour dans l’affaire Société de fiducie Blue Bridge Inc c Canada (Revenu National), 2020 CF 893 (confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Société de fiducie Blue Bridge c Canada (Revenu national), 2021 CAF 62, demande de pourvoi rejetée par la Cour suprême le 13 décembre 2021, no. 39682) où le juge Roger Lafrenière était appelé à se prononcer sur une demande présentée au Canada par l’autorité compétente française. Dans cette affaire, l’Agence faisait valoir qu’en tant qu’État requis, elle n’a pas une connaissance approfondie de la législation fiscale interne de chacun de ses partenaires et qu’elle ne dispose pas de la situation factuelle propre à chaque contribuable étranger. Dans ce contexte, l’Agence s’assure que les contribuables étrangers sont bien identifiés comme des résidents de l’État requérant, que le contexte de la vérification, les obligations fiscales des contribuables et le lien avec les renseignements demandés lui soient expliqués, et qu’on identifie bien les personnes qui se trouvent au Canada et qui sont susceptibles de détenir les renseignements recherchés.

[115] Peu de temps après que la Cour ait rendu sa décision dans Blue Bridge, la juge Martine St-Louis était saisie de l’affaire Levett où cette fois, l’Agence agissait en qualité d’État requérant et s’adressait à l’autorité compétente suisse afin d’obtenir des renseignements sur des résidents canadiens. Le demandeur convient que cette décision (qui fait présentement l’objet d’un appel dans le dossier A-142-21) est davantage pertinente que celle rendue dans l’affaire Blue Bridge, mais il soumet que la juge St-Louis aurait erré lorsqu’elle a appliqué le test de la pertinence vraisemblable énoncé dans l’affaire Blue Bridge, sans tenir compte que l’Agence agissait alors comme État requis. Voici comment la juge St-Louis s’exprime dans Levett :

[93] L’objectif de la norme voulant que les renseignements soient « vraisemblablement pertinents » est de maximiser l’étendue des renseignements qui peuvent être échangés. Notre Cour a récemment interprété cette norme dans la décision Blue Bridge :

[90] […] Partant, le juge doit uniquement vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable, eu égard d’une part, au contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie.

[91] Accepter l’interprétation de Blue Bridge irait à l’encontre de l’objectif premier de l’article 26 de la Convention, qui, répétons‑le, est de favoriser dans la mesure la plus large possible la portée de l’échange de renseignements. L’article 26 précise que les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements « vraisemblablement pertinents » pour appliquer les dispositions de la Convention.

[92] Dans ces circonstances, il était tout à fait indiqué que l’analyse du ministre porte sur la pertinence vraisemblable des renseignements requis par la France, tel que prévu au paragraphe 1 de l’article 26 de la Convention et en accord avec les principes issus des travaux de l’OCDE ainsi que du Forum mondial.

[Mon emphase]

[116] Or, le passage sur lequel j’ai mis l’emphase n’émane pas du juge Lafrenière, mais bien d’un extrait d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Berlioz Investment Fund SA c Directeur de l’administration des contributions directes (C-628115) (16 mai 2017) (para 77, 85 et 86) que cite le juge Lafrenière. Voici l’extrait complet de la décision européenne que cite le juge Lafrenière au paragraphe 90 de Blue Bridge :

[…] l’autorité requise doit en principe faire confiance à l'autorité requérante et présumer que la demande d’information qui lui est soumise est à la fois conforme au droit national de l'autorité requérante et nécessaire aux besoins de son enquête. L’autorité requise ne possède en général pas une connaissance approfondie du cadre factuel et juridique existant dans l'État requérant et il ne saurait être exigé qu’elle ait une telle connaissance (...) En tout état de cause, l'autorité requise ne saurait substituer sa propre appréciation de l'utilité éventuelle des informations demandées à celle de l'autorité requérante.

[…] il y a lieu de considérer que les limites applicables au contrôle de l'autorité requise s'imposent de la même manière au contrôle du juge.

Partant, le juge doit uniquement vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable, eu égard d’une part, au contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie.

[117] Je conviens avec le demandeur que le passage précité de Levett laisse faussement entendre que le test de la pertinence vraisemblable – ou plutôt le fardeau imposé à l’Agence d’en faire la démonstration, est le même que l’Agence agisse comme État requérant ou qu’elle agisse comme État requis. Toutefois, cette confusion n’a, à mon sens, que peu d’impact sur la décision Levett; ce passage peut être considéré comme un obiter puisque l’analyse de la pertinence vraisemblable n’était pas un enjeu devant la juge St-Louis. Il était plutôt question de la confidentialité de documents obtenus de l’Autorité des marchés financiers, du respect du secret professionnel de l’avocat, de la fausseté, de la non-pertinence et du caractère incomplet des informations sur lesquelles l’Agence s’est fondée et, finalement, du défaut de l’Agence d’épuiser ses recours à l’interne. La décision Levett sera donc pertinente à l’égard de la question de l’épuisement des recours internes.

[118] Cela dit, l’objectif du test de la pertinence vraisemblable – soit celui de maximiser l’étendue des renseignements qui peuvent être échangés – s’applique à tous les cas de figure, que l’Agence agisse comme État requérant ou qu’elle agisse comme État requis.

[119] Dans l’affaire Crown Forest Industries Ltd c Canada, [1995] 2 RCS 802, la Cour suprême énonce « que, pour dégager [l]es objectifs et [les] intentions [des parties à une convention internationale], un tribunal peut recourir à des documents extrinsèques qui font partie du contexte juridique (notamment les conventions modèles acceptées et les commentaires officiels portant sur celles-ci) sans qu’il soit nécessaire d’avoir préalablement décelé une ambiguïté » (au para 44).

[120] Les commentaires de l’OCDE sur le Modèle de convention fournissent un certain éclairage sur le standard du renseignement « vraisemblablement pertinent »:

Les autorités compétentes des États contractants échangeront les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer correctement les dispositions de la Convention ou celles de la législation interne des États contractants relatives aux impôts de toute nature ou dénomination perçus dans ces États, même s’il n’y a pas, dans ce dernier cas, à appliquer un article particulier de la Convention. La norme de « pertinence vraisemblable » a pour but d’assurer un échange de renseignements en matière fiscale qui soit le plus large possible tout en indiquant clairement qu’il n’est pas loisible aux États contractants « d’aller à la pêche aux renseignements » ou de demander des renseignements dont il est peu probable qu’ils soient pertinents pour élucider les affaires fiscales d’un contribuable déterminé. (« Commentaires sur l’article 26 Concernant l’échange de renseignements », Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune (2017), Éditions OCDE, Paris, version anglaise citée par le demandeur, Dossier commun de la preuve vol 4, p. 693).

[121] Le demandeur plaide que les renseignements demandés dans les demandes d’EDR sont non pertinents à la détermination de sa résidence. Il rappelle que puisque les États requis ne sont tout simplement pas outillés pour vérifier la validité de la demande et sa conformité aux lois canadiennes, la Cour demeure le seul rempart pour la protection des contribuables canadiens affectés par de telles demandes.

[122] Je suis d’accord avec le demandeur que la Cour a compétence pour évaluer la validité des demandes d’EDR. Elle n’a toutefois pas la tâche de les réécrire. La Cour doit examiner les demandes d’EDR dans leur ensemble et déterminer si globalement, elles répondent aux exigences des Conventions applicables. Le fardeau incombe au demandeur de démontrer que globalement, les demandes d’EDR ne s’inscrivent raisonnablement pas dans le cadre desdites conventions. Les lacunes soulevées doivent être plus que superficielles ou accessoires; elles doivent être suffisamment capitales pour invalider les demandes d’EDR (Vavilov, para 100).

[123] La question est donc de savoir si l’Agence a raisonnablement interprété les devoirs que lui imposent les Conventions applicables.

[124] Dans l’affaire Crown Forest, la Cour suprême établit qu’une convention fiscale, comme toute convention entre États, constitue un contrat et doit donc être interprétée de manière à réaliser l’objectif qui la sous‑tend. Elles doivent néanmoins être lues conformément à la méthode moderne d’interprétation législative sanctionnée dans l’affaire Rizzo c Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27. Il faut donc lire les termes des Conventions applicables dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec leur esprit, leur objet, ainsi que l’intention des parties.

[125] Je le répète, la norme de la pertinence vraisemblable doit permettre « d’assurer un échange de renseignements en matière fiscale qui soit le plus large possible » (Commentaires de l’OCDE). Elle n’est toutefois pas sans limites. La Cour de justice de l’Union européenne a reconnu dans Berlioz qu’il devait au moins y avoir « une possibilité raisonnable que les renseignements demandés se révéleront pertinents » (Berlioz, para 67).

[126] Les Conventions applicables prohibent donc les « expéditions de pêche ». Comme le rappelait le juge Yvan Roy dans l’affaire Bauer Hockey Ltd. c Sport Maska Inc., 2019 FC 1588 (au para 23), ce concept était défini il y a plus d’un siècle par le Maître des Rôles d’Angleterre comme étant une recherche, par un justiciable, qui pourrait lui permettre de « [Traduction libre] trouver quelque chose dont il ignore totalement l’existence, mais qui pourrait lui permettre de faire valoir une cause dont il ignore présentement l’existence ».

[127] Il faut évidemment, pour examiner cette pertinence vraisemblable des informations demandées, se rapporter au contexte général dans lequel s’inscrit la vérification fiscale de l’Agence. Le demandeur est un citoyen canadien qui a fait sa carrière au Canada, dont tous les membres de sa famille |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| résident au Canada. Depuis sa retraite de son entreprise en 2013, il partage son temps, à peu près à parts égales entre le Canada, la Barbade et les États-Unis. Le demandeur déclare être un résident non-domicilié de la Barbade, il donne l’adresse postale |||||||||||||||||||||||||| et déclare habiter une résidence mise en location à court terme. De 2013 à 2018, il a fait l’objet d’une vérification visant à déterminer sa résidence fiscale et sa responsabilité fiscale envers le Canada. Cette vérification s’inscrit dans le cadre de l’Initiative relative aux particuliers fortunés et entités apparentées. Ça, c’est le contexte.

[128] Or, dans son mémoire des faits et du droit, tout comme lors des observations orales de ses procureurs, le demandeur n’a pas réellement expliqué en quoi les informations demandées aux autorités compétentes étrangères ne sont pas vraisemblablement pertinentes à l’établissement de sa résidence et de ses obligations fiscales envers le Canada. L’emphase, à nouveau, est surtout mise sur ce qu’il qualifie d’erreurs ou de fausses représentations de la part de l’Agence.

[129] Il est vrai qu’en principe l’État requérant, et par le fait même cette Cour, sont à même d’examiner la pertinence vraisemblable des renseignements convoités à la lumière du droit interne. Toutefois, le demandeur n’a pas ou à peu près pas traité des limites du droit interne relatif à la détermination de la résidence fiscale d’un contribuable. Comme indiqué plus haut, cette question relèvera ultimement de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’Impôt, mais il me semble néanmoins qu’elle est au cœur de l’examen de la pertinence vraisemblable. La section du mémoire du demandeur qui porte sur cette question ne contient que cinq paragraphes et ne donne que quelques exemples anodins et focalise sur une phrase prononcée par la responsable de l’Autorité compétente lors de son contre-interrogatoire : « [Traduction libre] lorsqu’il est question de déterminer la résidence, tout est pertinent ». Je suis d’avis qu’elle n’a pas tort.

[130] La détermination de la résidence fiscale d’un individu exige que l’Agence examine l’ensemble des faits qui le concernent afin de dresser un portrait d’ensemble de sa situation et des liens qu’il entretient avec le Canada ou tout autre pays. Comme l’indique la Cour d’appel fédérale :

[53] En général, le lieu de résidence est une simple question de fait, qui va dépendre d’un certain nombre de facteurs portant à conclure ou non à l’existence d’un lien économique ou social entre la personne en question et tel ou tel pays. S’agissant d’un particulier, par exemple, les facteurs à prendre en compte comprennent notamment la nationalité, la présence physique, le lieu où se trouve le domicile familial, le lieu où s’expriment des intérêts commerciaux ou sociaux, le mode de vie de la famille, les liens sociaux découlant de la naissance ou du mariage.

(Fundy Settlement c Canada, 2010 CAF 309, para 53)

[131] Dans un cas comme celui-ci où un contribuable entretient manifestement des liens avec plusieurs pays, je suis d’avis que le vérificateur n’a d’autre choix que de se livrer à un exercice comparatif de la force ou de l’étendue des liens du contribuable avec ces différents pays.

[132] La demande américaine explique de façon succincte, dans la section intitulée « Nexus (reason for the request) », la raison pour laquelle elle est présentée en précisant que le demandeur a indiqué à l’ARC avoir émigré à la Barbade le 15 novembre 2013, mais qu’elle a des raisons de croire que le demandeur pourrait plutôt être résident canadien ou américain.

[133] La demande expose ensuite les éléments en possession de l’Agence qui lui permettent de conclure que le demandeur possède des liens à la fois avec le Canada, les États-Unis et la Barbade. On y expose i) le fait que le demandeur partage son temps de façon presque identique entre les trois pays, ii) ses liens familiaux, iii) ses actifs immobiliers à la Barbade et aux États-Unis, de même que iv) les liens économiques qu’il entretient avec les trois pays concernés, par le biais de sociétés ou de fiducies dans lesquelles il aurait des intérêts.

[134] Ces éléments constituent une motivation suffisante à la demande américaine en démontrant que le demandeur entretient des liens avec chacun des trois pays concernés. Dans ce contexte, l’Agence doit examiner l’ensemble des liens familiaux, immobiliers et économiques du demandeur avec chacun des pays en vue de déterminer sa résidence et d’établir les conséquences fiscales qui en découlent.

[135] La détermination de la résidence sert ultimement à déterminer les obligations fiscales qui s’appliquent à un contribuable donné. Le régime fiscal canadien prévoit effectivement qu’un résident canadien sera imposé sur ses revenus mondiaux, alors qu’un non-résident peut devoir payer de l’impôt au Canada sur ses revenus provenant du Canada.

[136] Quant aux informations demandées, elles concernent le traitement fiscal du demandeur par les autorités américaines, les actifs immobiliers et les intérêts du demandeur dans des sociétés situées aux États-Unis, |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| et les polices d’assurance émises en faveur du demandeur ou de parties qui lui sont apparentées.

[137] Toutes ces questions sont susceptibles de fournir des informations utiles à l’Agence concernant les liens de rattachement du demandeur avec l’un ou l’autre des États.

[138] La demande d’EDR suisse, quant à elle, expose le but fiscal poursuivi par l’Agence dans les sections « Nexus » et « Background » qui indiquent que l’information doit servir à déterminer l’assujettissement à l’impôt du demandeur au Canada, en précisant que le demandeur a indiqué aux autorités canadiennes qu’il avait émigré à la Barbade, mais que l’ARC a des raisons de croire qu’il pourrait toujours être résident canadien, compte tenu de ses liens familiaux et de ses fréquents séjours au Canada.

[139] La demande explique que l’ARC a constaté des transferts de fonds entre le demandeur et certaines entités apparentées par le biais de ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[140] Les renseignements demandés se limitent à ceux relatifs |||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[141] Encore une fois, la demande est motivée et il est vraisemblable que les renseignements demandés permettront d’identifier des actifs ou des entités liées au demandeur et de fournir un portrait plus complet des liens de rattachements du demandeur avec le Canada ou d’autres pays.

[142] Enfin, la demande d’EDR barbadienne expose également le but fiscal recherché, à savoir la détermination de la résidence fiscale du demandeur pour les années 2013-2017, de même que les obligations fiscales qui découleront de cette détermination, en précisant encore une fois que le demandeur se déclare résident de la Barbade.

[143] La demande expose les liens qui, à la connaissance de l’Agence au moment où elle la présente, relient le demandeur au Canada, aux États-Unis et à la Barbade.

[144] Finalement, les renseignements demandés concernent le statut du demandeur auprès des autorités fiscales barbadiennes et les obligations fiscales qu’il a assumées dans ce pays, les entités corporatives situées à la Barbade et dans lesquelles il aurait des intérêts, ses actifs mobiliers et immobiliers à la Barbade, ses entrées et sorties du territoire barbadien, les informations relatives |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, ses abonnements aux services de télécommunication, |||| |||||||||| dans lesquelles il a des intérêts, de même que les documents de planification fiscale en lien avec l’émigration du demandeur vers la Barbade.

[145] Les informations demandées sont manifestement susceptibles de fournir un éclairage sur les liens de rattachement du demandeur avec la Barbade et le Canada.

[146] Les questions relatives aux investissements effectués par le demandeur dans différentes sociétés ou ses liens avec des fiducies, qu’elles soient situées au Canada, aux États-Unis et à la Barbade sont manifestement pertinentes dans le contexte où la vérification a démontré que plusieurs biens mobiliers ou immobiliers utilisés par le demandeur dans sa vie quotidienne sont détenus par des sociétés dont il est actionnaire ou des fiducies dont il est bénéficiaire.

[147] Il me semble que dans une situation aussi complexe que celle du demandeur et en l’absence de toutes les informations qui le concernent et qui permettront de qualifier et de quantifier ses liens de rattachement familiaux, sociaux et économiques avec chacun des États avec lesquels il entretient des liens, il sera difficile pour quiconque de déterminer sa résidence réelle pour des fins fiscales. Et à cet égard, il ne faut pas perdre de vue que des demandes d’EDR s’inscrivent dans le cadre du programme JITSIC, ce qui implique qu’il s’agit d’un échange de renseignement entre autorités fiscales concernées par les activités d’un contribuable donné. C’est, à mon sens ce que les demandes d’EDR (surtout celle transmise à l’autorité compétente américaine) cherchent à accomplir.

[148] Si le demandeur est d’avis, au terme de la vérification, que le vérificateur a tiré des conclusions erronées quant aux liens de rattachement qu’il entretient avec le Canada, il pourra contester l’éventuelle cotisation qui en résulterait devant le forum approprié, à savoir la Cour canadienne de l’impôt.

[149] Les arguments du demandeur ne permettent pas à la Cour de conclure que globalement, les renseignements demandés dans les demandes d’EDR ne sont pas vraisemblablement pertinents. À mon sens, le demandeur ne s’est tout simplement pas déchargé du fardeau qui lui incombait d’en convaincre la Cour.

[150] Dans ces circonstances, je suis d’avis qu’il y a une possibilité raisonnable que les renseignements demandés par l’Agence aux autorités étrangères se révéleront pertinents.

C. Le défendeur a-t-il épuisé les moyens raisonnables sur son territoire afin d’obtenir les renseignements et documents requis avant de s’adresser aux autorités étrangères?

[151] Les parties s’entendent sur le principe applicable, soit la nécessité d’épuiser les moyens raisonnables disponibles à l’interne avant de s’adresser aux autorités étrangères. Elles ne s’entendent toutefois pas sur l’application de ce principe aux faits de la présente cause.

[152] Le demandeur plaide que les demandes étrangères sont illégales puisque l’Agence n’a pas épuisé les moyens raisonnables à sa disposition à l’interne, avant de les transmettre aux autorités compétentes étrangères. Et il demande à la Cour de conclure en ce sens pour deux principales raisons: i) l’Agence aurait pu demander au demandeur la quasi-totalité des renseignements requis des autorités compétentes étrangères, ce qu’elle n’a pas fait, et ii) le demandeur a répondu à la quasi-totalité des demandes de renseignements contenues dans les formulaires T-997-1 à 4. Pour ce qui est de la demande T-997-5, les parties se sont entendues pour que l’Agence tranche la question de la résidence avant que le demandeur ne fournisse la balance des informations requises. Le vérificateur Robichaud a admis en contre-interrogatoire qu’il n’a jamais manifesté d’insatisfaction quant aux renseignements reçus en réponse aux demandes T-997-1 à 4, bien qu’en ce qui le concerne, certains éléments étaient manquants.

[153] Pour sa part, le défendeur soutient avoir épuisé les moyens raisonnables à l’interne dans le but d’obtenir les renseignements convoités :

a. Cinq demandes de renseignements détaillées (T-997) ont été transmises aux demandeurs, certaines comportant plus d’une centaine de questions;

b. Trois demandes de renseignements ont été transmises à une société de la Barbade, considérée résidente canadienne pour fins fiscales concernant des transactions reliées indirectement au demandeur;

c. Le vérificateur Robichaud et son équipe ont contacté des tiers tels des institutions bancaires canadiennes en quête d’informations;

d. Le vérificateur Robichaud et son équipe ont fait plusieurs demandes de renseignements au centre de recherche interne de l’Agence afin de fouiller des bases de données canadiennes et internationales;

[154] Par ailleurs, le défendeur affirme avoir fait part de son insatisfaction au demandeur, bien qu’il n’était pas tenu de la faire. Dans son mémoire des faits et du droit, il nie l’existence d’une entente entre l’Agence et le demandeur concernant les informations non fournies suite à la demande T-997-5. Lors de l’audience, le défendeur a toutefois admis que lors d’un entretien téléphonique du 10 octobre 2018, le vérificateur Robichaud a accepté la position du demandeur de ne pas fournir un certain nombre d’informations financières avant que la question de la résidence ne soit tranchée.

[155] Voici comment la juge St-Louis s’exprime dans l’affaire Levett au sujet de la nécessité d’épuiser les recours à l’interne :

[157] En ce qui a trait aux demandes de renseignements et aux vérifications concernant MM. Baazov et Levett, les demandeurs soutiennent que l’ARC aurait pu (1) présenter une demande écrite de renseignements aux demandeurs; (2) utiliser ses pouvoirs de vérification en vertu de l’article 231.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour inspecter, vérifier ou examiner leurs livres et registres, afin de tenter de trouver les renseignements; (3) utiliser les pouvoirs en matière d’observation de la loi que lui confère l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour exiger des renseignements; (4) demander une ordonnance enjoignant d’observer, au titre de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, pour les obliger à fournir les renseignements ou documents visés dans les demandes de renseignements.

[…]

[161] Je suis d’accord pour dire que l’ARC n’a pas l’obligation de recourir à tous les recours nationaux disponibles. Au lieu de cela, conformément à l’alinéa 2a) du Protocole interprétatif, l’ARC devait prendre « tous les moyens raisonnables et disponibles selon sa procédure fiscale interne pour obtenir les renseignements ». L’interprétation des demandeurs n’est pas conforme au libellé de la Convention (voir également la Mise à jour de l’article 26 du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE et du commentaire s’y rapportant (Paris, OCDE, 2012); comme mentionné, le Modèle de Convention fiscale et le commentaire s’y rapportant sont pertinents selon les décisions Pacific Network et Blue Bridge, au para 20).

[156] Elle poursuit en énumérant les motifs pour lesquels elle conclut ainsi. Parmi les plus pertinents dans l’analyse de la présente affaire se trouvent (au para 162) :

  1. Le fait que les renseignements relatifs aux comptes bancaires en Suisse étaient détenus par des sociétés étrangères, l’ARC ne pouvait pas leur demander directement des renseignements au titre de l’article 231.2 de la LIR;

  2. Puisque les demandeurs ont affirmé avoir aucun lien avec deux sociétés nommées, l’Agence ne pouvait pas leur demander de renseignements au titre des articles 231.1 et 231.2 de la LIR;

  3. Puisque les demandeurs ont répondu aux demandes T-997 transmises au titre de l’article 231.1 de la LIR, l’Agence ne pouvait alléguer qu’ils avaient manqué à leur obligation et, par conséquent, elle ne pouvait demander une ordonnance enjoignant d’observer, au titre de l’article 231.7 de la LIR.

[157] Dans le présent cas, le demandeur n’a pas répondu à toutes les demandes de renseignements contenues dans les questionnaires T-997, en dépit du fait que seule l’Agence détermine ce dont elle a besoin dans le cadre d’une vérification fiscale (Canada (Revenu National) c BP Canada Energy Company, 2015 CF 714 – infirmée en appel pour d’autres motifs). Par ailleurs, le recours à la demande péremptoire de renseignement, au titre de l’article 231.2 de la LIR, tout comme la demande d’obtention d’une ordonnance au titre de l’article 231.7 de la LIR, étaient disponibles.

[158] La question qui se pose est donc celle à savoir si l’Agence devait les exercer, plutôt que de concéder face à la position du demandeur, avant de transmettre les demandes d’EDR. Comme indiqué plus haut, cette décision fait suite à un avis juridique reçu par le vérificateur Robichaud, et dont la Cour n’a pas copie.

[159] Je suis d’accord avec le défendeur que puisque les demandes T-997 sont transmises au titre de l’article 231.1, elles sont toutes aussi contraignantes que les demandes péremptoires transmises au titre de l’article 231.2. C’est pourquoi je m’explique mal le fait que le vérificateur Robichaud n’ait pas insisté davantage s’il jugeait les informations demandées pertinentes à la vérification en cours. Mais bien qu’à mon sens, il aurait dû le faire, je ne crois pas qu’il s’agisse là d’un prérequis aux demandes d’EDR. Je ne crois pas non plus que l’Agence devait s’adresser à la Cour afin d’obtenir une ordonnance, puisque plusieurs des entités concernées par la vérification sont étrangères et qu’une partie importante des actifs en cause se trouve à l’étranger. Aux dires du demandeur lui-même, il n’est plus résident canadien.

[160] Par ailleurs, il est important de rappeler que l’entente à laquelle les parties font référence n’intervient qu’en octobre 2018, soit après que Me Gagnon ait réitéré, dans sa réponse à la demande T-997-5, qu’il n’entendait pas fournir, à ce stade de la vérification, les renseignements concernant les placements et investissements faits par le demandeur après novembre 2013. Me Gagnon a exprimé cette position à plusieurs reprises avant octobre 2018 et rien ne laisse à penser qu’en l’absence d’une ordonnance de la Cour enjoignant le demandeur à fournir cette information, il aurait changé sa position.

[161] Dans le cas qui nous occupe, l’Agence a transmis au demandeur cinq questionnaires T-997 contenant près d’une cinquantaine de pages contenant quelques centaines de questions, elle a reçu et examiné des centaines de pages de documents et elle a consulté des sources publiques disponibles à l’interne et à l’externe dans le but d’avoir un portrait complet de la situation du demandeur et des différents facteurs qui le rattachent aux trois États entre lesquels il partage son temps. Outre la demande péremptoire et la demande pour l’obtention d’une ordonnance de la Cour, le demandeur n’indique pas quelles autres démarches l’Agence auraient dû faire avant de s’adresser aux autorités compétentes étrangères. Je ne crois pas non plus qu’il puisse reprocher à l’Agence de ne pas avoir insisté pour obtenir les réponses aux questions posées puisqu’une fois le renseignement demandé par l’Agence, il lui incombait de le fournir.

[162] Je suis donc d’avis que la démarche auprès des autorités compétentes étrangères est, comme il se doit, subsidiaire à la démarche interne de l’Agence. Par ailleurs, puisque l’information obtenue est insuffisante pour l’Agence ou requiert une confirmation, les demandes d’EDR sont justifiées (voir Filip Debelva et Niels Diepvens, « Exchange of Information, An Analysis of the Scope of Article 26 OECD Model and Its Requirements: In Search for an Efficient but Balanced Procedure » [2016] 44 Intertax 298 aux p. 303-304).

[163] Examinées globalement, je suis donc d’avis que les demandes d’EDR respectent les Conventions applicables et la LIR et qu’aucune irrégularité ou lacune capitale ne justifie l’intervention de la Cour.

VI. Conclusion

[164] Puisque le demandeur ne m’a pas convaincu que les demandes d’EDR reposent sur des informations mensongères ou que l’Agence aurait fait preuve de mauvaise foi, puisqu’il n’a pas démontré que les informations requises des autorités compétentes étrangères ne sont pas vraisemblablement pertinentes à la vérification fiscale de l’Agence, et puisque je conclus que l’Agence a épuisé tous les moyens raisonnables et disponibles selon sa procédure fiscale interne pour obtenir les renseignements convoités et disponibles à l’interne, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

[165] À la demande de la Cour, les parties ont convenu de fixer leurs frais judiciaires respectifs à la somme de 35 000$, alors que le défendeur réclame ses débours au montant de 3 592,24$. La Cour accorde donc au défendeur la somme de 38 592,24$ au titre des dépens.


JUGEMENT au dossier T-1244-19

LA COUR STATUE que:

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

  2. Les dépens, au montant total de 38 592,24$, sont octroyés au défendeur.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1244-19

 

INTITULÉ :

LUCIEN RÉMILLARD c MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATES DE L’AUDIENCE :

LEs 5, 6, 27 et 28 octobre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

 

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

JUGEMENT ET MOTIFS CONFIDENTIELS ÉMIS :

LE 16 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS ÉMIS :

LE 7 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Guy Du Pont

Élisabeth Robichaud

Alexandre Hamel

 

Pour le demandeur

 

Louis Sébastien

Jonathan Bachir-Legault

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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