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Date : 20220517

Dossier : IMM‑2132‑21

Référence : 2022 CF 734

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

JING LI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mme Li (la demanderesse) conteste la décision par laquelle un agent principal d’immigration (l’agent) a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La demanderesse vit au Canada depuis environ cinq ans avec son époux, qui est citoyen canadien. Actuellement, l’époux de Mme Li ne peut pas la parrainer dans le cadre du programme de parrainage d’époux en raison de ses antécédents criminels et du fait qu’il a récemment déclaré faillite.

[2] En ce qui concerne la durée de la séparation de Mme Li d’avec son époux et sa famille élargie au Canada, l’agent a souligné que l’époux de Mme Li pouvait présenter une demande de suspension de son casier judiciaire (aussi appelée demande de réhabilitation) s’il voulait raccourcir la durée pendant laquelle il ne pouvait pas la parrainer. En l’espèce, la possibilité d’une suspension de casier judiciaire n’est pas un facteur pertinent, car elle ne permettrait pas de raccourcir la période d’inadmissibilité au parrainage de l’époux. La durée de la séparation de la demanderesse d’avec son époux et les membres de sa famille élargie au Canada était un élément clé dans la demande de dispense. Par conséquent, la prise en compte de ce facteur non pertinent dans l’examen de l’agent rend sa décision déraisonnable.

[3] Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte factuel

[4] Mme Li est une citoyenne de la Chine. Elle est arrivée au Canada en octobre 2016 et, peu après, elle a épousé son mari qui est citoyen canadien. Elle est restée au Canada de façon continue depuis ce temps. Elle est propriétaire d’une maison en Alberta où elle vit avec son époux. Mme Li et son époux vivent près des parents âgés de ce dernier et Mme Li les voit quotidiennement et s’occupe d’eux. Mme Li a également tissé des liens avec les enfants et les petits‑enfants de son époux.

[5] En 2018, Mme Li a présenté sa première demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée en 2020. Mme Li a contesté le rejet de sa demande par le dépôt d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, mais elle s’est désistée avant que la demande d’autorisation soit tranchée.

[6] En septembre 2020, Mme Li a présenté sa deuxième demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, celle qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. La demande de Mme Li était fondée sur son établissement au Canada, en particulier sur ses liens familiaux avec son époux et la famille de celui‑ci, sur l’intérêt supérieur de ses petits‑enfants (par alliance) et sur la discrimination et les difficultés auxquelles elle serait exposée si elle devait retourner en Chine. De plus, Mme Li a souligné qu’en raison des antécédents criminels et de la déclaration de faillite de son époux, ce dernier ne pourrait pas la parrainer pour qu’elle devienne résidente permanente dans le cadre du processus de parrainage d’un époux.

[7] La deuxième demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été rejetée dans une décision datée du 17 mars 2021.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[8] Dans sa demande de contrôle judiciaire, Mme Li a soulevé certains arguments concernant le fond de la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Pour examiner la décision de l’agent, j’ai appliqué la norme de contrôle de la décision raisonnable. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], a confirmé que, lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

[9] Mme Li a également soulevé une question d’équité procédurale, faisant valoir que l’agent aurait dû lui donner l’occasion de formuler des observations en réponse à la possibilité, avancée par l’agent, que son conjoint demande une suspension de casier judiciaire. Puisque j’ai jugé que la possibilité d’une suspension de casier judiciaire n’était pas un élément pertinent dans les circonstances, je n’ai pas à examiner la question de l’équité procédurale.

IV. Analyse

[10] L’étranger qui sollicite le statut de résident permanent au Canada peut demander au ministre d’utiliser son pouvoir discrétionnaire afin de le dispenser des obligations prévues dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] pour des considérations d’ordre humanitaire (LIPR, art 25(1)). Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], citant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 351, la Cour suprême du Canada a confirmé que l’objectif du pouvoir discrétionnaire fondé sur des considérations d’ordre humanitaire est d’« offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont “de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne” » (au para 21).

[11] Étant donné que l’objectif du pouvoir discrétionnaire fondé sur des considérations d’ordre humanitaire est « de mitiger la sévérité de la loi selon le cas », il n’y a pas d’ensemble limité de facteurs justifiant une dispense (Kanthasamy, au para 19). Ceux‑ci varieront selon les circonstances, mais « l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids » (Kanthasamy au para 25; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 74 et 75 [Baker]).

[12] Dans la présente demande, un facteur clé soulevé par Mme Li était sa séparation d’avec son mari et sa famille élargie au Canada. Par conséquent, la durée de cette séparation était un élément important pour comprendre la nature des difficultés avec lesquelles Mme Li et sa famille doivent composer au Canada.

[13] La possibilité de demander une suspension du casier judiciaire n’a pas été soulevée par Mme Li dans sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a fait ses propres recherches et a conclu que l’époux de Mme Li pourrait envisager de demander une suspension de son casier judiciaire afin de raccourcir sa période d’inadmissibilité au parrainage de Mme Li.

[14] Dans leurs observations écrites, les parties ne s’entendaient pas sur le délai qui devait s’écouler à partir du moment où toutes les peines ont été purgées pour qu’il soit possible de présenter une demande de suspension de casier judiciaire. L’avocat de Mme Li a soutenu qu’il s’agissait d’une période de dix ans tandis que le ministre a soutenu qu’il s’agissait d’une période de cinq ans. Lors de l’audience, l’avocat de Mme Li a reconnu que le délai était effectivement de cinq ans en l’espèce, compte tenu du moment où l’infraction avait été commise.

[15] Quoi qu’il en soit, comme je l’ai expliqué à l’audience, peu importe la période, que celle‑ci soit de cinq ou de dix ans, le fait de demander une suspension de casier judiciaire dans ces circonstances ne contribuerait aucunement à raccourcir la période d’inadmissibilité au parrainage. À l’instar des demandes de suspension de casier judiciaire, les règlements applicables régissant l’admissibilité au parrainage exigent aussi que le répondant ait fini de purger sa peine au moins cinq ans avant le dépôt d’une demande (art 133(2)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227).

[16] Je conclus que le fait que l’agent ait tenu compte de la possibilité de demander une suspension du casier judiciaire n’est pas pertinent, compte tenu de la durée de séparation de Mme Li d’avec son époux et les membres de sa famille élargie au Canada. L’époux de Mme Li ne pouvait pas demander une suspension du casier judiciaire ou être admissible au parrainage de son épouse avant qu’au moins cinq ans ne se soient écoulés depuis avril 2021, soit la date à laquelle sa période de probation pour sa plus récente infraction a pris fin.

[17] L’agent s’est fondé sur un facteur non pertinent pour apprécier la nature des difficultés auxquelles Mme Li, son époux et sa famille doivent composer au Canada. Je suis d’avis que la durée de la séparation est un élément important dans l’appréciation des difficultés en l’espèce. Le fait d’envisager la possibilité d’une suspension du casier judiciaire peut avoir influé sur le poids final accordé aux répercussions de la séparation de Mme Li d’avec son époux et sa famille élargie au Canada. Je suis d’avis que la prise en compte par l’agent de ce facteur non pertinent est « suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[18] La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2132‑21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2132‑21

 

INTITULÉ :

JING LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JANVIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Karen Howley

 

POUR La DEMANDEresse

Cynthia Lau

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CRT Legal

Cabinet d’avocats

Comté de Red Deer (Alberta)

 

POUR La DEMANDEresse

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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