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Date : 20220510


Dossier : IMM-428-21

Référence : 2022 CF 686

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2022

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

GIAN KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle un agent principal de l’immigration [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse. Cette demande était fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Le contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne indienne âgée de 68 ans. Elle est devenue veuve en 2018. Son fils a immigré au Canada en 2005 et est citoyen canadien, tout comme son épouse et leurs deux enfants, qui étaient âgés de dix (10) et trois (3) ans au moment de la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Depuis 2009, la demanderesse a rendu visite à son fils et à sa famille au Canada à de nombreuses reprises. Elle a obtenu un visa de résidente temporaire en octobre 2014 et est entrée au Canada pour la dernière fois en avril 2019. Elle y réside avec son fils et sa famille. Depuis 2017, le fils de la demanderesse a tenté à trois reprises de parrainer sa mère en tant que membre de la catégorie du regroupement familial en recourant, chaque fois sans succès, aux systèmes de sélections aléatoires et de quota. En septembre 2019, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a rejeté la demande dans sa décision du 14 janvier 2021.

La décision faisant l’objet du contrôle

[4] L’agent a tenu compte des considérations d’ordre humanitaire soulevées par la demanderesse, à savoir son établissement au Canada, le regroupement familial, l’intérêt supérieur de l’enfant, l’absence de soutien familial en Inde et les conditions défavorables dans le pays.

[5] L’agent a reconnu que la demanderesse s’était probablement fait des amis, même si elle n’a pas mentionné avoir noué des amitiés ou s’être engagée dans sa communauté durant les quatre années et demie qu’elle a passées au Canada. L’agent a conclu que la demanderesse est soutenue financièrement au Canada par son fils et sa belle-fille et a convenu qu’elle est donc financièrement autonome depuis son arrivée au Canada. Il a estimé que le degré d’établissement de la demanderesse était celui auquel on pourrait s’attendre d’une personne dans sa situation, et il a accordé un certain poids à ce facteur.

[6] En ce qui concerne le regroupement familial, l’agent a fait remarquer que la demanderesse pouvait garder contact avec sa famille au Canada par courrier, téléphone et Internet, et qu’elle avait déjà communiqué avec ses petits-enfants par FaceTime lorsqu’elle était en Inde. L’agent a reconnu que dans la culture indienne, les enfants s’occupent généralement de leurs parents, mais il a souligné que la séparation familiale est devenu réalité lorsque le fils et la fille de la demanderesse ont immigré au Canada et au Royaume-Uni, respectivement. La demanderesse a fait valoir que son fils pourrait plus facilement subvenir à ses besoins financiers et affectifs si elle restait au Canada, mais l’agent n’était pas convaincu que cela justifiait l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire. L’agent a également fait remarquer que le visa de résidente temporaire de la demanderesse est valide jusqu’en janvier 2023 et que rien ne prouve qu’elle ne pourrait pas continuer à visiter sa famille au Canada. Les efforts du fils de la demanderesse pour parrainer sa mère au titre de la catégorie du regroupement familial demeurent infructueux, mais les lettres de rejet de la demande de parrainage indiquent qu’il existe une autre possibilité de visites prolongées, à savoir le programme de super visa pour parents et grands-parents. L’agent a souligné que la preuve ne permettait pas de démontrer que la demanderesse ou son fils ne seraient pas admissibles au programme; dans l’intervalle, son fils pourrait continuer à demander à parrainer la demanderesse pendant qu’elle résiderait avec lui comme résidente temporaire. Dans l’ensemble, l’agent a accordé peu de poids à ce facteur.

[7] En ce qui concerne l’intérêt des petits-enfants de la demanderesse, l’agent a reconnu qu’elle a développé des relations significatives et affectives avec eux, qu’elle s’occupe d’eux lorsque leurs parents sont au travail et qu’elle leur enseigne les valeurs familiales et culturelles. Toutefois, l’agent a conclu que la demanderesse avait déjà quitté le Canada à de nombreuses reprises et que la preuve ne permettait pas de démontrer que les enfants n’arrivaient pas à s’adapter. Ils continueraient de bénéficier de l’amour et du soutien de leurs parents pendant la transition, et ceux‑ci pourraient leur transmettre les mêmes connaissances culturelles que la demanderesse puisqu’ils sont tous deux nés en Inde et qu’ils y ont passé leurs années de formation. Une relation à distance ne remplace pas la présence de la demanderesse au Canada, mais l’agent était convaincu que ses liens avec ses petits-enfants ne seraient pas rompus si elle retournait en Inde. Dans l’ensemble, l’agent a accordé un certain poids à ce facteur.

[8] Enfin, en ce qui concerne les conditions défavorables dans le pays et l’absence de soutien familial, l’agent a examiné les observations de la demanderesse sur l’insuffisance des systèmes d’aide sociale, de soins de santé et de soins aux personnes âgées en Inde. Il a souligné que la preuve ne suffisait pas à démontrer que les besoins de la demanderesse ne pourraient être satisfaits ou qu’elle serait incapable de s’occuper d’elle-même ou aurait de la difficulté à se déplacer en Inde. L’agent a également fait remarquer que la preuve ne suffisait pas à démontrer que la demanderesse serait incapable de réintégrer sa communauté ou de s’y établir à nouveau. De plus, les frères et sœurs de la demanderesse résident en Inde et rien n’indique qu’ils ne lui offriraient pas leur aide à son retour, du moins à court terme. L’agent a accordé peu de poids à ces facteurs.

[9] Dans sa conclusion, l’agent a affirmé qu’il avait évalué tous les facteurs soulevés par la demanderesse et qu’après avoir examiné sa situation et l’ensemble des documents présentés, il n’était pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire justifiaient l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

Les questions en litige et la norme de contrôle

[10] La seule question en l’espèce est celle de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

[11] Les parties soutiennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle est celle du caractère raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23 et 25). Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour doit « se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, au para 99).

Analyse

[12] L’article 25(1) de la LIPR donne au ministre le pouvoir discrétionnaire de dispenser les étrangers des exigences applicables de la LIPR s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. En l’espèce, si elle est justifiée, la dispense pour considérations d’ordre humanitaire permettrait à la demanderesse d’obtenir le statut de résidente permanente sans quitter le Canada, ce qui est normalement obligatoire pour présenter une telle demande (Titova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 654 aux para 20‑21).

[13] La jurisprudence sur cette question a établi que la dispense pour considérations d’ordre humanitaire est un recours exceptionnel et discrétionnaire qui se veut une exception souple et adaptée au fonctionnement ordinaire de la LIPR, ou un pouvoir discrétionnaire permettant de mitiger la sévérité de la loi selon le cas. L’obligation de quitter le Canada entraînera inévitablement des difficultés, mais celles-ci ne suffiront généralement pas à justifier l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1). L’article 25 ne constitue pas non plus un régime d’immigration de remplacement. Il vise plutôt à offrir une mesure à vocation équitable dans des circonstances de nature à « inciter tout[e] [personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] aux para 13, 19, 21, 23; Shackleford c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1313 aux para 12, 15, 16; Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72 au para 31; Del Pilar Capetillo Mendez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 559 au para 49).

[14] Le fardeau d’établir qu’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire est justifiée incombe au demandeur (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)), 2009 CAF 189 au para 45). Les personnes qui présentent des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire doivent présenter leurs meilleurs arguments, et il n’appartient pas à l’agent de combler les lacunes que comportent les demandes (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 341 au para 22; Brambilla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1137 au para 19; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 339 aux para 24‑37). Cela signifie que le demandeur doit présenter une preuve suffisante pour convaincre l’agent d’accorder cette mesure exceptionnelle. Ce qui justifie une dispense variera en fonction des faits et du contexte du dossier, mais l’agent appelé à se prononcer sur des considérations d’ordre humanitaire doit examiner tous les faits et facteurs pertinents portés à sa connaissance (Kanthasamy, au para 25).

[15] En l’espèce, la demanderesse conteste le caractère raisonnable de la décision de l’agent pour les quatre motifs exposés ci‑dessous.

i. La séparation des membres de la famille

[16] Premièrement, la demanderesse soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle [traduction] « la preuve ne suffisait pas à démontrer que les relations entre la demanderesse et sa famille et d’autres personnes au Canada sont telles qu’elles justifieraient l’octroi d’une dispense dans l’éventualité où une séparation devait se produire » est déraisonnable. La demanderesse affirme qu’une [traduction] « relation aussi intime que celle entre une mère et son fils ou entre une grand-mère et ses petits-enfants doit être considérée à première vue comme une relation d’interdépendance et de dépendance ». En outre, la demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte de son témoignage et des lettres de soutien de sa famille, qui démontrent qu’elle compte sur sa famille dans tous les aspects de sa vie.

[17] À mon avis, la thèse de la demanderesse est que la relation entre une mère et son fils ou une grand-mère et ses petits-enfants suffit à établir une relation d’interdépendance et de dépendance justifiant l’octroi d’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Je ne peux retenir cette thèse. Si tel était le cas, tous les parents et grands-parents pourraient se prévaloir de cette dispense. La demanderesse doit plutôt établir que sa situation personnelle est telle qu’elle justifie cette mesure exceptionnelle. L’agent a reconnu et a tenu compte du fait que la demanderesse avait soutenu qu’elle était émotionnellement dépendante de sa famille au Canada depuis le décès de son époux en 2018, et que les lettres de soutien de sa famille au Canada avaient été fournies pour démontrer sa relation étroite avec les membres de la famille.

[18] À cet égard, la demanderesse a affirmé à l’agent qu’elle était triste et déprimée après le décès de son époux, mais qu’elle s’est sentie beaucoup mieux lorsqu’elle est venue au Canada et qu’elle a vu sa famille. Elle affirme que sa belle-fille la traite comme sa propre mère, que ses petits-enfants l’occupent tellement qu’elle n’a pas le temps de penser à autre chose et qu’ils lui ont apporté beaucoup de bonheur et d’affection. Dans sa lettre, le fils de la demanderesse explique que sa mère se sentait seule après le décès de son conjoint et qu’elle avait besoin d’un soutien affectif. Elle s’est sentie mieux lorsqu’elle est venue au Canada pour habiter avec sa famille. Elle s’occupe des enfants pendant que son épouse et lui travaillent. Elle aide les enfants dans leurs études et leur enseigne l’importance de la gentillesse et des valeurs humaines. Elle leur a manqué lorsqu’elle a dû retourner en Inde pour trois mois en 2019, et ils lui ont parlé sur FaceTime deux ou trois fois par jour. La lettre de soutien de la belle-fille réitère ces propos et ajoute que les enfants ont un lien très fort avec leur grand-mère, apprécient sa compagnie et affirment qu’ils ne peuvent vivre sans elle. La lettre de l’aînée des petites-filles indique que la demanderesse et elle se promènent, jouent et rient ensemble et qu’elle s’ennuierait sans la demanderesse. Sa grand-mère l’aide également dans ses travaux scolaires, lui apprend à coudre et est une bonne cuisinière.

[19] Ces lettres de soutien ont été prises en compte par l’agent et servent à démontrer que la famille est proche et aimante. Cependant, comme l’a conclu l’agent, elles ne démontrent pas l’existence de circonstances exceptionnelles ou un niveau exceptionnel d’interdépendance. Notre Cour a conclu qu’à elle seule, la séparation entre un enfant et un membre de la famille élargie, tel qu’un grand-parent, ne justifie pas l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire. Une telle difficulté est propre aux situations où les membres d’une même famille habitent dans deux pays (Khaira c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 950 aux para 24‑25; Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 210 au para 11; Gao c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1238 aux paras 30‑31). La question de savoir si l’existence de liens familiaux au Canada justifie l’octroi d’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est tributaire des faits. L’agent n’a pas commis d’erreur en tenant compte du degré d’interdépendance et de confiance entre la demanderesse et sa famille au Canada (De Sousa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 818 au para 31).

[20] Dans sa lettre, la demanderesse a fait état de sa tristesse après le décès de son époux; or, c’est ce à quoi on peut malheureusement s’attendre dans de telles circonstances. Cependant, cette tristesse ne constitue pas une preuve de [traduction] « son état mental déclinant », comme l’a indiqué son avocat dans ses observations écrites. En effet, la demanderesse n’a fourni aucune information médicale à l’appui de sa demande de résidence permanente.

[21] L’agent a reconnu que la demanderesse manquerait à sa famille, et vice versa, et n’a pas commis d’erreur en affirmant que la séparation est l’une des conséquences inhérentes et malheureuses qui peuvent découler du processus d’immigration. L’agent a également tenu compte du fait que la demanderesse est retournée en Inde à plusieurs reprises et qu’elle a pu maintenir le contact avec sa famille grâce à FaceTime. Il a également affirmé qu’elle a conservé un dossier d’immigration irréprochable et qu’elle pourrait revenir au Canada. Elle pourrait également demander un super visa pour parents et grands-parents et son fils pourrait présenter d’autres demandes de parrainage.

[22] La demanderesse conteste l’affirmation de l’agent selon laquelle la preuve ne suffisait pas à démontrer que ses relations avec sa famille et d’autres personnes au Canada [traduction] « sont telles » qu’en cas de séparation, elles justifieraient l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire. Toutefois, il incombait à la demanderesse de démontrer que la dispense pour des considérations d’ordre humanitaire était justifiée, et j’estime que l’agent n’a pas commis d’erreur dans son analyse compte tenu du contexte, de ses motifs et des lettres d’appui. L’agent a raisonnablement conclu que la preuve n’a pas établi que l’octroi d’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire était justifié.

ii. L’atténuation des difficultés

[23] Deuxièmement, la demanderesse soutient que l’agent a déraisonnablement atténué les difficultés liées à la séparation au motif qu’il s’agissait d’une réalité propre au déménagement à l’étranger de son fils et de sa fille. Selon la demanderesse, l’agent a estimé qu’elle n’avait pas suffisamment démontré que ses besoins financiers et affectifs ne seraient pas satisfaits en l’absence de son fils; elle affirme qu’il n’a pas tenu compte du changement important dans sa vie, à savoir le décès de son époux. Elle fait valoir qu’elle se retrouverait sans soutien familial si elle devait retourner en Inde.

[24] Comme je l’ai déjà indiqué, l’agent a tenu compte du décès de l’époux de la demanderesse et de son argument selon lequel cela l’avait rendue émotionnellement dépendante de sa famille au Canada, mais il a conclu que la situation de la demanderesse et la preuve qu’elle a présentée ne justifiaient pas une dispense pour considérations d’ordre humanitaire. L’agent a ensuite reconnu que dans la culture indienne, les enfants s’occupent généralement de leurs parents et, dans ce contexte, il a fait remarquer que [traduction] « la séparation familiale est devenue réalité lorsque le fils et la fille de la demanderesse ont immigré au Canada et au Royaume-Uni, respectivement ». L’agent a également conclu que la demanderesse n’avait pas suffisamment démontré que ses besoins financiers ou affectifs n’avaient pas été satisfaits en l’absence de son fils; il a reconnu que le fils et sa famille pourraient plus facilement répondre aux besoins financiers et affectifs de la demanderesse si elle demeurait au Canada, mais il a estimé que cela ne justifiait pas l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire. Comme je l’expliquerai plus loin, l’agent a également examiné les observations de la demanderesse concernant les difficultés qu’elle vivrait à son retour.

[25] Je ne suis pas non plus d’avis que l’agent a indûment atténué les difficultés de la demanderesse en indiquant qu’IRCC l’avait informée, après le rejet de ses demandes de parrainage, qu’il existait une autre voie pour les parents et les grands-parents qui souhaitent rejoindre leur famille au Canada, à savoir le programme de super visa pour parents et grands-parents. La demanderesse a déposé la lettre d’IRCC à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a fait remarquer que le fils de la demanderesse pourrait présenter de nouvelles demandes au titre de la catégorie du regroupement familial tout en accueillant sa mère à titre de résidente temporaire malgré le rejet des demandes précédentes.

iii. Les difficultés liées au retour

[26] Selon la demanderesse, l’agent a conclu de façon déraisonnable que la preuve ne suffisait pas à démontrer que ses besoins essentiels ne seraient pas satisfaits sans l’assistance sociale ou financière du gouvernement indien, et elle affirme qu’il n’a pas tenu compte des lettres dans lesquelles sa famille et elle ont décrit les difficultés liées à son statut de veuve âgée qui vit seule en Inde.

[27] La demanderesse ne renvoie à aucun élément de preuve qui n’a pas été examiné par l’agent et qui démontre que, compte tenu de sa situation financière, elle dépendrait de l’aide gouvernementale indienne, laquelle ne suffirait pas selon elle à répondre à ses besoins de base en matière de protection sociale, de soins de santé et de soins aux personnes âgées. La demanderesse est soutenue financièrement par son fils et sa belle-fille, et rien ne montre dans le dossier qu’ils ne pourraient ou ne voudraient pas le faire si elle retournait en Inde.

[28] En ce qui concerne les difficultés liées au retour, l’agent a affirmé que la preuve ne suffisait pas à démontrer que la demanderesse est physiquement ou mentalement incapable de s’occuper d’elle-même ou qu’elle a besoin d’être surveillée. Sur ce point, la lettre de la demanderesse n’indique rien d’autre que ce qui suit : [traduction] « J’ai beaucoup de difficulté à vivre seule en Inde. J’ai besoin qu’on s’occupe de moi, car je ne peux pas être seule pour faire mes courses, aller chez le médecin ou à la banque. » L’agent a tenu compte de cet élément de preuve et l’a même cité dans ses motifs. Je souligne toutefois que la demanderesse n’a pas expliqué pourquoi elle était incapable d’accomplir ces tâches.

[29] À cet égard, l’agent a souligné que l’avocat de la demanderesse avait fait valoir que, selon des études, les personnes âgées en Inde ont du mal à s’orienter dans les rues bondées et éprouvent des difficultés en raison du manque d’infrastructures atténuant les problèmes de mobilité auxquels elles sont confrontées. Cependant, l’agent a fait remarquer que la lettre de soutien de la petite-fille de la demanderesse indique qu’elle fait des promenades avec sa grand-mère. L’agent a conclu que la demanderesse a pu se promener avec sa petite-fille dans une ville qu’elle connaît peu, et qu’elle a beaucoup voyagé à l’étranger dans le passé. Selon lui, ces éléments témoignaient de la mobilité de la demanderesse. En outre, peu d’éléments de preuve démontrent que la demanderesse a des problèmes de mobilité. Par conséquent, l’agent a accordé peu de poids à ce facteur.

[30] J’ajouterais que, dans sa lettre, la petite-fille décrit des promenades et des jeux avec la demanderesse, ainsi qu’une visite dans un parc d’attractions où la demanderesse et elle sont montées dans le manège ensemble. Elle affirme également que sa grand-mère et elle aiment les promenades et le badminton et que la demanderesse fait d’autres activités avec elle. Ces éléments de preuve n’indiquent pas que la demanderesse a des problèmes d’orientation ou de mobilité.

[31] L’agent n’a pas directement fait référence aux autres lettres d’appui, mais je conviens avec le défendeur qu’il est présumé avoir examiné les éléments de preuve dont il dispose et qu’il n’est pas tenu de tous les commenter (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CA); Sing c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125 au para 90; Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16). En outre, les autres lettres d’appui donnent peu de détails sur les difficultés que la demanderesse devrait surmonter à son retour en Inde. Par exemple, le fils de la demanderesse indique seulement [traduction] « qu’il est très difficile pour elle de vivre seule en Inde » et que « si elle reste en Inde et qu’elle éprouve des problèmes de santé ou qu’elle a besoin d’aide, [il devra] aller en Inde pour [s]’occuper d’elle ». Son fils explique qu’il estime qu’il est de son devoir de s’occuper de sa mère, mais que cela ne serait pas pratique. Par conséquent, il serait préférable qu’elle reste au Canada. De même, la belle-fille de la demanderesse indique seulement que cette dernière [traduction] « est très seule en Inde » et qu’« il est très difficile pour [elle] de vivre seule en Inde, car elle vieillit de jour en jour ».

[32] Comme le défendeur l’a souligné, la demanderesse est retournée en Inde de janvier à avril 2019. Ce retour a eu lieu après le décès de son mari, mais rien ne prouve qu’elle a eu des difficultés à se débrouiller seule pendant cette période.

[33] À mon avis, l’agent a raisonnablement conclu que les éléments de preuve présentés par la demanderesse ne permettaient pas d’affirmer qu’elle éprouverait des difficultés parce qu’elle ne peut s’occuper d’elle-même en Inde.

iv. Le volet culturel

[34] La demanderesse soutient que l’agent a manqué de bienveillance et de sensibilité dans son évaluation d’un volet culturel important. Cet argument repose sur le fait que le conseil de la demanderesse a affirmé à l’agent que le seul soutien raisonnable et culturellement approprié pour la demanderesse serait de vivre avec son fils. Le manque de sensibilité allégué découle du fait que l’agent a simplement souligné que la demanderesse retournerait dans un pays qui lui est familier, où elle a passé la majeure partie de sa vie.

[35] Toutefois, l’agent a examiné cet élément et a explicitement reconnu que les enfants s’occupent généralement de leurs parents dans la culture indienne. L’agent a soupesé ce facteur en tenant compte du fait que la demanderesse pourrait continuer à visiter sa famille au Canada, qu’elle pourrait demander un super visa et que son fils pourrait poursuivre ses efforts de son côté pour la parrainer au titre de la catégorie du regroupement familial. En d’autres termes, ce facteur ne justifie pas l’octroi d’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire, car la demanderesse peut continuer à passer de longues périodes avec sa famille au Canada. Je ne suis pas convaincu que l’agent a manqué de sensibilité dans son évaluation de cette observation.

Les autres observations

[36] Lors de sa comparution devant notre Cour, l’avocat de la demanderesse a reconnu que l’agent avait abordé les éléments de preuve présentés par sa cliente, mais il a soutenu que les motifs de l’agent étaient superficiels, segmentés, insensibles et dépourvus d’empathie. Je ne suis pas du même avis. L’agent a examiné chacune des considérations d’ordre humanitaire soulevées par la demanderesse et n’a pas manqué d’empathie à l’égard de sa situation. C’est plutôt la demanderesse, comme le soutient le défendeur, qui ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que sa situation personnelle justifiait la mesure exceptionnelle prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR.

[37] Sa situation, comme le démontrent les documents qu’elle a présentés à l’appui, correspond malheureusement à celle de nombreux parents et grands-parents qui aiment leurs enfants et petits-enfants, et vice versa, et qui préféreraient vivre avec eux au Canada. Toutefois, il ne s’agit pas d’un cas où, par exemple, la preuve démontre que la relation d’interdépendance est très forte, comme lorsqu’un enfant est malade ou qu’il a des besoins particuliers ou que les parents ne peuvent s’occuper de lui, et qu’un grand-parent lui apporte les soins supplémentaires nécessaires. Le grand-parent qui doit quitter le Canada dans ces circonstances peut se prévaloir d’une mesure exceptionnelle au titre de l’article 25 (voir Le c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 427 aux paras 18, 22).

Conclusion

[38] En conclusion, je conviens que l’obligation de quitter le Canada pour présenter une demande de résidence permanente entraînera certaines difficultés, comme c’est généralement le cas, mais j’estime que l’agent a correctement examiné les considérations d’ordre humanitaire soulevées par la demanderesse et les observations qu’elle a présentées à l’appui. L’agent a raisonnablement conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau d’établir que sa situation justifiait la prise d’une mesure exceptionnelle fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1).

[39] L’appréciation des éléments de preuve par l’agent n’a pas donné lieu à une erreur susceptible de contrôle et la décision de l’agent est justifiée, transparente et intelligible. L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-428-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés;

  3. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-428-21

 

INTITULÉ :

GIAN KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence sur Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 10 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Raj Sharma

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Camille N. Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ministère de la Justice du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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