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     Date: 19971205

     Dossier: IMM-4133-96

Entre :

     GHEORGHE SILAGHI

     Requérant

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Intimé

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]      La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 9 octobre 1996 par la Section du statut de réfugié statuant que le requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention, tel que défini par le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration (la Loi). Le requérant base sa revendication sur sa crainte de persécution en Roumanie en raison de son appartenance à un groupe social, soit les jeunes Roumains de 19 à 26 ans.

[2]      Le requérant a quitté la Roumanie le 14 février 1994. Il est allé en Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Allemagne et en France pour finalement se rendre au Canada.

[3]      Après avoir jugé que les jeunes Roumains de 19 à 26 ans ne constituent pas un groupe social particulier au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi, ce qui aurait été suffisant pour rejeter la revendication du requérant, le tribunal a néanmoins considéré la version des faits exprimée par ce dernier et son comportement pour finalement conclure:

             Dans ce contexte, le revendicateur ne s'est pas déchargé du fardeau de la preuve qui lui incombait, il n'a pas démontré de façon raisonnable et crédible qu'il existe une "possibilité sérieuse" pour lui d'être victime de persécution advenant son retour en Roumanie.                 

[4]      Sur la question de la crédibilité reliée à la crainte de persécution exprimée par le requérant personnellement, le tribunal a d'abord mis en doute sa version des faits relative à l'incendie de sa maison pour ensuite juger que son comportement n'était pas compatible avec une vraie crainte subjective de persécution:

             Soulignons en deuxième lieu que le revendicateur a été en vacances en Turquie au mois d'octobre 1993, et en Hongrie au mois de novembre 1993. Le revendicateur prétend avoir été victime de persécution depuis son jeune âge. Pourtant, et tel qu'il appert à sa réponse à la question 23 de son FRP, le revendicateur a effectué deux voyages entre octobre 1993 et le mois de novembre 1993, mais est toujours retourné volontairement en Roumanie. Le comportement du revendicateur n'est pas celui de quelqu'un qui craint la persécution et cherche à l'éviter et mine donc l'authenticité de sa crainte subjective.                 
             Soulignons aussi son trajet pour venir au Canada et y demander le statut de réfugié. Le revendicateur s'enfuit de la Roumanie et se rend dans quatre pays avant d'arriver au Canada. Il quitte la Roumanie le 14 février 1994, séjourne en Hongrie le 14 février 1994, demeure en République tchèque et Slovaquie du 15 au 16 février 1994, reste en Allemagne du 16 au 26 février 1994, habite en France du 27 février au 25 avril 1994, pour enfin arriver au Canada le 5 mai 1994 et y demander le statut de réfugié.                 
             Nous lui demandons pourquoi ne pas avoir demandé le statut de réfugié dans certains des pays où il a séjourné? Il nous répond qu'en Allemagne, il a fait une demande mais un interprète lui dit que la réponse serait négative et qu'il serait convoqué et renvoyé en Roumanie. En France, il a fait une demande mais n'a pas attendu la réponse car les conditions étaient "atroces".                 
             Nous trouvons sa conduite après son départ de la Roumanie incompatible avec sa crainte de persécution. Si le revendicateur avait une crainte de persécution, il aurait tout au moins fait une demande de statut dans les deux premiers pays qu'il a traversés avant de venir au Canada.                 
             Aussi, nous trouvons invraisemblable la réponse du revendicateur face à sa demande en Allemagne et en France. À cet effet, nous assumons que chaque pays signataire d'une Convention internationale a la responsabilité de respecter ses obligations face à cette Convention à moins d'avis contraire.                 
             Soulignons aussi que nous avons confronté le revendicateur à l'événement du 20 août 1993 lorsque la maison familiale fut incendiée par les membres du Front du salut national (FSN). À la question 37 de son FRP, le revendicateur écrit que ce sont les pompiers de la ville qui ont combattu l'incendie tandis que lors de l'audience, il relate que ses amis et ses cousins leur ont aidés pour éteindre le feu. Le revendicateur nous répond qu'il n'a pas revu le texte écrit de sa demande. Nous trouvons que cet élément mine l'authenticité de sa crédibilité.                 

[5]      Dans l'affaire Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315, Monsieur le juge Décary, pour la Cour d'appel fédérale, a précisé, à la page 316, que le même degré de retenue judiciaire s'applique aux questions de crédibilité et d'implausibilité:

             Il est exact, comme la Cour l'a dit dans Giron, qu'il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d'implausibilité qui résulte d'inférences que de faire réviser une conclusion d'incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La Cour n'a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d'un récit du champ d'expertise du tribunal, pas plus qu'elle n'a établi un critère d'intervention différent selon qu'il s'agit de "plausibilité" ou de "crédibilité".                 
             Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié à pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut-être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau. (C'est moi qui souligne.)                 

[6]      En l'espèce, je suis d'avis, à la lumière de la preuve, que le requérant ne s'est pas déchargé de son fardeau de démontrer que les inférences tirées par le tribunal spécialisé qu'est la Section du statut ne pouvaient pas raisonnablement l'être. Cela est suffisant pour justifier le rejet de la demande de contrôle judiciaire sans que cette Cour ait à trancher la question relative à l'appartenance du requérant à un groupe social tel que défini par la Convention.

[7]      Par ailleurs, le principe de stare decisis, invoqué par le requérant, ne saurait ici recevoir d'application, tous les faits de l'autre revendication devant la Section du statut n'ayant pas été mis en preuve (voir Handal et al. c. M.E.I. (10 juin 1993), 92-A-6875).

[8]      Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 5 décembre 1997



COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : IMM-4133-96

INTITULE : GHEORGHE SILAGHI c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETE ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE : MONTREAL (QUEBEC) DATE DE L'AUDIENCE : LE 3 DECEMBRE 1997 MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE PINARD EN DATE DU 5 DECEMBRE

COMPARUTIONS

ME SERGE SEGAL POUR LA PARTIE REQUERANTE

ME JOSEE PAQUIN POUR LA PARTIE INTIMEE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. GEORGE THOMSON POUR LA PARTIE INTIMEE SOUS-PROCUREUR GENERAL DU CANADA

SEGAL, LAFOREST, EL MASRI POUR LA PARTIE REQUERANTE MONTREAL (QUEBEC)

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