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Date : 20220509


Dossier : IMM-2433-21

Référence : 2022 CF 680

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

KAMALJIT KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Kaur, est une citoyenne de l’Inde qui a présenté une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La plupart des membres de la famille immédiate de Mme Kaur, dont ses parents, son frère et une de ses sœurs ainsi que des neveux, vivent au Canada en qualité de résidents permanents. Pour s’installer au Canada de façon permanente, elle a présenté une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en invoquant ses liens familiaux au Canada, l’intérêt supérieur de ses neveux résidant au Canada et les difficultés qu’elle rencontrerait si elle devait vivre seule en Inde, notamment en raison de son handicap physique. Un agent principal (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rejeté sa demande, décision que Mme Kaur conteste dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[2] Mme Kaur a avancé plusieurs arguments. Je conclus que la question principale est celle du traitement que l’agent a réservé à la preuve relative à la situation en Inde. L’agent a déraisonnablement conclu que Mme Kaur devait démontrer qu’elle avait été victime de discrimination ou de violence en Inde dans le passé, alors que cette preuve n’est pas requise dans le cadre de l’évaluation du facteur des difficultés liées à la situation défavorable dans le pays étranger.

[3] Pour les motifs qui suivent, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Le contexte factuel

[4] Mme Kaur a environ 47 ans, n’est pas mariée et n’a pas d’enfant. Elle a travaillé comme enseignante en Inde. La plupart des membres de sa famille immédiate, soit ses parents, son frère, une de ses sœurs, ses neveux et sa cousine (qui est sa sœur biologique), sont installés de façon permanente au Canada. Ses deux autres sœurs vivent en Inde.

[5] En raison d’une infection par le poliovirus dans son enfance, Mme Kaur a un handicap physique qui affecte sa mobilité. Jusqu’à ce que ses parents et son frère émigrent au Canada, en 2014, elle recevait quotidiennement de l’aide de sa famille pour ses déplacements et ses corvées de tous les jours. Après avoir émigré au Canada, les parents de Mme Kaur ont continué de lui rendre visite en Inde fréquemment et pour de longues périodes, mais, étant donné leur âge et leur état de santé qui se dégrade, ils ne sont plus en mesure de voyager.

[6] Les deux sœurs de Mme Kaur qui sont demeurées en Inde ne vivent pas dans le même district qu’elle. Elles ont affirmé qu’elles étaient toutes deux en voie d’immigrer aux États-Unis avec leur famille et que, d’ici là, elles ne pouvaient aider Mme Kaur au quotidien compte tenu de la distance qui les sépare et de leurs propres obligations familiales.

[7] Mme Kaur est arrivée au Canada munie d’un visa pour entrées multiples en février 2020 et est demeurée au pays; elle réside avec ses parents, sa sœur et la famille de celle-ci, ainsi que son frère et la famille de celui-ci. En juin 2020, elle a présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, demande qui a été rejetée dans une décision datée du 30 mars 2021.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[8] Comme je l’ai mentionné plus haut, la principale question en litige concerne l’appréciation par l’agent du facteur relatif aux difficultés, plus particulièrement la situation défavorable en Inde. Dans mon examen de la décision de l’agent, j’ai appliqué la norme de contrôle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme qui est présumée s’appliquer au contrôle des décisions administratives sur le fond est celle de la décision raisonnable. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

IV. Analyse

[9] L’étranger qui présente une demande de résidence permanente au Canada peut demander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin de lever des obligations prévues dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], pour des considérations d’ordre humanitaire (art 25(1)). Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], citant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1970] DCAI no 1 (1970), 4 AIA 338, la Cour suprême du Canada a confirmé que ce pouvoir discrétionnaire fondé sur des considérations d’ordre humanitaire a pour objectif d’« offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont “de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne” » (au para 21).

[10] Étant donné que l’objectif du pouvoir discrétionnaire fondé sur des considérations d’ordre humanitaire est de « mitiger la sévérité de la loi selon le cas », il n’y a pas d’ensemble limité et prescrit de facteurs justifiant une dispense (Kanthasamy, au para 19). Ceux-ci varieront selon les circonstances, mais « l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids » (Kanthasamy, au para 25; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 74-75 [Baker]).

[11] La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si l’agent a « véritablement examin[é] tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et [s’il] leur [a] accord[é] du poids » dans son évaluation des difficultés que rencontrerait Mme Kaur si elle retournait en Inde. Bien que l’agent ait reconnu que [traduction] « l’Inde était aux prises avec des problèmes de discrimination, de violence et de criminalité envers les femmes handicapées (et les femmes en général) », il a conclu que Mme Kaur n’avait pas démontré qu’elle « était exposée à un plus grand risque que les autres ». Il a déraisonnablement exigé que Mme Kaur démontre qu’elle avait été personnellement victime de discrimination ou de violence dans le passé.

[12] L’agent a indûment intégré à son analyse au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR la condition du risque personnalisé nécessaire à l’application du paragraphe 97(1), lequel exige qu’une personne soit personnellement exposée à un risque « alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas ». La Cour a relevé ce problème dans plusieurs de ses décisions : Miyir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 73 aux para 21, 29-30; Diabaté c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 129 aux para 32-33, 36; Martinez c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 69 au para 12; Marafa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 571 aux para 4-7; Quiros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1412 aux para 30-31. Étant donné qu’il a intégré cette condition à son analyse, l’agent n’a pas valablement apprécié les difficultés que Mme Kaur pourrait rencontrer à son retour en Inde. Il a souligné que Mme Kaur n’avait pas fourni [traduction] « d’exemples de discrimination, de violence ou de crime dont elle avait été victime ». La personne qui présente une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’a pas à démontrer qu’elle a été personnellement victime de discrimination ou d’un crime pour que la preuve relative à la situation dans le pays soit pertinente aux fins de l’appréciation par l’agent des difficultés qu’elle pourrait rencontrer dans l’avenir (Kanthasamy, aux para 52-56).

[13] La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Les parties n’ont soulevé aucune question de portée générale aux fins de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2433-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2433-21

 

INTITULÉ :

KAMALJIT KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 NOVEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Aman Sandhu

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Courtenay Landsiedel

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandhu Law Office

Surrey (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

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