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Date : 20220427


Dossier : IMM-2456-20

Référence : 2022 CF 620

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 27 avril 2022

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

DIVYA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse s’appuie sur l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] pour solliciter le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas (l’agent) l’a déclaré interdite de territoire au Canada en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, au motif qu’elle a soumis des renseignements familiaux non authentiques à l’appui de sa demande de permis de travail à titre d’épouse.

[2] La demanderesse conteste la décision de l’agent (la décision), parce que ce dernier n’a pas respecté l’obligation d’équité procédurale et a tiré une conclusion de fausse déclaration déraisonnable. Je conviens que la décision est viciée sur ces deux points et j’accueillerai donc la demande.

II. Contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne indienne de 24 ans. En août 2019, elle a demandé un permis de travail ouvert à titre d’épouse afin de rejoindre son époux au Canada. Ce dernier travaillait comme technicien en télécommunications à Etobicoke, en Ontario, depuis avril 2019. La demanderesse a présenté leur certificat de mariage, ainsi que des photographies et d’autres documents qui montraient qu’ils étaient mariés depuis le 7 septembre 2018. De nombreuses photos de la cérémonie ont été soumises à l’agent, notamment des photos de la demanderesse et de son époux, de la famille et de leurs amis. Des photos supplémentaires ont également été présentées lors de l’entrevue du 5 novembre 2019, sur laquelle la demanderesse se fonde pour étayer ses arguments sur l’équité procédurale. Je donnerai plus de détails sur l’entrevue plus loin.

[4] La demanderesse a également présenté un affidavit de son père, souscrit le 25 juillet 2019, dans lequel il a déclaré que le mariage a été célébré le 7 septembre 2018 selon les rites et cérémonies hindous, et qu’il était accompagné des autres parents, ainsi que d’amis et de proches.

[5] Les notes du Système mondial de gestion des cas (le SMGC), qui font partie de la décision, comprennent une entrée datée du 17 septembre 2019 dans laquelle l’agent a exposé le contenu de la demande de permis et exprimait des doutes quant à l’authenticité du mariage (voir l’entrée du SMGC au paragraphe 20 ci-après).

[6] Dans une lettre datée du 10 octobre 2019 (la lettre), l’agent a convoqué la demanderesse à une entrevue le 5 novembre 2019 à New Delhi, et l’a informée qu’en cas d’absence, son dossier serait évalué sur le fondement de la demande et vraisemblablement rejeté. Dans sa lettre, l’agent a informé la demanderesse qu’elle devait apporter les documents requis lors de l’entrevue, notamment des photos de mariage montrant toutes les cérémonies, des photos postérieures au mariage et la preuve qu’elle communiquait toujours avec son répondant (m.d. p 66/115). Toutefois, dans sa lettre, l’agent n’a pas mentionné qu’il doutait que les cérémonies de mariage essentielles avaient eu lieu, que le certificat de mariage était authentique ou que la demanderesse était mariée.

[7] Selon la note du SMGC du 5 novembre 2019, l’entrevue a eu lieu comme prévu, elle a été menée en hindi et des réponses incohérentes ont été données à la série de questions posées par l’agent en vue de déterminer si une cérémonie « phere » particulière avait été célébrée ou non. L’agent a ensuite fait savoir à la demanderesse que, comme la cérémonie « phere » n’avait pas eu lieu, il n’y avait pas eu de mariage en septembre 2018. Par la suite, il ressort de la note du SMGC que la demanderesse a admis qu’il n’y avait pas eu de cérémonie « phere », qu’elle et son époux n’avaient pas vécu ensemble après le mariage déclaré, que le mariage était prévu le 9 décembre 2019 et qu’elle n’était pas encore mariée. Ensuite, la note indique que l’agent a expliqué l’article 40 de la LIPR à la demanderesse et qu’il lui a donné l’occasion de répondre, ce à quoi elle a répliqué : [traduction] « Je suis désolée ».

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] Dans une lettre datée du 8 avril 2020, la demanderesse a été informée que sa demande de permis de travail avait été rejetée au motif qu’elle n’avait pas répondu sincèrement à toutes les questions qui lui avaient été posées. La lettre l’informait également qu’elle avait été déclarée interdite de territoire au Canada en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR et qu’elle serait interdite de territoire au Canada pendant une période de cinq ans.

[9] Une note du SMGC portant la même date indiquait que l’agent qui avait initialement examiné la demande avait exprimé des doutes concernant le certificat de mariage qui lui avait été soumis. La note indiquait également que la demanderesse n’avait pas dissipé les doutes de l’agent quant à la fausse déclaration et que, selon la prépondérance des probabilités, elle [traduction] « avait présenté des informations inauthentiques concernant sa famille à l’appui de sa demande ».

[10] La demanderesse conteste la décision au motif qu’elle est à la fois inéquitable sur le plan procédural et déraisonnable.

[11] La demanderesse a présenté un affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Le défendeur soutient que certains paragraphes de l’affidavit contiennent à tort (i) de nouveaux renseignements qui n’avaient pas été présentés à l’agent et (ii) des observations argumentatives, deux éléments qui ne devraient pas être pris en compte par la Cour lors d’un contrôle judiciaire (Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 aux para 17‑20 [Bernard]).

[12] Cependant, je remarque que certaines parties de l’affidavit, à savoir les paragraphes 18 à 25 et 27, contiennent des renseignements généraux qui, s’ils sont véridiques, avaient été soumis à l’agent et présentaient un intérêt pour la décision sur le fond. Ces parties s’inscrivent clairement dans le cadre des exceptions reconnues à la règle qui prévoit que la Cour ne peut examiner un affidavit dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Bernard, au para 23). Ces paragraphes sont donc acceptés dans la mesure où ils fournissent des renseignements généraux utiles sur le dossier dont l’agent disposait. Je fais remarquer que le défendeur ne s’est pas opposé à ces paragraphes particuliers; il a seulement demandé que les paragraphes 5 à 14, 29 et 31 soient radiés parce qu’ils contiennent des explications qui auraient pu être présentées à l’agent, mais qui ne l’ont pas été.

[13] Selon l’affidavit de la demanderesse, elle s’est présentée à l’entrevue en novembre 2019 accompagnée de son beau-père. Après avoir convenu que l’entrevue se déroulerait en hindi, l’agent a immédiatement informé la demanderesse qu’il doutait de l’authenticité de son mariage, ce qui pourrait entraîner une conclusion de fausse déclaration et une période d’interdiction de territoire au Canada de cinq ans. Comme elle n’avait pas été informée de ces doutes dans la convocation à l’entrevue, la demanderesse a affirmé ce qui suit : [traduction] « Ce fut un choc total et complet pour moi, et je me suis immédiatement mise à pleurer. Je n’avais aucune idée que l’authenticité de notre mariage était mise en doute ».

[14] Selon ses souvenirs de plusieurs des questions qui lui avaient été posées et des réponses qu’elle avait fournies, y compris le fait qu’une cérémonie « phere » n’avait pas encore eu lieu, elle a affirmé que l’agent l’avait informée que son mariage n’était pas légal, car cette cérémonie n’avait pas été accomplie. Elle affirme avoir commencé à s’inquiéter du fait qu’il avait peut-être raison et qu’elle et sa famille avaient mal compris les exigences. Elle affirme qu’elle était très bouleversée, [traduction] « en état de choc et en pleurs », et qu’elle s’est excusée à ce moment de l’entrevue.

IV. Questions en litige et analyse

[15] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la conclusion de fausse déclaration de l’agent est celle du caractère raisonnable. Elles conviennent également que les questions d’équité procédurale ne sont pas soumises à la norme du caractère raisonnable et que la Cour doit plutôt se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, le processus était juste et équitable.

[16] Après avoir examiné les observations écrites et orales des parties, j’estime que le processus était effectivement injuste et que la conclusion de fausse déclaration de l’agent était déraisonnable.

[17] Je fais d’abord remarquer qu’une partie de la difficulté à évaluer les circonstances de l’entrevue et l’équité du processus de demande réside dans les deux versions très différentes des faits. Encore une fois, dans sa version des circonstances de l’entrevue de novembre 2019 figurant dans son affidavit, la demanderesse contredit, à plusieurs égards, la version figurant dans les notes du SMGC sur laquelle le défendeur fonde ses observations. Notamment, les notes du SMGC indiquent que les doutes à l’égard des fausses déclarations n’ont été communiqués que vers la fin de l’entrevue, après que l’agent eut reçu des réponses contradictoires aux questions sur la cérémonie « phere ». En revanche, dans son affidavit, la demanderesse indique que la question a été soulevée dès le début, ce qui l’a prise par surprise et l’a amenée à présenter des excuses et à avouer qu’elle n’était pas mariée.

[18] Soit dit en passant, je fais remarquer qu’en l’absence d’une transcription ou d’un enregistrement de l’entrevue, il peut être difficile pour la Cour de discerner la bonne version des faits (voir Zeon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1338 aux para 13‑14). Comme les entrevues sont souvent menées uniquement entre l’agent et le demandeur, contrairement à l’époque où elles étaient plus souvent menées en présence d’un avocat, il est regrettable que la pratique ne consiste pas – surtout à notre ère – à conserver un enregistrement, mais qu’elle consiste plutôt à se fier entièrement aux notes du SMGC. Cela est particulièrement vrai dans le cas de conclusions de fausses déclarations, étant donné les graves conséquences qui en découlent. La Cour doit tenir compte de l’affidavit du demandeur lorsque l’équité du processus d’entrevue est contestée, plus particulièrement lorsque le témoignage du demandeur n’a pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire.

[19] Les notes du SMGC ont fait l’objet de commentaires importants. La Cour d’appel a reconnu qu’elles sont généralement admissibles, car elles relèvent de l’exception à la règle du ouï-dire concernant les documents opérationnels, bien que des exceptions puissent s’appliquer lorsqu’elles consignent des entrevues menées au cours d’une enquête (voir Cabral c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 4 aux para 24 et 28, respectivement). Dans un tel cas, les notes ne sont pas admissibles pour établir la véracité de leur contenu (Cabral, au para 28). En effet, notre Cour a affirmé ce qui suit :

[L]es notes CAIPS [devraient être] admises au dossier en tant que motifs de la décision qui fait l’objet du présent contrôle. Cependant, les faits qui sous-tendent la présente affaire sur lesquels elles sont fondées doivent être établis de façon indépendante. En l’absence d’un affidavit d’un agent des visas attestant la véracité de ce qu’il a, dans ses notes, inscrit comme ce qui a été dit à l’entrevue, les notes n’ont pas de statut en tant que preuve.

(Chou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 314 au para 13, conf par 2001 CAF 299).

[20] Dans les situations où les dires de l’un sont opposés aux dires de l’autre, dont l’espèce constitue un cas classique, l’enregistrement permettrait de relever bien plus facilement – et précisément – les contradictions entre les notes de l’agent dans le SMGC et l’affidavit du demandeur. Les enregistrements – ou transcriptions – contribueraient grandement à résoudre le problème des versions contradictoires des entrevues avec les agents des visas. On pourrait penser qu’avec l’évolution de la technologie et le besoin croissant de vidéoconférences dans de nombreux contextes, y compris les demandes de visa, de tels enregistrements ou transcriptions seraient plus faciles à réaliser que par le passé. Les enregistrements seraient certainement utiles pour résoudre tout litige qui s’ensuivrait, dans la mesure où ils augmenteraient la transparence et préserveraient mieux les garanties d’équité fondamentales du processus.

[21] Pour en revenir aux circonstances de l’espèce, la demanderesse affirme également qu’elle n’avait toujours pas reçu de décision le 27 mars 2020, et que son époux avait donc présenté une demande de renseignements propre à un cas et des explications supplémentaires, dont la première moitié ne se trouve pas dans les notes du SMGC ou ailleurs dans le dossier. Cela contribue à accentuer les divergences entre les versions de la demanderesse et du défendeur. Plus précisément, la demanderesse affirme que son époux avait sollicité la permission de bénéficier d’une entrevue supplémentaire pour expliquer la situation du couple. Au vu du dossier, il est impossible de connaître le contenu ou l’étendue de la partie manquante de cette demande, mais dans l’extrait incomplet du courriel de l’époux versé dans les notes du SMGC, il est écrit qu’il viendrait en Inde afin que sa femme et lui soient interrogés ensemble.

[22] La jurisprudence de notre Cour a reconnu à maintes reprises que lorsque l’agent envisage de tirer une conclusion de fausse déclaration, ce qui entraîne une interdiction de territoire au Canada de cinq ans, il a le devoir d’informer le demandeur de ses doutes précis et de lui fournir une réelle occasion de répondre. Dans ce cas, l’agent transmet habituellement une lettre d’équité procédurale assez détaillée pour permettre à la personne de savoir à quoi elle doit répondre (Qurban c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 724 au para 8; Bayramov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 256 au para 15).

[23] En l’espèce, il ressort des notes du SMGC que l’agent avait des doutes quant à la crédibilité ou l’authenticité du mariage de la demanderesse avant de la convoquer à l’entrevue de novembre 2019. La note du 17 septembre 2019 de l’agent JM18048 indique ce qui suit :

[traduction]
Les photos ne montrent pas le couple en train d’effectuer les cérémonies de mariage essentielles. Aucune photo antérieure à la cérémonie du mariage ne m’a été soumise. Je remarque que les cérémonies célébrées sur les photos semblent celles des fiançailles et non du mariage. Aucun élément de preuve ne démontre l’existence de communications avant ou après le mariage. Je me fonde sur l’entrevue pour l’évaluation de l’authenticité de la relation.

[24] En outre, et comme je l’ai déjà fait remarquer, la note du 8 avril 2020 de l’agent STO3954 indique ce qui suit :

[traduction]
Lors de l’examen de la demande, l’agent a formulé des doutes concernant le certificat de mariage qui lui avait été soumis. La cliente a été convoquée à une entrevue et a été informée de ces doutes, ainsi que des conséquences d’une conclusion en application de l’article 40, notamment l’interdiction de territoire au Canada pour une période de cinq ans.

[25] Toutefois, l’agent n’a pas soulevé ces doutes dans la lettre, où il a simplement indiqué :

[traduction]
Apportez tous les documents requis lors de votre entrevue, y compris les photos de mariage montrant toutes les cérémonies, des photos postérieures au mariage, des éléments de preuve démontrant une communication régulière, une preuve du statut d’immigration de l’hôte au Canada ainsi qu’une preuve de la formation continue de l’hôte au Canada.
Tout document qui n’est pas en anglais ou en français doit être accompagné d’une traduction certifiée conforme en plus d’une photocopie du document original. Ne transmettez pas les originaux, sauf si on vous le demande expressément.

[Souligné dans l’original.]

[26] Peu importe quelle version de l’entrevue j’accepte, celle de l’agent ou celle de la demanderesse, il est clair que cette dernière n’a été mise au courant des doutes de l’agent qu’au moment de l’entrevue et qu’elle n’a pas eu la possibilité de présenter des observations supplémentaires par la suite.

[27] Compte tenu des graves répercussions qui découleraient d’une conclusion de fausse déclaration, le degré d’équité procédurale auquel la demanderesse avait droit était plus strict qu’il ne le serait dans le contexte d’une décision relative à un visa (Likhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 171 au para 27 [Likhi], citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 133).

[28] Dans ces circonstances, et malgré l’argument du défendeur voulant que la demanderesse a eu l’occasion de répondre pendant l’entrevue, je ne peux conclure qu’elle a eu une occasion réelle et équitable de répondre ou qu’elle connaissait ce qui lui était reproché.

[29] L’agent aurait pu remédier au fait de ne pas avoir donné à la demanderesse de réelle possibilité de répondre aux doutes soulevés lors de l’entrevue en lui accordant la possibilité de présenter des observations supplémentaires. Comme l’a affirmé la juge Fuhrer aux paragraphes 33 à 35 de la décision Likhi :

[33] Pour trancher la question de savoir si l’agent principal a tiré une conclusion relative à une présentation erronée à l’issue d’une démarche équitable sur le plan procédural, il est important d’élucider si ce dernier a appuyé la conclusion en question sur le fait que la preuve fournie a) était insuffisante pour attester la bonne foi du mariage, comme le prétend le ministre; ou b) n’était ni crédible, ni authentique, ni exacte, comme le fait valoir Mme Likhi. Suivant le premier motif, l’agent chargé de l’entrevue était en droit de présumer que la LIPR et le RIPR précisent la norme de preuve à respecter pour prouver la conformité aux lois canadiennes de l’immigration, et il n’était donc pas soumis à l’obligation procédurale d’alerter Mme Likhi au sujet de ses préoccupations quant aux lacunes de sa demande. Suivant le deuxième motif, l’agent chargé de l’entrevue devait porter ces préoccupations à l’attention de Mme Likhi, et lui donner la possibilité adéquate de dissiper ces préoccupations.

[34] À mon avis, les conclusions de l’agent chargé de l’entrevue et de l’agent principal (qui a essentiellement souscrit à l’évaluation de l’agent) portant que Mme Likhi avait fait une présentation erronée concernant l’authenticité de son mariage reposaient sur le fait que les éléments qu’elle avait présentés, y compris les photographies de la cérémonie civile et la preuve de vive voix fournie par elle et M. Sethi, n’ont pas été jugés dignes de foi. Les notes du SMGC révèlent que les deux agents nourrissaient des préoccupations quant à la crédibilité de la preuve de Mme Likhi.

[35] Comme les décisions des agents reposaient à première vue sur la crédibilité, ceux-ci devaient à mon avis communiquer à Mme Likhi leurs préoccupations à ce chapitre et lui donner la possibilité adéquate de répondre. Cela aurait pu se faire si l’agent chargé de l’entrevue l’avait avisée que le but général de l’entrevue était d’apprécier l’authenticité du mariage (lui donnant ainsi une possibilité adéquate de se préparer en conséquence) ou si l’agent principal lui avait ensuite donné la possibilité de déposer des observations additionnelles pour répondre aux préoccupations particulières soulevées durant son entrevue, attendu que l’agent chargé de l’entrevue avait exigé des éléments de preuve bien précis. Aucune de ces possibilités ne lui a été offerte. Si Mme Likhi avait su, en se présentant à l’entrevue, que l’agent chargé de l’entrevue nourrissait des préoccupations au sujet de l’authenticité du mariage, et non que le traitement de sa demande suivait son cours habituel, comme elle l’avait compris lors de l’appel téléphonique durant lequel la date de l’entrevue avait été fixée, elle aurait pu se préparer différemment.

[Renvois omis, non souligné dans l’original.]

[30] La présente affaire présente de nombreuses similitudes avec l’affaire Likhi, tant par son profil que par ce qui a été considéré comme un processus inéquitable. Pour des raisons d’équité fondamentale et de courtoisie judiciaire, je ne vois aucune raison de m’écarter du raisonnement exposé dans l’extrait précédent.

[31] Comme dans l’affaire Likhi, l’agent a formulé des doutes concernant l’authenticité d’un mariage dans le contexte d’une demande de permis de travail à titre d’épouse impliquant un demandeur travaillant au Canada et un couple affirmant s’être marié en Inde. De plus, dans les deux affaires, l’agent soupçonnait qu’il y avait eu une fête de fiançailles plutôt qu’un mariage. Enfin, comme l’a fait remarquer la juge Fuhrer dans la décision Likhi, « personne n’a tenté, au cours de l’entretien, de clarifier ou de confirmer la date du certificat de mariage pour ce qui intéresse les cérémonies de mariage ». Il en va de même en l’espèce selon l’affidavit de la demanderesse et les notes du SMGC.

[32] De plus, en l’espèce – contrairement à la décision Likhi – l’époux au Canada a offert de présenter d’autres éléments de preuve ou d’accompagner son épouse pour aborder la question du mariage, comme l’indique la partie de son courriel qui a été incluse dans les notes du SMGC. Il a notamment déclaré ce qui suit : [traduction] « Si on me demandait de transmettre des photos, je les enverrais sans aucun doute… Je peux me rendre en Inde pour participer à une entrevue. »

[33] Bien que l’intégralité des observations de l’époux ne soit pas disponible, l’agent n’a fait aucune référence à cette demande dans la décision et il n’a pas sollicité d’explications écrites ou orales supplémentaires. Si l’on examine l’ensemble des éléments de preuve présentés par les deux parties sur les événements, j’estime que l’agent a commis le même manquement à l’équité procédurale que celui relevé dans la décision Likhi, à savoir qu’il n’a pas communiqué ses doutes sur le mariage avant l’entrevue et qu’il n’a pas donné la possibilité d’y répondre par la suite, alors qu’ils étaient à l’origine de la convocation. Ce manquement était particulièrement problématique à la lumière de la demande précise formulée par l’époux de la demanderesse.

[34] Compte tenu du manquement à l’équité procédurale, j’annulerai la décision et je renverrai l’affaire à un nouvel agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Après avoir tranché cette première question d’une importance cruciale, je commenterai néanmoins la conclusion de fausse déclaration en soi, que j’estime également déraisonnable pour les motifs qui suivent.

[35] Tout d’abord, il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure que la demanderesse avait menti en affirmant être mariée sur le seul fondement qu’un rite religieux particulier n’avait pas encore été accompli, sans avoir fourni d’explication quant à savoir si une telle cérémonie était réellement requise pour que le mariage soit légal en Inde. Comme la demanderesse l’a souligné au cours de l’audience, l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, définit le mariage comme « [s]’agissant d’un mariage contracté à l’extérieur du Canada, mariage valide à la fois en vertu des lois du lieu où il a été contracté et des lois canadiennes ».

[36] En l’espèce, le certificat de mariage indiquait que la cérémonie avait eu lieu en septembre 2018, ce qui est attesté par l’affidavit du père de la demanderesse. Il ne m’appartient pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve, mais il ne fait aucun doute que l’agent aurait dû les soupeser et les prendre en compte avant de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse avait fait une fausse déclaration concernant son mariage. Il n’est pas manifeste à mes yeux que l’agent a examiné les éléments de preuve pertinents avant de rendre sa décision, et je ne vois pas comment ces éléments de preuve ont été soupesés.

[37] De plus, l’agent ne semble pas non plus avoir justifié, lors de l’entrevue ou dans sa décision, pourquoi selon lui un mariage valide n’aurait pu avoir lieu en Inde sans la tenue d’une cérémonie « phere ». Si j’écarte le fait que la demanderesse n’aurait raisonnablement pas pu anticiper ou improviser une réponse adéquate à l’égard d’un doute aussi précis, j’estime que l’agent aurait néanmoins dû fournir des explications concernant l’importance des doutes qu’il entretenait. La décision était donc injustifiée à la lumière des faits et du droit.

[38] Deuxièmement, bien qu’il ait beaucoup été question des supposés aveux obtenus au cours de l’entrevue, j’ai déjà fait remarquer que l’affidavit de la demanderesse donne une version différente de ce qui a été exactement admis ou non. J’ai également déjà fait remarquer qu’il n’est pas nécessaire de trancher la question des versions concurrentes de l’entrevue en l’espèce.

[39] Néanmoins, les aveux spontanés de la demanderesse au cours de l’entrevue auraient dû être examinés à la lumière du contexte culturel, religieux et juridique très particulier en l’espèce, en plus des circonstances de l’entrevue elle-même. Dans la présente affaire, une jeune femme a été confrontée à une personne en position d’autorité, qui a contesté la légalité de son mariage sans d’abord exposer ses doutes. Plus précisément, la demanderesse, qui n’était pas représentée par un avocat lors de l’entrevue ni à aucun autre moment du processus, a été confrontée au point de vue de l’agent selon lequel le mariage ne pouvait avoir été célébré sans cérémonie « phere ». Dans son affidavit, elle a déclaré que ces événements l’avaient profondément bouleversée et qu’elle s’inquiétait qu’une erreur ait pu être commise.

[40] Même si je n’avais pas conclu précédemment au caractère inéquitable du processus au cours duquel la demanderesse n’a pu présenter des observations ou des clarifications, je ne suis toujours pas convaincu que l’aveu et les excuses présentés par la demanderesse à une personne en position d’autorité dans ces circonstances très particulières signifient qu’elle a menti au sujet de son mariage. L’agent n’a pas justifié son avis sur le droit du mariage en Inde, qui a servi de fondement à sa conclusion de fausse déclaration. De plus, l’agent n’a pas expliqué pourquoi le certificat de mariage était invalide, frauduleux ou autrement irrégulier.

[41] L’agent ne semble pas avoir examiné ou soupesé les prétendues admissions à la lumière de ce contexte juridique ou culturel nuancé avant de formuler une conclusion de fausse déclaration.

[42] Il semble plutôt que l’agent ait simplement assimilé la reconnaissance qu’une cérémonie ou un rite particulier n’avait pas encore été accompli à un aveu de mensonge de la part de la demanderesse au sujet de son mariage, sans égard explicite aux autres éléments de preuve dans le dossier ou à l’obligation juridique de prouver un mariage valide en Inde.

[43] Sans indication d’un motif sous-jacent, tel que le non-respect de la loi sur le mariage en Inde, ou une allégation selon laquelle le certificat de mariage était frauduleux, la conclusion qu’aucun mariage n’avait eu lieu, et la conclusion de fausse déclaration qui en a découlé, était déraisonnable.

V. Conclusion

[44] Compte tenu des lacunes susceptibles de contrôle dans la décision, tant sur la forme que sur le fond, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire et je renverrai l’affaire à un autre agent pour réexamen.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-2546-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de l’agent des visas est annulée, et l’affaire est renvoyée à un nouvel agent pour qu’il rende une nouvelle décision après avoir invité la demanderesse à présenter des observations supplémentaires.

  3. Aucune question à certifier n’a été soumise à la Cour, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2456-20

 

INTITULÉ :

DIVYA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 AVRIL 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 27 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Neerja Saini

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Prathima Prashad

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GREEN AND SPIEGEL

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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