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Date : 20220510


Dossier : IMM-2528-20

Référence : 2022 CF 690

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

SIMRANJIT SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Singh, a présenté une demande de permis de travail dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires en vue de travailler au Canada comme conducteur de camion sur long parcours. L’agent des visas (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a rejeté la demande au motif que M. Singh n’avait pas établi qu’il serait en mesure d’exercer adéquatement cet emploi au Canada.

[2] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Singh conteste le rejet de sa demande de permis de travail. Il fait valoir que l’agent n’a pas expliqué pourquoi il avait considéré que l’emploi de [traduction] « conducteur de camion à benne basculante », qu’il avait occupé durant six ans environ, et celui de [traduction] « conducteur de camion à semi-remorque », qu’il avait occupé durant six autres années, ne suffisaient pas à établir qu’il avait la capacité d’exercer les fonctions associées au poste de conducteur de camion sur long parcours au Canada.

[3] Je reconnais que les lettres de recommandation fournies par les employeurs de M. Singh n’énonçaient pas les fonctions associées aux postes de conducteur que celui-ci avait occupés, mais M. Singh avait dressé la liste de ces fonctions dans son curriculum vitæ, lequel avait été présenté à l’agent. Dans ses motifs rudimentaires, l’agent n’a pas abordé cet élément de preuve.

[4] Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable.

II. Le contexte factuel

[5] M. Singh est un citoyen de l’Inde. En novembre 2019, il a accepté une offre d’emploi de son employeur éventuel, LPS 3 Industries Ltd., pour un poste de conducteur de camion sur long parcours. Le même mois, Emploi et Développement social Canada/Service Canada a approuvé la demande d’étude d’impact sur le marché du travail (l’EIMT) présentée par LPS 3 Industries Ltd. en vue d’embaucher M. Singh en tant que conducteur de camion au titre du code 7511, « conducteurs/conductrices de camions de transport », de la Classification nationale des professions (la CNP).

[6] M. Singh a présenté une demande de permis de travail fondée sur l’EIMT favorable. Je comprends que ce permis de travail lui a été refusé en février 2020, au motif qu’il n’avait pas démontré qu’il serait en mesure d’exercer l’emploi visé. Le dossier dont je dispose ne contient pas de détails concernant cette demande ou le rejet de celle-ci.

[7] Le même mois, M. Singh a présenté une nouvelle demande de permis de travail. Cette demande a été rejetée dans une décision datée du 6 avril 2020, laquelle décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III. La question préliminaire

[8] M. Singh n’a pas retenu les services d’un avocat pour le représenter dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[9] M. Singh a joint à son dossier de demande un affidavit de Wesley Richards, directeur des ressources humaines auprès de son employeur éventuel au Canada. Le ministre s’est opposé à l’inclusion de cet affidavit. La plupart des renseignements que celui-ci contient se rapportent au fond de la décision. On y trouve notamment des déclarations au sujet du processus d’embauche de la société, de l’aide que M. Richard a apportée à M. Singh pour la présentation de sa demande et de l’évaluation des qualifications de M. Singh. Ces renseignements n’avaient pas été présentés à l’agent et ils ne sont visés par aucune des exceptions à la règle générale selon laquelle des éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés au décideur ne peuvent pas l’être à la Cour en contrôle judiciaire (Brink's Canada Limitée c Unifor, 2020 CAF 56 au para 13).

[10] Je ne me suis pas fondée sur l’affidavit de M. Richards pour rendre ma décision. Je me suis appuyée sur les documents contenus dans le dossier certifié du tribunal.

IV. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[11] La question principale que soulève le présent contrôle judiciaire concerne la conclusion de l’agent selon laquelle M. Singh n’avait pas établi qu’il serait en mesure d’exercer les fonctions associées à l’emploi qu’il souhaitait occuper au Canada. En outre, M. Singh a soulevé un argument relatif à l’équité procédurale, affirmant que l’agent était tenu de lui faire part de ses réserves quant à ses qualifications professionnelles afin qu’il puisse y répondre. Je ne me pencherai pas sur la question d’équité procédurale soulevée, car j’ai conclu que l’affaire devait être renvoyée pour nouvelle décision du fait que l’agent n’a pas justifié sa décision de manière transparente.

[12] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle des décisions administratives sur le fond. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

V. Analyse

[13] L’article 179 et le paragraphe 200(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement] sont les principales dispositions législatives qui régissent le pouvoir d’un agent des visas de délivrer un visa de résident temporaire et un permis de travail demandés par un étranger avant son entrée au Canada. Un agent est tenu de rejeter une demande de permis de travail s’il « a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé » (art 200(3) du Règlement).

[14] Au sujet de la capacité de M. Singh à occuper le poste de conducteur de camion sur long parcours, les motifs de l’agent se limitaient à ce qui suit :

[traduction]
Le demandeur a travaillé comme conducteur de camion à benne basculante au Qatar de 2005 à 2011 et comme conducteur de camion à semi-remorque à Dubaï d’avril 2014 à janvier 2020, comme l’indiquent les lettres de recommandation fournies par les employeurs. Après avoir examiné ce qui précède, je ne suis pas convaincu que le demandeur possède l’expérience nécessaire pour manœuvrer et conduire les camions utilisés pour transporter des marchandises et des matériaux sur de longues distances.

[15] J’accepte l’argument du défendeur (le ministre) selon lequel les lettres de recommandation fournies n’indiquaient que les titres des postes que M. Singh avait occupés et la période durant laquelle il les avait occupés, sans expliquer les fonctions d’un « conducteur de camion à benne basculante » ou d’un « conducteur de camion à semi-remorque ». Je ne souscris pas à la position de M. Singh selon laquelle les lettres de recommandation de ses employeurs étaient [traduction] « bien détaillées » ni à celle selon laquelle les lettres confirmaient qu’il possédait 12 années d’expérience à titre de conducteur de camion sur long parcours.

[16] Cependant, dans ses motifs, l’agent ne mentionne pas s’il a tenu compte des descriptions faites par M. Singh des deux postes énoncés dans son curriculum vitæ, où ses fonctions étaient expliquées en détail. Les fonctions décrites pour les deux postes comprenaient [traduction] « conduire des camions afin de transporter des marchandises sur de longues distances », soit l’équivalent du travail effectué par les conducteurs de camions sur long parcours au Canada.

[17] Le ministre a soutenu que le curriculum vitæ ne constituait pas un élément de preuve [traduction] « objectif » et que, dans celui de M. Singh, les descriptions des fonctions étaient identiques pour les deux postes et reprenaient les termes employés dans la description des fonctions des conducteurs/conductrices de camions de transport figurant dans la CNP. Le problème que pose cette observation est que l’agent n’a pas expliqué qu’il s’agissait là du fondement de sa décision. Il n’a pas formulé cette critique au sujet du curriculum vitæ de M. Singh et il n’a pas non plus expliqué que ni les fonctions qui y étaient décrites ni les lettres des employeurs ne suffisaient à démontrer une expérience de travail pertinente.

[18] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a expliqué que « [l]e caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur [...] n’[a] pas tenu compte [de la preuve qui lui a été soumise] » (au para 126). Je juge qu’il est déraisonnable que l’agent ait tiré sa conclusion au sujet de la nature de l’expérience de travail de M. Singh sans aborder les renseignements qui figuraient dans le curriculum vitæ de celui-ci, qui avait été versé au dossier. Des motifs détaillés ne sont pas requis, mais le décideur doit, à tout le moins, justifier sa décision selon la preuve dont il disposait (Samra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 157 au para 23).

[19] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2528-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision.

Aucune question à certifier n’a été proposée, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2528-20

 

INTITULÉ :

SIMRANJIT SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 6 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Simranjit Singh

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Leanna Gruendel

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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