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Date : 20220421


Dossier : T‑1099‑20

Référence : 2022 CF 579

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

LA VILLE D’OTTAWA

demanderesse

et

JAMISON TODD et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, la Ville d’Ottawa (la Ville), sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue 13 août 2020 par laquelle le Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP) a conclu qu’elle avait fait preuve de discrimination envers le demandeur, Jamison Todd, lorsqu’elle avait mis fin à son emploi au sein d’OC Transpo (la décision contestée), en violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la LCDP).

[2] La décision contestée est publiée sous l’intitulé Todd c La Ville d’Ottawa et la référence 2020 TCDP 26.

[3] Bien qu’elle soit partie à la présente instance, la Commission canadienne des droits de la personne n’y a pas participé.

[4] La Ville sollicite (1) l’annulation de la conclusion du TCDP selon laquelle les absences de M. Todd liées à une déficience ont été un facteur de son congédiement et (2) une ordonnance rejetant intégralement la plainte.

[5] La Ville sollicite également un jugement déclaratoire portant qu’elle n’a pas fait preuve de discrimination envers M. Todd, en violation des articles 7 et 10 de la LCDP.

[6] Subsidiairement, la Ville sollicite une ordonnance annulant la conclusion du TCDP selon laquelle les mesures qu’elle a prises pour répondre aux besoins de M. Todd ne constituaient pas une contrainte excessive, et rejetant intégralement la plainte.

[7] Subsidiairement encore, la Ville sollicite une ordonnance renvoyant l’affaire au TCDP avec la directive qu’elle soit réexaminée conformément aux motifs de la Cour.

[8] M. Todd sollicite une ordonnance rejetant la demande, avec dépens.

[9] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II. La Loi

[10] Par souci de commodité, les passages de la LCDP cités dans la présente décision sont reproduits à l’annexe ci‑jointe.

III. Les faits pertinents

[11] Le TCDP devait trancher la question de savoir si OC Transpo avait fait preuve de discrimination envers M. Todd en lien avec une ou plusieurs de ses déficiences lorsqu’il travaillait comme chauffeur d’autobus, ou lorsqu’elle avait décidé de mettre fin à son emploi de chauffeur d’autobus en 2014.

[12] M. Todd a travaillé comme chauffeur d’autobus pour OC Transpo, le service de transport en commun de la Ville d’Ottawa, de 2001 jusqu’à son congédiement, en 2014. Au cours de sa carrière, il s’est fréquemment absenté du travail pour diverses raisons, dont des problèmes de santé.

[13] Deux déficiences en particulier ont affecté la capacité de M. Todd d’effectuer ses tâches de chauffeur d’autobus. Sa principale déficience était le syndrome du côlon irritable (le SCI ou le syndrome), qui lui a été diagnostiqué en 2004. Au cours de la carrière de M. Todd, le syndrome s’est manifesté par poussées intermittentes. M. Todd a également souffert pendant plusieurs années de douleurs musculo‑squelettiques épisodiques, et celles‑ci ont été particulièrement fortes de 2008 à 2010.

[14] En raison des restrictions médicales que lui ont imposées ses médecins, surtout celles liées à son SCI, il lui était difficile de conduire un autobus. OC Transpo et M. Todd ont convenu qu’il s’absenterait du travail lorsque ses déficiences l’empêcheraient de travailler. Ces absences liées à ses déficiences ne seraient pas comptabilisées en sa défaveur dans le système de gestion de l’assiduité d’OC Transpo. C’est ce que l’on a appelé le plan d’adaptation.

[15] Cette démarche visant à répondre aux besoins de M. Todd a eu pour effet qu’il a accumulé un grand nombre d’absences du travail.

[16] M. Todd s’est également absenté du travail pour d’autres raisons. Dans certains cas, il a affirmé qu’il s’absentait à cause d’une déficience, mais OC Transpo soutient que cette affirmation n’était pas étayée par un document médical.

IV. Le contrat d’emploi permanent

[17] Après une absence prolongée de M. Todd, relativement à laquelle aucune preuve médicale n’avait été présentée, OC Transpo a décidé de lui imposer un nouveau plan avec des règles visant à améliorer son assiduité au travail. C’est ce que l’on a appelé le contrat d’emploi permanent (le CEP). Les plans de ce genre sont souvent appelés des ententes de la dernière chance, car, de fait, il s’agit d’une dernière chance pour l’employé qui, sans cela, serait congédié.

[18] Le CEP a été signé le 28 décembre 2012. Aux termes de ce contrat, M. Todd devait appeler son gestionnaire avant de manquer un quart de travail, à défaut de quoi il risquait le congédiement.

[19] M. Todd a été averti à la fois de vive voix et par écrit de ce qui se produirait s’il n’appelait pas son gestionnaire avant de manquer un quart de travail.

[20] Un peu plus d’un an après la signature du CEP, l’assiduité au travail de M. Todd s’était améliorée, mais il n’appelait toujours pas son gestionnaire, M. Zahid Chaudhari, avant de manquer un quart de travail. Son gestionnaire ne pouvait donc pas lui proposer d’autres tâches.

[21] Le 29 janvier 2014, M. Todd a manqué un quart de travail en raison d’une grippe. Il n’avait pas appelé son gestionnaire pour le prévenir de cette absence. Ce jour‑là, dans une note transmise aux cadres supérieurs, M. Chaudhari, a recommandé que M. Todd soit congédié, car, contrairement à ce que stipulait le CEP, il ne l’avait pas appelé avant de manquer son quart de travail du 29 janvier 2014. La note, qui sera analysée plus loin dans les présents motifs, faisait état de toutes les absences de M. Todd, qu’elles soient liées ou non à une déficience.

[22] Le 10 mars 2014, OC Transpo a congédié M. Todd.

[23] Le 16 novembre 2014, M. Todd a déposé contre la Ville une plainte pour discrimination au titre des articles 7 et 10 de la LCDP.

[24] Le TCDP a conclu qu’OC Transpo avait tenu compte de l’ensemble des absences de M. Todd lorsqu’elle avait pris la décision de le congédier. Elle n’avait pas tenu compte des absences de M. Todd en séparant celles liées à une déficience des autres, et elle n’avait pas examiné la possibilité de prendre des mesures supplémentaires pour répondre aux besoins de M. Todd avant de décider, en tenant compte de l’ensemble de ses absences, de le congédier.

V. La décision

[25] L’audience du TCDP s’est tenue sur 19 jours, entre le 21 août 2017 et le 9 mars 2018.

[26] Dans une décision de 64 pages et de 384 paragraphes, le TCDP a conclu qu’OC Transpo avait violé la LCDP en invoquant l’absentéisme global de M. Todd parmi les motifs de son congédiement et en ne démontrant pas qu’elle avait fait une distinction entre les absences de M. Todd liées à une déficience et ses autres absences.

[27] Le TCDP a fait remarquer que, si les violations du CEP commises par M. Todd a avaient été le seul motif invoqué pour justifier son congédiement, celui‑ci n’aurait vraisemblablement pas été discriminatoire.

[28] La décision du TCDP se termine par les conclusions suivantes :

[378] OC Transpo n’a pas fait preuve de discrimination en cours d’emploi à l’égard de M. Todd en fonction d’une ou plusieurs de ses déficiences, et les plans d’adaptation en place, bien qu’imparfaits, étaient satisfaisants.

[379] OC Transpo n’a pas fait preuve de discrimination à l’égard de M. Todd lorsqu’elle l’a assujetti à un CEP à son retour au travail en 2012.

[380] M. Todd a omis de coopérer avec OC Transpo en ne respectant pas les exigences du CEP et, conformément aux modalités de cette entente, il n’était pas discriminatoire de le congédier pour avoir enfreint le CEP.

[381] Cependant, en incluant l’ensemble des antécédents d’absentéisme de M. Todd en tant qu’un des deux motifs de son congédiement, sans distinguer les absences liées à sa déficience ni justifier sa conduite comme la Loi [la Loi canadienne sur les droits de la personne] le permet, OC Transpo a fait preuve de discrimination à l’égard de M. Todd.

[29] Quant à la plainte, le TCDP l’a rejetée, mais en partie, la jugeant à certains égards fondée.

[30] Les parties ayant scindé l’instruction de la plainte en deux, la question des réparations n’a pas été examinée. Elle sera tranchée à une date ultérieure.

VI. La question en litige

[31] La question générale à trancher est celle de savoir si le TCDP a commis une erreur en concluant que l’allégation de discrimination formulée par M. Todd était fondée. Dans l’affirmative, la décision contestée est déraisonnable.

[32] À cette fin, la Ville allègue que les erreurs ci‑dessous entachent la décision et la rendent déraisonnable :

  • (1) Le TCDP a déraisonnablement conclu qu’une preuve prima facie de discrimination avait été établie;

  • (2) Le TCDP a mal appliqué le droit en ce qui concerne le critère relatif à la contrainte excessive en cas d’absentéisme excessif.

VII. La norme de contrôle

[33] Sous réserve de certaines exceptions, dont aucune ne s’applique en l’espèce, la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10, 16, 23 et 69.

[34] Il incombe à la Ville de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov au para 75.

[35] Comme en conviennent les parties, les deux allégations contiennent des questions mixtes de fait et de droit, de sorte que le rôle de la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire se limite à contrôler avec déférence les conclusions du TCDP, pourvu que la décision contestée réponde aux critères d’une décision raisonnable.

[36] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable tire son origine du principe de la retenue judiciaire et du respect du rôle distinct des décideurs administratifs : Vavilov au para 13.

[37] Une décision est jugée raisonnable lorsqu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti et qu’elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle. Envers une telle décision, la norme de la décision raisonnable exige que la cour de révision fasse preuve de déférence : Vavilov au para 85.

[38] La cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’« [un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, […] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » : Vavilov au para 102. Une décision sera jugée déraisonnable lorsque, lus dans leur ensemble, les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle : Vavilov au para 103.

[39] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, la cour de révision ne modifie pas ses conclusions de fait. La cour de révision doit également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : Vavilov au para 125.

VIII. Le TCDP a‑t‑il déraisonnablement conclu que M. Todd avait établi une preuve prima facie de discrimination?

A. Les documents relatifs au congédiement

[40] De nombreux éléments de preuve ont été présentés – par écrit et de vive voix – au TCDP.

[41] En plus du CEP, deux documents étaient déterminants : (1) la note de cessation d’emploi dans laquelle M. Chaudhari a recommandé le congédiement de M. Todd et (2) la lettre de congédiement, également de M. Chaudhari, remise à M. Todd lors de la rencontre de congédiement du 10 mars 2014.

B. La note de cessation d’emploi

[42] Le premier paragraphe de la note de cessation d’emploi était ainsi formulé : [traduction] « La présente contient le résumé des problèmes de rendement et des mesures prises concernant les antécédents professionnels du chauffeur Jamison Todd. Il est recommandé que la Ville d’Ottawa mette fin à l’emploi de M. Todd pour non‑respect du “contrat d’emploi permanent” signé par M. Todd, la section syndicale locale 279 et le chef de section le 28 décembre 2012. »

[43] Dans le bref paragraphe suivant de la note de cessation d’emploi, il était écrit que [traduction] « l’assiduité au travail [de M. Todd] a commencé à diminuer en 2005 et [qu’]en 2012, la situation était intenable, d’où la conclusion d’un contrat d’emploi permanent basé sur le pronostic qu’il était en bonne santé et qu’on pourrait compter sur sa présence régulière au travail ».

[44] La note contient ensuite un exposé concernant l’assiduité au travail de M. Todd. Il y était indiqué le nombre de jours par année où il avait été absent, et ce, pour chaque année entre 2005 et 2014, et qu’au total dans cette période, M. Todd avait manqué 1241 jours de travail.

[45] Certains renseignements tirés du dossier d’employé de M. Todd sont ensuite mentionnés. En 2011, il a été recommandé que M. Todd soit inscrit à l’étape 1 du programme de gestion de l’assiduité (le PGA), mais son gestionnaire a décidé qu’il aurait plutôt l’occasion d’améliorer son assiduité. Plus tard, en décembre 2012, M. Todd a été inscrit à l’étape 1 du PGA. À ce moment, il a reçu un pronostic qui donnait à penser qu’il pourrait se présenter au travail régulièrement. Le 28 décembre 2012, le contrat d’emploi permanent a été signé.

[46] La note de cessation d’emploi indiquait que le [traduction] « problème actuel » était qu’à trois occasions, M. Todd n’avait pas respecté la condition du CEP suivant laquelle il devait appeler son chef de section avant de manquer un quart de travail prévu. Trois périodes distinctes où M. Todd n’avait pas appelé son chef de section avant de manquer un quart de travail prévu étaient mentionnées : entre le 23 août et le 21 octobre 2013, entre le 22 octobre et le 25 novembre 2013, et dans la journée du 29 janvier 2014.

[47] La note de cessation d’emploi a été rédigée le 29 janvier 2014. Selon celle‑ci, M. Todd, depuis qu’il avait signé le CEP, le 28 décembre 2012, avait manqué 56 jours de travail en 2013 et trois en 2014.

[48] Toujours selon la note de cessation d’emploi, M. Todd, dans la période du 10 mai 2008 au 31 mars 2010, avait manqué 131 jours de travail en 2008 et 261 en 2009 en raison d’une invalidité de longue durée (l’ILD).

[49] La note de cessation d’emploi se concluait par une mesure recommandée, dont le libellé est au cœur du litige en l’espèce :

[traduction]

Il est recommandé de congédier le conducteur Jamison Todd, principalement parce qu’il a violé les modalités de l’entente à de nombreuses reprises, même si on lui a donné des occasions de s’y conformer, mais aussi en raison de son absentéisme excessif continu :

« À chacune de ses absences, Jamison Todd doit appeler son chef de section avant le quart de travail prévu. »

(Je souligne.)

[50] À la page suivante de la note de cessation d’emploi figurait l’affirmation suivante : [traduction] « Le syndicat a admis par écrit qu’il s’agissait d’une violation flagrante de l’entente de la dernière chance. »

[51] Il était mentionné que le CEP et un document intitulé [traduction] « Rencontres mensuelles sur le rendement » étaient joints à la note de cessation d’emploi.

[52] Le TCDP a tiré une conclusion déterminante du fait que la note de cessation d’emploi était accompagnée d’« un résumé imprimé de toutes les absences de M. Todd tout au long de sa carrière à OC Transpo, sans y distinguer les absences liées à une déficience de M. Todd ni en tenir compte autrement ».

C. La lettre de congédiement

[53] La lettre de congédiement est datée du 10 mars 2014. Elle commençait ainsi : [traduction] « La présente lettre fait suite au contrat d’emploi permanent qui a été signé le 28 décembre 2012. »

[54] La lettre de congédiement se poursuivait avec les articles 2 et 6 du CEP. L’article 2 stipulait que M. Todd devait appeler son chef de section avant un quart de travail prévu s’il devait s’absenter. L’article 6 stipulait que, si M. Todd ne satisfaisait pas à l’une ou l’autre des conditions énoncées aux paragraphes 1 à 5, son emploi prendrait fin immédiatement.

[55] La lettre de congédiement indiquait que M. Todd avait été informé le 21 octobre 2013 qu’il avait violé l’article 2 du CEP à de nombreuses occasions et que, les détails et les dates de ces violations lui ayant alors été fournis, il avait reconnu avoir effectivement violé le contrat.

[56] La lettre de congédiement indiquait ensuite que M. Todd avait été avisé lors d’une rencontre tenue le 25 novembre 2013 qu’il avait violé le CEP le 19 novembre 2013.

[57] Il y était ensuite écrit que M. Todd avait [traduction] « continué de faire fi des modalités du contrat et l’a[vait] violé pour la troisième fois le 29 janvier 2014 ».

[58] Ces incidents ont amené OC Transpo à tirer la conclusion suivante :

[traduction]

Vous n’avez pas respecté les conditions du contrat d’emploi permanent signé le 28 décembre 2012. Par conséquent, vous violez le contrat d’emploi permanent, et la Ville d’Ottawa met immédiatement fin à votre emploi.

[59] Dans les deux derniers paragraphes de la lettre, des renseignements sur les ressources humaines confirmaient à M. Todd qu’il recevrait un relevé d’emploi et lui indiquaient avec qui communiquer pour se renseigner au sujet de sa paye ou d’autres sommes dues et pour prendre des dispositions concernant son régime de retraite et ses autres avantages sociaux. Il y avait également les coordonnées du programme d’aide aux employés, avec lequel il pourrait communiquer dans les deux semaines suivant la date de cessation de son emploi s’il voulait profiter d’un service de counseling confidentiel.

D. La rencontre de congédiement

[60] Le procès‑verbal de la rencontre de congédiement indique qu’elle a duré cinq minutes. La lettre de congédiement a été lue à M. Todd par M. Chaudhari, son gestionnaire, en présence de M. Sharma, le délégué syndical, et d’une autre personne, sans doute celle qui a pris des notes pour la rédaction du procès‑verbal de la rencontre.

[61] À la fin de la rencontre, M. Todd a dû rendre sa carte d’identité et ses clés, et il a été informé qu’il serait payé jusqu’à ce jour‑là, soit jusqu’au 10 mars 2014.

E. Les observations des parties

[62] La Ville soutient que le TCDP a commis une erreur lorsque, en dépit de sa conclusion selon laquelle il n’était pas discriminatoire de congédier M. Todd en raison de la violation du CEP, il a conclu que la Ville avait congédié M. Todd en s’appuyant sur les absences de ce dernier liées à une déficience, violant ainsi la LCDP.

[63] À l’appui de cet argument, la Ville affirme que la conclusion n’était pas justifiée au regard des faits et du dossier. En particulier, deux témoins – M. Chaudhari et M. Sharma – ont affirmé devant le TCDP que M. Todd avait été congédié uniquement parce qu’il avait violé le CEP.

[64] La Ville ajoute que le TCDP n’a pas expliqué pourquoi il n’a pas tenu compte des témoignages de M. Chaudhari et de M. Sharma à cet égard, alors qu’il a répété qu’il les jugeait crédibles et qu’il jugeait que M. Todd ne l’était pas.

[65] La Ville fait observer que le représentant syndical de M. Todd, M. Sharma, a témoigné que le syndicat avait décidé de ne pas déposer de grief au nom de M. Todd après le congédiement, mais qu’un grief aurait été déposé si le congédiement avait eu pour cause [traduction] « quelque chose comme une déficience », et que M. Todd aurait très bien pu déposer un grief [traduction] « s’il avait été congédié en raison de quelque chose comme un nombre excessif de congés d’invalidité ».

[66] M. Todd, en s’appuyant sur l’arrêt Canada (Procureur général) c Bodnar, 2017 CAF 171, dans lequel est cité l’arrêt Stewart c Elk Valley Coal Corp, 2017 CSC 30, soutient qu’une cour de révision doit faire preuve de déférence à l’endroit de la conclusion d’un tribunal spécialisé concernant une preuve prima facie de discrimination, si cette conclusion appartient aux issues possibles acceptables.

[67] M. Todd ajoute, à l’appui de la conclusion du TCDP, que celui‑ci a souligné que M. Chaudhari, dans sa note, s’était appuyé non seulement sur la violation du CEP, mais également sur ses absences liées à sa déficience et sur son [traduction] « absentéisme excessif continu », ce qui, selon lui, contredit les témoignages de M. Chaudhari et de M. Sharma selon lesquels l’unique raison de son congédiement était la violation du CEP.

[68] M. Todd ajoute également que la Ville n’a pas fait témoigner les supérieurs de M. Chaudhari au sujet des motifs du congédiement. La Ville n’ayant pas produit de preuve directe concernant la décision de le congédier, M. Todd affirme qu’elle ne peut pas maintenant tenter de se distancier des autres motifs de congédiement exposés dans la note de cessation d’emploi.

F. Analyse

[69] Le TCDP a correctement déterminé le critère applicable, soit celui énoncé au paragraphe 28 de l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c Simpson‑Sears, [1985] 2 SCR 536 :

Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé. […] mais lorsqu’il y a preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a effet discriminatoire, il incombe encore à l’employeur de démontrer qu’il subira une contrainte excessive […]

[70] Le TCDP a ensuite correctement déterminé ce que doit démontrer, sous le régime de la LCDP, un plaignant qui allègue une discrimination :

  1. qu’il possède une ou des caractéristiques protégées par la LCDP contre la discrimination;

  2. qu’il a subi un effet préjudiciable du fait d’une situation visée aux articles 5 à 14,1 de la LCDP;

  3. que la ou les caractéristiques protégées ont constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

[71] Nul n’a contesté devant le TCDP que le congédiement de M. Todd constituait un traitement défavorable. La seule question qui se posait était celle de savoir si une déficience de M. Todd avait été un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

[72] Dans la décision, qui s’ouvre par un « [r]ésumé des conclusions », les paragraphes suivants sont pertinents relativement à cette question :

[3] Si les manquements de M. Todd relativement au CEP avaient été la seule raison invoquée pour le congédier, je ne crois pas que son congédiement aurait été discriminatoire. Cependant, au moment de congédier M. Todd, OC Transpo a confondu le bris du CEP avec le taux d’absentéisme général de M. Todd et, ce faisant, elle n’a pas distingué les absences liées à une déficience des autres absences. Elle n’a pas envisagé d’autres mesures d’adaptation à ce moment‑là et n’a pas démontré qu’elle avait atteint la limite de la contrainte excessive.

[4] Le fait qu’OC Transpo ait mentionné l’absentéisme général de M. Todd comme étant l’une des raisons de son congédiement a fait intervenir les mesures de protection prévues par la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « Loi ») à l’encontre des actes motivés en tout ou en partie par la discrimination.

[5] Même si OC Transpo a soutenu à l’audience que sa décision de congédier M. Todd était justifiée par son absentéisme excessif, à la lumière des éléments de preuve dont je disposais à l’audience, OC Transpo ne s’est pas acquittée du fardeau d’établir qu’elle avait pris soin de faire une distinction entre les absences liées à la déficience de M. Todd et ses autres absences. De plus, même si nul n’a contesté l’importance d’une présence régulière et fiable au travail, OC Transpo ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver qu’elle s’était efforcée de répondre aux besoins de M. Todd jusqu’à la limite de la contrainte excessive.

[73] La Ville reproche au TCDP de ne pas avoir expliqué pourquoi il [traduction] « ne tenait pas compte » des témoignages de M. Chaudhari et de M. Sharma selon lesquels M. Todd avait été congédié uniquement parce qu’il avait violé le CEP, surtout étant donné que le TCDP a répété qu’il les jugeait crédibles et qu’il jugeait que M. Todd ne l’était pas. Cela ne rend pas la décision déraisonnable : « Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16.

[74] En ce qui concerne ces témoignages, il semble qu’aucun des témoins n’ait été directement informé du ou des motifs pour lesquels leurs supérieurs ont congédié M. Todd. En conséquence, le TCDP pouvait raisonnablement attribuer peu de poids, voire ne pas en attribuer du tout, aux témoignages de M. Chaudhari et de M. Sharma relativement à cette question. Le juge des faits peut accepter une partie du témoignage d’un témoin tout en en écartant d’autres parties : R c REM, 2008 CSC 51 au para 65.

[75] Il a été jugé que le fait de s’appuyer sur certains témoignages plutôt que sur d’autres ne peut à lui seul fournir l’assise d’une conviction rationnelle que le TCDP doit avoir oublié, négligé d’examiner ou mal interprété la preuve de telle manière que sa conclusion en a été affectée : Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 au para 46.

[76] La Ville a également soutenu que la conclusion selon laquelle les absences de M. Todd liées à une déficience ont été un facteur de son congédiement n’était appuyée ni par les faits ni par le dossier. Dans son mémoire, la demanderesse a ainsi formulé son argument :

[traduction]

En dépit de sa conclusion qu’il n’était pas discriminatoire de congédier M. Todd pour la violation des conditions du CEP et malgré la preuve contraire, le Tribunal a conclu que la Ville s’était appuyée sur les absences de M. Todd liées à une déficience pour le congédier, violant ainsi la Loi [canadienne des droits de la personne].

[77] Le TCDP a d’emblée reconnu et conclu que, si la Ville avait congédié M. Todd en raison d’une violation du CEP, il ne saurait être question de congédiement discriminatoire. Il s’agit là d’une conclusion distincte du TCDP. Elle est indépendante de la conclusion selon laquelle la Ville n’avait pas fait de distinction entre les absences liées à une déficience et les autres absences. Ces conclusions de faits commandent la retenue, et la Cour doit adopter une « attitude de retenue » lorsqu’elle les examine : O’Grady c Bell Canada, 2020 CF 535 au para 31; Vavilov au para 24.

[78] La Ville n’a pas démontré que la conclusion du TCDP qu’elle conteste était erronée. Au contraire, en contre‑interrogatoire, M. Chaudhari a reconnu qu’il avait calculé le nombre d’heures d’absence et l’avait indiqué dans la note de cessation d’emploi sans faire de distinction entre les absences liées à une déficience et les autres absences. Autrement dit, M. Chaudhari a admis qu’il n’avait pas fait de distinction entre les absences de M. Todd liées à une déficience et les autres absences.

[79] Après avoir examiné la note de cessation d’emploi, la lettre de congédiement, l’élément de preuve tiré du CEP reproduit plus haut, la jurisprudence et d’autres témoignages, le TCDP a conclu que M. Todd avait « choisi de ne pas communiquer avec son superviseur ou qu’il [avait] oublié de le faire ». Le TCDP a affirmé que cela constituait une violation flagrante du CEP sans aucun lien avec le SCI de M. Todd ou toute autre déficience.

[80] La Ville soutient en outre qu’il était déraisonnable de la part du TCDP de ne pas traiter du passage de la lettre de congédiement dans lequel il était explicitement dit que M. Todd était congédié parce qu’il violait le CEP, et ce, sans mention aucune de son absentéisme, en lien ou non avec une déficience.

[81] Le TCDP a mentionné que M. Chaudhari, selon la note, s’était appuyé non seulement sur la violation, mais également sur les absences de M. Todd liées à une déficience et sur son [traduction] « absentéisme excessif continu ». Selon le dossier, M. Chaudhari n’était pas celui qui prenait la décision. Il a plutôt témoigné qu’il avait rencontré ses supérieurs pour discuter de la note de cessation d’emploi qu’il a qualifié de [traduction] « simple résumé ».

[82] Selon la transcription, M. Chaudhari a expliqué son rôle dans la rencontre avec la haute direction à propos de la note de la façon suivante :

[traduction]

[…] Q. Et cette recommandation, à la base, elle est de vous?

R. Oui.

Q. Et vous recommandez que M. Todd soit congédié en partie en raison d’un absentéisme excessif continu?

R. C’est un portrait d’ensemble que je leur dresse.

Q. Je vois.

R. Mais, en fin de compte, M. Todd n’a pas été congédié en raison de son absentéisme, mais en raison de la violation du contrat; c’est parce qu’il ne m’appelait pas, oui.

Q. Bien, là, vous dites que c’est les deux.

R. C’est ce qui est dit, mais, vraiment, en fin de compte, ce n’était pas la raison. Mais, oui, c’est ce qui est dit, parce que je lui fais un portrait d’ensemble.

[83] Selon la preuve au dossier, M. Chaudhari et M. Sharma n’ont ni l’un ni l’autre été directement informés du rôle qu’a joué [traduction] l’« absentéisme excessif » dans la décision prise par les supérieurs de M. Chaudhari de congédier M. Todd.

[84] M. Todd signale un problème en ce qui a trait à la preuve dont disposait le TCDP, à savoir que les personnes qui ont pris la décision, c’est‑à‑dire les supérieurs de M. Chaudhari, n’ont pas témoigné. De ce fait, le TCDP ne disposait d’aucune preuve directe permettant de réfuter la preuve directe qu’est la note de cessation d’emploi, selon laquelle l’[traduction] « absentéisme excessif continu » était un motif secondaire du congédiement.

[85] Pour établir une preuve prima facie de discrimination, M. Todd devait démontrer que sa déficience avait été un facteur de son congédiement, et non pas que sa déficience en avait été le seul ou le principal motif : Moore c Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 au para 33; Holden v Canadian National Railway [1990] FCJ No 419 (CAF) au para 8.

[86] Le TCDP a souligné qu’il est souvent difficile de fournir une preuve directe de discrimination et que, pour cette raison, une telle preuve n’est pas nécessaire pour établir qu’il y a eu discrimination au sens de la LCDP. Il a ensuite précisé que sa tâche consistait donc à « tenir compte de toutes les circonstances et de tous les éléments de preuve afin de déterminer s’il est possible de détecter “de subtiles odeurs de discrimination” » (voir Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP); Tabor c. Première nation Millbrook, 2015 TCDP 9, au par. 14).

[87] Après avoir entendu l’intégralité de la preuve et examiné les observations des parties, le TCDP a conclu que « lorsqu’OC Transpo a pris la décision de le congédier, elle a tenu compte de l’ensemble des antécédents d’absence de M. Todd. Elle n’a pas tenu compte de ses absences liées à une déficience séparément de ses autres absences, et n’a pas évalué si elle aurait pu faire autre chose pour s’adapter aux déficiences de M. Todd avant de prendre en considération l’ensemble de ses absences et de décider de le congédier. »

[88] Au fil des 19 jours d’audience, le TCDP a reçu une preuve abondante. Il avait le droit de l’apprécier, et il l’a fait. À moins de circonstances exceptionnelles, dont la présente affaire est exempte, les cours de révision ne modifient pas de telles conclusions de fait. En effet, il s’agit là de la fonction principale du décideur de première instance. La Cour n’a pas pour rôle d’apprécier à nouveau cette preuve : Vavilov au para 125.

[89] Pour les motifs exposés ci‑dessus et dans la décision contestée, je conclus qu’il était raisonnable de la part du TCDP de juger que la preuve établissait prima facie qu’OC Transpo avait fait preuve de discrimination. Sa conclusion est conforme à la jurisprudence et, compte tenu des contraintes juridiques et factuelles que comportait le dossier sous‑jacent, elle appartient aux issues possibles acceptables. Le TCDP a clairement exposé les motifs des conclusions qu’il a tirées à cet égard, ainsi que la jurisprudence sur laquelle il s’est fondé pour y parvenir. Son raisonnement est détaillé et approfondi. Il montre [traduction] « comment » et [traduction] « pourquoi » le TCDP, en se fondant sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, est parvenu à ses conclusions.

[90] Comme l’indique le paragraphe 85 de l’arrêt Vavilov, une telle conclusion exige que je fasse preuve de déférence.

IX. Le TCDP a‑t‑il mal appliqué le droit en ce qui a trait au critère relatif à la contrainte excessive dans les cas d’absentéisme excessif?

[91] Une fois qu’un demandeur a établi une preuve prima facie de discrimination, il incombe ensuite au défendeur de démontrer que ses actes découlent d’une exigence professionnelle justifiée (EPJ) : Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c BCGSEU, 1999 CanLII 652 (CSC), [1999] 3 RCS 3, [Meiorin] au para 70.

[92] La Ville soutient que les conclusions du TCDP concernant la contrainte excessive sont déraisonnables, parce qu’il a mal appliqué la jurisprudence relative à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation et à la contrainte excessive, et ce, sans le justifier. Elle dit avoir rempli son obligation procédurale et substantielle de répondre aux besoins de M. Todd.

[93] En ce qui concerne l’obligation d’adaptation, M. Todd a fait valoir au TCDP que la Ville avait mis en œuvre des plans d’adaptation qui se résumaient à la possibilité pour lui de s’absenter sans que ses absences soient comptabilisées à son détriment dans le cadre de la gestion de l’assiduité, mais qu’elle ne lui avait pas proposé de tâches en guise de mesures d’adaptation officielles. Par exemple, bien que ses médecins l’aient autorisé à effectuer des tâches différentes le 18 juillet 2010, de telles tâches ne lui ont pas été proposées avant le 30 août 2010. M. Todd a également fait valoir au TCDP que la conclusion qu’il devrait être congédié en raison de son absentéisme excessif tenait compte de ces absences.

[94] Dans la décision contestée, le TCDP a reconnu qu’il était loisible à OC Transpo de démontrer que, même en excluant les absences de M. Todd liées à une déficience, son absentéisme global était tel qu’il constituait une contrainte excessive. Le TCDP a conclu qu’« OC Transpo n’a[vait] pas démontré qu’elle avait atteint la limite de la contrainte excessive et épuisé toutes les solutions raisonnables ou pratiques lorsqu’elle a[vait] congédié M. Todd ».

[95] Au paragraphe 370 de la décision contestée, le TCDP a exposé sa conclusion de fait selon laquelle OC Transpo n’avait pas démontré durant l’audience qu’après avoir épuisé toutes les solutions possibles et raisonnables, elle subissait une contrainte excessive lorsqu’elle avait congédié M. Todd.

[96] Le TCDP a également tiré, au paragraphe 371 de la décision contestée, la conclusion de fait selon laquelle, lorsqu’OC Transpo avait congédié M. Todd, rien dans la preuve n’indiquait qu’elle avait envisagé des solutions de rechange au congédiement, y compris d’autres mesures d’adaptation ou l’affectation de M. Todd à un autre poste (selon ses limites) par un placement prioritaire.

[97] Le TCDP a dénombré les absences de M. Todd non liées à son ILD ou à son SCI, et il a constaté que, dans la période précédant la signature du CEP, soit de 2004 à 2012, M. Todd avait manqué 28 % de ses quarts de travail. Lorsque le total de ses congés de maladie, absences liées à une déficience et autres absences pour des raisons non précisées a été comparé au total de ses jours de travail, y compris les vacances, les congés aux fins d’enquête, les congés de deuil et les congés pour urgence familiale, le taux d’absentéisme de M. Todd qui a été obtenu était de 42 %.

[98] Le TCDP a constaté qu’après la signature du CEP, le taux d’absentéisme global de M. Todd était de plus de 39 % ou, si les absences liées à son ILD et à son SCI étaient exclues, d’un peu moins de 30 %.

[99] La Ville soutient que le TCDP n’a pas tenu compte de l’abondante jurisprudence qu’elle avait citée (Hydro‑Québec c Syndicat des employé‑e‑s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro‑Québec, section locale 2000 (SCFP‑FTQ), 2008 CSC 43 (Hydro‑Québec) au para 17) à l’appui de sa thèse selon laquelle l’absentéisme involontaire excessif et l’incapacité d’un employé d’atteindre un taux d’assiduité raisonnable en raison d’une maladie peuvent invalider la relation d’emploi, car l’employé n’est pas en mesure de remplir son obligation contractuelle fondamentale de fournir du travail. En effet, il vient un moment où l’employeur peut légitimement faire valoir que ce qui a été conclu avec l’employé ne peut être entièrement accompli.

[100] Le TCDP a souligné au paragraphe 373 de sa décision qu’« [i]l était possible pour OC Transpo de démontrer que, même en excluant les absences liées à une déficience, le taux d’absentéisme global de M. Todd était problématique et avait atteint le point où la contrainte devenait excessive. Le taux d’absentéisme de M. Todd, qui s’élevait à près de 30 % (même en excluant les absences liées à son SCI et son ILD), aurait pu suffire à OC Transpo pour s’acquitter du fardeau d’établir la contrainte excessive, mais il aurait fallu qu’elle présente des éléments de preuve à l’appui d’une telle conclusion. » Le TCDP a conclu à cet égard que « même si OC Transpo a[vait] souligné la distinction entre les deux motifs dans son argumentation à l’audience, [il] ne dispos[ait] d’aucun élément de preuve [l]e laissant croire qu’elle a[vait] également fait cette distinction au moment de décider d’inclure ce facteur dans sa justification de congédiement ». (Non souligné dans l’original.)

[101] La Ville a également critiqué le TCDP pour sa remarque selon laquelle elle avait négligé de présenter des éléments de preuve concernant des enjeux majeurs de santé et de sécurité. Contrairement à ce qu’a avancé la Ville, le TCDP n’appliquait pas des facteurs inappropriés à l’examen de la contrainte excessive; son commentaire se rapportait au fait qu’il ne pouvait examiner des facteurs qu’il était tenu d’examiner en évaluant la contrainte excessive, conformément au paragraphe 15(2) de la LCDP, puisqu’aucun élément de preuve n’avait été présenté à cet égard. En ce qui a trait à ces facteurs, il était raisonnable que le TCDP formule cette remarque.

[102] La remarque du TCDP selon laquelle OC Transpo n’avait présenté aucun élément de preuve concernant le coût réel des absences de M. Todd signifiait selon la Ville que l’absentéisme involontaire excessif et l’incapacité d’un employé à atteindre un taux d’assiduité raisonnable en raison d’une maladie pouvaient invalider une relation d’emploi si le coût de l’absentéisme était suffisamment élevé pour constituer une contrainte excessive.

[103] Je ne suis pas de cet avis.

[104] Il semble que cette remarque se rapportait simplement au fait que le TCDP ne pouvait pas examiner l’incidence du coût, puisqu’aucun élément de preuve n’avait été présenté à cet égard ou afin d’établir que le coût avait été l’un des facteurs pris en compte avant de congédier M. Todd.

[105] Mais, comme l’a conclu le TCDP, ne comptent que les motifs invoqués au moment où le congédiement est décidé, et le TCDP a raisonnablement jugé qu’OC Transpo, en mentionnant l’absentéisme global de M. Todd parmi les motifs pour lesquels elle le congédiait, avait fait intervenir les mesures de protection prévues par la LCDP à l’encontre de ses actes en tout ou en partie discriminatoires.

[106] Étant donné la conclusion selon laquelle la Ville n’avait présenté aucun élément de preuve à l’appui de sa position, je suis convaincue qu’il était raisonnable de la part du TCDP de juger qu’il avait été discriminatoire d’inclure les antécédents globaux de M. Todd en matière d’absentéisme sans exclure les absences liées à une déficience.

X. Conclusion

[107] « Il faudrait considérer la [décision contestée] comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Vavilov au para 102, citant Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para 54, citant Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 14.

[108] Il était raisonnable de la part du TCDP de conclure qu’il existait une preuve prima facie de discrimination du fait que la Ville avait mentionné l’[traduction] « absentéisme excessif » de M. Todd parmi ses motifs de congédiement, et ce, sans faire de distinction entre les absences liées à une déficience et les autres absences. Cette conclusion exposée dans la décision contestée était justifiée et étayée par le dossier sous‑jacent.

[109] Il était également raisonnable de la part du TCDP de conclure que cet amalgame des absences liées à une déficience et des autres absences était discriminatoire, puisqu’OC Transpo n’avait présenté aucun élément de preuve visant à démontrer que les mesures prises pour tenter de répondre aux besoins de M. Todd constituaient une contrainte excessive.

[110] Tout au long de la période qui a débuté en 2004, M. Todd a souffert de plusieurs problèmes de santé. Relativement à chaque question d’ordre médical, le TCDP a examiné le problème de santé en cause, les journées de travail manquées et les mesures d’adaptation prises par OC Transpo.

[111] La décision contestée comporte une analyse intrinsèquement cohérente du droit en matière de discrimination, des articles appropriés de la LCDP et de la preuve présentée. Après avoir examiné la preuve et les arguments des parties, le TCDP a tiré des conclusions rationnelles et cohérentes. Les conclusions sont justifiées, transparentes et intelligibles au regard des contraintes factuelles et juridiques. Le résultat appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[112] Pour tous les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.

[113] Comme il a gain de cause, M. Todd a droit aux dépens. Les parties ont convenu avant l’audition de la demande que les dépens s’élèveraient au montant global de 5 000 $.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑1099‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Les dépens d’un montant de 5 000 $ sont adjugés à M. Todd.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


ANNEXE

Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6

Emploi

Employment

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

7 It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

blanc

on a prohibited ground of discrimination.

Lignes de conduite discriminatoires

Discriminatory policy or practice

10 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

10 It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

blanc

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination

Exceptions

Exceptions

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

15 (1) It is not a discriminatory practice if

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement;

[ . . . ]

[ . . . ]

Besoins des individus

Accommodation of needs

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

(2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs, considering health, safety and cost.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1099‑20

 

INTITULÉ :

VILLE D’OTTAWA c JAMISON TODD et LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 AVRIL 2022

 

COMPARUTIONS :

Joel Rocque

Raquel Chisholm

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nigel McKechnie

K. Scott McLean

 

POUR LE DÉFENDEUR

JAMISON TODD

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Emond Harnden s.r.l.

Cabinet d’avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mann Lawyers, s.r.l.

Cabinet d’avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

JAMISON TODD

 

 

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