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Date : 20220506


Dossier : IMM-5305-20

Référence : 2022 CF 675

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 6 mai 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

ONOME PRECIOUS OYIBORHORO

DELIGHT PRECIOUS OYIBORHORO

PRAISEGOD EJIROGHENE ONOME

DAVID OGHENEMARO ONOME

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont une mère, un père et deux enfants, tous citoyens du Nigéria. Ils ont présenté des demandes d’asile au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], au motif qu’ils craignaient des membres influents de leur communauté depuis la conversion de M. Onome Precious Oyiborhoro au christianisme. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leurs demandes, concluant qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [la PRI] viable. La SPR avait également des réserves quant à leur crédibilité. En appel, les demandeurs ont cherché à présenter de nouveaux éléments de preuve, dont certains ont été rejetés par la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. La SAR a confirmé la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la SPR. Elle a conclu que les demandeurs n’étaient pas exposés à un risque prospectif et elle a refusé d’aborder la question de la PRI.

[2] Les demandeurs soutiennent que la SAR aurait dû admettre leurs nouveaux éléments de preuve et tenir une audience. Ils soutiennent aussi que la SAR a manqué à l’équité procédurale en tirant de nouvelles conclusions quant à la crédibilité, qu’elle a tiré des conclusions déraisonnables à cet égard et qu’elle a évalué le risque prospectif de manière déraisonnable.

[3] Je conclus que la SAR a traité de manière appropriée tous les nouveaux éléments de preuve et qu’elle n’était aucunement obligée de tenir une audience. Je conclus également que la SAR a raisonnablement conclu que M. Oyiborhoro manquait de crédibilité. La demande est donc rejetée.

II. Le contexte

A. Le contexte factuel

[4] M. Oyiborhoro a affirmé avoir été prêtre en chef pendant 13 ans dans sa communauté à Okpara Inland, dans l’État du Delta, au Nigéria. En 2013, il s’est converti au christianisme. Il a allégué que sa renonciation au rôle de prêtre en chef avait provoqué la colère de fils influents de sa communauté, qui croyaient que les dieux ne les protégeraient plus. Il a aussi allégué que le roi de sa communauté avait émis un décret de mort contre lui.

[5] Par suite de ces menaces, les demandeurs ont déménagé à Port Harcourt pour des raisons de sécurité. Rien ne s’est produit entre 2013 et janvier 2017, moment où M. Oyiborhoro a reçu un appel téléphonique menaçant d’un inconnu qui disait avoir pour mandat de le traquer. En mars 2017, des hommes armés sont entrés par effraction dans son domicile de Port Harcourt pendant que sa famille et lui étaient en visite chez des proches, et ils lui ont laissé une note contenant des menaces de mort.

[6] Les demandeurs ont ensuite déménagé dans l’État d’Imo, mais M. Oyiborhoro a de nouveau reçu un appel téléphonique menaçant d’une inconnue qui prétendait savoir où il se trouvait et qui comptait continuer à le traquer.

[7] Les demandeurs ont obtenu des visas américains en juin 2017 et ils se sont enfuis aux États-Unis le 22 novembre 2017. Ils n’ont pas demandé l’asile aux États-Unis puisqu’on leur avait laissé entendre qu’ils n’obtiendraient pas gain de cause. Ils sont entrés à pied au Canada le 21 décembre 2017 et ils ont demandé l’asile à la frontière.

B. La décision de la SPR

[8] La SPR a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité en se fondant sur ce qui suit : 1) Lors de l’audience, M. Oyiborhoro a déclaré qu’il avait particulièrement peur de quatre personnes influentes au Nigéria. Cependant, il n’avait pas mentionné ces personnes dans son exposé circonstancié initial, et dans son exposé circonstancié modifié, il avait seulement mentionné qu’il avait été menacé personnellement par une de ces personnes. Lorsqu’il a été interrogé sur la raison pour laquelle il n’avait pas mentionné, dans son exposé circonstancié, qu’il avait été personnellement menacé par ces personnes, il a affirmé qu’il ne pensait pas qu’il était nécessaire de le faire. La SPR n’a pas jugé cette explication raisonnable étant donné que ces personnes étaient les agents de persécution présumés. 2) La SPR a jugé déraisonnable le fait que, malgré les allégations selon lesquelles leur domicile avait fait l’objet d’une entrée par effraction et avait été visé par des coups de feu, les demandeurs n’aient pas sollicité l’aide de la police ni demandé à leur voisin de faire une déclaration à la police ou de présenter une lettre à l’appui de leur demande d’asile. M. Oyiborhoro a expliqué que leur voisin n’était pas instruit et qu’il ne pouvait pas rédiger de lettre, mais la SPR a conclu que le voisin aurait pu faire une déclaration à un commissaire à l’assermentation. 3) Dans un affidavit, la mère de M. Oyiborhoro a indiqué que celui-ci [traduction] « [avait] failli être tué », ce que la SPR a jugé incompatible avec le témoignage de M. Oyiborhoro selon lequel il n’était pas chez lui lorsque la maison avait été la cible d’une attaque.

[9] Compte tenu de ces conclusions quant à la crédibilité et du manque d’éléments de preuve documentaire, la SPR n’était pas convaincue que les quatre personnes étaient à la recherche de M. Oyiborhoro ni qu’il y avait eu entrée par effraction au domicile de sa famille. La SPR a conclu que les agents de persécution n’auraient ni les moyens ni la motivation pour retrouver les demandeurs dans l’endroit proposé comme PRI, soulignant que les membres de la famille des demandeurs au Nigéria n’avaient pas été approchés par les agents de persécution depuis 2013, et que les agents de persécution n’avaient pris aucune mesure pour nuire aux demandeurs lorsque ceux-ci avaient déménagé durant une période de huit mois en 2017. Elle a aussi conclu que, puisque les demandeurs étaient instruits, parlaient anglais, étaient chrétiens et avaient déjà voyagé, ils seraient en mesure de se réinstaller dans l’endroit proposé comme PRI. Elle a donc rejeté leurs préoccupations concernant l’impossibilité de trouver un emploi, l’accès limité à l’éducation et la violence exercée par les pasteurs peuls dans l’endroit proposé comme PRI.

C. La décision faisant l’objet du contrôle

[10] En appel, les demandeurs ont présenté trois documents à titre de nouveaux éléments de preuve, que la SAR a rejetés au motif qu’ils auraient pu être fournis avant que la SPR rende sa décision. De plus, les demandeurs ont cherché à déposer d’autres nouveaux éléments de preuve supplémentaires après la mise en état de leur appel. La SAR n’a admis que certains de ces documents.

[11] La SAR a rejeté l’argument des demandeurs selon lequel la SPR avait manqué à l’équité procédurale en ne les informant pas de l’endroit proposé comme PRI avant l’audience. La SAR a jugé que la SPR avait commis une erreur en ne tirant pas de conclusions claires quant à la crédibilité. Elle a conclu que les menaces proférées par les quatre personnes nommées dans le témoignage de M. Oyiborhoro constituaient un élément central des demandes d’asile des demandeurs et elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du fait de leur omission dans l’exposé circonstancié. En outre, elle a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle il n’existait aucune preuve corroborante de l’entrée par effraction alléguée, et elle a de nouveau tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[12] La SAR a tiré des conclusions supplémentaires quant à la crédibilité fondées sur des contradictions relevées dans les formulaires de demande d’asile de M. Oyiborhoro, lesquelles ont miné davantage sa crédibilité. Enfin, la SAR a rejeté l’allégation des demandeurs selon laquelle, en tant que chrétiens, ils seraient persécutés par les pasteurs peuls. Elle a conclu qu’aucun risque prospectif n’avait été établi au titre des articles 96 ou 97 et qu’elle n’avait donc pas besoin de se pencher sur la question de la PRI.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[13] Les demandeurs soutiennent ce qui suit concernant la SAR : 1) elle a commis une erreur en rejetant des parties des nouveaux éléments de preuve; 2) elle a manqué à l’équité procédurale en tirant de nouvelles conclusions quant à la crédibilité; 3) elle aurait dû tenir une audience; 4) elle a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité qui sont déraisonnables; et 5) elle a évalué de façon déraisonnable le risque prospectif que présentent les pasteurs peuls.

[14] L’une et l’autre des parties font valoir que la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[15] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse : Vavilov, aux para 12-13. La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris le raisonnement suivi et le résultat obtenu, est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, au para 15. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif pertinent, du dossier présenté au décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes visées : Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135.

[16] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle suscite ne justifient pas toutes une intervention.Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et elle ne doit pas modifier ses conclusions de fait à moins de circonstances exceptionnelles :Vavilov, au para 125.Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » : Vavilov, au para 100.

IV. Analyse

A. La SAR a-t-elle commis une erreur en rejetant des parties des nouveaux éléments de preuve?

(1) Les nouveaux éléments de preuve antérieurs à la mise en état de l’appel

[17] Devant la SAR, au moment de leur appel initial, les demandeurs ont cherché à faire admettre trois documents concernant la PRI. Ils ont reconnu que les deux premiers documents étaient antérieurs à la décision de la SPR et que le troisième document n’était pas daté, mais ils ont fait valoir que ces documents n’auraient normalement pas été présentés puisqu’ils n’avaient pas été informés que la question de la PRI serait examinée devant la SPR. La SAR a rejeté ces éléments de preuve, concluant qu’ils ne satisfaisaient pas aux exigences prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR.

[18] Citant les arrêts Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 et Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1992] 1 CF 706 (CA), et la décision Figueroa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 521 aux paragraphes 26 à 34, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas l’obligation d’aviser les demandeurs d’asile avant l’audience que la question de la PRI serait soulevée, pourvu que les noms des PRI soient précisément mentionnés à l’audience.

[19] Je ne vois aucune erreur dans la conclusion de la SAR. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il est bien connu que l’existence possible d’une PRI est un facteur à prendre en considération dans le cadre d’une demande d’asile. Je souligne, en outre, que malgré l’absence de préavis, celui qui agissait alors comme conseil des demandeurs avait présenté des observations détaillées sur la PRI lors de l’audience de la SPR.

[20] Le défendeur soutient que la jurisprudence indique clairement que si la question de la PRI est soulevée lors de l’audience de la SPR, cela constitue un préavis suffisant, et que les demandeurs auraient eu la possibilité de présenter davantage de documents après l’audience au sujet de la question de la PRI : Figueroa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 521 aux para 26-34.

[21] À l’audience, les demandeurs ont admis que leur permettre de présenter des observations après l’audience pouvait remédier à l’injustice inhérente à la pratique de la SPR consistant à soulever la question de la PRI à l’audience. Cependant, ils ont fait valoir que s’ils ne pouvaient pas fournir les documents dans le délai prévu de deux semaines suivant l’audience, mais avant que la décision de la SPR soit rendue, ils devraient être autorisés à présenter des documents en appel devant la SAR.

[22] Je rejette l’argument des demandeurs. Ils n’ont pas expliqué pourquoi ils n’avaient pas pu joindre les documents à leurs observations postérieures à l’audience. Il était donc raisonnable pour la SAR de conclure que la preuve aurait raisonnablement pu être présentée avant le rejet de la demande d’asile des demandeurs.

(2) Les nouveaux éléments de preuve postérieurs à la mise en état de l’appel

[23] Les demandeurs ont aussi cherché à faire admettre des documents supplémentaires après la mise en état de leur appel devant la SAR. La SAR a conclu qu’outre le paragraphe 110(4) de la LIPR, elle devait aussi tenir compte des facteurs énoncés au paragraphe 29(4) des Règles de la Section d’appel des réfugiés (DORS/2012-257) [les Règles de la SAR] :

Documents ou observations écrites non transmis au préalable

Documents or Written Submissions not Previously Provided

Éléments à considérer

Factors

(4) Pour décider si elle accueille ou non la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

(4) In deciding whether to allow an application, the Division must consider any relevant factors, including

a) la pertinence et la valeur probante du document;

(a) the document’s relevance and probative value;

b) toute nouvelle preuve que le document apporte à l’appel;

(b) any new evidence the document brings to the appeal; and

c) la possibilité qu’aurait eue la personne en cause, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document ou les observations écrites avec le dossier de l’appelant, le dossier de l’intimé ou le dossier de réplique.

(c) whether the person who is the subject of the appeal, with reasonable effort, could have provided the document or written submissions with the appellant’s record, respondent’s record or reply record.

[24] La SAR s’est appuyée sur ce cadre pour examiner les ensembles de documents ci-après présentés par les demandeurs.

(a) Les documents A et B

[25] Le document A était un affidavit de l’ancien voisin des demandeurs et le document B, une déclaration sous serment du père de Mme Oyiborhoro. La SAR a conclu qu’à l’exception des paragraphes 11 et 12 du document B, ces éléments de preuve n’étaient pas nouveaux puisqu’ils concernaient des événements antérieurs à la décision de la SPR et qu’ils auraient pu être présentés avec le dossier d’appel. Elle a jugé que les paragraphes 11 et 12 du document B (portant sur l’attaque qui aurait été commise contre la mère de M. Oyiborhoro en 2020 par des [traduction] « truands inconnus » qui cherchaient les demandeurs) étaient nouveaux, pertinents et crédibles, et elle les a admis en preuve.

[26] Les demandeurs soutiennent que rien dans les Règles de la SAR n’indique que celle-ci devrait traiter les nouveaux éléments de preuve postérieurs à la mise en état du dossier de la SAR comme n’étant pas nouveaux, ni qu’elle devrait les rejeter uniquement parce qu’une partie du contenu est antérieur à la décision de la SPR. Selon eux, la SAR a mal interprété les Règles de la SAR, elle a agi de façon déraisonnable et elle a manqué à l’équité procédurale. En outre, ils soutiennent que la SAR a négligé la question de savoir si les documents pouvaient être admis en fonction de leur date et de leur contenu en se demandant plutôt si les documents étaient probants et pertinents, citant Semykina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 249 [Semykina] aux paragraphes 27 et 28, où il est indiqué que « les Règles de la SAR et leur interprétation par la Cour offrent aux demandeurs d’asile une certaine souplesse pour présenter des documents qui n’étaient pas disponibles au moment où le dossier des appelants a été produit ».

[27] Je ne suis pas convaincue par l’argument des demandeurs. Je souligne tout d’abord que, dans la décision Semykina, les « événements décrits dans les Documents semblent tous s’être produits après que la SPR eut rejeté les demandes d’asile des demandeurs » (au para 25), ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[28] Bien que le défendeur n’ait cité aucune jurisprudence, son argument selon lequel le critère relatif au caractère nouveau d’un document ne repose pas seulement sur la date de celui-ci, mais aussi sur son contenu, semble s’appuyer sur des propos tenus par la Cour d’appel fédérale [la CAF], à savoir que « le caractère nouveau ou non d’une preuve documentaire ne saurait dépendre uniquement de la date à laquelle le document a été établi. [...] Ce qui importe, c’est le fait ou les circonstances que l’on cherche à établir par la preuve documentaire » : Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 au para 16.

[29] Je soulignerais, en outre, que le paragraphe 29(3) des Règles de la SAR est rédigé en ces termes :

Documents — nouvelle preuve

Documents — new evidence

(3) La personne en cause inclut dans la demande pour utiliser un document qui n’avait pas été transmis au préalable une explication des raisons pour lesquelles le document est conforme aux exigences du paragraphe 110(4) de la Loi et des raisons pour lesquelles cette preuve est liée à la personne, à moins que le document ne soit présenté en réponse à un élément de preuve présenté par le ministre.

(3) The person who is the subject of the appeal must include in an application to use a document that was not previously provided an explanation of how the document meets the requirements of subsection 110(4) of the Act and how that evidence relates to the person, unless the document is being presented in response to evidence presented by the Minister.

[30] Selon le paragraphe 49 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [ Singh] rendu par la CAF, les critères implicites dégagés dans l’arrêt Raza trouvent également application dans le cadre du paragraphe 110(4).

[31] En l’espèce, aucune raison n’a été fournie pour expliquer pourquoi l’affidavit et la déclaration sous serment n’auraient pas pu être fournis plus tôt. L’affidavit, notamment, provenait du même voisin qui, selon ce qu’avait affirmé M. Oyiborhoro à l’audience de la SPR, n’était pas instruit et ne pouvait donc pas fournir de déclaration à l’appui de la demande d’asile. Les demandeurs n’ont pas expliqué pourquoi le voisin avait été en mesure de fournir une déclaration après l’audience de la SPR.

[32] Comme l’a souligné la Cour au paragraphe 44 de la décision Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 855, « on ne [peut] pas considérer les appels à la SAR comme une occasion de compléter un dossier incomplet remis à la SPR ». La conclusion de la SAR selon laquelle les éléments de preuve n’étaient pas nouveaux puisqu’ils concernaient des incidents antérieurs à la décision de la SPR était raisonnable et conforme aux Règles de la SAR de même qu’à une jurisprudence bien établie.

(b) Les documents I et J

[33] Le document I était un article sur la COVID-19 au Nigéria et le document J, une directive du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés concernant les PRI au Nigéria. La SAR a refusé d’admettre ces documents au motif qu’ils n’étaient pas pertinents parce qu’ils se rapportaient à la question de la PRI, qui n’était pas en litige dans le cadre de l’appel.

[34] Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR selon laquelle il existait une PRI était une des principales questions en litige dans leur appel et que, par conséquent, la conclusion de la SAR selon laquelle ces documents n’étaient pas pertinents ne répondait pas aux exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification énoncées dans l’arrêt Vavilov (telles qu’elles ont été appliquées dans l’arrêt Farrier c Canada (Procureur général), 2020 CAF 25 aux para 12-14). De l’avis des demandeurs, la SAR était tenue de se pencher sur les principales questions en litige dans l’appel, y compris la question de la PRI, et il était inéquitable sur le plan procédural qu’elle écarte plus de la moitié de leurs observations qui portaient sur cette question. Ils fondent cet argument d’équité procédurale sur la décision Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725 [Ching], dans laquelle il est mentionné, aux paragraphes 65 à 76, que les parties doivent avoir la possibilité de répondre aux nouvelles questions.

[35] À l’audience, les demandeurs ont, en outre, soutenu que certains des documents rejetés étaient pertinents au regard des conclusions quant à la crédibilité tirées par la SAR. À leur avis, la SAR a restreint la portée de ce qui doit être examiné et, ce faisant, elle a adopté une approche minimaliste plutôt que de procéder à une évaluation globale de la preuve, comme il se doit.

[36] Je rejette l’argument des demandeurs. Premièrement, ils n’ont pas expliqué en quoi l’article sur la COVID-19 et la directive du HCR sur les PRI étaient pertinents au regard des conclusions quant à la crédibilité tirées par la SAR. Deuxièmement, il est difficile de savoir à quelles [traduction] « nouvelles questions » ils renvoient dans ce contexte.

[37] Je ne vois aucune erreur dans le refus de la SAR d’admettre des documents qui n’avaient aucun rapport avec la question qu’elle avait jugée déterminante dans le cadre de l’appel.

B. La SAR a-t-elle manqué à l’équité procédurale en tirant de nouvelles conclusions quant à la crédibilité?

[38] En tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs, la SAR a souligné deux contradictions relevées dans les formulaires de demande d’asile de M. Oyiborhoro : 1) Dans son formulaire IMM-5669, il était indiqué qu’en 2010, il avait déménagé de Sapele à Oyigbo (Port Harcourt) où il était resté jusqu’à son départ du Nigéria, ce qui contredisait son exposé circonstancié écrit et son témoignage, dans lesquels il affirmait avoir été contraint de fuir sa communauté, à Sapele, en novembre 2013. 2) D’après ses antécédents professionnels, il avait travaillé à Port Harcourt de 2010 jusqu’à ce que sa famille et lui quittent le Nigéria, en novembre 2017, ce qui ne concordait pas avec son allégation selon laquelle il avait fui vers l’État d’Imo le 15 mars 2017 parce que sa vie était en danger. La SAR a fait remarquer que même si la SPR n’avait pas posé de questions au demandeur au sujet des contradictions, celles-ci ressortaient clairement des formulaires dont il avait confirmé la véracité. De plus, il était représenté par un conseil et avait eu la possibilité de clarifier les contradictions. La SAR a conclu que ces incohérences, qui touchaient au cœur de la demande d’asile du demandeur, minaient davantage sa crédibilité.

[39] Dans une note de bas de page, la SAR a renvoyé à la décision Ngongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8885 (CF) [Ngongo], dans laquelle la Cour a conclu, au paragraphe 17, que le décideur n’était pas tenu de confronter le demandeur à propos d’une contradiction évidente.

[40] Les demandeurs soutiennent que la SAR a manqué à l’équité procédurale en soulevant de nouvelles questions quant à la crédibilité qui n’avaient pas été soulevées dans la décision de la SPR sans leur donner l’occasion de répondre, allant ainsi à l’encontre des enseignements de la Cour fédérale dans les décisions Dalirani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 258 aux paragraphes 28 à 31, et Ching.

[41] Je ne suis pas convaincue par l’argument des demandeurs. Comme l’a expliqué la Cour dans la décision Ngongo, le fait de ne pas confronter un demandeur au sujet d’une contradiction ne constitue pas toujours une erreur de droit :

[12] Les demandeurs soumettent que la Section du statut a commis une erreur de droit en ne confrontant pas le demandeur au sujet d’une contradiction importante dans son témoignage.

[13] Je note que dans sa décision, le tribunal s’appuie sur la décision récente du juge Gibson, Ayodele c. Canada (M.C.I.)1. Cette décision limite la portée de l’arrêt Gracielome c. Canada (M.E.I.)2 et conclut que le fait de ne pas signaler à un revendicateur une contradiction ne constitue pas en soi une erreur de droit :

Je crois qu’on peut légitimement présumer que les contradictions du témoignage du requérant auraient sauté aux yeux de l’avocat et des membres de la SSR. Dans ces circonstances bien précises, annuler la décision de la SSR en raison de son omission de signaler ses contradictions à un requérant représenté par un avocat irait bien au-delà de ce que j’estime être la position énoncée dans l’arrêt Gracielome et placerait, selon moi, un fardeau injustifié sur les épaules des membres de la SSR. Je répète que le requérant était représenté par un avocat qui, vraisemblablement, était attentif à son témoignage. Il était loisible à l’avocat d’interroger ou de réinterroger son client au sujet de toute contradiction qu’il percevait sans que les membres de la SSR aient à lui dire quoi faire.

[...]

[16] À mon avis, il s’agit de regarder dans chaque dossier la situation factuelle, la législation applicable et la nature des contradictions notées. Les facteurs suivants peuvent servir de guide :

  1. La contradiction a-t-elle été découverte après une analyse minutieuse de la transcription ou de l’enregistrement de l’audience ou était-elle évidente?

  2. S’agissait-il d’une réponse à une question directe du tribunal?

  3. S’agissait-il d’une contradiction réelle ou uniquement d’un labsus[sic]?

  4. Le demandeur était-il représenté par avocat, auquel cas celui-ci pouvait l’interroger sur toute contradiction?

  5. Le demandeur communiquait-il au moyen d’interprète? L’usage d’un interprète rend les méprises attribuables à l’interprétation (et alors, les contradictions) plus probables.

  6. Le tribunal fonde-t-il sa décision sur une seule contradiction ou sa décision est-elle fondée sur plusieurs contradictions ou invraisemblances?

[17] Compte tenu de ces facteurs, je suis d’avis qu’en l’espèce le tribunal n’avait pas l’obligation de confronter le revendicateur. La présente affaire se déroule dans le contexte de la nouvelle législation. La contradiction était évidente et en réponse à une question directe du tribunal. Elle ne découle pas d’une recherche minutieuse du tribunal qui cherche à justifier une conclusion de non-crédibilité. Certes, elle a échappé à la vigilance du tribunal de telle sorte que le demandeur n’a pas été confronté directement avec la contradiction. Mais le demandeur jouissait de la représentation d’un conseiller. Comme dans la décision de Ayodele, je pense que la contradiction était aussi apparente au conseiller qu’aux membres de la Section du statut de sorte que, il aurait pu réinterroger son client à ce sujet.

[42] La décision Ngongo a récemment été suivie par le juge Diner dans la décision Omirigbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 787. Aux paragraphes 40 et 41 de ses motifs, le juge a déclaré ce qui suit :

[40] [...] les demandeurs ont présenté eux-mêmes les deux éléments de preuve. Il ne s’agissait pas ici d’un cas où un élément de preuve extrinsèque est utilisé pour miner la crédibilité des demandeurs, une situation qui déclencherait leur droit à ce que cet élément soit porté à leur attention (Moïse c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 93 [Moïse] aux para 9 à 10; Akanniolu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 311 [Akanniolu] aux para 45 à 47).

[41] En l’espèce, à mon avis, la SAR a de façon raisonnable conclu que le tribunal d’instance inférieure n’avait pas manqué aux principes de justice naturelle. La SAR, ayant relevé que la décision de la SPR n’était pas liée à une quelconque contradiction dans les messages textes ou le courriel, a suivi de manière appropriée le précédent Ngongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1627, 1999 CanLII 8885 (CF), une décision de la Cour, dans laquelle y sont établis les facteurs à considérer pour confronter les demandeurs à propos des éléments de preuve et demeure toujours valable en droit (voir plus récemment, par exemple, Abiodun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 642 au para 7).

[43] Conformément à ces principes, je conclus que la SAR n’a pas manqué à l’équité procédurale lorsqu’elle a invoqué les incohérences relevées entre les formulaires de demande d’asile, l’exposé circonstancié et le témoignage du demandeur pour étayer ses conclusions quant à la crédibilité. Les formulaires de demande d’asile et l’exposé circonstancié, qui avaient été présentés par les demandeurs, ne constituaient pas des éléments de preuve extrinsèques. Les demandeurs étaient représentés par un conseil devant la SPR et devant la SAR. Le conseil avait inclus des observations concernant les conclusions quant à la crédibilité dans ses observations présentées dans le cadre de l’appel devant la SAR. Les incohérences étaient évidentes. Enfin, les conclusions quant à la crédibilité tirées par la SAR étaient fondées sur un certain nombre d’autres points.

C. La SAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas d’audience?

[44] Les demandeurs soulignent que la SAR a conclu que la crédibilité était la question déterminante, mais que ce n’était pas le cas pour la SPR. Ils soutiennent que la SAR a tiré de nouvelles conclusions quant à la crédibilité, qui auraient nécessité une audience.

[45] Plus précisément, les demandeurs affirment que la SAR a tiré une nouvelle conclusion quant à la crédibilité lorsqu’elle a conclu que la SPR n’avait pas tiré de conclusions claires sur ce point en lien avec les appels téléphoniques qui auraient été passés par les hommes qui menaçaient M. Oyiborhoro. De l’avis des demandeurs, cela nécessitait une audience.

[46] Je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas d’audience, car je conclus que, contrairement à l’argument des demandeurs, la SAR n’a pas tiré de nouvelle conclusion quant à la crédibilité en lien avec les menaces que M. Oyiborhoro aurait reçues par téléphone de la part des personnes influentes en question.

[47] Je commence mon analyse en me penchant sur la décision rendue par la SPR sur cette question. Aux paragraphes 10 et 11 de sa décision, la SPR a déclaré ce qui suit :

[traduction]
[10] Le tribunal a relevé des omissions et des incohérences entre le témoignage du demandeur principal et son exposé circonstancié concernant les menaces de mort qu’il aurait reçues par téléphone. Le demandeur principal a témoigné qu’il craignait plus particulièrement quatre personnes influentes au Nigéria : le chef Mamos Agofure, Great Ogbaru, Patrick Otujoh et Halims Agoda. Il n’a pas mentionné qu’une de ces personnes, autre que le chef Agofure, l’avait menacé personnellement, que ce soit dans son exposé circonstancié original ou dans l’exposé circonstancié modifié qu’il a présenté peu avant l’audience. Cependant, il a affirmé que chacune de ces personnes l’avait appelé et menacé à plusieurs reprises après qu’il eut renoncé au poste de prêtre en chef, d’abord en 2013 puis de nouveau en 2017. Le demandeur principal a émis l’hypothèse que ces personnes travaillaient peut-être ensemble pour le traquer.

[11] Lorsqu’il a été interrogé sur la raison pour laquelle il n’avait pas fourni, dans son exposé circonstancié, de renseignements sur ces quatre personnes qui l’avaient menacé personnellement, le demandeur a répondu qu’il ne pensait pas qu’il était nécessaire de le faire. Le tribunal ne trouve pas l’explication raisonnable puisque ces renseignements concernent les agents de persécution présumés et les menaces de mort qu’ils auraient proférées contre lui et les membres de sa famille. Le tribunal souligne que le demandeur principal n’a mentionné les noms de ces agents de persécution que dans son exposé circonstancié modifié, présenté le 1er août 2019; bien qu’il s’agissait de la première mention de ces personnes dans le cadre de sa demande d’asile, il a omis de préciser que ces personnes l’avaient menacé personnellement. Comme le demandeur d’asile avait fait mention de menaces reçues de la part d’inconnus, il aurait été raisonnable, de l’avis du tribunal, qu’il fasse aussi mention de menaces reçues de la part de personnes inconnues et influentes, si de telles menaces avaient bel et bien été proférées. Le tribunal conclut que le demandeur d’asile n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait reçu des menaces de la part des quatre hommes désignés.

[Non souligné dans l’original.]

[48] Plus loin, au paragraphe 16, la SPR a mentionné ce qui suit sous la rubrique [traduction] « La crédibilité n’est pas déterminante » :

[traduction]
Le tribunal a tenu compte des conclusions défavorables quant à la crédibilité mentionnées précédemment, car elles influent sur l’analyse d’éventuelles possibilités de refuge intérieur pour les demandeurs à Ibadan et à Benin City, en particulier puisqu’elles concernent les moyens et la motivation des agents de persécution à traquer les demandeurs.

[Non souligné dans l’original.]

[49] Ainsi, dans le titre de rubrique, la SPR a indiqué que la question de la crédibilité n’était [traduction] « pas déterminante », mais dans le corps de sa décision, elle a clairement tiré des [traduction] « conclusions défavorables quant à la crédibilité » contre les demandeurs à l’égard de plusieurs aspects de leur demande d’asile, y compris à l’égard des allégations concernant les menaces téléphoniques reçues par M. Oyiborhoro. C’est dans ce contexte que la SAR a convenu avec les demandeurs que « la SPR n’[avait] pas tiré de conclusions claires quant à la crédibilité de [M. Oyiborhoro] », car « même si, dans ses motifs, la SPR [avait] relevé des omissions et des incohérences précises dans les éléments de preuve, elle n’[avait] pas conclu clairement que l’appelant principal n’était pas crédible sur cette question ».

[50] La SAR a ensuite procédé à sa propre analyse des éléments de preuve et elle a convenu avec la SPR que l’exposé circonstancié et l’exposé circonstancié modifié de M. Oyiborhoro ne contenaient aucune mention des menaces qui auraient été proférées contre lui par trois des quatre personnes qu’il craignait. Ensuite, la SAR a examiné l’argument des demandeurs selon lequel l’omission était mineure, puis elle a expliqué pourquoi elle le rejetait.

[51] Je souligne que, dans les observations qu’ils ont présentées en appel devant la SAR, les demandeurs ont abordé directement l’omission en question et soutenu que [traduction] « l’omission de mentionner des détails mineurs ou explicatifs dans l’exposé circonstancié ne constituait pas un motif pour tirer une conclusion défavorable ». Autrement dit, dans le cadre de leur appel devant la SAR, les demandeurs ont traité la question des prétendues menaces téléphoniques comme étant liée aux conclusions quant à la crédibilité tirées par la SPR, ce à quoi la SAR a répondu par sa propre analyse. Laisser maintenant entendre que la SAR a tiré une nouvelle conclusion quant à la crédibilité relativement aux appels téléphoniques revient à écarter non seulement la décision de la SPR, mais aussi les observations que les demandeurs ont eux-mêmes présentées à la SAR.

[52] De plus, comme le souligne le défendeur, les critères qui justifient la tenue d’une audience sont énoncés au paragraphe 110(6) de la LIPR :

Appel devant la Section d’appel des réfugiés

Appeal to Refugee Appeal Division

Audience

Hearing

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

[53] Les demandeurs n’abordent pas la question de savoir si l’un ou l’autre des nouveaux éléments de preuve admis aurait justifié la tenue d’une audience en vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR.

[54] En conclusion, je juge raisonnable la décision de ne pas tenir d’audience.

D. La SAR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité?

[55] Les demandeurs contestent plusieurs des conclusions quant à la crédibilité tirées par la SAR. La plupart de leurs arguments reviennent à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce que je dois refuser de faire.

[56] En ce qui concerne l’argument des demandeurs selon lequel l’omission relative aux agents de persécution relevée dans l’exposé circonstancié contenu dans leur formulaire Fondement de la demande d’asile est mineure et ne touche pas au cœur de la demande d’asile, je ne suis pas d’accord puisque leur demande était justement fondée sur le fait qu’ils craignaient ces personnes. Pour la même raison, je rejette aussi l’argument des demandeurs selon lequel l’omission n’avait pas d’incidence sur la crédibilité puisque M. Oyiborhoro avait fourni des explications à l’audience. Je suis plutôt d’avis que la SAR n’a pas commis d’erreur en concluant ce qui suit : « Il est déraisonnable pour [M. Oyiborhoro] de ne pas avoir pensé qu’il était nécessaire d’inclure ces renseignements dans son exposé circonstancié, surtout au vu du fait qu’il était représenté par un conseil qui l’a aidé à remplir les documents de demande d’asile. »

[57] Les demandeurs soutiennent, en outre, que la SAR a commis une erreur en n’accordant aucun poids à certains nouveaux éléments de preuve en raison de réserves quant à la crédibilité et de la fréquence des documents frauduleux au Nigéria. À l’appui de leur position, ils ont invoqué la décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1133 aux paragraphes 12 et 13, où la Cour a conclu que la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays n’est pas en soi suffisante pour justifier le rejet de documents étrangers au motif qu’il s’agit de faux.

[58] Cependant, comme le soutient le défendeur, et je suis d’accord avec lui, l’évaluation de la crédibilité faite par la SAR n’est pas fondée exclusivement sur la disponibilité de documents frauduleux; la SAR fournit plutôt une analyse détaillée de la crédibilité des demandeurs. La fréquence de tels documents au Nigéria n’est qu’une des nombreuses raisons données par la SAR pour rejeter la demande d’asile des demandeurs.

E. La SAR a-t-elle évalué de manière déraisonnable le risque prospectif que présentent les pasteurs peuls?

[59] En réponse aux arguments des demandeurs selon lesquels, en tant que chrétiens, ils craignaient les pasteurs peuls, la SAR a souligné qu’il y avait eu une aggravation du conflit entre les deux groupes, mais elle a conclu qu’aucun risque prospectif n’avait été établi en fonction de la documentation sur le pays.

[60] Les demandeurs affirment que, comme aucun renvoi n’a été fourni en note de bas de page pour cette partie de l’analyse, ils ne savent pas par quoi cette affirmation est étayée dans la documentation. Ils font valoir que la Cour s’est montrée critique envers les décideurs qui renvoient à un ensemble de documents sans préciser ce sur quoi ils s’appuient précisément, d’autant plus que la SAR souligne l’existence de documents à l’appui du fait qu’il existe un conflit entre les pasteurs et les chrétiens. Les demandeurs citent l’arrêt Farrier c Canada (Procureur général), 2020 CAF 25 aux paragraphes 12 à 14, et la décision Castro Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 197 [Castro Lopez] aux paragraphes 12 et 13, qui soulignent l’importance du processus de raisonnement et de la suffisance des motifs établie dans l’arrêt Vavilov.

[61] À mon avis, la décision Castro Lopez ne traite pas de la question soulevée par les demandeurs et elle diffère de l’espèce par les faits. Notamment, contrairement à l’argument des demandeurs, la SAR a renvoyé à un article portant sur la montée de la violence entre les agriculteurs et les éleveurs avant d’aborder, dans un paragraphe suivant, l’argument des demandeurs sur le risque prospectif.

[62] Les demandeurs soutiennent, en outre, qu’en laissant entendre qu’ils seraient en sécurité dans le sud, la SAR a tiré une conclusion voilée sur la PRI alors qu’elle avait déclaré que cette question n’était pas en litige dans l’appel. Je rejette cette observation. Je conclus que la SAR s’est d’abord demandé, à juste titre, s’il existait un risque pour les demandeurs au titre des articles 96 ou 97 de la LIPR; ce n’est qu’une fois que l’existence d’un tel risque est établie qu’il est justifié de se demander si un déménagement dans une PRI dans le pays d’origine du demandeur contribuerait à l’atténuer.

V. Conclusion

[63] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[64] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5305-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5305-20

 

INTITULÉ :

ONOME PRECIOUS OYIBORHORO, DELIGHT PRECIOUS OYIBORHORO, PRAISEGOD EJIROGHENE ONOME, DAVID OGHENEMARO ONOME c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 30 mars 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Marvin Moses

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Judy Michaely

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marvin Moses

Marvin Moses Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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