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Date : 20220506


Dossier : IMM-1458-21

Référence : 2022 CF 674

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 6 mai 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

CHUKWUMA SUNDAY KANU

GLORIA CHINENYE KANU

AMARACHI ELMA KANU

DAVID CHIBUIKE KANU

HANS AMAOBI KANU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Chukwuma Sunday Kanu est citoyen du Nigéria. Il vient du Biafra, une région située dans la partie sud‑est du Nigéria habitée en majeure partie par des personnes d’origine ethnique igbo. M. Kanu et sa femme, Mme Gloria Chinenye Kanu, ont trois enfants mineurs, qui sont tous citoyens du Nigéria [les demandeurs].

[2] M. Kanu a un lien de parenté avec Nnamdi Kanu, le chef du Peuple indigène du Biafra [l’IPOB], un groupe qui milite pour la séparation de la région du Biafra du reste du Nigéria. Les demandeurs ne font pas partie de l’IPOB.

[3] En septembre 2017, le gouvernement nigérien a ordonné que des mesures soient prises pour sévir contre les activités des membres de l’IPOB à Umuahia. Durant cette opération, les forces armées nigériennes ont tué par balle le frère et la sœur de M. Kanu. Peu après cet incident, la mère de M. Kanu est décédée des suites du choc. À ce moment‑là, les demandeurs vivaient à Lagos.

[4] Le 30 novembre 2017, des membres de l’IPOB se sont présentés à l’enterrement des membres de la famille de M. Kanu, à Umuahia, et ont tenté de prendre le contrôle du corps du frère de M. Kanu, qui était membre de l’IPOB. M. Kanu, qui était venu de Lagos pour participer à la cérémonie, est intervenu et a empêché les membres de l’IPOB de perturber l’enterrement. Les membres de l’IPOB l’ont traité de traître, de saboteur et d’ennemi, mais ont finalement quitté les lieux. Cette nuit‑là, un groupe d’hommes est retourné à la maison familiale de M. Kanu et a frappé à la porte en criant son nom. M. Kanu a présumé qu’il s’agissait de membres de l’IPOB qui cherchaient à se venger. Il a alors fui et est retourné à Lagos. Ni M. Kanu ni ses sœurs, qui vivent à Port Harcourt, ne sont retournés à Umuahia depuis cet incident.

[5] Le lendemain, Mme Kanu a reçu un appel de menaces, puis deux autres. Craignant pour leur sécurité, les demandeurs ont quitté le Nigéria pour se rendre aux États‑Unis le 12 décembre 2017. Le 28 décembre 2017, les demandeurs ont traversé la frontière vers le Canada et ont demandé l’asile au motif qu’il craignait l’IPOB.

[6] L’audience des demandeurs devant la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a eu lieu le 26 novembre 2019. Le 18 février 2020, la SPR a rejeté la demande présentée par les demandeurs sur le fondement des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], au motif qu’ils étaient crédibles mais disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [la PRI] viable à Ibadan. La SPR avait fondé son analyse des deux volets du critère relatif à la PRI sur le guide jurisprudentiel TB7-19851 [le guide], qui a été révoqué le 8 avril 2020, tout juste après qu’elle ait rendu sa décision.

[7] Les demandeurs ont interjeté appel auprès de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] et ont demandé l’admission d’un nouvel élément de preuve, à savoir l’affidavit souscrit le 16 mars 2020 par le frère de Mme Kanu au sujet d’une agression dont il avait été victime le 27 décembre 2019 aux mains des membres de l’IPOB pendant qu’il habitait chez les demandeurs.

[8] Le 15 février 2021, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle les demandeurs étaient crédibles mais disposaient d’une PRI à Ibadan. La SAR a également rejeté l’affidavit du frère au motif que l’incident s’était produit en décembre 2019, c’est‑à‑dire après l’audience des demandeurs, mais avant que la SPR ne rende sa décision en février 2020.

[9] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR, au motif que cette dernière s’est appuyée à tort sur un guide révoqué et a déraisonnablement évalué la sécurité et le caractère raisonnable d’un déménagement à Ibadan. Je conclus que la décision de la SAR est raisonnable et je rejette la demande.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[10] La demande soulève les questions suivantes : 1) Était‑il déraisonnable que la SAR confirme la décision de la SPR fondée sur un guide jurisprudentiel désormais révoqué? 2) La SAR a‑t‑elle déraisonnablement analysé le premier volet du critère relatif à la PRI? 3) La SAR a‑t‑elle déraisonnablement évalué le second volet du critère relatif à la PRI?

[11] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[12] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais rigoureux : Vavilov, aux para 12-13. La cour de révision doit décider si la décision faisant l’objet du contrôle, qui comprend à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu, est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, au para 15. Une décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, au para 85. Le caractère raisonnable de la décision dépend du contexte administratif, du dossier dont dispose le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences : Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135.

[13] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Les erreurs que comporte une décision, ou les préoccupations qu’elle soulève, ne justifient pas toutes une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui-ci : Vavilov, au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ni accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure » : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

[14] Les parties s’entendent sur le critère à appliquer pour conclure à l’existence d’une PRI viable, à savoir que le demandeur d’asile ne peut démontrer 1) qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans l’endroit proposé comme PRI et 2) qu’il serait déraisonnable pour lui, compte tenu des circonstances, d’y chercher refuge.

A. Premier volet du critère relatif à la PRI

(1) La SAR a‑t‑elle rejeté à tort le nouvel élément de preuve?

[15] Les demandeurs soutiennent que la SAR a refusé à tort de tenir compte, à titre de nouvel élément de preuve, de l’affidavit souscrit par le frère de Mme Kanu, dans lequel il affirmait avoir été agressé physiquement par des membres de l’IPOB le 27 décembre 2019 lorsqu’il vivait dans l’ancienne maison des demandeurs à Lagos et que les membres de l’IPOB étaient venus pour chercher les demandeurs.

[16] Selon les demandeurs, la SAR a eu tort de ne pas appliquer les exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR avec souplesse, comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale [la CAF] au paragraphe 64 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] : « Il va sans dire que la SAR aura toujours le loisir d’appliquer les exigences du paragraphe 110(4) avec plus ou moins de souplesse selon les circonstances propres à chaque affaire. » Les demandeurs font valoir qu’en l’espèce, surtout compte tenu de l’importance du nouvel élément de preuve par rapport à leur demande et du fait qu’elle a précisément réfuté la conclusion de la SPR sur la question déterminante, la SAR aurait dû faire preuve d’une plus grande souplesse pour décider s’il convenait d’examiner le nouvel élément de preuve.

[17] Le défendeur soutient que la « souplesse » dont il est question au paragraphe 64 de l’arrêt Singh se rapporte aux « conditions implicites » d’admissibilité (c.‑à‑d. la crédibilité, la pertinence, le caractère substantiel, etc.) plutôt qu’aux conditions explicites énoncées dans la loi.

[18] L’argument des demandeurs ne me convainc pas. Peu importe ce que voulait dire la CAF par « souplesse » au paragraphe 64 de l’arrêt Singh, le demandeur, à mon sens, a pris ce commentaire hors contexte.

[19] Comme l’a souligné la CAF aux paragraphes 34 et 35 de l’arrêt Singh :

[34] Il ne fait aucun doute que les conditions explicites mentionnées au paragraphe 110(4) doivent être respectées. Par conséquent, seuls les éléments de preuve suivants seront admissibles :

  • Les éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande d’asile;

  • Les éléments de preuve qui n’étaient pas normalement accessibles; ou

  • Les éléments de preuve qui étaient normalement accessibles, mais que la personne en cause n’aurait pas normalement présentés dans les circonstances au moment du rejet.

[35] Ces conditions m’apparaissent incontournables et ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR.

[Non souligné dans l’original.]

[20] Autrement dit, la CAF a clairement indiqué que les éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande d’asile ne seront admissibles que s’ils « n’étaient pas normalement accessibles » ou que s’ils étaient « normalement accessibles, mais que la personne en cause n’aurait pas normalement présentés dans les circonstances au moment du rejet ».

[21] En l’espèce, l’incident décrit dans l’affidavit est survenu avant que la SPR ne rende sa décision en février 2020. Comme l’a indiqué à juste titre la SAR dans sa décision, la période pertinente lorsqu’il est question de nouveaux éléments de preuve au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR « est non pas l’audience au sujet de la demande d’asile, mais plutôt le rejet de la demande d’asile ». En cherchant à faire admettre l’affidavit, les demandeurs n’ont donné aucune explication quant à savoir pourquoi cet élément de preuve n’avait pas été présenté plus tôt ni aucun détail quant à la façon dont ils ont pris connaissance de l’incident. Au vu de l’arrêt Singh, et comme les demandeurs n’ont pas expliqué pourquoi ils n’ont pas présenté l’affidavit avant le rejet de leur demande d’asile par la SPR, il était raisonnable pour la SAR de conclure que l’affidavit ne répondait pas aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR.

(2) La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse du premier volet?

[22] Les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur dans son analyse du premier volet du critère relatif à la PRI en exigeant qu’ils fournissent la preuve que des membres de l’IPOB ont récemment tenté de les retrouver après leur départ du pays.

[23] La SAR a conclu ce qui suit : « Même si les appelants renvoient aux nouveaux éléments de preuve fournis dans le cadre du présent appel, comme il a été jugé que ceux‑ci ne pouvaient être admis, le fait demeure : il n’existe aucun élément de preuve selon lequel les membres de l’IPOB continuent de chercher les appelants au Nigéria ou à Lagos. »

[24] Les demandeurs soutiennent que cette conclusion était déraisonnable au vu de la décision Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1576 [Abbas], au paragraphe 28, où le juge Ahmed a dit ne pas adhérer « à la position du défendeur souscrivant à la conclusion de la SAR voulant qu’Islamabad représente une PRI viable du fait que la famille n’a aucunement été inquiétée par les agents de persécution depuis son déménagement dans cette ville ». Le juge Ahmed a conclu que « [m]ême s’il n’y a pas eu d’attaques à ce jour, il reste une possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés à Islamabad si des membres de la famille du demandeur principal les retraçaient ». De même, les demandeurs affirment que même si rien ne prouve que des membres de l’IPOB les ont menacés ou ont tenté de les retrouver (autre que la nouvelle preuve jugée inadmissible) depuis qu’ils ont quitté le Nigéria, il reste une possibilité sérieuse qu’ils continuent d’être ciblés par l’IPOB et qu’ils risquent d’être retrouvés au Nigéria, et plus précisément à Ibadan, s’ils déménagent.

[25] À mon sens, la décision Abbas se distingue de l’espèce, puisque l’agent de persécution dans cette affaire était des membres de la famille proche, qui avaient toujours des liens avec la famille du demandeur au Pakistan. C’est sur ce fondement que la Cour a conclu que l’agent de persécution redouté « finirait par […] retrouver » les demandeurs.

[26] Les demandeurs soulignent également la décision Losada Conde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 626, où le juge Russell a conclu au paragraphe 91 que même si l’agent de persécution n’avait peut‑être pas communiqué avec la famille des demandeurs récemment, il n’avait « aucune raison de le faire [s’il savait] [que le demandeur était] à l’étranger. Cela ne signifie pas qu’[il ne tuerait] pas les demandeurs s’ils retournaient en Colombie. » De même, dans la décision Rivera Benavides c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 810, le juge Little a écrit au paragraphe 75 que même si rien ne démontrait que les agents de persécution recherchaient les demandeurs, rien n’indiquait non plus qu’ils n’avaient plus d’intérêt.

[27] Je conviens avec le défendeur que ces deux affaires concernaient des menaces plus graves que celles en l’espèce.

[28] Qui plus est, il n’était pas déraisonnable pour la SAR de tenir compte en l’espèce — comme un facteur parmi d’autres — du fait que rien ne démontrait que des membres de l’IPOB avaient continué de rechercher les demandeurs après leur départ du Nigéria. La SAR a également examiné les documents sur la situation dans le pays au sujet de la nature de l’IPOB, dont une source d’Amnistie internationale qui ne reconnaît pas que l’IPOB est violent, avant de conclure que les demandeurs n’avaient pas établi que les membres de l’IPOB seraient motivés à les retrouver dans la ville proposée comme PRI et à leur causer un préjudice. De plus, la SAR a examiné la preuve documentaire pour évaluer si l’IPOB avait les moyens de trouver les demandeurs et a conclu par la négative.

[29] Les demandeurs affirment également que la SAR n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve ni de la nature de leurs problèmes avec l’IPOB. Ils soutiennent que ce n’est pas parce que le groupe organise des manifestations pacifiques qu’il ne serait pas motivé à les retrouver et à leur causer un préjudice. Les demandeurs soutiennent que les documents sur la situation dans le pays figurant dans le cartable national de documentation [le CND] mentionnent que l’IPOB est un groupe qui a été qualifié d’organisation terroriste et qui peut avoir recours à la violence. Je remarque toutefois que c’est le gouvernement nigérien qui a qualifié l’IPOB d’organisation terroriste, celui même qui a mis des mesures de répression en place contre l’organisation.

[30] La SAR a souligné que les documents sur la situation dans le pays mentionnaient que les membres de l’IPOB étaient majoritairement pacifiques et surtout déterminés à atteindre leur but d’obtenir un État indépendant. Elle a conclu que « rien ne laisse entendre, dans les documents sur les conditions dans le pays, que les membres de l’IPOB cherchent activement les Biafrais qui ne semblent pas appuyer leur cause selon eux, ou les civils non politisés, comme [M. Kanu], qui leur a refusé l’accès à un enterrement ». À mon avis, ces conclusions étaient raisonnablement étayées par la preuve objective figurant dans le CND.

[31] Les demandeurs soutiennent enfin que la SAR a écarté à tort leur témoignage concernant la motivation continue de l’IPOB de leur causer un préjudice, étant donné que la SPR avait conclu qu’ils étaient des témoins crédibles et que la SAR avait confirmé l’évaluation de la crédibilité menée par la SPR. Les demandeurs invoquent la décision Tamayo Valencia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1013 [Tamayo], dans laquelle le juge Gleeson a conclu aux paragraphes 22 à 25 que les conclusions de la SPR en matière de crédibilité étaient incohérentes, puisqu’il n’était pas clair quelles parties de l’exposé des faits avaient été crues ou non par la SPR, particulièrement en ce qui concerne un incident qui revêtait « une importance particulière lorsqu’on évalue le caractère raisonnable des conclusions au sujet de la possibilité de refuge intérieur ».

[32] Je rejette l’argument des demandeurs. Contrairement à la décision Tamayo, les conclusions quant à la crédibilité en l’espèce étaient cohérentes et sans équivoque. En outre, comme le soutient le défendeur, il était loisible à la SAR d’accepter que l’incident à l’enterrement et les appels téléphoniques menaçants ayant suivi soient survenus, mais d’ensuite conclure que la preuve objective d’un risque dans la ville proposée comme PRI n’était pas suffisante.

B. Second volet du critère relatif à la PRI

(1) La SAR a‑t‑elle eu tort de s’appuyer sur le guide jurisprudentiel révoqué?

[33] La SAR a conclu que la SPR n’avait pas eu tort de se fonder sur le guide jurisprudentiel, qui a été révoqué par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] le 8 avril 2020, car il reposait sur des documents sur la situation dans le pays qui n’étaient pas à jour. Comme le fait remarquer le défendeur, le guide avait été révoqué parce que des faits nouveaux sur le Nigéria, notamment en ce qui concerne la capacité des femmes célibataires à déménager dans les diverses villes proposées comme PRI, avaient amoindri la valeur de la décision à titre de guide jurisprudentiel : A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 90 au para 47.

[34] En ce qui concerne le guide jurisprudentiel, la SAR a conclu ce qui suit :

[16] [...] Même si le guide jurisprudentiel a été révoqué, le cadre de la décision constituait tout de même un motif d’intérêt. Il est indiqué ce qui suit sur le site Internet de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada :

Le cadre d’analyse du guide jurisprudentiel révoqué, abstraction faite de toute conclusion de fait, sera désigné comme des motifs d’intérêt de la SAR. Le cadre comprend le critère juridique pour établir une PRI viable ainsi que les sept facteurs décrits aux paragraphes 14-15 et 21-30 [caractères italiques ajoutés par la SAR].

[17] Donc, le simple fait que le guide jurisprudentiel a été révoqué ne veut pas dire que toute décision passée fondée sur lui doit être automatiquement annulée. Par exemple, un motif sous‑tendant la révocation concerne des éléments de preuve mis à jour au sujet de la capacité d’une femme célibataire de se réinstaller dans un endroit proposé comme PRI au Nigéria, ce qui ne s’applique pas à la situation des appelants. Peu importe, j’ai examiné indépendamment les éléments de preuve liés à une PRI en l’espèce, et je souscris aux conclusions de la SPR en raison des motifs énoncés plus bas.

[35] Comme l’a fait remarquer la SAR, les demandeurs ne contestent pas que le cadre du guide jurisprudentiel a été désigné comme un motif d’intérêt. Toutefois, ils soutiennent que la SPR ne s’est pas contentée d’appliquer le cadre. Les demandeurs soulignent les paragraphes suivants de la décision de la SPR pour démontrer qu’elle s’est grandement fondée sur le guide jurisprudentiel :

[traduction]
[31] Le guide jurisprudentiel, en revanche, mentionne que la réinstallation à l’intérieur du Nigéria, particulièrement dans les régions du centre et du sud, est généralement considérée comme viable pour les demandeurs d’asile qui craignent des acteurs non étatiques.

[32] [...] J’adopte et applique le raisonnement suivi dans le guide jurisprudentiel pour conclure qu’Ibadan ne serait pas déraisonnable ni trop difficile concernant la religion, compte tenu de la prédominance de la foi chrétienne dans cette région.

[...]

[34] Bien que la preuve documentaire indique que la discrimination fondée sur l’identité autochtone dans le contexte d’emplois au gouvernement est prédominante au Nigéria, elle indique également, comme il est cité dans le guide jurisprudentiel, que pour vivre et travailler dans les grandes villes, l’identité autochtone est moins importante [...]

[36] Au vu de ces éléments de la décision de la SPR, les demandeurs font valoir que la SAR a confirmé à tort les conclusions de la SPR. Les demandeurs s’appuient sur la jurisprudence où il a été conclu que la décision de la SAR ou de la SPR est déraisonnable lorsqu’il est clair que cette dernière s’est fondée dans une trop grande mesure sur un guide jurisprudentiel révoqué. Invoquant la décision Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 918, au paragraphe 10 (« la révocation du document sur lequel la SPR s’est expressément appuyée pour justifier son raisonnement affaiblit sa conclusion à cet égard »), les demandeurs soutiennent que la mesure dans laquelle la SPR s’est fondée sur le guide jurisprudentiel a affaibli ses conclusions au point de les rendre déraisonnables, et la SAR a perpétué cette erreur.

[37] Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs. Tout d’abord, il convient de répéter que je procède au contrôle de la décision rendue par la SAR, et non de celle rendue par la SPR. Bien que la SAR ait mentionné le guide jurisprudentiel dans le contexte du second volet du critère relatif à la PRI et qu’elle ait indiqué que la raison de sa révocation « ne s’appliqu[ait] pas à la situation des [demandeurs] », la SAR a également affirmé qu’elle avait « examiné indépendamment les éléments de preuve liés à une PRI en l’espèce ».

[38] Dans son examen des conclusions de la SPR, la SAR a fait remarquer que cette dernière avait « appliqué le cadre de l’ancien guide jurisprudentiel / des motifs d’intérêt » dans le cadre du second volet, et qu’elle s’était « appuyée sur des documents sur le pays qui étaient valides ». À mon sens, cette remarque démontre que la SAR comprenait que le guide jurisprudentiel s’appliquait de manière restreinte, conformément à la désignation du guide jurisprudentiel à titre de motifs d’intérêt par la CISR.

[39] Plus important encore, j’estime que la SAR a mené sa propre analyse du second volet, au vu de la preuve présentée par les demandeurs ainsi que des documents mentionnés dans la réponse à la demande d’information. L’analyse effectuée par la SAR aux paragraphes 33 à 36 de sa décision était axée sur le parcours des demandeurs, leur capacité langagière, leur historique d’emploi et leur religion, ainsi que sur la situation propre à la ville proposée comme PRI. La SAR ne s’est pas simplement fondée sur les conclusions figurant dans le guide jurisprudentiel.

[40] Par conséquent, il ressort de la décision que la SAR a examiné indépendamment la preuve concernant la PRI avant de confirmer les conclusions de la SPR.

[41] Les demandeurs invoquent la décision Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 576, dans laquelle la Cour a conclu aux paragraphes 68 à 72 que la décision avait été indûment influencée par un guide jurisprudentiel, étant donné que la commissaire avait utilisé un libellé similaire et s’était fondée sur une preuve similaire, et qu’elle avait commis la même erreur ayant mené à la révocation du guide jurisprudentiel. Toutefois, comme le fait remarquer le défendeur, il est facile d’établir une distinction entre l’affaire dont je suis saisie et cette décision, puisque la SAR en l’espèce n’a pas reproduit mot à mot le guide jurisprudentiel et n’a pas non plus intégré une conclusion erronée découlant du guide jurisprudentiel.

[42] Le défendeur fait valoir que la démarche de la SAR a été acceptée dans de nombreuses décisions de la Cour fédérale, laquelle a refusé d’intervenir lorsque la SAR avait rendu une décision fondée sur la situation propre aux demandeurs. Par exemple, dans la décision Onjoko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1006 [Onjoko], le juge Gleeson a conclu ce qui suit :

[24] La Cour a statué que la révocation d’un guide jurisprudentiel qui était en vigueur au moment où une décision a été rendue et sur lequel s’est appuyée la SAR affaiblit les conclusions de cette dernière sur les questions tranchées en fonction de ce guide jurisprudentiel (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 918 au para 10, et Cao au para 39). Toutefois, si la SAR a fait référence à un guide jurisprudentiel, mais qu’elle a reconnu la situation propre aux demandeurs et qu’elle a tiré ses propres conclusions sur les faits, ces conclusions ne s’en trouveront pas nécessairement affaiblies au point de les rendre déraisonnables (Agbeja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 781 aux para 77‑78).

[Non souligné dans l’original.]

[43] En l’espèce, je conclus que la SAR ne s’est pas fondée sur le guide jurisprudentiel avant de confirmer les conclusions de la SPR. Même si elle l’avait fait, j’estime que l’extrait précédemment cité de la décision Onjoko s’applique.

(2) La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la perception de risque des demandeurs?

[44] Les demandeurs font valoir que le second volet de l’analyse de la PRI a une composante subjective et que la SAR devait tenir compte de la perception de risque des demandeurs dans la ville proposée comme PRI. Les demandeurs s’appuient sur la décision Karim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 279, dans laquelle le juge de Montigny a conclu au paragraphe 26 que, dans son évaluation de la PRI, la SPR n’avait pas tenu compte du témoignage du demandeur au sujet de son état émotif.

[45] Je fais observer que le commentaire du juge de Montigny a été fait dans le contexte de cette affaire, après avoir reproché à la SPR d’avoir accepté la discrimination et les tensions auxquelles feraient face les demandeurs en tant que chrétiens, mais de ne pas avoir « tenu compte des problèmes » que le demandeur principal avait éprouvés ni de sa « crainte permanente » pour lui‑même et sa famille.

[46] En l’espèce, je suis d’avis que la SAR a tenu compte des répercussions d’un déménagement sur les demandeurs et qu’elle a expressément examiné les questions de la langue, de l’identité autochtone, de l’emploi, de la religion et des déplacements en tenant compte de la situation personnelle des demandeurs. Le fait que la SAR n’a pas précisément tenu compte de l’état d’esprit des demandeurs, dans le contexte de l’espèce, n’a pas rendu la décision déraisonnable.

IV. Conclusion

[47] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[48] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1458-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1458-21

 

INTITULÉ :

CHUKWUMA SUNDAY KANU, GLORIA CHINENYE KANU, AMARACHI ELMA KANU, DAVID CHIBUIKE KANU, HANS AMAOBI KANU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 mars 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 6 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Nicholas Woodward

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Hillary Adams

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nicholas Woodward

Battista Smith Migration Law Group

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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