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Date : 20220421


Dossier : T‑1080‑17

Référence : 2022 CF 575

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2022

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

YVES DUVAL

demandeur

et

LE NAVIRE SEAPACE ET LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN INTÉRÊT DANS LE NAVIRE SEAPACE ET COURTESY SHIPPING INC. ET THENAMARIS SHIP MANAGEMENT INC.

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Duval, est docker. Sa demande découle des blessures subies à la suite d’un accident survenu lors des opérations de déchargement du navire défendeur, le Seapace, au port de Bécancour le 13 août 2014. En raison de ses blessures, le demandeur a été en congé de maladie, après quoi il est progressivement retourné au travail.

[2] Le demandeur a reçu des indemnités d’accident du travail de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail [CNESST]. Dans la présente action, le demandeur demande une indemnisation pour les pertes alléguées en sus des montants d’indemnisation qu’il a reçus de la CNESST. Les employeurs du demandeur, l’Association des employeurs maritimes et la Compagnie d’Arrimage de Québec Limitée, ne sont pas parties à la présente procédure.

[3] Le demandeur invoque la compétence en droit maritime de la Cour. La demande du demandeur est fondée sur le droit maritime canadien, et en particulier sur les règles de droit maritime relatives à la négligence. Il s’agit d’une action relative aux blessures corporelles causées par un navire. Les défendeurs sont le navire, ses propriétaires inscrits et ses gestionnaires.

[4] Les défendeurs déposent une requête en jugement sommaire en vertu des articles 213 à 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] au motif que : 1) le demandeur est empêché de présenter une demande pour perte de revenu et de la capacité de gain futur après la date à laquelle la CNESST a déclaré que le demandeur n’avait plus droit à une indemnité de remplacement du salaire et qu’il avait retrouvé sa pleine capacité de gain; et 2) la tentative du demandeur de demander le réexamen d’une question qui a été tranchée par la CNESST est un abus de procédure.

[5] Il convient de noter que d’autres éléments de la demande du demandeur ne sont pas en cause dans la présente requête, et qu’un procès sur le fond a été fixé au mois de novembre 2022.

[6] Le demandeur s’oppose à la requête et soutient que 1) la doctrine de common law de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et celle de l’abus de procédure ne sont pas applicables en l’espèce compte tenu de l’arrêt de la Cour suprême Transport Desgagnés inc. c Wärtsilä Canada Inc. 2019 CSC 58 [Wärtsilä]; 2) la décision de la CNESST qui a mis fin à son indemnité de remplacement du revenu n’empêche pas le demandeur de recouvrer des défendeurs en droit; et 3) une requête en jugement sommaire n’est pas appropriée, et certainement pas à ce stade de la procédure.

[7] Pour les motifs qui suivent, la requête en jugement sommaire des défendeurs est rejetée. Compte tenu de la décision rendue sur la présente requête et du fait que le procès est prévu pour novembre 2022, je limiterai autant que possible mes commentaires, afin de ne pas influencer les parties quant à l’opinion qu’un juge de première instance pourrait avoir sur ces questions après un procès complet.

II. Contexte

[8] Avant l’accident, le demandeur utilisait dans son rôle de docker plusieurs types de machines, dont des grues qui chargeaient ou déchargeaient des navires au port de Bécancour et au port de Trois‑Rivières.

[9] Le jour de l’accident, le demandeur utilisait de l’équipement à bord du navire, notamment une des grues du navire, afin de décharger une cargaison de sel au port de Bécancour. Pendant le fonctionnement de la grue, le demandeur se trouvait dans la cabine de conduite.

[10] Alors que le demandeur faisait fonctionner la grue, celle‑ci s’est effondrée et la cabine de la grue est tombée dans la soute numéro 5. À la suite de l’effondrement, le demandeur a subi de nombreuses blessures, dont plusieurs fractures de la jambe et du pied droits. Après une période d’hospitalisation, le demandeur a suivi un traitement de physiothérapie et est ensuite retourné progressivement au travail.

[11] Du 13 août 2014 au 22 février 2016, le demandeur s’est absenté du travail, sauf pendant une période au cours de l’été 2015. À partir du 23 février 2016, le demandeur est retourné progressivement au travail, augmentant le nombre de jours travaillés par semaine. Le 4 juillet 2017, le demandeur est retourné au travail cinq jours par semaine.

[12] À la suite de l’accident, la CNESST a collaboré avec l’employeur du demandeur pour que ce dernier reçoive un équipement de protection individuelle adapté et a assumé les coûts associés à ce processus. La CNESST a également travaillé avec l’employeur du demandeur pour déterminer les tâches que ce dernier pouvait effectuer après sa blessure. À la suite des évaluations, la CNESST a déterminé que le demandeur pouvait travailler comme conducteur de chargeuse sur pneumatiques, conducteur de gerbeur ou conducteur de chariot élévateur. Actuellement, le plaignant travaille comme conducteur d’une chargeuse sur pneumatiques.

[13] Le 28 mars 2017, la CNESST a déterminé que le demandeur avait droit à 30 163,34 $ à titre d’indemnisation pour l’invalidité permanente résultant de ses blessures, y compris pour la douleur et la souffrance.

[14] La CNESST a également versé au demandeur une indemnité pour perte de revenus entre la date de l’accident et le 4 juillet 2017. Le 4 juillet 2017, date à laquelle le demandeur est retourné au travail cinq jours par semaine, la CNESST a déterminé que le demandeur pouvait occuper à temps plein l’un des trois postes mentionnés plus haut, que le salaire horaire était le même que celui que le demandeur gagnait avant l’accident, et que ce dernier avait donc la capacité de toucher la même rémunération qu’avant l’accident. Le 5 juillet 2017, la CNESST a rendu une décision selon laquelle le demandeur n’avait plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu au motif qu’un poste convenable à temps plein était disponible et que le demandeur gagnerait un salaire égal ou supérieur à celui qu’il gagnait au moment de l’accident [décision de la CNESST].

[15] Le 1er août 2017, le demandeur a déposé une demande de révision de la décision de la CNESST. Le 28 août 2017, la Direction de la révision administrative de la CNESST a rendu une décision selon laquelle le demandeur n’avait pas droit au remplacement du revenu au motif qu’il avait un emploi convenable, avec les mêmes avantages et la même ancienneté qu’avant l’accident [décision de révision de la CNESST].

[16] Le 5 septembre 2017, le demandeur a interjeté appel auprès du Tribunal administratif du travail [Tribunal]. L’appel a été retiré avant que l’affaire ne soit entendue, car le demandeur et ses employeurs ont conclu une transaction [entente de règlement] conformément aux articles 2631 et suivants du Code civil du Québec, RLRQ, c CCQ‑1991 [Code civil]. L’entente de règlement prévoyait que la décision de révision de la CNESST est définitive et exécutoire. En outre, elle prévoyait que les employeurs n’obligeraient pas le demandeur à prolonger ses quarts de travail si son état l’en empêchait. Enfin, le règlement constituait une résolution complète et définitive du différend entre le demandeur et ses employeurs.

[17] Les événements qui précèdent ne sont pas contestés. Le demandeur prétend avoir subi des dommages d’un montant supérieur à celui qu’il a reçu de la CNESST et pour lesquels il affirme que les défendeurs sont responsables.

[18] Au cours de l’audience, et aux fins de la présente requête, la demande du demandeur a été divisée en trois éléments généraux. Le premier élément consiste en sa réclamation pour perte de revenu pendant la période où la CNESST lui versait une indemnité de remplacement du revenu (du 13 août 2014 au 4 juillet 2017). Pour cette période, le demandeur réclame la différence entre ce qu’il a reçu de la CNESST et ce qu’il prétend qu’il aurait gagné, n’eût été l’accident. Ce premier élément de la demande n’est pas en cause dans la présente requête.

[19] En ce qui concerne le deuxième élément de la demande, le demandeur réclame des dommages‑intérêts pour invalidité permanente en sus des 30 163,34 $ versés par la CNESST. Ce deuxième élément de la demande n’est pas en cause dans la présente requête.

[20] Le troisième élément de la demande et celui qui est en cause dans la présente requête en jugement sommaire est la demande du demandeur pour la perte de revenus à partir du 5 juillet 2017. Les défendeurs font valoir que la décision de révision de la CNESST est définitive et exécutoire sur la question de la perte de revenus et de la diminution de la capacité de gain future à partir du 5 juillet 2017. Les défendeurs soutiennent qu’un décideur administratif a examiné cette cause d’action précise et la même demande de dommages‑intérêts, et a conclu qu’il n’y avait pas eu de perte de salaire après le 4 juillet 2017. En conséquence, les défendeurs soutiennent que 1) le demandeur est empêché par une fin de non‑recevoir de demander le réexamen de cette question (préclusion découlant d’une question déjà tranchée), et 2) subsidiairement, que le réexamen de cette question à la lumière de la décision de révision de la CNESST est un abus de procédure.

[21] Le demandeur soutient que les principes de common law de la préclusion, de la chose jugée et de l’abus de procédure ne s’appliquent pas à la présente procédure. C’est plutôt le concept de droit civil de chose jugée (res judicata), codifié à l’article 2848 du Code civil, qui s’applique en vertu de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Wärtsilä. Le demandeur soutient que, de toute façon, ni les critères de l’article 2848 du Code civil ni les principes de common law n’ont été respectés en l’espèce. En outre, le demandeur fait valoir que la décision de révision de la CNESST ne l’empêche pas de chercher à recouvrer des dommages‑intérêts auprès des défendeurs en droit devant la Cour. Enfin, le demandeur conteste le caractère approprié de la présente requête à ce stade de la procédure et réclame ses dépens sur la base avocat‑client.

III. Critère en matière de requête en jugement sommaire

[22] Le jugement sommaire a pour objet de permettre à la Cour de disposer sommairement d’affaires qui ne devraient pas se rendre à procès en raison du fait qu’elles ne soulèvent aucune véritable question litigieuse, et d’épargner ainsi les ressources judiciaires et améliorer l’accès à la justice (Milano Pizza Ltd c 6034799 Canada Inc, 2018 CF 1112 au para 25 [Milano Pizza]; Canmar Foods Ltd c TA Foods Ltd, 2021 CAF 7 au para 23 [Canmar Foods]; Manitoba c Canada, 2015 CAF 57 aux para 15 à 17; Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7 [Hryniak] au para 34).

[23] Le jugement sommaire est « un outil utile pour éliminer les demandes et les défenses fallacieuses », qui ne devrait toutefois « pas priver une partie de son droit à un procès, à moins qu’il ne soit clairement démontré qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse, par rapport à la demande ou à la défense, que le juge doit trancher. » (Oriji c Canada, 2006 CF 1539 au para 31 [Oriji]). Récemment, la Cour d’appel fédérale a déclaré dans l’arrêt Canmar Foods que le paragraphe suivant de l’arrêt de la Cour suprême Canada (Procureur général) c Lameman, 2008 CSC 14, résume bien la justification et l’objectif des jugements sommaires :

[23] […] La règle du jugement sommaire sert une fin importante dans le système de justice civile. Elle permet d’empêcher les demandes et les défenses qui n’ont aucune chance de succès de se rendre jusqu’à l’étape du procès. L’instruction de prétentions manifestement non fondées a un prix très élevé, en temps et en argent, pour les parties au litige comme pour le système judiciaire. Il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et avantageux pour les parties, que les demandes qui n’ont aucune chance de succès soient écartées tôt dans le processus. Inversement, la justice exige que les prétentions qui soulèvent de véritables questions litigieuses susceptibles d’être accueillies soient instruites. (Lameman, au para 10)

[24] L’article 215 des Règles exige que la Cour rende un jugement sommaire si elle est convaincue qu’il « n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense ». Le critère à appliquer pour une requête en jugement sommaire ne consiste pas à savoir si une partie a des chances d’obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer « si l’affaire est clairement sans fondement » (Canmar Foods, au para 24) ou « si l’affaire est douteuse au point de ne pas mériter d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès » (Oriji, au para 35; Milano Pizza, au para 33; Conseil Kaska Dena c Canada, 2018 CF 218 au para 21 [Kaska]; Canmar Foods, au para 24). Ainsi, il « faut éviter les délais et les frais liés à un procès dans les cas où les demandes ne sont manifestement pas fondées » (Oriji, au para 35).

[25] Manifestement, il ressort du critère qui précède « qu’il incombe au requérant un lourd fardeau » (Canmar Foods, au para 24). Il incombe à la partie requérante de démontrer qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse. Toutefois, l’article 214 des Règles exige que la partie qui répond à une requête en jugement sommaire énonce les faits précis et produise des éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse. En d’autres termes, bien que le fardeau incombe aux défendeurs dans la présente affaire, les deux parties sont tenues de présenter leurs meilleurs arguments (Canmar Foods, au para 27; Milano Pizza, au para 34; Oriji, au para 33).

[26] Il est bien établi que les affaires comportant des questions importantes concernant la crédibilité ne devraient pas être tranchées sur requête en jugement sommaire. Comme l’explique la juge Mactavish dans Milano Pizza :

[37] […] En règle générale, le juge qui entend et observe le témoignage principal et le contre‑interrogatoire des témoins est mieux à même d’apprécier leur crédibilité et de tirer des inférences que le juge qui doit uniquement se fonder sur des affidavits et des éléments de preuve documentaires. […]

[38] En l’absence de témoignages de vive voix, le juge des requêtes qui est saisi d’une véritable question litigieuse ne peut pas apprécier la crédibilité de la façon appropriée ou encore examiner à fond la preuve et la soupeser. […] Par conséquent, les litiges devraient faire l’objet d’un procès lorsqu’il existe des questions sérieuses quant à la crédibilité des témoins […] (renvois omis).

[27] Cela dit, l’existence d’une apparente contradiction dans la preuve n’empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire, mais les juges doivent « se pencher de près » sur le fond de l’affaire et décider s’il y a des questions de crédibilité à trancher (Milano Pizza, au para 39; Oriji, au para 32). Enfin, je garde à l’esprit les directives fournies par la juge Mactavish quant au devoir de diligence et de prudence qui s’impose dans le cadre de l’examen d’une requête en jugement sommaire :

[40] Lorsqu’il statue sur ce point, le juge des requêtes doit faire preuve de prudence puisque le prononcé d’un jugement sommaire fera en sorte que la partie ne pourra pas présenter de preuve à l’instruction au sujet de la question litigieuse. Autrement dit, la partie qui répond à une requête et qui n’a pas gain de cause perdra « la possibilité de se faire entendre en cour » : (renvois omis).

(Milano Pizza, au para 40; voir aussi Source Enterprise Ltd c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 966 au para 21)

IV. Droit applicable

[28] Comme il est indiqué ci‑dessus, la demande du demandeur est fondée sur le droit maritime canadien. Les parties sont toutefois en désaccord quant au droit applicable à la question de l’incidence, le cas échéant, de la décision de révision de la CNESST concernant la demande pour perte de revenus à partir du 5 juillet 2017. Les défendeurs soutiennent que c’est la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et l’abus de procédure qui sont applicables, alors que le demandeur se tourne vers l’article 2848 du Code civil pour la chose jugée (res judicata) et l’abus de procédure codifié aux articles 51 et suivants du Code de procédure civile du Québec, RLRQ, c C‑25.01 [Code de procédure civile].

[29] Le demandeur soutient qu’à la suite de l’arrêt Wärtsilä, en l’absence d’une loi ou d’un règlement fédéral promulgué qui réglemente un aspect d’une décision en vertu du droit maritime canadien, ce sont les dispositions du Code civil ou de toute autre loi provinciale qui s’appliqueront (Wärtsilä, aux para 103 à 106). Étant donné que l’accident a eu lieu dans la province de Québec et qu’il avait obtenu une indemnisation des travailleurs de la CNESST, le demandeur fait valoir que les principes codifiés dans le Code civil et le Code de procédure civile s’appliquent à la question de l’incidence, le cas échéant, de la décision de révision de la CNESST sur la partie de la réclamation visant la perte de revenus à partir du 5 juillet 2017. Il en est ainsi, selon le demandeur, même si la demande pour perte de revenus est fondée sur le délit de négligence en droit maritime.

[30] Le demandeur soutient que les [traduction] « nuances apportées par les juges à la doctrine de common law de la préclusion » peuvent s’appliquer dans d’autres affaires, mais pas lorsqu’il s’agit d’une [traduction] « affaire provenant du Québec et concernant une question de droit maritime canadien ». Au cours de l’audience, le demandeur a déclaré que, bien que cela soit regrettable du point de vue de l’uniformité du droit maritime canadien, il est maintenant établi en doit qu’une affaire maritime qui touche le Québec sera traitée différemment d’une affaire maritime ailleurs au Canada.

[31] Les défendeurs contestent l’interprétation que donne le demandeur de l’arrêt Wärtsilä. Ils soutiennent que dans l’affaire Wärtsilä, la Cour suprême a traité d’une question contractuelle alors que la présente affaire est fondée sur le délit de négligence dans le contexte maritime. Les défendeurs soulignent que la Cour suprême a reconnu dans l’arrêt Wärtsilä que la négligence en matière maritime est au cœur du pouvoir fédéral sur la navigation et les bâtiments ou navires et a souligné l’importance de l’uniformité et de la cohérence dans ce domaine :

[96] Dans l’arrêt Succession Ordon, la Cour a jugé que le contenu essentiel de la navigation et des bâtiments ou navires englobait les questions de négligence en matière maritime. Comme l’ont expliqué les juges Iacobucci et Major, la négligence en matière maritime est au cœur de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires parce qu’il est essentiel d’établir un ensemble cohérent et uniforme de règles particulières afin de réglementer la conduite de ceux qui exercent des activités maritimes :

Cette règle plus générale de l’inapplicabilité constitutionnelle des lois provinciales est essentielle pour répondre aux questions constitutionnelles en cause dans les présents pourvois. Les règles relatives à la négligence du droit maritime sont un élément du contenu essentiel de la compétence du Parlement sur le droit maritime. L’établissement de la norme applicable, des éléments et des conditions en matière de responsabilité pour négligence des navires ou des personnes qui en répondent est depuis longtemps un aspect essentiel du droit maritime, et l’attribution au fédéral de la compétence exclusive sur la navigation et les expéditions par eau visait sans aucun doute à exclure la compétence provinciale sur les règles relatives à la négligence, entre autres matières maritimes. Comme nous le verrons plus loin, de solides raisons militent en faveur de l’uniformité des règles relatives à la négligence en droit maritime canadien. De plus, les règles et principes spéciaux applicables en matière d’amirauté régissent la question de la négligence sur les eaux d’une façon particulière, s’attachant à la « bonne navigation » et à d’autres questions proprement maritimes. Les règles relatives à la négligence du droit maritime peuvent être considérées comme une partie intégrante de ce qui constitue la « spécificité fédérale » du droit maritime, pour reprendre l’expression employée par le juge Beetz dans Bell Canada. [Référence omise; paragraphe 84.]

[32] Les défendeurs distinguent les faits de l’espèce de ceux de l’affaire Wärtsilä et soutiennent qu’il s’agit d’une question concernant les règles de droit relatives à la négligence en matière maritime qui ne devrait pas être limitée comme le soutient le demandeur (Wärtsilä, para 96 et 97). Les défendeurs soutiennent que l’uniformité est essentielle, car l’équipement du navire aurait pu facilement être utilisé pour décharger du sel dans des ports hors Québec, comme ceux de l’Ontario. De plus, les défendeurs soutiennent que les éléments de cette demande ne sont pas tous liés au Québec. Ils soulignent que le navire est un navire battant pavillon maltais, que ses propriétaires sont constitués en une société monrovienne, que ses exploitants sont situés au Pirée et que l’entretien du navire a eu lieu à l’extérieur du Québec. Par conséquent, les défendeurs soutiennent que ni le Code civil ni le Code de procédure civile ne s’appliquent.

[33] Je reconnais que le paysage de l’analyse constitutionnelle en ce qui concerne le droit maritime canadien a peut‑être quelque peu changé à la suite de l’arrêt Wärtsilä, mais certainement pas dans la mesure où le demandeur le prétend. On ne peut pas dire qu’à la suite de l’arrêt Wärtsilä, tout le droit maritime canadien non statutaire est relégué aux oubliettes de l’histoire si une affaire a un lien avec le Québec.

[34] La Cour suprême a réaffirmé dans l’arrêt Wärtsilä que « [l]a compétence du Parlement sur la navigation et les bâtiments ou navires, et en conséquence la portée du droit maritime canadien, est vaste » (para 5). Les juges majoritaires ont confirmé que le droit maritime canadien est un ensemble complet de règles de droit, uniformes partout au Canada, dont l’objet est de régir toutes les demandes en matière maritime et d’amirauté, sous réserve seulement de la portée de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires prévue au paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 (para 9), tout en reconnaissant qu’un texte législatif provincial valide pourra avoir des effets accessoires sur un chef de compétence fédérale, comme la navigation et les bâtiments ou navires, à moins qu’il soit conclu que la doctrine de l’exclusivité des compétences ou celle de la prépondérance fédérale s’applique (para 87 et 88).

[35] Avant d’examiner plus en détail l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Wärtsilä, il est utile d’aborder brièvement la définition du droit maritime canadien donnée au paragraphe précédent. Le droit maritime canadien est un ensemble vaste et complet de lois fédérales. Comme l’a noté la Cour suprême, le droit maritime canadien est issu du droit maritime anglais dont l’application relevait de la Haute Cour d’amirauté d’Angleterre jusqu’en 1874, pour ensuite relever de la Haute Cour de justice (Wärtsilä, au para 11). Bien que l’on ait tendance à faire référence aux cours d’amirauté et à la juridiction d’amirauté, le droit maritime canadien contemporain (et le terme droit maritime en général) a une portée beaucoup plus large que les domaines traditionnellement abordés par le droit de l’amirauté (Chircop A. et al., Canadian Maritime Law, 2e éd. (2016) Irwin, à la page 1 [Canadian Maritime Law]).

[36] Bien que le droit maritime canadien soit enraciné dans le droit maritime anglais, il serait inexact de l’assimiler à la common law (Wärtsilä, au para 12). Le droit maritime anglais s’est développé dans un contexte anglais depuis le 14e siècle. Cependant, [traduction] « le droit était fortement de nature civile, malgré de fortes influences de la common law » (Canadian Maritime Law, à la page 168). Le droit dont l’application relevait de la Haute Cour d’amirauté était distinct de la common law générale d’Angleterre, et les sources de droit civil et le droit comparé ont joué un rôle important dans l’évolution du droit maritime (QNS Paper Co c Chartwell, [1989] 2 RCS 683 [Chartwell] à la page 715, selon la juge L’Heureux‑Dubé dans ses motifs concordants). En effet, jusqu’en 1858, la plaidoirie devant la Cour d’amirauté d’Angleterre était réservée aux docteurs en droit civil (Canadian Maritime Law, à la page 168).

[37] Le corps de règles qui constitue le droit maritime canadien est issu d’une longue tradition internationale qui s’inspire en grande partie de la common law et du droit civil (Chartwell, pages 691 et 692, selon la juge McLachlin dans ses motifs concordants; voir aussi l’arrêt Wärtsilä, au para 19; Succession Ordon c Grail, [1998] 3 RCS 437 [Succession Ordon] au para 71). Il est également de nature internationale et doit être interprété dans le contexte moderne du commerce et de la navigation (Chartwell, pages 691 et 692, selon la juge McLachlin dans ses motifs concordants). L’importance de l’uniformité entre les juridictions en matière maritime est reconnue depuis longtemps (Succession Ordon, aux para 71 et 79; Wärtsilä, aux para 55 et 56).

[38] En fin de compte, il ne saurait y avoir de réponse simple à la question de savoir ce qu’est le droit maritime canadien. Les sources du droit maritime canadien ont été résumées dans Canadian Maritime Law, et comprennent :

[TRADUCTION]

· Les lois fédérales, notamment la Loi sur les Cours fédérales, l’Admirality Act 1890 et l’Admirality Act 1934, et toute autre loi de droit maritime adoptée par le Parlement du Canada, comme la Loi sur la marine marchande du Canada de 2001 et la Loi sur la responsabilité en matière maritime;

· La jurisprudence, notamment la jurisprudence des tribunaux anglais jusqu’en 1934, la jurisprudence des tribunaux canadiens avant 1934 et depuis lors, à la fois fédérale et provinciale;

· Les principes du droit civil et de common law qui peuvent être jugés applicables par les tribunaux à la suite d’une méthodologie comparative dans un contexte de droit maritime;

· Les conventions de droit maritime international.

(à la page 173).

[39] Dans les arrêts Succession Ordon et Wärtsilä, la Cour suprême a souligné que le droit maritime canadien a des sources qui sont à la fois législatives et non législatives, nationales et internationales, de common law et civilistes, et que ces sources comprennent, mais sans s’y restreindre, à la fois les règles et principes spéciaux applicables en matière d’amirauté ainsi que les règles et principes appliqués aux affaires d’amirauté, tels qu’ils étaient appliqués en Angleterre, et qui ont depuis lors été modifiés par le Parlement canadien et se sont développés jusqu’à ce jour au gré de la jurisprudence (Wärtsilä, au para 21; Succession Ordon, au para 75).

[40] Pour en revenir à l’affaire Wärtsilä, la question centrale était de savoir si un fabricant et fournisseur de moteurs marins, Wärtsilä Nerderland B.V. et sa division canadienne [Wärtsilä Canada], était en droit d’invoquer la clause de limitation de responsabilité figurant dans son contrat avec Transport Desgagnés Inc. [TDI]. TDI avait acheté des pièces de moteur pour l’un de ses navires. Plusieurs années après l’installation des pièces, le moteur est tombé en panne, causant des pertes et des dommages. La question en appel était de savoir si c’était le droit maritime canadien ou le Code civil qui régissait la demande de nature contractuelle présentée par TDI. La clause de désignation du droit applicable dans le contrat prévoyait que le contrat était régi par les « lois en vigueur à l’endroit où est établi le siège social du fournisseur », ce que le juge de première instance a interprété comme désignant la place d’affaires de Wärtsilä Canada à Montréal, au Québec (au para 6).

[41] La majorité de la Cour suprême a déclaré que l’analyse constitutionnelle n’était nécessaire dans Wärtsilä que parce que « la clause de désignation du droit applicable dans le contrat (clause 15.1) ne précise pas lequel du droit maritime canadien ou du droit civil québécois régit le contrat » (para 6). De l’avis de la majorité, nonobstant le fait que la vente de pièces de moteur de navire destinées à un bâtiment commercial était régie par le droit maritime canadien, l’article du Code civil relatif aux garanties dans les contrats de vente (article 1733) visait également la même situation factuelle qui présentait ainsi un double aspect (para 5). Le fait que le droit maritime canadien s’étendait à la question en cause ne signifiait pas que la règle provinciale chevauchante, l’article 1733 du Code civil, ne pouvait tout aussi valablement régir la vente (para 80 et 81).

[42] La majorité a souligné qu« un texte législatif provincial valide pourra avoir des effets accessoires sur un chef de compétence fédérale — en l’occurrence la navigation et les bâtiments ou navires — à moins qu’il soit conclu que la doctrine de l’exclusivité des compétences ou celle de la prépondérance fédérale s’applique » (para 87). La majorité a conclu que la question contractuelle soulevée dans l’affaire ne touchait pas au contenu essentiel du chef de compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires. La majorité a, en conséquence, refusé d’appliquer la doctrine de l’exclusivité des compétences de façon à rendre l’article 1733 du Code civil inapplicable à l’affaire (para 5, 94 et 97). En examinant la question de l’exclusivité des compétences, la majorité, dont les défendeurs invoquent l’avis, a affirmé que la négligence en matière maritime est au cœur de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires parce qu’il est essentiel d’établir un ensemble cohérent et uniforme de règles particulières afin de réglementer la conduite de ceux qui exercent des activités maritimes (para 96).

[43] La majorité a distingué les questions contractuelles soulevées par la demande de TDI des questions de négligence en matière maritime. La majorité a noté que les parties averties qui ont conclu un contrat de vente d’équipement auraient pu déterminer à l’avance quel « ensemble de règles fédérales adaptées aux réalités pratiques des joueurs commerciaux dans le secteur maritime » (c’est‑à‑dire le droit maritime canadien) s’appliquait à leur contrat (para 97). De même, « si les parties avaient désigné expressément le C.c.Q. dans la clause de leur contrat portant sur la détermination du droit applicable, il n’aurait fait aucun doute que celui‑ci régirait le présent litige et aucune analyse sur le partage des compétences ne serait nécessaire » (au para 97). La majorité a expliqué son raisonnement comme suit :

[97] […] Comme l’a écrit le juge en chef Laskin dans l’arrêt Tropwood, il est en effet possible que, dans l’exercice de sa compétence concurrente sur les affaires maritimes, la Cour fédérale doive appliquer le droit étranger choisi par contrat (p. 166‑167). À notre avis, il ressort clairement de ce qui précède que, contrairement à ce qui était nécessaire pour la négligence en matière maritime, il n’est pas essentiel à l’exercice de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires qu’un seul ensemble de règles de droit — le droit maritime canadien — réglemente ces contrats […].

[44] Comme l’a noté la majorité, la Cour fédérale peut appliquer le droit étranger dans l’exercice de sa compétence concurrente en matière maritime, et donc par extension le droit provincial également. L’application du droit provincial, lorsqu’il existe une situation factuelle qui présente un double aspect et relève aussi du droit maritime canadien, n’écarte pas la compétence de la Cour fédérale.

[45] En l’espèce, non seulement s’agit‑il de questions de négligence en matière maritime qui touchent au contenu essentiel du chef de compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires, mais le demandeur et les défendeurs n’avaient pas de relation contractuelle, qui aurait ouvert la porte, pour ainsi dire, à la possibilité qu’un autre corps de règles soit applicable.

[46] En ce qui concerne la question de la prépondérance fédérale, la majorité a décliné l’invitation de Wärtsilä Canada à « rendre inopérant l’art. 1733 C.c.Q. en raison de son incompatibilité avec la règle contenue dans la Sale of Goods Act, 1893 (R.‑U.), 56 & 57 Vict., c. 71, qui permet de limiter la responsabilité du vendeur » (para 103). La majorité a rejeté la position de Wärtsilä Canada voulant que « les règles contenues dans les lois anglaises puissent avoir prépondérance sur des lois provinciales valides seulement parce qu’elles ont été appliquées par les cours d’amirauté canadiennes ou anglaises jusqu’en 1934 » (para 103). La majorité a conclu que l’article 1733 du Code civil était opérant et régissait le litige, l’emportant sur le droit maritime canadien non statutaire invoqué par Wärtsilä Canada (para 103 à 106). En concluant ainsi, la majorité a exprimé des réserves quant à l’argument de Wärtsilä Canada selon lequel l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, décrivant le contenu substantiel du droit maritime canadien, dont une grande partie est non statutaire, avait pour effet de conférer au droit maritime canadien, dans son ensemble, préséance sur les lois provinciales (para 104). La majorité a déclaré ne pas pouvoir « inférer de l’exercice par le Parlement de sa compétence dans un domaine particulier que celui‐ci a l’intention d’occuper exclusivement tout le champ, s’il n’y a aucun texte de loi clair à cet effet » et conclu que, par conséquent, l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales ne déclenchait pas l’application de la doctrine de la prépondérance de la façon dont l’avait suggéré Wärtsilä.

[47] La partie de l’arrêt Wärtsilä sur laquelle s’appuie le demandeur correspond à l’analyse par la majorité de l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale. En particulier, il est question des déclarations selon lesquelles les règles du droit maritime canadien non statutaires ne déclenchent pas l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale de manière à empêcher l’application d’une loi provinciale valide ou à l’emporter sur celle‑ci (para 101, 103, 106).

[48] Il faut faire preuve de prudence quant aux déclarations de la majorité, faites dans le contexte du rejet des arguments de Wärtsilä Canada sur la prépondérance fédérale, et à leur extrapolation pour une application plus large. En effet, une grande partie du droit maritime canadien est non statutaire. On ne peut cependant pas dire que les questions maritimes telles que le sauvetage, l’avarie commune, les chartes‑parties, pour n’en nommer que quelques‑unes, doivent maintenant être régies par le droit statutaire provincial. Tout texte législatif de ce genre peut soulever des questions quant au pouvoir constitutionnel de légiférer dans un domaine exclusivement fédéral.

[49] Je ne reproche pas aux parties de chercher à obtenir l’application de la loi qui leur procure un avantage ou renforce leur position dans un litige. Des auteurs de doctrine ont noté que les déclarations de la Cour suprême dans l’arrêt Wärtsilä ont entraîné une certaine incertitude quant à l’application de certains domaines du droit maritime canadien (Raymer, E. « Provincial rather than maritime law applies to marine engine contract: SCC », 28 novembre 2019, Canadian Lawyer Magazine, en ligne; Fernandes, R. « Uniformity of Canadian Maritime Law Takes a Hit », 7 décembre 2019, Fernandes Hearn LLP en ligne; Pollack G. « Transport Desgagnés c. Wärtsilä Canada : le droit maritime canadien change de cap », 4 décembre 2019, Davies Ward Phillips & Vineberg LLP en ligne; Harrington, S. « Transport Desgagnes Inc v Wärtsilä Canada Inc. A Case Comment », décembre 2019, l’Association canadienne de droit maritime, en ligne; Constantine D. « Provincial Law Voids Limitations of Liability in Contract for Ship’s Engine Parts », January 7, 2020, Stewart McKelvey LLP online; Kazaz, C. « Vente de pièces de moteur de navire : la CSC se prononce sur la limitation de responsabilité », 4 décembre 2019, Blake, Cassels & Graydon LLP, en ligne). Naturellement, une telle incertitude encourage à la fois le sondage des tribunaux et les débats sur le droit applicable. Néanmoins, la Cour ne devrait pas permettre aux vagues d’incertitude de se propager par une application sans restriction des énoncés formulés dans l’arrêt Wärtsilä, sans tenir soigneusement compte de leur contexte et de la ratio decidendi réelle de l’arrêt Wärtsilä.

[50] Je conclus donc que l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Wärtsilä n’a pas pour effet de rendre les doctrines de l’autorité de la chose jugée et de l’abus de procédure, codifiées dans le Code civil et le Code de procédure civile, applicables à l’élément de la demande du demandeur pour négligence en matière maritime, qui est en cause dans la présente requête. Les règles de droit applicables trouvent leurs origines dans le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et dans celui de l’abus de procédure.

[51] La préclusion découlant d’une question déjà tranchée a été examinée et appliquée par notre Cour à de nombreuses reprises dans le contexte des requêtes en jugement sommaire (Oriji; Apotex Inc c Merck & Co, 2002 CAF 210; Google LLC c Sonos Inc, 2021 CF 1462) et dans le contexte des affaires maritimes (Fingad Shipping Ltd c Ningbo Arts & Crafts Imp & Exp Co Ltd, 2015 CF 851; Banque Royale du Canada c Seamount Marine Ltd, 2019 CF 1043; Offshore Interiors Inc c Worldspan Marine Inc, 2016 CF 27; Canpotex Shipping Services Limited c Marine Petrobulk Ltd, 2019 CF 89).

[52] La doctrine de l’abus de procédure, invoquée par les défendeurs, est bien établie dans la jurisprudence de la Cour. En common law, les juges disposent, pour empêcher les abus de procédure, d’un pouvoir discrétionnaire résiduel inhérent (Toronto (Ville) c S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 [Toronto City] au para 35; Oriji, au para 63). La Cour est habile à réguler les instances dont elle est saisie et à remédier aux abus de procédure réels ou potentiels en raison de sa plénitude de compétence (Fabrikant c Canada, 2018 CAF 171). Cette doctrine permet à la Cour d’empêcher le réexamen d’une question lorsque la même question a déjà été tranchée (Oriji, aux para 63 et 64; Lebrasseur c Canada, 2011 CF 1075 au para 36). La doctrine de l’abus de procédure est également un motif pour ordonner la radiation d’un acte de procédure lorsqu’il y a chose jugée (alinéa 221f) des Règles; Beattie c Canada, 2001 CAF 309).

[53] Enfin, l’application de l’arrêt Wärtsilä a été invoquée par les parties dans le contexte de l’objet de la demande (c’est‑à‑dire la négligence en matière maritime) et a donc été analysée en conséquence. Il a été reconnu à l’audience que les questions de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’autorité de la chose jugée sont des questions de droit substantiel et doivent donc être tranchées conformément au droit applicable à l’action (le droit maritime canadien), bien que, selon le demandeur, cet aspect de l’affaire appelle l’application du Code civil sur le fondement de l’arrêt Wärtsilä.

[54] Cela mis à part, je voudrais ajouter, en ce qui concerne l’examen de la question sous un angle différent, que je ne suis pas disposée à conclure que l’arrêt Wärtsilä a une application d’une portée telle qu’il a préséance sur la plénitude de compétence de la Cour pour traiter les abus réels ou potentiels de sa procédure dans le contexte d’une affaire maritime. En outre, je ne considère pas que les questions soulevées dans la présente requête justifient l’application de l’article 4 des Règles, communément appelé « règle des lacunes », qui permet à la Cour de combler une lacune de nature procédurale par renvoi à la pratique d’une cour supérieure de la province. Dans la mesure où il est possible de juger que les questions soulevées par les parties sont de nature procédurale, je ne puis conclure qu’il existe une lacune qui permettrait, d’un point de vue procédural, le renvoi en l’espèce à la pratique de la Cour supérieure du Québec.

V. Analyse

[55] Les parties s’entendent pour dire que l’indemnisation accordée par la CNESST a une incidence sur l’action du demandeur contre les défendeurs. Que le demandeur obtienne ou non gain de cause, l’indemnisation reçue de la CNESST est un facteur dont il faut tenir compte.

[56] Les parties sont toutefois en désaccord sur l’incidence de la décision de révision de la CNESST, tant en fait qu’en droit, sur le volet de la demande du demandeur qui est en cause dans la présente requête. Cet élément consiste à déterminer si le demandeur a subi une perte de revenus et une diminution de la capacité de gain futur à partir du 5 juillet 2017 en raison de la négligence alléguée des défendeurs. En outre, les parties sont en désaccord quant à l’incidence sur le présent différend de l’entente de règlement entre le demandeur et ses employeurs, et les termes utilisés dans cette entente.

[57] Les défendeurs soutiennent que la CNESST a déterminé, tant dans la décision initiale que dans la décision de révision, que le demandeur n’a pas subi de perte de revenus après le 4 juillet 2017. Il font par conséquent valoir que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique en ce qui concerne la décision de révision de la CNESST, de sorte que la question ne saurait être remise en cause devant notre Cour. Les défendeurs soutiennent que les trois critères relatifs à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont remplis, à savoir : 1) que la même question ait été décidée; 2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion soit finale; et 3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la préclusion est soulevée, ou leurs ayants droit (Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44 [Danyluk] au para 25). Quant au dernier critère de réciprocité, les défendeurs soutiennent qu’il est rempli lorsqu’il existe un degré suffisant d’intérêt entre les parties (Danyluk, au para 60), à savoir les défendeurs et les employeurs du demandeur. Subsidiairement, les défendeurs soutiennent qu’il convient d’appliquer la doctrine de l’abus de procédure pour empêcher la réouverture d’un litige dans des circonstances telles que celles‑ci où les exigences strictes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, et plus particulièrement les exigences de confidentialité et de réciprocité, n’ont pas été respectées (Toronto City, au para 37; Oriji, aux para 63 et 64).

[58] Selon les défendeurs, le fait que l’expert du demandeur ait utilisé une méthodologie de calcul des revenus futurs plus favorable au demandeur que celle utilisée par la CNESST n’enlève rien au caractère définitif et exécutoire de la décision de révision de la CNESST. Les défendeurs soutiennent qu’il n’existe aucune preuve que la procédure devant la CNESST a été limitée ou restreinte de quelque manière que ce soit. En d’autres termes, les défendeurs affirment que le demandeur cherche de manière inappropriée à avoir une seconde chance (Danyluk, au para 18).

[59] Les défendeurs soutiennent que la CNESST, un décideur spécialisé en droit administratif, a examiné les éléments matériels de ce volet de la demande du demandeur et a ensuite tranché de manière concluante la même question dont est saisie actuellement la Cour. Le demandeur avait interjeté appel de la décision de révision de la CNESST devant le Tribunal, mais il s’en est désisté avant qu’il ne soit entendu. Selon les défendeurs, l’affaire est close. Les défendeurs invoquent, entre autres, la décision Oriji, dans laquelle la juge Layden‑Stevenson a conclu que « le principe de la finalité des décisions commande, dans l’intérêt public, que les possibilités de contestations indirectes d’une décision administrative soient limitées et circonscrites, particulièrement lorsque le législateur a opté pour une procédure de contestation directe de cette décision, à l’intérieur de paramètres définis. » (para 65).

[60] Le demandeur ne conteste pas le caractère définitif de la décision de révision de la CNESST. Il soutient toutefois que, pour diverses raisons, la décision ne l’empêche pas de présenter une demande pour perte de revenus subie à partir du 5 juillet 2017. Le demandeur affirme que l’analyse de la CNESST reposait sur un fondement plus étroit, qu’elle n’avait pas pris en compte les mêmes facteurs et qu’elle n’englobait pas ce que le demandeur réclame maintenant. En d’autres termes, la position du demandeur est que sa demande pour perte de revenus a une portée plus large en vertu du droit maritime canadien que celle examinée en vertu du processus de la CNESST. Le demandeur compare le régime de la CNESST à un régime d’assurance, qui indemnise les demandeurs, mais qui ne couvre pas toutes leurs pertes. Le demandeur s’appuie sur son affidavit, un rapport d’expert daté du 12 juin 2019, et le libellé de l’entente de règlement pour faire valoir qu’il a subi une perte de revenus après le 4 juillet 2017, perte qui continuera de se produire, malgré la décision de révision de la CNESST.

[61] Le demandeur soutient en outre que de toute façon, les défendeurs n’étaient pas parties à la procédure de la CNESST et n’y ont pas participé. Le demandeur soutient également que l’entente de règlement, qui prévoyait le désistement de l’appel devant le Tribunal, était intervenue entre le demandeur, ses employeurs et son représentant syndical. Les défendeurs étaient, de l’avis du demandeur, des tiers à cette transaction et n’étaient donc pas en droit de s’appuyer sur l’une de ses conditions. Le demandeur s’appuie, entre autres, sur l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Danyluk pour affirmer que les défendeurs, tiers aux procédures antérieures, cherchent à bénéficier de ces procédures même s’ils ne sont pas liés par elles :

c) La condition requérant que les parties à la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties aux procédures au cours desquelles la préclusion est plaidée, ou leurs ayants droit

[59] Cette condition garantit la réciprocité. Si elle ne s’appliquait pas, un tiers aux procédures antérieures pourrait exiger qu’une partie à celles‑ci soit considérée comme liée, dans le cadre d’une instance ultérieure, par les conclusions tirées au cours des premières procédures, alors que ce tiers, qui ne serait partie qu’à la seconde instance, ne serait pas lié par ces conclusions : Machin, précité; Minott c. O’Shanter Development Co. (1999), 42 O.R. (3d) 321 (C.A.), le juge Laskin, p. 339 à 340. […]

[62] Le demandeur affirme essentiellement qu’il n’y a pas de réciprocité comme l’exige la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et que, de toute façon, la question n’est pas la même parce que cet élément de sa demande est fondé sur le droit maritime canadien plutôt que sur la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles du Québec, RLRQ, c A‑3.001.

[63] Après un examen attentif des documents déposés par les parties, et compte tenu des observations faites par les avocats à l’audience, je ne suis pas convaincue que l’élément de la demande en cause dans la présente requête soit si manifestement sans fondement ou son succès tellement douteux qu’il ne mérite pas d’être examiné par le juge des faits lors du procès en novembre 2022 (Canmar Foods, au para 24).

[64] L’article 214 des Règles exige que la partie qui répond à une requête, en l’occurrence le demandeur, expose des faits précis et produise des éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse. Contrairement à la décision Amankwah c. Canada, 2005 CF 900, au paragraphe 10, qu’invoquent les défendeurs, le demandeur n’a pas simplement réitéré les faits allégués dans la déclaration; il a plutôt soumis des éléments de preuve sous forme d’affidavit et de rapport d’expert. La position du demandeur, vu le dossier dont dispose la Cour, n’est pas dénuée de fondement au point de ne pas mériter d’être examinée lors du procès. Comme il est indiqué à la section III des présents motifs, je suis également consciente du fait que la requête des défendeurs, si elle était accordée, priverait le demandeur de « la possibilité de se faire entendre en cour » (Milano Pizza, au para 40).

[65] Je note que la Cour d’appel met en garde que, lorsqu’il s’agit de rejeter une requête en jugement sommaire, il faut garder à l’esprit qu’il y aura un procès et rédiger les motifs strictement nécessaires (Canmar Foods, au para 26). Je me limite donc à confirmer que les défendeurs n’ont pas réussi à s’acquitter de leur fardeau, qui est lourd (Canmar Foods, au para 24), de démontrer l’absence de véritable question litigieuse au sens du paragraphe 215(1) des Règles en ce qui concerne la demande du demandeur pour la perte de revenus subie à partir du 5 juillet 2017.

[66] Par conséquent, la question de savoir si le demandeur a subi une perte de revenu et une diminution de sa capacité de gain après le 4 juillet 2017 en raison de la négligence alléguée des défendeurs sera examinée au procès. Il en va de même pour la question de l’incidence de la décision de révision de la CNESST sur la demande du demandeur pour la perte de revenus subie après le 4 juillet 2017 et pour la question de savoir si le demandeur est empêché de présenter une demande pour de telles pertes. Il n’est pas interdit aux défendeurs de faire valoir au procès, comme ils l’ont fait dans le cadre de la présente requête, que la CNESST avait raison, ou que la méthodologie utilisée par celle‑ci était justifiée et qu’aucune perte de revenu n’a été subie après le 4 juillet 2017.

[67] Il est clair que les questions soulevées par les défendeurs dans le cadre de la présente requête peuvent être soulevées au procès et les présents motifs ne sauraient être interprétés comme déterminants quant aux questions à traiter au procès. Comme les parties le savent, et sous réserve d’éventuels rajustements du calendrier des affectations, je devrais entendre cette affaire en novembre 2022.

VI. Le caractère approprié de la requête en jugement sommaire

[68] Le demandeur soutient que la question soulevée dans la présente requête ne se prête pas à un jugement sommaire, et soulève des objections quant à la durée et aux coûts liés à une telle requête alors que le procès est prévu pour novembre 2022. Le demandeur soutient qu’une telle requête si proche du procès devrait être considérée comme un abus de procédure. Par conséquent, le demandeur demande le rejet de la requête et réclame ses dépens sur la base avocat‑client.

[69] Les défendeurs soutiennent que la présente requête a été présentée après l’échange d’affidavits de documents et les interrogatoires préalables, mais avant l’achèvement de la phase de l’interrogatoire préalable de l’action et avant que la date du procès ne soit fixée. Les défendeurs soutiennent qu’il s’agit d’un moment approprié pour introduire la présente requête, étant donné qu’ils ont obtenu les documents invoqués à l’appui à la suite des engagements pris lors de l’interrogatoire préalable du demandeur. De plus, les défendeurs soutiennent avoir agi rapidement et dans le délai prescrit à l’article 213 des Règles.

[70] Il ne fait aucun doute que le moment choisi par les défendeurs pour présenter leur requête en jugement sommaire était conforme à l’article 213 des Règles, qui prévoit qu’une telle requête peut être présentée à tout moment après le dépôt de la défense, et avant que les heure, date et lieu de l’instruction soient fixés. La requête en jugement sommaire a été déposée le 10 décembre 2021. Le 25 janvier 2022, la requête a été mise au rôle et les étapes menant à l’audition de la requête ont été prévues. Le 25 mars 2022, un procès de cinq jours a été fixé au mois de novembre 2022. Par conséquent, je ne trouve pas que le moment choisi pour présenter la requête soit inapproprié.

[71] Les défendeurs n’obtiendront pas gain de cause à l’égard de leur requête. Cela ne signifie pas nécessairement que la requête était inappropriée. Si la requête avait été accueillie, la question de savoir s’il y a eu une perte de revenu et une diminution de la capacité de gain à partir du 5 juillet 2017 aurait été tranchée, ce qui aurait eu une incidence sur le reste de la communication préalable, les rapports d’experts et potentiellement la répartition du temps pendant le procès en novembre 2022. Les questions auraient été circonscrites et les parties se seraient concentrées sur les autres points en litige, à savoir, et de manière générale, la réclamation du demandeur pour un salaire supérieur à l’indemnisation fournie par la CNESST entre le 13 août 2014 et le 4 juillet 2017, et la demande visant une indemnisation supérieure à celle accordée par la CNESST pour une invalidité permanente.

[72] Les questions comme la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, la préclusion fondée sur la cause d’action, l’autorité de la chose jugée, ou l’abus de procédure, le cas échéant, se prêtent tout à fait à un examen attentif de la question de savoir si une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire serait en fait une manière proportionnée, rapide et moins coûteuse de procéder. Dans un certain nombre de cas, l’élimination des demandes relatives à ces questions tôt dans le processus est la manière appropriée de procéder et constitue une démarche avantageuse pour le système judiciaire (Canmar Foods, au para 23). Il en va de même pour les questions découlant des délais de prescription prévus par un contrat ou par la loi (Labrador‑Island Link General Partner Corporation c Panalpina Inc, 2019 CF 740; Lauzon c Canada (Agence du revenu), 2021 CF 431). Bien que la Cour joue certainement un rôle dans le contrôle du risque que de telles requêtes soient déposées de manière inappropriée pour augmenter de façon démesurée la durée et le coût des instances (Hryniak, au para 32; ViiV Healthcare Company c Gilead Sciences Canada Inc, 2021 CAF 122, aux para 22 et 23 [ViiV Healthcare]), elle a aussi un rôle à jouer en permettant à de telles requêtes d’aller de l’avant lorsqu’elles sont proportionnées et ont une chance d’être en fin de compte la façon la plus expéditive et économique possible de procéder (ViiV Healthcare, aux para 17 et 18).

[73] En l’espèce, je ne puis conclure au caractère inapproprié de la requête en jugement sommaire présentée par les défendeurs du simple fait qu’elle n’a pas été accueillie. L’objet se prête à une telle requête, et si celle‑ci avait été accueillie, elle aurait permis de circonscrire les questions en litige et de réduire le temps et les coûts associés aux prochaines étapes de la procédure. Rien dans le dossier n’indique que la requête a été déposée de manière inappropriée pour augmenter de façon démesurée la durée et le coût des instances. Je ne considère pas non plus que la requête constitue un abus de procédure, comme le prétend le demandeur. De plus, étant donné que l’affaire m’a été confiée, sous réserve toujours de changement de cap, le temps passé à me familiariser avec l’affaire et les questions qui y sont soulevées n’a pas été gaspillé.

[74] Les dépens sur une base avocat‑client ne sont adjugés que rarement, notamment lorsqu’une partie s’est conduite de manière répréhensible, scandaleuse ou outrageante (Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd c Atlantic Towing Limited, 2021 CAF 26 au para 182). Ce n’est pas le cas en l’espèce. Par conséquent, je refuse d’adjuger les dépens sur la base avocat‑client. Le demandeur a droit à des dépens calculés selon l’échelon médian de la colonne III du tarif B des Règles.

VII. Conclusion

[75] Pour les motifs qui précèdent, la présente requête en jugement sommaire est rejetée, avec dépens, au motif que les défendeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer l’absence de véritable question litigieuse au sens du paragraphe 215(1) des Règles.


JUGEMENT dans le dossier T‑1080‑17

LA COUR STATUE :

  1. La requête en jugement sommaire des défendeurs est rejetée;

  2. Les dépens sont adjugés au demandeur selon l’échelon médian de la colonne III du tarif B des Règles.

« Vanessa Rochester »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1080‑17

INTITULÉ :

YVES DUVAL c LE NAVIRE SEAPACE ET LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN INTÉRÊT DANS LE NAVIRE SEAPACE ET COURTESY SHIPPING INC. ET THENAMARIS SHIP MANAGEMENT INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR vidÉoconfÉrence

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 avril 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

Le 21 avril 2022

COMPARUTIONS :

John G. O’Connor

POUR LE DEMANDEUR

Jean‑Marie Fontaine

Nigah Awj

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Langlois Gaudreau O’Connor LLP

Québec (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Borden Ladner Gervais LLP

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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